Le week-end du 15 août est une institution. Sont présents deux amis gastronomes parisiens, un couple d’amis locaux, ma fille cadette ma femme et moi. Ce midi, nous allons déjeuner chez nos amis locaux sur leur terrasse qui surplombe la mer, les îles d’or et les salins d’Hyères. Les vins proviennent de tous les participants.
L’apéritif est tellement copieux qu’il pourrait nourrir un honnête chrétien – ce qui n’est ni un pléonasme ni un oxymore – pendant plus d’un an. Il me faudrait plus d’un bulletin pour nommer tout ce que notre amie a conçu, allant de crevettes, tapas de poulpe, foie gras poêlé au poivre de Madagascar jusqu’à toasts à la truffe d’automne, Lomo, coquilles Saint-Jacques, olives vertes, tapenade à l’intense romarin, purée de pois chiche et tout ce qui se croque ou se grignote.
Le Champagne Laurent Perrier Cuvée Grand Siècle ouvert il y a plus de deux heures est d’une largeur et d’une opulence qui se comparent volontiers à celles du Comtes de Champagne 2005 de la veille. Ce champagne, c’est le gendre idéal, prêt à rendre service à tout le monde. Il est consensuel comme peu de champagnes. J’ai voulu que l’on goûte ensuite un Champagne Lanson Noble Cuvée 1988. Après le champagne si accueillant, il faut s’habituer à la typicité de ce champagne vif, cinglant, et intense. Son nez est d’une grande noblesse, complexe et profond. Ma fille suggère une parenté de goût entre ce champagne et Krug et c’est vrai qu’il est vif et racé dans la ligne de Krug. Immédiatement je pense à Krug 1996 que ce beau Lanson évoque. Sur les toasts au foie gras, c’est une merveille. Un troisième champagne avait été envisagé mais il est raisonnable de l’écarter car la suite sera longue.
Notre amie a réalisé un bar cru façon gravlax à l’avocat qui est une œuvre d’art tant les fleurs comestibles sont jolies et colorées. C’est un Silex Blanc Fumé de Pouilly par Louis-Benjamin Dagueneau 2014 apporté par ma fille qui l’accompagne. La chair du bar est divine. Le vin est agréable mais il n’a pas la tension que j’attendrais d’un Silex. Il lui manque sans doute quatre à cinq ans. L’accord est naturel et pertinent. Nous nous régalons avec ce vin cristallin et cette chair si pure.
Notre hôtesse, notre amie, aime cuisiner selon les recettes de chefs aussi est-ce difficile de lui demander de simplifier ses recettes au profit du vin. Aujourd’hui, elle nous fait une démonstration brillante de sa capacité à s’adapter aux grands vins. Le pigeon est présenté en filets et pastillas pour les ailes et abats, avec une purée façon Robuchon. C’est simple, clair, lisible et goûteux.
Le Château Mouton-Rothschild 1985 a été ouvert à 10 heures. Il est tout en douceur, charme et séduction. Il est de belle structure et glisse en bouche avec délectation. J’ai voulu lui associer un Château Palmer Margaux 1990 que j’ai ouvert à 11 heures. Le niveau était dans le goulot. Sa couleur est plus foncée que celle du Mouton, son goût est plus intense, plus profond, noir de truffe. Ce sont deux vins très opposés, le Mouton dans le charme et la séduction et le Palmer guerrier dans l’affirmation. Le Palmer est plus riche, plus structuré, plus intense et je le préfère nettement mais ma fille préférera le Mouton. Ces deux vins sont très grands et l’accord est d’une grande exactitude, le Mouton plus sur les filets et le Palmer plus sur la pastilla.
Pour les fromages, camembert Jort, chèvre, mais pas pour le gorgonzola nous buvons un Trévallon Vin de Pays des Bouches-du-Rhône rouge 2005 qui est d’une invraisemblable douceur, accompli comme un cercle parfait, rond, équilibré, d’une facilité incroyable tout en étant gourmand. S’il n’y avait pas eu les deux bordeaux auparavant, on se pâmerait devant ce vin accompli. On s’en régale bien sûr.
Le dessert est un « Megève », une meringue au chocolat. C’est un Porto Colheita Krohn 1966 qui l’accompagne. Sa couleur est tuilée, terreuse, indiquant que le vin a sans doute vieilli un peu vite. Son parfum enivre de pruneaux, prunes et café. En bouche il est fort, charmeur, intense de pruneaux et de café.
Notre amie a réalisé une cuisine de très haut niveau qui lui permettrait sans nul doute d’ouvrir un restaurant si elle le désirait. Les vins sont pour moi dans l’ordre suivant : Palmer 1990, Lanson 1988, Mouton 1985 et sur un étage différent et tous ex-aequo, Trévallon 2005, Grand Siècle, Silex 2014 et Porto Krohn 1966. On pourra bien sûr penser que je ne suis pas objectif puisque les deux premiers sont mes vins, mais on dira que je le suis si j’ajoute que ce fut un très grand repas.