Le 177ème dîner de wine-dinners se tient pour la première fois au restaurant Macéo. C’est le siège habituel de l’académie des vins anciens et j’ai voulu que l’on essaie d’y tenir un wine-dinners car je suis satisfait du service et de l’engagement de tout le personnel.
A 17 heures je viens ouvrir les vins déposés il y a deux jours et mis debout la veille. Les bouchons ont des comportements qui sont logiques pour leur âge et tous les parfums correspondent au meilleur de ce que chacun pourrait apporter. Tout semble se présenter sous de bons auspices. J’ai le temps d’aller flâner dans les rues avoisinantes qui jouxtent le Palais Royal.
Nous sommes neuf et tous mes convives sont du monde de la finance. Certains sont des amateurs avertis et ont des caves solides. Le menu composé par le restaurant Macéo est : carpaccio de Saint-Jacques, caviar d’aubergines / râble de lapin à la sarriette bardé de lard, embeurré de choux frisés / pigeon Impérial aux haricots lingots / fromage Comté / cannelloni de mangue au sorbet pamplemousse.
Le vin d’apéritif se prend avec des gougères. Il s’agit du Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1990. Ce vin est le gendre idéal, bien élevé, policé, qui a toutes les caractéristiques d’un grand champagne. Il ne fait pas du hors piste comme peuvent le faire Krug ou Salon, mais sur piste, il est le roi de la glisse. C’est un beau champagne de plaisir et de soif.
Le Château Gilette sec Graves 1953 est probablement le vin le plus rare de ce dîner car je serais bien en peine d’en retrouver. Sa couleur est d’un or clair. Le nez est très pénétrant et difficile à caractériser. En bouche ce qui fascine, c’est que ce vin sec évoque le botrytis du sauternes. C’est un peu ce qui se passe avec l’Y d’Yquem, qui laisse transpirer le botrytis alors qu’aucun grain n’en a été affecté. La juxtaposition avec le chablis rend le vin encore plus doucereux. Ce mélange de sec et de doux est divin sur la coquille et sur la truffe. Il y a un citron bien contrôlé et apaisé par la mémoire du botrytis virtuel.
Le Chablis Grand Cru Les Clos Vocoret 1971 met KO assis tous les convives qui ont des caves de vins jeunes. Comment un chablis de 42 ans peut-il être aussi impérial, d’une force énorme mais aussi d’un équilibre exceptionnel. C’est un grand chablis expressif, serein, dominateur. On ne peut pas rêver chablis plus abouti.
Sur le lapin nous avons trois bordeaux. Le Château Ausone Saint-Emilion 1994 avait à l’ouverture un nez très au dessus de ce que j’attendais. Le vin a une profondeur qu’on n’imagine pas d’un 1994. Et ce qui est fascinant, c’est que le vin ne cesse de s’épanouir dans le verre pour prendre de plus en plus d’étoffe. C’est un grand vin à la trame précise, vin de plaisir qui n’est quand même pas au niveau des plus grands Ausone mais tiendrait la dragée haute à beaucoup d’autres vins de grandes années. Par moment sa mâche et sa trame ressemblent à ceux du Saint-Estèphe.
Le Château Calon Ségur Saint Estèphe 1961 a un parfum invraisemblable. Un convive grand amateur de vin dit qu’il n’a jamais senti quelque chose d’aussi parfait. Le vin sent la truffe avec une rare élégance. Ce qui frappe en bouche, c’est la mâche du vin. On croirait mâcher de la truffe en le buvant. Il est épanoui, conquérant, fort, avec la plénitude d’une des plus grandes parmi les années légendaires du 20ème siècle. Ce vin solide est impérial.
Sur les trois bordeaux, celui que j’aurais mis en premier, en faisant appel à ma mémoire de chacun, avant d’ouvrir les vins, c’est Château Léoville Poyferré Saint-Julien 1959 car j’en ai de grands souvenirs. Mais si le vin est probablement le plus subtil des trois, il n’a pas assez de cohérence et d’équilibre pour les surpasser. Il joue nettement en dedans, sans l’émotion qu’il pourrait communiquer. Dommage.
Le pigeon est servi et lorsqu’on me fait goûter le Moulin à Vent Mommessin Beaujolais 1949, c’est comme si je recevais un coup de poing dans le cœur. Ce vin est d’un parfum sensuel inimitable. C’est une promesse de bonheur. Et en bouche, c’est la luxure. Ce vin étrangement féminin est d’une séduction ultime. Mon Dieu quel bonheur. Il est équilibré, cohérent, complexe comme un grand bourgogne et probablement plus charmeur que beaucoup de grands bourgognes.
A côté de lui, le Château de Montredon Châteauneuf du Pape 1978 d’une solidité à toute épreuve cohabite bien et a l’intelligence de laisser la vedette au beaujolais, qui anoblit le pigeon. Le Châteauneuf du Pape est un grand vin de belle structure, qui par certains côtés rejoint le Calon Ségur par une gourmandise lourde et rassurante.
Le Château Chalon Fruitière Vinicole de Voiteur 1964 avait à l’ouverture un nez explosif. Une bombe d’alcool et de noix. Il est toujours aussi tonitruant, emplissant la bouche et la conquérant. Avec le comté, c’est un accord majeur très lié à la façon de mâcher le fromage et de ne pas laisser le vin jaune envahir le palais de son alcool. Ce vin d’une belle maturité fait aimer le Jura.
Le Château Coutet Barsac 1950 se présente avec une robe très foncée, marron presque café. Le nez est d’agrumes. La bouche est un bonheur acidulé. Il y a des complexités extrêmes de fruits exotiques mêlés et d’épices multicolores. Il a un beau gras, une belle ampleur en bouche et on ne se lasserait pas d’en reprendre encore et encore.
Ce qui impressionne mes convives, c’est que tous les vins sont apparus dans un état de grande perfection. Le vin est à maturité dans le verre et au sommet de ce qu’il pourrait offrir.
Les vins ayant été tous bons, c’est assez difficile de voter. La diversité des votes est toujours une surprise. Sur les dix vins du repas, neuf ont figuré dans les votes au moins deux fois, ce qui est évidemment pour moi une satisfaction, car cela indique la qualité des vins choisis. Là où les choses deviennent assez extraordinaires, c’est que sept vins sur les dix ont été nommés premiers alors que nous ne sommes que neuf votants. C’est assez fou de se dire qu’il y ait pu avoir sept gagnants. Cinq vins ont été nommés premiers une fois : le Champagne Henriot, le Gilette sec, le Chablis Vocoret, le Château Chalon et le Coutet Barsac. Deux vins ont été nommés premiers deux fois, le Calon Ségur et le Moulin à Vent.
Le classement du consensus serait : 1 – Moulin à Vent Mommessin Beaujolais 1949, 2 – Château Calon Ségur Saint Estèphe 1961, 3 – Château Coutet Barsac 1950, 4 – Château Gilette sec Graves 1953, 5 – Chablis Grand Cru Les Clos Vocoret 1971.
Mon classement est : 1 – Château Calon Ségur Saint Estèphe 1961, 2 – Moulin à Vent Mommessin Beaujolais 1949, 3 – Château Coutet Barsac 1950, 4 – Chablis Grand Cru Les Clos Vocoret 1971.
Le menu a été remarquablement exécuté. Malgré l’exigüité du salon bibliothèque, le service a été impeccable. L’ambiance était aux rires et à la joie de partager. Ce fut l’un des plus sympathiques dîners de wine-dinners. Les envies de recommencer nous démangent déjà.
Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1990
Château Gilette sec Graves 1953 (capsule très originale)
Chablis Grand Cru Les Clos Vocoret 1971
Château Ausone Saint-Emilion 1994
Château Calon Ségur Saint Estèphe 1961
Château Léoville Poyferré Saint-Julien 1959
Moulin à Vent Mommessin Beaujolais 1949
Château de Montredon Chateauneuf du Pape 1978
Château Chalon Fruitière Vinicole de Voiteur 1964
Château Coutet Barsac 1950
le groupe