Archives de catégorie : billets et commentaires

lancement du guide Hachette des Vins 2004 jeudi, 4 septembre 2003

On est maintenant à Paris. Je suis invité au lancement du guide Hachette des Vins 2004. Ambiance délicate créée par cette si charmante directrice de publication. Je retrouve quelques vignerons amis, fiers d’être des « coups de cœur » choisis par le guide.

Les discours sont forcément convenus mais heureusement courts et le choix des médaillés est fort intelligent : un Riesling, un Bandol et un Pauillac. Pourquoi faut-il que sous la pression de l’intervieweur les élus déclarent être devenus vignerons par accident ? Imagine-t-on un cardiologue décoré qui déclarerait : « vous savez, je suis cardiologue par hasard, car il y a dix ans j’étais mécanicien automobile » ? Croit-on que l’on est meilleur quand on s’inscrit en rupture de la tradition ? Nous avons accès à la dégustation des coups de cœur. Quel aimable mélange ! Il est en effet assez rare qu’à coté de vins de Savoie ou du Luxembourg, on puisse goûter Haut-Brion 2000, Yquem 1998 ou Krug Clos du Mesnil 1990 !!!

J’ai souri en observant quelques grands journalistes présents qui écrivent sur l’intérêt de découvrir des vins méconnus et de ne pas être prisonniers des étiquettes. Ils se sont précipités pour aller boire ces vins rares et chers. Tous ces vins ont été épuisés avant même que je puisse m’approcher des stands de dégustation.A quoi cela sert-il de faire des guides, si tout le monde se bat pour boire les premiers crus classés !! J’ai quand même eu une goutte d’un Krug Clos du Mesnil 1990. Il y a évidemment un abîme de différence entre le Salon 1990 bu comme il faut à l’occasion d’un repas et ce si prestigieux champagne bu debout, dans un verre qui a servi à d’autres vins. On a l’esquisse de sa grandeur, mais pas le plaisir qui convient. Mais c’est grand quand même !

Le Chablis Vaudésirs William Fèvre est décidemment bon, et le Corton Charlemagne Bouchard est un plaisir délicat. Au milieu des vins goûtés, un Gewurztraminer sélection de grains nobles m’a largement plu, ainsi qu’un Château Chalon au nez invraisemblablement pénétrant. Cette célébration des vignobles dans la bonne humeur est fort sympathique.

Ces dégustations comparatives m’ont remis en mémoire le repas à Londres où avant le plat, le Haut-Brion blanc surclassait le Château Grillet, et puis sur un soufflé au fromage, le Haut-Brion était pâle quand le Grillet paradait. Qui peut être sûr que ces classements préfigurent le plaisir que l’on aura à table avec un plat ? J’ai pensé aussi à Alain Senderens, car je me sens plus à l’aise dans la recherche de l’accord juste, précision gustative où avec un grand chef on fait briller et la cuisine et le vin à son apogée, que dans la comparaison intrinsèque qui en fait ne m’intéresse pas tant que cela. Que m’importe que Latour soit plus brillant qu’Ausone ou l’inverse, quand ce qu’il faut chercher, c’est que le Ausone que l’on ouvre, ou le Latour, soit le plus beau vin de l’instant.

 

 

La recherche d’un « vieux » Sainte-Roseline et autres achats mercredi, 6 août 2003

Et pendant ce temps là, quid du Sainte Roseline convoité (bulletin 84) ? Marin chaque jour, Don Juan parfois, je séduisis la belle, cette grand-mère gardienne d’histoire, et un jour, le dernier de mes vacances, ma flamme fut récompensée.

La belle me conduisit dans la cave de son défunt mari, et dans des casiers poussiéreux où des vins de toutes origines vivent leurs derniers soupirs, j’exhumai un Château Sainte Roseline 1953 d’un niveau superbe. La belle m’en fit cadeau. Tout excité je pense au dîner de wine-dinners où je servirai ce vin. J’espère la présence du si talentueux propriétaire actuel, pour qu’il partage la découverte du témoignage de ce beau quinquagénaire.Toutes proportions gardées, cette rareté, qui sera sublime ou morte peut-être (j’en doute) m’excite autant par sa rareté que le si extraordinaire Bâtard du Domaine de la Romanée Conti (bulletin 77).

De façon tout aussi imprévue, j’ai acheté chez un épicier traiteur un lot conséquent de vins anciens de la région des Côtes de Provence et de Bandol, certains ayant vingt ans. Ces vins vieillissent bien, ce qui est quasi invérifiable tant ces vins sont bus au berceau. Un jour on (re)découvrira combien le temps profite à ces vins généreux, qui méritent plus que leur image de vins de soif à consommer rapidement. Citons parmi les ouvertures de l’été un Rimauresq 1986 d’une plénitude rare, un Bandol Domaine des Baguiers 1989 rond, juteux, extrêmement bien adapté, et, hasard d’un soir, un blanc de Lynch Bages 1996 dont je suis particulièrement friand, car il a ce flamboiement que j’aime dans les Bordeaux blancs typés.

Ce message sera lu dans l’atmosphère studieuse de la rentrée, alors qu’il est écrit au son des cigales soûlées de mistral. Je remplis mes narines de soleil, de thym et de houle avant de retrouver Paris.

 

 

Chez Bruno samedi, 2 août 2003

Voyage devenu un rite chez Bruno à Lorgues, où l’accueil est toujours aussi charmant. Le cadre, le décor, l’ambiance, la générosité, tout y est, mais je crois que les truffes se goûtent mieux hors de l’été. Il faut garder ce pèlerinage pour le temps des truffes.

Cocktail chez Christie’s dimanche, 1 juin 2003

Une soirée folle. Je suis invité chez Christie’s pour un cocktail dont le prétexte est la dégustation des champagnes Roederer. On goûte le Brut premier, gentil mais sans personnalité réelle, le Blanc de Blancs 1996, dont j’aime la sécheresse brutale qui n’accepte aucune concession, le Brut 1996, magistralement vineux, jugé très jeune par le directeur général, alors qu’il est merveilleusement mûr pour moi, un rosé 1996 qui a l’intelligence de ne pas avoir un goût de rosé, mais de délicieux champagne, puis le Cristal Roederer 1996, au nez puissant et au goût de champagne distingué, mais peut-être pas encore totalement formé.

Cocktail au nouveau site de Lenôtre sur les Champs-Elysées jeudi, 29 mai 2003

Je me rends, à l’invitation d’un ami, à un cocktail destiné à couronner deux jeunes chefs de talent. L’idée est sympathique et je viens encourager ceux qui perpétuent cet art si exigeant. Deux jeunes qui en veulent et déjà un tantinet repérés sont couronnés.

Comme les pistolets à plusieurs coups, ces manifestations sont là pour des publicités ricochet. On est convié chez Lenôtre qui inaugure demain une boutique. Erreur de casting. En l’un des endroits les plus beaux de Paris, sur la montée des Champs Elysées, on a relooké un délicieux pied à terre à la façon du sous-sol des halles. C’est laid. Et là, Lenôtre ouvre une boutique cheap. C’est une faute esthétique, quelle que fut l’intention.

Ce lieu eut mérité un Robuchon. On y vend des objets.

Le cocktail a lieu sous une tente plantée sur le trottoir des Champs. Un sauna paraîtrait une escale fraîcheur, comme on dit dans ces expressions publicitaires à la grammaire absente. Qu’une marque de champagne fasse ses relations publiques, c’est la loi du genre. Mais que Lenôtre incommode l’assistance d’une tente non ventilée, d’un buffet étique et d’un service gravement sous dimensionné, je ne comprends pas. Pourquoi écorner la réputation de cette si talentueuse maison, éclairée pendant tant d’années du sourire si généreux de son exigeant créateur. La seule consolation fut de retrouver quelques amis et de voir deux jeunes chefs flattés d’être honorés. Et dire qu’avec le Crillon, Laurent, le Pavillon Elysées, Ledoyen et Lasserre on pourrait constituer le carré le plus fabuleux de la cuisine mondiale. Aucun espace, fait de pierres illustres et de jardins ombragés ne pourrait offrir plus que ce paradis là, sous le parapluie cosmique de l’obélisque. Des palais gastronomiques au milieu des musées, des théâtres, des arbres, dans l’atmosphère magique de cet espace dégorgeant d’Histoire, voilà qui ferait saliver la planète.

Il faudrait de l’ambition pour ce quartier qui mérite l’excellence absolue. C’est bien d’exposer des vieuxtrains quand les vrais sont en grève. Mais, excellence, prestige de la France, ce serait plus porteur que des boutiques. Occasion manquée. Du temps perdu quand on pourrait atteindre l’extrême, le sublime, le rare.

 

 

Cocktail au Four Seasons George V lundi, 12 mai 2003

Cocktail au Four Seasons George V pour honorer Philippe Legendre et Eric Beaumard à la suite du troisième macaron. Discours brefs et fort délicats, ambiance chaleureuse comme dans un après match où l’on vient de gagner la coupe. Je ne bois que de l’eau et grignote seulement des préparations raffinées (quel dommage de picorer quand tant de merveilles vous tentent), parce qu’un grand dîner m’attend.

Restaurant la Butte de Chaillot jeudi, 8 mai 2003

Passage intéressant dans une annexe de Guy Savoy, la Butte de Chaillot. La façade est attirante, la décoration intérieure est dans ces tons de chocolat africains, et l’on retrouve des éléments de décoration qui correspondent aux goûts de Guy Savoy. Le personnel est jeune, dynamique, a le sens du service au client, et se révèle efficace. Ce qui est particulièrement remarquable, c’est que dans la gamme de prix du lieu, on a de la vraie cuisine. C’est à dire qu’on mange. On ne se restaure pas, on mange. Même si je ne suis pas le client type de ces endroits, je trouve la formule particulièrement bien conçue. Elle devrait conquérir une large clientèle d’amateurs d’une restauration intelligente où –encore une fois – on « mange ».

VINS ANCIENS VINS MODERNES dimanche, 2 mars 2003

D’abord des sensations fortes racontées comme je les ai éprouvées en goûtant ensemble deux vins opposés. Faut-il de ce fait participer à la polémique sur l’évolution du goût du vin ? Ne produisant pas de vin, ne commercialisant pas de vins, je n’ai pas de thèse à défendre.

Chaque vigneron fait ce qu’il croit bon et le marché tranche. Me trouvant parfois immergé au sein de débats sur l’évolution du vin, je verse ce petit exemple que j’ai outré à plaisir comme un chef épice un plat pour exciter le goût. Je ne partirai pas en croisade, à chacun son domaine. Le mien est celui des vins anciens dont je me fais volontiers le chantre, et celui de la haute gastronomie que j’admire et soutiens. De très grands noms du vin se battent pour la préservation de l’authenticité et pour que la technique soit au service du terroir et pas l’inverse. Le combat se gagne plus dans le verre que sur le papier. Après ces longs prolégomènes,j’ajoute mon historiette.

Lors d’un dîner fort simple mais fort bon, on commence par un Chablis Grenouilles la Chablisienne 1996. C’est bon et c’est goulu, mais c’est plus premier cru que grand cru. Il manque une petite folie à ce vin bien fait. Puis on me fait découvrir à l’aveugle Almaviva Baron Ph. de Rothschild 1998. Ça démarre comme un bourguignon qui aurait du nerf, avec un zeste de Roussillon. On ne peut pas dire que ce n’est pas plaisant, mais pour moi, cela tient de l’infusion de copeaux. Puis arrive le révélateur : un Cornas Robert Michel 1982 (Grand vin des Cotes du Rhône) servi quasi simultanément. Pour le collectionneur que je suis, je ne mourrai pas si je rate un Cornas, et je ne vis pas enchaîné aux grilles de la propriété de Robert Michel pour être sûr d’avoir mon quota annuel. Mais la révélation était là : c’était du vin !! L’Almaviva, c’est une montagne de technologie, c’est la déforestation de toute l’Amérique du Sud, mais, excusez ce propos assassin, c’est de la tendance, ce n’est pas du vin. Et au nez, aux lèvres, ce Cornas de 20 ans avait tout d’un vin de bonheur, il iodlait dans la bouche, quand l’Almaviva nous soûlait de copeaux. J’ai donc compris la fureur d’Aimé Guibert de Daumas Gassac, j’ai compris la véhémence des vignerons de terroir, mais j’ai aussi entrevu par l’exemple tout ce qui passionne ces belles querelles. Il vaut mieux du terroir que de la technologie. Et même si l’on a le terroir, il faut modérer la technologie. Mais je ne veux pas aller plus loin, car il y a mille experts plus compétents pour dire quelle est la voie.

 

 

Réflexion sur des restaurants samedi, 21 décembre 2002

Dans ces bulletins, je n’ai pas l’habitude de critiquer, car les restaurateurs, comme les vignerons, font un travail de création. Je respecte la création, faite de sueur et de génie. Mais ayant eu coup sur coup des surprises désagréables, je ne peux pas ne pas les signaler, tant je voudrais être sûr de la perfection que doivent avoir les grandes tables françaises.
Lorsqu’on arrive à 12h15 dans un restaurant deux étoiles pour trouver les aspirateurs qui vrombissent et un personnel qui s’habille devant soi, ce n’est pas normal. Quand, dans un autre restaurant, le verre est toujours vide, comme le regard des serveurs et des sommeliers d’une imposante armée, qui, sensés veiller aux désirs des clients, passent leur temps à rêvasser, ce n’est pas normal non plus. Trop souvent, même dans de très grandes maisons, le personnel regarde dans le vide, et oublie ce qui se passe dans la salle ! J’arrête là les critiques. Mais il faut parfois le dire.
Revenons à nos plaisirs. Dans ce deux étoiles, l’entrée aux truffes et le râble de lièvre, divins, ont fait oublier l’accueil. Un Richebourg Anne Gros 1995, presque sinon aussi bon que le 1996 (comment départager de telles réussites) qui suivait un Château Chalon 1966 assez acide, mais ciselé sur la truffe, a ramené le sourire.

Vente de Christie’s et New York Times mardi, 10 décembre 2002

Je vais à la vente de Christie’s où l’on dispersait des apéritifs et alcools de la cave du Duc de Windsor. J’en achète beaucoup, ce qui m’a valu les honneurs d’un article dans le New York Times du 13 décembre. Et évidemment, d’autres journalistes américains intrigués cherchent à me joindre. On verra…