Archives de catégorie : dîners de wine-dinners

151ème dîner de wine-dinners – les vins jeudi, 6 octobre 2011

Champagne Dom Pérignon 1992

Champagne Charles Heidsieck Royal 1969

Corton Charlemagne Louis Affre vers 1959 (la marque de l’année en lettres jaunes sur fond blanc est devenue illisible)

Château Calon Montagne Saint Emilion 1961

Château Pavie-Decesses Saint Emilion 1945

Château Pontet Saint Emilion 1955

Carruades de Château Lafite 1929

Grand Chambertin Sosthène de Grésigny 1918

Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1998

Côte Rôtie La Landonne Guigal 1998

Château Guiraud Sauternes 1959

Massandra White Muscat (Massandra Collection) 1936

Le 149ème dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent jeudi, 8 septembre 2011

Le 149ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. C’est le dîner de la rentrée scolaire et, pour une fois, le thème est centré sur un domaine, le domaine Armand Rousseau. Comme nous serons douze, j’ai prévu treize vins.

A 17h30 tout est prêt pour que je puisse ouvrir les bouteilles déposées depuis une semaine. Mon rhume me handicape toujours, mais je pourrais détecter des défauts. Il n’y en a pas. Les vins d’Armand Rousseau, à l’exception d’une bouteille, provenaient d’une seule cave dont les bouteilles sont poussiéreuses. Il y avait évidemment des inconnues, mais la surprise fut belle. Le Sigalas-Rabaud 1896 au bouchon d’origine a un niveau dans le goulot, ce qui est exceptionnel pour cet âge. Il exhale un parfum divin.

Nous sommes douze, seulement des mâles, ce qui n’est pas mon désir mais le hasard des inscriptions. Sont représentés les Etats Unis, le Japon, le Danemark et la France. Il y a quatre nouveaux et deux convives dont c’est le deuxième dîner. L’autre moitié de notre groupe est formée d’habitués fidèles.

Nous prenons l’apéritif sur un Champagne Charles Heidsieck Royal 1969 au flacon extrêmement joli, tout en courbe avec une belle étiquette évoquant la forme d’une coquille Saint-Jacques. On entre de plain pied dans le monde des champagnes anciens, avec une richesse d’évocation de fruits jaunes et bruns. Le champagne n’est pas aussi glorieux que le Pommery 1953 de la veille, mais il a tout ce qui fait le charme des champagnes anciens. Il convainc tous ceux qui n’en avaient jamais bu.

Le menu créé par Alain Solivérès est ainsi composé : Tartare de bar de ligne parfumé au yuzu et amandes fraîches / Epeautre du pays de Sault en risotto aux cèpes de châtaignier / Mignon de veau de lait de Corrèze rôti aux légumes caramélisés / Suprême de pigeon de Racan en chausson feuilleté, foie gras et chou/ Deux Comtés et des noix / Douceur de mangue aux parfums de pain d’épices et de safran.

Etant un amoureux du champagne Salon mon avis ne sera pas objectif sur le Champagne Salon 1985 que j’adore. Un des convives nouveaux ayant posé des questions sur ce qui caractérise un vin « vieux », nous avons avec les deux champagnes une belle démonstration, car le Charles Heidsieck est « vieux » et le Salon 1985 est « jeune ». Il a la force vineuse de Salon, avec une jolie rondeur donnée par ses jeunes vingt-six ans. Le fruit est généreux, la bulle est active et la longueur est satisfaisante. J’aime beaucoup ce champagne qui n’a pas l’aspect glorieux du 1988 ou le caractère romantique du 1982, mais raconte de jolies choses.

Le Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1991 est magnifique. La couleur est celle d’un vin jeune, à l’or blanc, le nez est impressionnant car je le ressens même avec mon rhume, et en bouche, la puissance, la force, la pénétration gustative sont impressionnantes. Ce vin lourd et de forte mâche est un vrai régal, car ses vingt ans lui donnent une assise extraordinaire. Je l’ai beaucoup aimé. L’épeautre, plat signature du lieu, lui convient idéalement, mais il serait aussi le compagnon idéal de vins de toutes les couleurs.

Il y a huit vins rouges qui sont répartis en deux séries de quatre vins associées chacune à un plat. La première série est composée de : Gevrey-Chambertin Premier Cru Domaine Armand Rousseau 1972, Charmes Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952, Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1948, Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1969. Celui qui tranche par rapport aux trois autres est le seul qui provient d’une autre cave, le 1969. Il a une couleur plus claire et fait jeune, alors que les trois autres sont des vins déjà évolués, avec une belle harmonie. Ce qui frappe d’emblée, c’est la similitude de style entre les vins. Et je me suis pris à rire intérieurement, car chaque fois que je changeais de verre, je me disais : « ah, c’est celui-là le meilleur ». Que c’est difficile de choisir entre ces vins. J’aime le 1972 car il a la discrétion de cette année assez gracile, j’aime le 1952 parce que c’est une année virile, pleine d’expression. J’aime le 1948 parce que c’est un Clos de la Roche et parce que l’année 1948 est souvent sous-estimée, et j’aime le 1969 parce que c’est le plus jeune, d’une grande année bourguignonne. Bien malin qui pourrait départager ces vins. Ce que l’on peut noter c’est qu’ils sont tous expressifs, remarquablement faits, avec une belle structure, un fruit présent dans les tons bruns et une trace poivrée dans le final qui est très jolie. Les vins un peu trop chauds font apparaître plus d’alcool que s’ils avaient deux degrés de moins.

La deuxième série comporte : Chambertin Domaine Armand Rousseau 1935, Chambertin Domaine Armand Rousseau 1947, Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952, Echézeaux Joseph Drouhin 1947. La question est évidemment apparue : pourquoi un autre bourgogne ? J’ai répondu que c’est ma coquetterie. Je n’aime pas être enfermé dans des plans rigides, et d’ailleurs c’est exceptionnel que je fasse des repas à thèmes, d’où ce vin inattendu rajouté au programme. Dans cette série, il y a des vins extrêmement rares, car lorsque j’ai parlé de ce programme à Eric Rousseau qui serait venu s’il n’était en pleines vendanges, il m’a confié qu’il n’a jamais bu le 1935.

Sur une magnifique création d’Alain sur le thème du pigeon, la deuxième série crée la même impression que la première : on retrouve le style Rousseau et on est embarrassé pour désigner celui que l’on préfère. Ce qu’il y a de nouveau, c’est de sentir du café, du moka et du chocolat dans ces trois chambertins, surtout le 1952. J’aime le 1935 parce qu’il est d’une année subtile, très précieuse, j’aime le 1947 car l’année est rayonnante, ensoleillée et le 1952 s’impose par la force de son message, d’une année riche et complexe. A côté, l’Echézeaux Joseph Drouhin est d’une couleur d’un rubis beaucoup plus rouge, d’une clarté plus grande, et en bouche il est beaucoup plus joyeux. Il a donc sa place aussi pour faire un contraste avec la profondeur des vins d’Armand Rousseau. Au fil du temps, les vins s’épanouissent et les deux chambertins 1947 et 1952 se montrent les plus brillants.

Le Château Chalon Jean Bourdy 1911 qui a juste cent ans est un des plus brillants que j’aie jamais bus. Il est extrêmement facile à comprendre et à accepter, même si l’on n’est pas un grand amateur de vins jaunes, car son intégration et son harmonie le rendent très séducteur. Le vin est presque bourguignon tant il est accueillant, avec des notes légèrement citronnées. Les comtés de dix-huit et trente mois avec de petites noix fraîches créent un accord parfait. L’essai avec le reste du Chevalier Montrachet qui a gardé sa vigueur est particulièrement pertinent.

Le Château Sigalas-Rabaud 1896 a une couleur d’un ambre abricot. Son parfum est envoûtant et en bouche, c’est une pure merveille. Il a beaucoup plus de sucre que le Guiraud 1904 bu hier. Il est fascinant car il n’a pas d’âge. Il serait impossible de dire qu’il est évolué. Il est dans une expression équilibrée et parfaite, intemporelle. Les sauternes ayant une place importante dans mon amour du vin, je suis subjugué par cette précision et par l’accomplissement de ce vin parfait, archétype du sauternes idéal. Le dessert est le plus exact que l’on puisse imaginer pour ce vin.

Nous arrivons au moment des votes et il faut avouer que c’est très difficile. Je vais commencer à en parler en signalant une chose qui me fait un plaisir fou : ce repas comporte treize vins de ma cave. Alors que nous votons pour seulement cinq vins, tous les vins du dîner ont eu au moins un vote. C’est assez extraordinaire, car il n’y a aucun laissé pour compte, ce qui est rare pour treize vins. On comprendra que je sois assez fier.

Quatre vins ont été nommés premiers. Le Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952 l’ été six fois, le Château Sigalas-Rabaud 1896 l’a été trois fois, le Chambertin Domaine Armand Rousseau 1947 l’a été deux fois et le Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1969 l’a été une fois. On notera que le chambertin 1952 a reçu douze votes, ce qui veut dire qu’il est présent sur toutes les feuilles de votes. A côté de cet unisson, la disparité des votes est particulièrement forte.

Le vote du consensus serait : 1 – Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952, 2 – Château Sigalas-Rabaud 1896, 3 – Chambertin Domaine Armand Rousseau 1947, 4 – Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1969, 5 – Chambertin Domaine Armand Rousseau 1935.

Mon vote est : 1 – Château Sigalas-Rabaud 1896, 2 – Chambertin Domaine Armand Rousseau 1947, 3 – Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952, 4 – Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1991, 5 – Chambertin Domaine Armand Rousseau 1935.

Ce dîner fut un grand moment d’émotion. Car rassembler autant de vins rares du domaine Rousseau est quelque chose que je ne peux faire qu’une fois. Par ailleurs, tous les vins du domaine Rousseau (mais bien sûr aussi tous les autres) étaient d’une présentation parfaite. Aucun vin ne nous a donné l’impression d’un vin fatigué, d’un vin au-delà de ses limites. Ce qui prouve la pertinence de la vinification de ce domaine, l’un des plus talentueux de la Bourgogne. Bipin Desai m’a complimenté sur la qualité des vins, ce que je reçois comme un honneur, car ses compliments sont aussi rares que ces vins du domaine Rousseau.

Alain Solivérès a fait une cuisine solide, assurée et d’une exécution parfaite. Ce fut l’un des plus grands repas que nous ayons faits au Taillevent, le pigeon méritant une mention spéciale tant il fut excellent et goûteux. Le fait de mettre quatre vins sur un même plat n’est pas idéal, car on ne profite pas à fond de chacun des vins. Il faudra travailler encore la coordination du service des vins avec celui des plats.

Avec des vins extrêmement rares et présents au rendez-vous que nous leur avions donné, avec une cuisine de très haut niveau, dans la magnifique salle lambrissée que j’adore, nous avons vécu l’un des plus grands repas des 149 de l’histoire de wine-dinners. Ça motive pour continuer.

les vins du 149ème dîner de wine-dinners – photos jeudi, 8 septembre 2011

Le thème est une belle verticale des vins d’Armand Rousseau : Champagne Charles Heidsieck Royal 1969 – Champagne Salon 1985 – Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1991 – Gevrey Chambertin Domaine Armand Rousseau 1972 – Charmes Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952 – Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1948 – Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1969 – Chambertin Domaine Armand Rousseau 1935 (basse) – Chambertin Domaine Armand Rousseau 1947 (basse) – Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952 – Echézeaux Joseph Drouhin 1947 – Château Chalon Jean Bourdy 1911 – Château Sigalas Rabaud 1896.

Champagne Charles Heidsieck Royal 1969

Champagne Salon 1985

Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1991

Gevrey Chambertin Domaine Armand Rousseau 1972

Charmes Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952

Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1948

Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1969

Chambertin Domaine Armand Rousseau 1935 (basse)

Chambertin Domaine Armand Rousseau 1947 (basse)

Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952

Echézeaux Joseph Drouhin 1947

Château Chalon Jean Bourdy 1911

quand la bouteille est prélevée en cave, elle n’a pas d’étiquette, aussi Jean-François Bourdy met l’année à la craie pour ne pas se tromper à l’étiquetage

Château Sigalas Rabaud 1896

148ème repas de wine-dinners – photos des vins vendredi, 10 juin 2011

Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1999

Champagne Salon magnum 1976

Château Lafite Rothschild magnum 1948

Château Lafite Rothschild magnum 1922

Château Lafite Rothschild magnum 1900 (rebouchée au château)

Château Lafite Rothschild magnum 1971

Château Lafite Rothschild magnum 1961

Château Lafite Rothschild magnum 1990

Champagne Krug Clos du Mesnil 1985

Fine de Mouton

148ème repas de wine-dinners – photos vendredi, 10 juin 2011

Les bouteilles alignées. Le magnum de 1990 n’est pas encore joint au groupe

photos des bouteilles par petits groupes

les bouchons

la salle et les bouteilles alignées

les plats du repas

les verres

notre groupe

les verres « presque » vides

les bouteilles en fin de repas (mon petit doigt m’a dit que l’équipe de Ledoyen a fini ce qui restait à boire – en fait je le leur avais recommandé de le faire)

6 magnums de Lafite : 1948, 1922, 1900, 1971, 1961, 1990 vendredi, 10 juin 2011

Quand le hasard joue au billard avec moi, j’adore. Je me laisse porter par la vague, comme dans une descente en rafting, et je donne juste les coups de pagaie qui remettent l’esquif dans l’axe. Mon ami chinois, avec qui je venais de déjeuner au George V me demande de faire un dîner pour huit à neuf personnes, des amis dit-il. Je demande s’il veut du « lourd » et il me dit oui. Je bâtis un programme qui ferait passer les trompettes de Jéricho pour d’aimables pipeaux, avec du rare de chez rare, comme on disait chez les bobos, et mon programme est agréé. Croire que tout est joué serait méconnaître l’âme chinoise. Car le nombre de convives s’est mis à danser un tango argentin débridé. Nous partîmes 9 au début des réflexions, mais par un prompt renfort, nous nous vîmes 15 puis 17 sans faire le moindre effort. Des vins prévus pour neuf ne peuvent désaltérer dix-sept convives, aussi me faut-il me tourner vers des magnums. Chaque jour le nombre de convives hoquète, vers le haut ou vers le bas. Comme cette seule variable eût été trop facile à maîtriser, la secrétaire de Desmond m’informe que ce ne sera plus un dîner mais un déjeuner, car mes convives ont un « important » dîner à Bordeaux, dans un château illustre. Ils voyagent en jet privé à l’arrivée comme au départ, aussi le somptueux menu que j’avais ciselé avec Christian Le Squer est torpillé d’un Scud mortel. La quadrature du cercle ne me fait pas peur. Qui dit chinois dit Lafite, qui dit programme court impose un choix de vins limité. Je propose à Desmond un programme tout en magnums de Lafite. Il dit oui. Le menu est calibré avec Christian Le Squer. Le nombre de convives est figé à 14 deux jours avant le déjeuner. Je m’attends à de nouveaux soubresauts. La nuit qui précède le déjeuner, je retourne dans mon lit les mille surprises possibles. Levé bien avant l’heure, je me prépare au pire, car nous sommes le vendredi qui précède la Pentecôte, qui fait qu’à Paris les chenilles processionnaires automobiles cessent de processionner, ce qui risque de réduire encore la plage du déjeuner.

Le 148ème dîner de wine-dinners, qui se tient à déjeuner pour la première fois, est organisé au restaurant Ledoyen. Nous serons dans le grand salon qui donne sur le jardin qui était naguère le Cercle Ledoyen, et force est de constater que la décoration aurait besoin d’un salutaire lifting. Toute l’équipe s’affaire, car la liste de mes vins annonce un moment rare. Je veux ouvrir les magnums et, horreur des horreurs, mes outils ne sont pas dans la sacoche qui leur est destinée. Je demande aux sommeliers qu’ils me prêtent leurs outils et je suis dans la situation du chirurgien du cœur qui voudrait opérer avec une hache trouvée dans la grotte Chauvet. Je bataille, je charcute et au bout d’une heure, tous les magnums sont ouverts. Il y a des parfums exubérants, d’autres prometteurs et le magnum de Lafite 1900 qui a été rebouché dans les années 80 sent un affreux bouchon. Comme Vatel, je songe au pire, mais la meilleure des défenses étant l’attaque, j’ouvre deux magnums de plus que prévu.

Nous sommes quatorze, puis treize, puis quatorze, ce que l’équipe de Patrick Simiand gère avec un calme oriental. Il y a Desmond et son épouse, huit ou neuf chinois qui œuvrent dans l’immobilier ou le vin à des niveaux où la compétition mondiale est aussi rare que l’oxygène sur le K2, un britannique, un américain, un grec membre du club des Cents, un français et moi. Les chinois ont à peine une heure de retard, ce qui entame à peine (je me vante) ma zen attitude. C’est parti !

Pour faire venir le groupe de chinois plus vite, nous commencions à boire le Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1999. Divine surprise, ce champagne que je connais est très au dessus de mes espérances. Il est solide, charpenté, d’un goût plein et coloré de jaune d’or, alors que sa robe est d’une rare jeunesse et sa bulle frétillante. Je suis absolument ravi de ce début avec un champagne brillant, serein, riche et noble. Des plateaux sont présentés avec du saint-pierre cru, du Jabugo et deux fromages dont on se sert avec de petites piques. Mon intuition me poussait vers l’accord avec le poisson cru, mais c’est le fromage qui a révélé toute l’ampleur du champagne et l’a fait sourire.

Les chinois arrivent et je pousse un ouf de soulagement, car sans eux, mes six magnums ouverts perdraient leur sens.

Le menu composé par Christian Le Squer est rédigé en anglais. Je le retranscris comme il est : Selection of Appetizers / Grilled Red Mullet fillet / Braised Turbot « Ledoyen » style / Roasted Spring Lamb, plain brown gravy / Smocked eel toast, red wine sauce / Fresh and Candied Grapefruit, Citrus sherbet.

On nous sert à table le Champagne Salon magnum 1976. J’attendais une entrée, ayant encore la mémoire d’une langoustine que nous avions initialement programmée, mais c’est en fait sur les petits amuse-bouche que doit se boire ce champagne. Avoir un Salon 1976 est rare, et en magnum, encore plus. Aussi mon attente est grande. La robe est à peine ambrée, d’un bel or clair. La bulle est puissante. Si l’on sent un début de maturité, le vin est d’une jeunesse extrême et claque sur la langue. C’est objectivement un grand champagne, mais comme j’attendais un plat, ma joie a été bridée. Comme j’en ai fait la remarque aux serveurs, remarque gentille, car la mise au point du menu a fait les montagnes russes tout au long des changements de programme, l’arrivée du rouget est avancée et je recommande à mes hôtes de faire l’essai de ce divin poisson, un peu cuit à mon goût, à la fois avec le Salon et avec le premier Lafite.

Vincent, qui a fait comme chaque fois un service impeccable des vins, m’apporte le premier verre de Château Lafite Rothschild magnum 1948. Quelle divine surprise ! Le vin est d’un velouté extrême, soyeux comme un robe d’impératrice. C’est un immense Lafite que nous goûtons, riche, tramé au point le plus fin. Je suis heureux, car même s’il y a six magnums celui-ci, à lui tout seul, justifie le voyage que nous accomplissons.

Vient ensuite Château Lafite Rothschild magnum 1922. La couleur est d’une grande jeunesse. Le nez du vin est encore plus beau que celui du 1948. Mais une acidité persistance risquerait de gâcher la dégustation. Fort heureusement, mes convives ont l’intelligence d’essayer de comprendre le vin et derrière cette acidité, il y a un fruit d’une rare jeunesse. Le plaisir n’est évidemment pas total, mais beaucoup reconnaissent que ce vin a plus de noblesse que le 1948. C’est dommage d’avoir le voile de cette acidité. A noter que le 1948 et le 1922 se marient divinement au rouget, le 1922 gagnant même en ampleur et voyant son acidité s’estomper.

Comme j’avais prévenu que le Château Lafite Rothschild magnum 1900 est bouchonné, nous n’en buvons qu’une ou deux gorgées, juste pour vérifier que c’est bien le cas. Ceci confirme qu’il ne faut pas acheter des vins reconditionnés, car c’est sûrement au rebouchage que ce goût de bouchon est apparu. Quelle tristesse que le vin phare de ce déjeuner ne soit pas au rendez-vous ! Heureusement, le Château Lafite Rothschild magnum 1971 servi immédiatement après va sécher les larmes virtuelles de notre désespoir. La couleur de ce vin est la plus claire de tous les Lafite, même si elle a une belle densité. Et ce qui frappe dans ce vin, c’est son étonnante fraîcheur. Jeunesse et fraîcheur sont des deux caractéristiques de ce vin brillant et charmeur. Le réputé marchand de vins britannique confirme que c’est bien le style Lafite, mais sa fraîcheur extrême tranche avec les autres vins.

Lorsqu’arrive le Château Lafite Rothschild magnum 1961, je me permets d’interrompre les conversations qui fusent de partout en deux langues, l’anglais et le mandarin que je fais mine de comprendre en pensant que mes sourires en disent long, pour signaler à la noble assemblée que nous nous trouvons devant l’expression la plus absolue de ce que Lafite peut atteindre lorsqu’il est parfait. Car ce vin est parfait.

Un convive un peu pointilleux signale que la couleur est légèrement trouble, mais ce qu’il conviendrait de remarquer plutôt, c’est l’incroyable jeunesse de la couleur de ce vin. C’est du sang le plus noble, même s’il n’est pas bleu. La richesse, la noblesse, la trame de ce vin sont impériales et impérieuses. On sait que l’on a touché la perfection. Je suis heureux, car le 1948 et le 1961 sont dans deux formes abouties de Lafite, le 1961 ajoutant l’exacerbation d’une année elle-même parfaite. Je jouis de la mâche de ce vin qui envahit le palais. C’est un grand moment que nous vivons, sur un agneau qui a l’intelligence, transmise par le chef, d’être un faire-valoir fidèle.

J’attendais beaucoup d’un des plats emblématiques de Christian Le Squer. Dans le schéma initial, j’avais prévu l’anguille sur Hermitage La Chapelle 1961, car l’anguille aime bien, dans cette présentation, les vins du Rhône. Aussi, le programme ayant changé, c’est sur le Château Lafite Rothschild magnum 1990 que va s’exprimer l’anguille préparée avec une sauce aux vins anciens. Et nous avons atteint aujourd’hui un accord d’anthologie, car le prolongement du vin et de l’anguille est saisissant de complémentarité. Le Lafite 1990 est d’une perfection comparable à celle du 1961. Mais c’est là que l’on voit le travail du temps : ces deux Lafite sont identiques, sauf que le 1961 a tout en plus, du fait de sa maturité. Le 1990 est le Lafite « jeune » parfait, et le 1961 est le Lafite au faîte de sa perfection. Inutile de dire que mes larmes sont effacées, malgré la tristesse d’avoir perdu un 1900 en route.

Le dessert est accompagné de Champagne Krug Clos du Mesnil 1985 qui clôt la série de trois champagnes emblématiques, le Bollinger aux vignes pré phylloxériques, le Salon et le plus beau des Krug. Le champagne Krug a tout pour lui, la couleur d’un or blanc léger, la bulle excitée et fine, le nez charmeur et une densité à nulle autre pareille, combinée à une longueur infinie.

La bouteille suivante a une histoire amusante. Mouton Rothschild fait de temps à autre une fine, dont le nom est marqué sur une étiquette qui ressemble à un papier quadrillé d’écolier. Ce qui m’avait intéressé, c’est que sur le carton, il y avait une indication manuscrite « cave personnelle de Philippe de Rothschild ». Est-elle vraie, peu importe, mais elle véhicule un imaginaire intéressant, car Philippe de Rothschild fut l’un des plus grands personnages du monde du vin. J’avais rangé cette bouteille dans une des « chapelles » que je réserve dans ma cave aux alcools, la bouteille debout en son centre, le carton avec l’inscription manuscrite derrière elle. Un ami rangeant ma cave a dû estimer que j’avais malencontreusement laissé un carton dans ce tabernacle et l’a jeté. Le fil ténu d’une évocation avait disparu. Cette bouteille de Fine de Mouton est ouverte aujourd’hui, lors d’une verticale de Lafite qui doit être une des rares qui ne soit pas faite avec les bouteilles du château, dont la collection est impressionnante et unique. Je suis heureux de finir sur cet alcool, car c’est un petit clin d’œil au rôle phare qu’ont joué les Rothschild dans l’histoire du vin de Bordeaux.

Et à ma grande surprise, cette fine dont les composantes doivent avoir plus de cinquante ans est dix fois meilleure que ce j’attendais, avec une ampleur en bouche digne des plus grands cognacs. La chance sourit aux audacieux. Du bonheur qui s’ajoute à du bonheur et mon petit nuage prend de l’ampleur.

Il est temps de voter et mes convives votent avec une extrême rapidité. J’avais distribué des feuilles de vote que j’ai ramassées, et le dépouillement n’a pas été fait sur place, pour ne pas retarder cette docte assemblée qui prend l’avion pour un dîner à Pauillac. Comme un dîner est prévu aussi dans deux jours à Lafite, je leur ai recommandé de bien montrer le menu de ce déjeuner à leurs hôtes.

Les votes sont intéressants, car cinq vins ont eu des votes de premier : Le 1961 huit fois, le 1948 ainsi que le 1971 deux fois, et le Bollinger comme le Lafite 1990 une fois. Ce qui est intéressant aussi, c’est que le 1900 a quand même eu des votes, de cinq votants chinois, sans doute parce qu’ils ont été impressionnés par l’histoire et le mythe plus que par le vin.

Le vote du consensus serait le suivant : 1 – Château Lafite Rothschild magnum 1961, 2 – Château Lafite Rothschild magnum 1948, 3 – Château Lafite Rothschild magnum 1971, 4 – Château Lafite Rothschild magnum 1990, 5 – Champagne Salon magnum 1976, 6 – Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1999, 7 – Château Lafite Rothschild magnum 1900.

Mon vote est : 1 – Château Lafite Rothschild magnum 1961, 2 – Château Lafite Rothschild magnum 1990, 3 – Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1999, 4 – Château Lafite Rothschild magnum 1948, 5 – Champagne Salon magnum 1976.

Le lendemain, je suis étonné de ne pas avoir inclus le 1971 dans mon vote, nettement mieux classé dans le consensus.

Que retenir de cette expérience ? D’abord la motivation de l’équipe de Ledoyen. Tout le monde a coopéré pour faire de ce repas un événement majeur. Ensuite je saluerai la compréhension de Christian Le Squer qui a su mettre son talent au service de l’imprévu. Avec son anguille, nous avons créé un accord légendaire. Enfin, les Lafite en magnums ont donné une démonstration éclatante d’un niveau exceptionnel de ce vin, au sommet pour le 1961 et le 1990, et très grand pour 1948 et 1971.

Je n’aurais jamais pu organiser ce repas sans la générosité de Desmond. Les chinois sont avides de connaître, d’apprendre, de retenir des leçons, mais avec une envie que l’on ressent de dépasser le niveau des autres pays. Un riche investisseur dans l’immobilier présent m’a dit qu’il voudrait la plus belle cave au monde. Par bravade et aussi pour le titiller, je lui ai dit qu’avant qu’il ne dépasse la mienne il faudrait quelques années. Nous aurons rendez-vous pour une confrontation dont j’ai pris la précaution de ne pas en faire un choc d’égos. Il est de toute façon des niveaux où je ne peux pas lutter.

Collectionneurs mes frères, ce serait bien étonnant que les prix des vins baissent dans les prochaines années.

147ème dîner de wine-dinners au restaurant Arpège jeudi, 19 mai 2011

Le 147ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Arpège. Les vins sont arrivés dans la cave du restaurant il y a une semaine, sauf un, que j’apporte ce jour même, transporté sur mes genoux pour éviter les à-coups. C’est l’Yquem 1890 dont le bouchon est d’origine, mais tellement rétréci que j’ai eu peur qu’il tombe pendant le court voyage entre ma cave et le restaurant, ce qui, une semaine avant le dîner lui eût été fatal. Il a résisté. Le niveau est haute épaule et la couleur acajou est superbe.

Lorsque je me présente à 17 heures, l’aspirateur vrombit. Il est omniprésent dans le petit espace du restaurant. Gaylord remonte la caisse et j’ouvre les vins. Le Montrachet a un nez un peu fermé. Les deux Latour sont très prometteurs. Le Cros Parantoux Henri Jayer est serein et va s’ouvrir. Le Vosne de 1959 est incertain mais je crois en lui. Le Filhot 1935 est impérial. Lorsque je décapsule l’Yquem 1890, j’ai peur que le bouchon tombe, mais il reste en place. Il est donc bien arrimé, même si c’est sur quelques millimètres. Il me suffit de pointer le tirebouchon et de tourner à peine pour que le bouchon vienne d’une seule pièce. Le parfum du vin est un miracle de subtilité. Toute la beauté d’un grand sauternes est contenue dans ce parfum. Je pousse un « ouf » de satisfaction, car le risque existait que la capsule ait eu un contact avec le vin, gâchant sa pureté. Je vais voir à la lumière du soleil ce qui est écrit sur le bouchon. On lit distinctement « YQ », puis « LUR » et plus loin « CES ». Et le « 90 » est parfaitement lisible. La grande déception, c’est le Haut-brion blanc 1936 qui dégage une puanteur quasi insoutenable. Je crois n’avoir que rarement rencontré quelque chose d’aussi intense dans le camphré, le chimique, le médicamenteux. Le bouchon est imprégné de cette odeur et sent tellement mauvais que je prends la petite assiette où je l’ai posé et voyant qu’en cuisine la porte sur la rue est ouverte, je pose l’assiette en plein soleil pour que le bouchon exsude ses mauvaises odeurs. Je dis à l’un des commis qui officie en cuisine que l’assiette est posée pour s’aérer. Quand je suis revenu un peu plus tard, je ne vois plus l’assiette et le commis explique dans un français difficile qu’il a lavé l’assiette et jeté les déchets. C’est en plongeant dans le vide-ordures que nous avons récupéré le bouchon, la jolie capsule étant passée en profits et pertes.

Tout le monde est à l’heure ce qui est remarquable et notre table est composée de deux canadiens, père et fils, qui sont les seuls nouveaux. Les autres convives, trois femmes et quatre hommes, sont des habitués.

Le menu, conçu avec Gaylord par Alain Passard est : Cueillette éphémère, petits pois et rhubarbe / Œuf à la coque, quatre épices et sirop d’érable / Ravioles printanières, consommé végétal / Turbot de la pointe de Bretagne, Côtes du Jura et pommes de terre fumées / Agneau de lait de Lozère, grands crus du potager / Poularde du Haut-Maine grande tradition à la casserole et foin du Bois Giroult / Fromages : saint nectaire et salers / Tarte aux pommes « Bouquet de rose » © caramel au lait / Fruit du soleil : mangue / Mignardises

Le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle années 1960 est d’un bel or clair avec des traces de citron dans sa couleur. La bulle est active, et le champagne est d’une folle jeunesse. On croirait un champagne du début des années 80. L’indice de l’âge, c’est le miel assez fort et l’extrême rondeur du champagne. Il réagit très bien sur les petits pois.

Le Champagne Dom Pérignon 1969 fait vraiment son âge, avec une teinte plus pâle, une bulle active mais discrète, et une subtilité à nulle autre pareille. L’œuf était forcément un choix osé. Il rétrécit le champ d’expression du champagne, et dès que l’on a fini l’œuf, un petit morceau de pain fait déployer le charme de ce champagne de très grande qualité. C’est un grand Dom Pérignon, floral, frêle, romantique.

Quasiment assuré que le Château Haut-Brion blanc 1936 sera imbuvable, je commence à parler du vin que j’ouvrirais pour le remplacer, un Yquem 1918, pour lequel j’avais fait modifier la présentation des ravioles. Aussi quand Gaylord me sert le vin, une stupéfaction se lit sur mon visage. Comment ce vin que j’avais définitivement condamné peut-il avoir totalement effacé ses mauvaises odeurs ? Et ce qui est étonnant, c’est que le bouchon a gardé ces senteurs affreuses, que le vin a su gommer. C’est un miracle de plus qui montre l’extrême capacité des vins à ressusciter. Le vin est agréable à boire, son parfum est magique et le restera longtemps dans le verre vide, mais c’est sur le final que l’on sent que toutes les blessures n’ont pas été guéries. Avec les ravioles et surtout le bouillon, ce vin crée le plus bel accord du dîner. C’est pour cela qu’il recueillera des votes, ce qui me semble inouï.

On nous montre un gigantesque turbot, dont hélas la cuisson ne nous a pas convaincus. Le Montrachet Bouchard Père et Fils 1989 joue un peu en dedans. Une des convives nous dit : « on le sent plus Chevalier que Montrachet ». Elle a raison. Ce vin est agréable, bien fait, mais trop prévisible et timide. Il est plaisant mais n’est que plaisant.

Nous devions avoir un agneau des prés salés, mais pour une raison qu’Alain Passard ne s’explique pas, le fournisseur a fait faux bond. Mais l’agneau de Lozère qui le remplace est tout simplement merveilleux. Et le Château Latour 1er GCC Pauillac 1989 crée avec lui un accord naturel confondant de pertinence. Le 1989 est d’une couleur foncée, d’un nez profond, et en bouche, ce qui surprend, c’est que ce vin est beaucoup trop jeune ! A vingt-deux ans, il encore pré-pubère. On sait que Latour est le plus lent des vins de Bordeaux à s’épanouir et nous en constatons l’évidence. Mais même aussi jeune, il est palpitant. Et ce qui est intéressant, c’est que le Château Latour 1er GCC Pauillac 1949 servi sur le même plat montre à quel point le 1989 deviendra grand un jour. Car c’est à cet âge là qu’il faut boire les Latour. Ce 1949 est sublime. Il a tout pour lui, l’équilibre, le velouté, la profondeur, et un final inextinguible. C’est un grand vin et l’on sent que tout le monde communie.

Sur la poularde, nous buvons les deux bourguignons. Le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1988 ouvre la porte du plaisir. Un sourire barre mon visage. Ce vin est une leçon de choses, car il n’y a pas de bourgogne plus élégant. J’ai bu plusieurs Cros Parantoux de ce vinificateur de génie, et je n’ai pas toujours eu la réponse à mes attentes. Mais ici, c’est la perfection faite vin, avec la simplicité de son auteur. La lisibilité de ce vin est extrême. On le boit de façon gourmande.

Le Vosne Romanée Gros Renaudot 1959 n’est hélas pas au rendez-vous. Malgré une année exceptionnelle, il est pataud, rustaud, avec des notes de torréfaction qui trahissent un accident de stockage dans une des caves où il a vécu. C’est sur les fromages excellents qu’il s’exprime le mieux.

Le Château Filhot Sauternes 1935 est l’étalon de mon amour pour les vieux sauternes. Je dis souvent à titre de boutade que si l’on n’a pas bu de sauternes de 1935 ou avant, on n’a rien bu. C’est ce vin qui sert de référence, car il pourrait être inscrit au Bureau international des poids et mesures. Sa couleur est d’un or clair, son nez est une bombe d’agrumes, et en bouche c’est tout l’équilibre que peut atteindre un sauternes qui crée le ravissement, tout en ayant la retenue naturelle de Filhot.

Quand arrive le Château d’Yquem 1890, c’est « respect », comme on dit dans le 9 – 3. La couleur est acajou foncé et d’un or intense plus clair dans le verre. Le nez est délicat, subtil, raffiné. Le goût est quasiment indescriptible car si l’on cherche du caramel, on pourrait en trouver, si l’on cherche des mangues et des agrumes on pourrait en trouver, comme de la pomme cuite. Mais ce qui compte c’est cet équilibre diabolique et cette longueur impérissable. Ce 1890 au bouchon d’origine est nettement meilleur que le 1890 que nous avons bu ensemble avec deux des convives. C’est un vin immense et un témoignage unique, du fait de ce bouchon d’origine.

Ayant décidé de ne pas ouvrir l’Yquem 1918, j’ouvre devant les convives un Madère vers 1850 à la bouteille opaque d’une rare beauté, que j’avais aussi en « secours ». Sous la cire, le bouchon que je pique commence à tourner dans le goulot. Il sort aisément et entier. Le verre que je me sers révèle une merveille, comme on le verra dans mon vote. Ce vin à forte charge alcoolique est un Fregoli d’expression. Il oscille entre l’alcool et la fraîcheur. Et ça change tout le temps en bouche. Sur des petites madeleines que j’avais demandée à Nadia, ce vin crée un orgasme gustatif de la plus haute magnitude. Nous sommes aux anges.

Le classement est assez intéressant. Un seul vin, le Vosne 1959, n’a pas eu de vote, chacun votant pour cinq vins sur onze. Un vin est dans les dix feuilles de vote, c’est le Latour 1949. Quatre vins ont eu des votes de premier, le Latour 1949 quatre fois, l’Yquem 1890 trois fois, le madère du 19ème siècle deux fois et le Cros Parantoux une fois. Il est assez surréaliste que le Haut-Brion blanc 1936 qui serait allé à l’évier s’il avait été ouvert pour une consommation immédiate, ait reçu des votes de la part de quatre des dix votants.

Le vote du consensus serait : 1 – Château Latour 1er GCC Pauillac 1949, 2 – Château d’Yquem 1890, 3 – Madère vers 1850, 4 – Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1988, 5 – Champagne Dom Pérignon 1969.

J’aurais logiquement dû mettre l’Yquem en premier, mais j’ai voulu couronner la jouissance et mon classement est : 1 – Madère vers 1850, 2 – Château d’Yquem 1890, 3 – Château Latour 1er GCC Pauillac 1949, 4 – Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1988, 5 – Château Latour 1er GCC Pauillac 1989.

Malgré une table étirée en longueur, notre assemblée fut enjouée et taquine. Nous sommes tous conscients d’avoir approché des raretés absolues comme le Latour 1949, le Cros Parantoux 1988, l’Yquem 1890 et le madère du milieu du 19ème siècle.

Le talent du chef s’est exprimé sur presque tous les plats et deux accords ont été remarquables, celui des ravioles et celui de l’agneau. Mais incontestablement la vedette ce soir est sans conteste aux vins exceptionnels, quasiment irremplaçables aujourd’hui.

147ème dîner Arpège – les vins mercredi, 18 mai 2011

Champagne Laurent Perrier Grand Siècle années 1960

Champagne Dom Pérignon 1969

Château Haut-Brion blanc 1936

Montrachet Bouchard Père et Fils 1989

Château Latour 1er GCC Pauillac 1989

Château Latour 1er GCC Pauillac 1949

Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1988

Vosne Romanée Gros Renaudot 1959

Château Filhot Sauternes 1935 (magnifique capsule)

Château d’Yquem 1890

Madère vers 1850