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126ème dîner de wine-dinners au restaurant Guy Savoy vendredi, 27 novembre 2009

Le 126ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Guy Savoy. A 17h30 je me rends dans le salon privé du restaurant pour ouvrir les vins qui étaient en cave depuis plus d’une semaine, que m’apporte Sylvain Nicolas, le sommelier. Son adjoint Julien observe les ouvertures car ce soir c’est lui qui fera le service des vins. Nous sommes dix, aussi, dans une stratégie quasi footballistique, je demande que la disposition de la table de la forme d’une planche de surf hawaïenne soit 4-1-4-1 plutôt que 5-0-5-0, les chiffres indiquant le nombre de convives de chaque côté de la table. Julien, aidé de Solène, charmante et souriante serveuse intéressée par ce qui se prépare, va commencer par changer en 3-1-5-1 suivi enfin de 4-1-4-1. Dix verres sont disposés à chaque place, avec une petite pastille sur le pied de chaque verre repérant le vin qui sera servi.

L’ouverture est assez facile. Je m’interroge sur l’odeur du Trottevieille 1943 qui pourrait contenir un furtif bouchon. C’est le seul vin que je goûte, et j’imagine assez bien que le vin s’épanouira normalement. Deux odeurs mériteraient d’être inscrites au patrimoine de l’humanité : celle du Vega Sicilia Unico, réserve spéciale faite de 1960, 1962, 1972, vin que je vais expliquer, parfum riche de fruits noirs, rouges et roses, et d’une puissance inégalable ; et celle du Château Lafaurie Peyraguey 1925 qui a tout ce qu’un sauternes pourrait avoir lorsqu’il est parfait. Les agrumes se bousculent dans le panier d’arômes, le thé raffiné se suggère, ainsi que le poivre délicat. Ces deux parfums sont envoûtants. Mieux que cela même, ils sont paralysants comme des pistolets Taser. Le domaine de Vega Sicilia Unico fait des vins au vieillissement en fût qui est l’un des plus longs au monde. Il millésime le vin mais parfois, quand il le juge opportun, il assemble une petite partie de trois millésimes dans une « Reserva Especial ». Je n’en connais que trois qui ont été réalisées. Celle-ci, mise en bouteilles en 1980, composée de 1960, 1962 et 1972, n’a donné que 4.500 bouteilles. On mesure à quel point c’est confidentiel puisque c’est moins que la célèbre Romanée Conti. Et l’odeur me confirme la pertinence qu’il y a eu à pratiquer cet assemblage.

Guy Savoy vient me saluer dans ce salon et nous bavardons des recettes et du dosage des crèmes et autres ingrédients, et je lui fais part du fait que j’ai demandé à son chef pâtissier de venir sentir le sauternes merveilleux, afin d’incorporer un peu de thé dans son plat exotique. Guy change le choix du thé et commente certains éléments des plats.

Arrivant premier au restaurant, l’un des plus fidèles de mes amis de dîners me lance comme une plaisanterie : « je viens dîner ce soir car j’ai vu de la lumière ». Je lui réponds qu’il existe un sushi bar à proximité qui a autant de lumière qu’ici, et je commence à m’apercevoir qu’il a réellement l’intention de dîner avec un invité qui se présente. Damned. Je vérifie sur mon ordinateur qu’il dit vrai et que j’ai tout simplement omis sa réservation qui avait eu durant sa gestation des modifications dont j’ai raté la dernière.

La stratégie footballistique resurgit. Julien jouera en 5-1-5-1 et non en 4-1-4-1. Il faut dare-dare passer le message en cuisine puisque toutes les recettes ont été modifiées par rapport à celles de la carte. J’avais déjà ajouté un vin au programme pour honorer un nouveau convive qui fête ses 50 ans. Je fais vite ouvrir par Julien un vin de réserve que j’avais apporté. Avec une efficacité remarquable et dans la bonne humeur, tout se met en place avant que les autres convives n’arrivent. Un verre est rajouté devant chaque place. Tout est fin prêt maintenant pour que se tienne le 126ème dîner.

Nous sommes douze, dont plusieurs couples, ce qui me fait toujours plaisir, quand mari et femme communient au bonheur de ces repas. Il y a ce soir cinq nouveaux convives et sept diversement chevronnés. Dans la salle exigüe où il y a peu de place quand on se tient debout, j’explique les consignes traditionnelles pour bien profiter du dîner et Julien nous sert le Champagne Bollinger Spéciale Cuvée qui doit avoir une quinzaine d’années ou plus. Ce champagne a beaucoup perdu de sa bulle et son message est sans énigme. Agréable sur les délicieux toasts au foie gras que Solène pique devant nous il accompagne la première entrée lorsque nous passons à table.

Le menu créé par Guy Savoy avait été mis au point avec lui lors de mon dernier déjeuner en ce lieu : Salsifis et noisettes confits, jus de cresson / Fromage de tête et foie gras de canard / Coquille Saint-Jacques panée, navets étuvés au beurre d’algues, jus à la truffe blanche d’Alba / Soupe d’artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée aux champignons et truffes / Ragoût de lentilles aux truffes / Rouget Barbet « rôti-farci » comme un gratin / Pigeon « poché-grillé », légumes racines compotées / Cuisse de pigeon laquée et salades aux foies / Stilton / Exotique (dessert à base de mangue).

Comme nous avons asséché assez vite le premier champagne, le Champagne Dom Pérignon 1966 est servi aussi sur les salsifis. C’est le Bollinger qui colle le mieux au plat alors que le 1966 va se marier divinement avec le plat canaille qui suit, le fromage de tête. Paradoxalement, le Dom Pérignon a plus de bulles que le Bollinger, et sa complexité n’a pas d’égale. Moiré, irisé, il décline des myriades de saveurs dans toutes les directions. On ne peut qu’être amoureux de ce champagne envoûtant. Lorsque je découpe avec la dextérité d’un chirurgien l’un des dès de foie gras cru qui pavent le fromage de tête, l’association avec le champagne est diabolique. La longueur et le fruité de ce breuvage divin sont infinis.

La panure des coquilles Saint-Jacques ayant donné lieu à de longues discussions de mise au point avec Guy Savoy, j’attendais de vérifier la pertinence de ce choix. Tout concentré sur le fait des savoir si le Meursault Perrières Comtes Lafon 1992 se mariait bien, j’en oublie d’analyser le vin. Et c’est un de mes voisins de table, nouveau venu, qui me signale avec raison que ce Meursault, d’une année de grande réussite, n’a pas du tout la brillance ou l’étoffe que devrait avoir un vin emblématique de la Bourgogne. C’est vrai qu’il est plutôt court, mais il sait se réveiller, s’amplifier dans les verres pour nous montrer quand même la belle race qu’il peut avoir.

Je fais verser pour les deux plats suivants les trois Saint-Emilion. Ah, avoir trois verres devant soi, comme c’est compliqué ! Il a fallu expliquer de nombreuses fois où se trouve le Château Trottevieille 1943, en quelle position se situe le Château Cheval Blanc 1970, et où se cache le Château Cheval Blanc 1959, ajouté pour les 50 ans d’un des nouveaux convives. Et Julien ne m’a pas aidé en versant l’un des vins dans le verre qui n’était pas le sien. Mais très vite, tout est compris et ordonné. Le Trottevieille nous inquiète, car on pourrait croire qu’il est bouchonné. En fait, c’est un léger goût de terre, et le vin va s’épanouir progressivement, et trouver dans le second plat, celui de lentilles, un merveilleux écho. Sentant la truffe, évoquant la truffe avec le plat, ce vin a trouvé un bon compagnon dans la solide lentille. Il a une très gentille lourdeur truffée. Le Cheval Blanc 1970 fait un peu frêle au milieu de ses deux aînés, mais il compense par la fraîcheur de sa jeunesse et par sa complexité. C’est un Cheval Blanc varié, élégant, au discours riche. Il est presque diamétralement opposé au Cheval Blanc 1959 mais supporte bien d’être bu en même temps que cette gigantesque réussite du bordelais. Quand je bois ce Cheval Blanc 1959, je me dis : « ça y est, j’en tiens un ». Ce qui veut dire que ce vin se rapproche d’une perfection. J’avais eu peur de son bouchon qui avait glissé d’un centimètre dans le goulot. Etait-ce révélateur d’un problème qui affecterait le goût ? Pas du tout, ce vin a une assise, une largeur, une profondeur de vin riche et puissant, avec un équilibre aromatique spectaculaire. Charnu, bourgeois, mais pas dans le sens de cru bourgeois, sénatorial plutôt, il me ravit par son accomplissement. Il trouve sur la soupe emblématique de Guy Savoy un magistral répondant, évoquant lui aussi une truffe délicate, avec une légère râpe bien bourguignonne.

Le Pétrus 1976 est pour cinq ou six d’entre nous une première, aussi faut-il des mises en garde pour que ce premier contact ne soit pas une déconvenue, si l’on en attend trop. Certains ont du mal à appréhender ce merveilleux Pétrus subtil, racé et délicat. Dans le monde de Pétrus, ce 1976 est d’un équilibre brillant. Il incarne la sagesse de Pétrus, sa précision de trame, et j’aime comme il pianote délicatement. Pas d’excès, pas de fanfreluche mais un message clair avec beaucoup de notes sur la portée. C’est l’accord que j’ai suscité qui subjugue tout le monde. Car associer Pétrus et rouget devient pour moi comme une coquetterie, et j’aime entraîner mes convives et amis dans cette aventure. Et c’est une réussite.

Une autre aventure fondée sur l’accord couleur sur couleur attend mes amis. Car j’ai voulu associer un pigeon, au suprême cuit tout rose, avec le Champagne Dom Pérignon rosé magnum 1980. Ce champagne à la couleur rose saumon ou pêche est d’une délicatesse rare, mais c’est aussi une surprise car on n’attend pas ce goût là. Le plus jeune de la table, nouveau venu qui voulait honorer son oncle de cinquante ans, va me donner une leçon, car pendant que je m’évertue à trouver l’accord sur le pigeon seul, il m’annonce tout de go : pas du tout, l’accord s’impose sur la panure. Et c’est vrai. La panure accroche les notes de fruits jaunes du champagne, alors que la chair du pigeon révèle sa vinosité. Et l’accord est splendide, inattendu, superbe.

Pour le deuxième service du pigeon, j’avais prévu un bourgogne. Mais ayant demandé à Guy Savoy que le deuxième service soit très viril, j’ai changé pour un Vega Sicilia Unico, Reserva Especial faite de 1960, 1962, 1972. Ce vin a un nez à se damner. Il est riche, lourd comme un parfum sensuel, et en bouche, c’est un velours lourd, un coulis de fruit noir fondant et envahissant pour notre plus grand plaisir. La salade trempée du foie de l’oiseau qui visuellement me faisait peur s’accorde divinement avec le vin lourd et précieux. Chacun s’extasie devant ce vin d’une richesse incomparable et d’un équilibre spectaculaire dont la mémoire ne s’éteint pas.

Sur un stilton, nous goûtons un Grand Enclos du Château de Cérons, Cérons vers 1959, qui a une couleur claire et les goûts subtils et délicats des Cérons. J’annonce que je n’aime pas les mariages à trois, pain, vin et fromage et que je laisse volontiers de côté le pain. Mais le benjamin de la table récidive et me dit que c’est le pain à l’abricot qui complète avec une nécessité absolue l’accord. Et il a une fois de plus raison, tant l’abricot donne du volume à ce vin un peu léger mais agréable.

Le dessert à la mangue caressée d’un thé doux met en valeur, s’il en était besoin, le Château Lafaurie Peyraguey 1925 qui me met en pâmoison. Il faut se souvenir que c’est sur un sauternes de cette époque que la folie des vins anciens m’a contaminé, sans qu’un vaccin n’existe alors. Je suis avec ce Lafaurie-Peyraguey exceptionnel sur un petit nuage. Car ce sauternes a tout pour lui, les agrumes délicatement dosés, l’abricot, le poivre, un zeste de thé, le tout enveloppé dans un équilibre magistral.

L’exercice des votes est particulièrement difficile, car beaucoup de vins nous ont entraînés dans des sensations extrêmement diverses. Mais il faut se résoudre à voter. Sur onze vins, quatre n’ont pas eu de vote et sept ont fait partie des votes. C’est un vote plus concentré que d’habitude. Cinq des sept vins votés ont eu le privilège d’être nommés premiers : Le Vega Sicilia et le Dom Pérignon 1966 ont été nommés chacun quatre fois premier, le Cheval Blanc 1959 a été nommé deux fois premier et Pétrus et Lafaurie ont été nommés chacun une fois premier. Le Vega Sicilia a recueilli douze votes ce qui fait une unanimité remarquable et le Cheval Blanc 1959 a recueilli onze votes.

Le vote du consensus serait : 1 – Vega Sicilia Unico, réserve spéciale faite de 1960, 1962, 1972, 2 – Château Cheval Blanc 1959, 3 – Champagne Dom Pérignon 1966, 4 – Château Lafaurie Peyraguey 1925.

Mon vote : 1 – Château Lafaurie Peyraguey 1925, 2 – Vega Sicilia Unico, réserve spéciale faite de 1960, 1962, 1972, 3 – Château Cheval Blanc 1959, 4 – Pétrus 1976.

Chacun était émerveillé soit par un vin ou des vins, soit par des accords, et les plus applaudis sont les plus audacieux : rouget et Pétrus, puis pigeon et Dom Pérignon rosé. Le service de Solène et Julien a été remarquable, la cuisine de Guy Savoy originale et sensible. Tout le monde restait à table, encore sous le charme de ce moment de bonheur. Quand j’ai quitté le restaurant, après avoir rangé toutes les bouteilles et ramassé mes affaires deux couples devisaient sur le trottoir, pour prolonger encore un moment inoubliable.

126ème dîner au restaurant Guy Savoy – photos jeudi, 26 novembre 2009

Dans le salon exigu, la disposition des places est 5-0-5-0 (voir le compte-rendu)

Un alien m’a regardé pendant toute la soirée. J’avais peur de ses tentacules, mais l’on m’a dit que c’est un chou.

les vins du dîner, les bouchons et mes ustensiles (il manque le Cheval Blanc 1970, rajouté par la suite)

Salsifis et noisettes confits, jus de cresson

Fromage de tête et foie gras de canard

Coquille Saint-Jacques panée, navets étuvés au beurre d’algues, jus à la truffe blanche d’Alba (j’ai pris la photo avec retard !)

Soupe d’artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée aux champignons et truffes

Ragoût de lentilles aux truffes

Rouget Barbet « rôti-farci » comme un gratin

Pigeon « poché-grillé », légumes racines compotés (pas de photo hélas)

Cuisse de pigeon laquée et salades aux foies

Stilton

Exotique

l’ensemble des vins après le dîner

les vins du 126ème dîner jeudi, 26 novembre 2009

Champagne Bollinger Spéciale Cuvée

Champagne Dom Pérignon 1966

Meursault Perrières Comtes Lafon 1992

Château Trottevieille 1943

Château Cheval Blanc 1959 (qui a été ajouté pour fêter les 50 ans d’un convive)

Château Cheval Blanc 1970

Pétrus 1976

Champagne Dom Pérignon rosé magnum 1980

Vega Sicilia Unico, réserve spéciale faite de 1960, 1962, 1972 (qui remplace le Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1988)

mis en bouteille en 1980, il n’a été fait qu’à 4.500 bouteilles

Grand Enclos du Château de Cérons, Cérons # 1959

Château Lafaurie Peyraguey 1925

125ème dîner au restaurant Patrick Pignol : photos jeudi, 22 octobre 2009

Champagne Bollinger rosé 1990, Champagne Dom Pérignon 1962, Sassicaia 1987, Opus One Napa Valley 1984, Vega Sicilia Unico 1964, Beaulieu Vineyard Georges de Latour Napa 1978, Côte Rôtie La Landonne Guigal 1996, Cristom Willamette Valley Pinot Noir Marjorie Vineyard 1999, Penfolds Grange Hermitage Bin 95 – 1987, Château Sigalas Rabaud Sauternes 1896, Massandra Gurzuf White Muscat 1931

Le menu composé par Patrick Pignol est ainsi décrit :

amuse-bouche

Damier de noix de Saint-Jacques et truffes d’automne et sa tartine truffée

Fraîcheur de homard, au parfum de mélisse et pulpe de tamarin

Ris de veau rissolé en cocotte

Perdreau rôti au four au parfum de sauge ananas

Lièvre en 2 façons : râble cuit minute et civet en crépinette

Vieille tomme de Savoie ou tomme de brebis affinée

Déclinaison autour du coing Madeleines.

125ème dîner de wine-dinners au restaurant Patrick Pignol jeudi, 22 octobre 2009

Le 125ème dîner se tient au restaurant Patrick Pignol.

Ce dîner est une première, car sur les onze vins qui seront ouverts, sept sont étrangers. Ma cave est essentiellement française, mais ici ou là, j’ai butiné, achetant des vins étrangers qui se présentaient à portée de ma raquette d’enchérisseur. J’ai défini un ordre des vins, sachant que pour beaucoup d’entre eux, c’est à l’ouverture que je déciderai de leur affectation sur le menu composé par Patrick Pignol. Aucun vin rouge n’étant ancien, je pensais, comme pour le dîner organisé avec les vins du père de Jonathan, que ce ne serait qu’une formalité. Nicolas, le sommelier fidèle de mes ouvertures, le croyait aussi. Or la bouteille de Vega Sicilia Unico 1964 avait été protégée par une cire approximative, du fait d’un début d’évaporation, et sous cette cire, une sale poussière grasse repose sur un bouchon descendu de près d’un centimètre. Imbibé, le bouchon se brise en mille morceaux. Et, surprise, comme pour le dîner en l’honneur de Jonathan, le bouchon du Penfolds Grande 1987 est indigne du statut mythique de ce vin. Le bouchon est quasi poreux, de la texture d’une gomme, sec et se brise en mille morceaux. Ce n’est donc pas un hasard, puisqu’un mauvais bouchon fermait aussi le Penfolds 1981. La texture du bouchon du Beaulieu 1978 est aussi gommeuse. Ces grands vins seraient bien inspirés de choisir de meilleurs lièges. Je fais sentir le Sigalas Rabaud 1896 au jeune pâtissier afin qu’il ajuste ses coings au parfum de ce beau sauternes. Le bouchon du Massandra 1931, Muscat Gurzuf est aussi poreux mais efficace que ceux de mes vins de Chypre.

La table se dresse, je me fais beau, tout est prêt pour ce 125ème dîner. Le menu composé par Patrick Pignol est ainsi décrit : Damier de noix de Saint-Jacques et truffes d’automne et sa tartine truffée / Fraîcheur de homard, au parfum de mélisse et pulpe de tamarin / Ris de veau rissolé en cocotte / Perdreau rôti au four au parfum de sauge ananas / Lièvre en 2 façons : râble cuit minute et civet en crépinette / Vieille tomme de Savoie ou tomme de brebis affinée / Déclinaison autour du coing / Madeleines.

Nous sommes dix. Neuf sont des habitués de ces dîners et le dixième, amateur fou de vins anciens, en a déjà dégusté de beaux avec moi. Il n’est donc point besoin de donner les consignes habituelles.

Le Champagne Bollinger rosé 1990 est d’une belle couleur rose. Son goût est précis et sa longueur est faible. Je suis assez déçu que ce champagne ne dégage pas beaucoup d’émotion. Il avait été ajouté au programme du dîner car je ne souhaitais pas que l’on démarre sur le 1962 et ce fut une sage décision car le palais est prêt, avec ce rosé qui est bon, à accueillir le Champagne Dom Pérignon 1962.

La première gorgée se prend sur une tranche de truffe, et c’est tout simplement divin. La deuxième gorgée se prend sur une tranche de coquille Saint-Jacques crue, ce qui donne une ampleur remarquable au Dom Pérignon. Avec la combinaison des deux, le champagne est parfait. Il représente la synthèse du champagne élégant. Il n’a pas d’aspérité, aucun muscle excessivement saillant. Je le trouve presque aqueux tant il est fluide, mais ce qui est indéfinissable, c’est que sous ses aspects apparemment simples, il fait toucher la perfection. L’image qui me vient est celle d’une chapelle bretonne. Elle n’a pas les audaces architecturales des basiliques, mais elle apporte une sérénité religieuse propice à la dévotion. Ce Dom Pérignon est ainsi, il pousse par son équilibre au recueillement.

En haut et à droite de l’assiette aux damiers, comme une note, un rappel ou un indice, un petit toast à la truffe est posé. L’accord du Dom Pérignon avec ce petit carré est impérial, confirmant l’efficacité absolue de ce champagne de grande pointure.

Le homard servi froid offre des goûts très dispersés, ce qui ne correspond pas aux souhaits de deux vins très subtils. Le Sassicaia 1987 est immédiatement charmant. C’est l’amoureux galant des romans du 18ème siècle, à l’habit débordant de dentelles et de fanfreluches, mais de grande distinction. Ce Sassicaia est l’élégance même, discrète et raffinée. A côté, l’Opus One Napa Valley 1984 fait un peu pataud sur les premières gorgées. Mais son évolution va être spectaculaire. Il se structure, il s’affine, au point d’avoir de jolis accents bordelais raffinés que le premier contact ne laissait pas envisager. Le cœur balance entre les deux, mais le charme italien opère.

Le ris de veau est d’une texture parfaite. L’accord avec le Vega Sicilia Unico 1964 est d’abord jugé osé par mes amis, mais il convainc toute la table. Ce vin était de loin le moins civil au moment de l’ouverture. Il me paraissait fatigué, et voici qu’il ressuscite au point d’entraîner l’enthousiasme de toute la table, comme le montrera le vote. Le vin est légèrement torréfié, comme beaucoup de Vega Sicilia Unico, avec des notes de café que suggère sa couleur très sombre, presque noire. Ce vin lourd et épais se domestique sur le ris. C’est un bonheur, vin riche et long en bouche, fou de charme.

Le perdreau est goûteux et remarquablement traité. Le Beaulieu Vineyard Georges de Latour Napa 1978 est d’un raffinement extrême. Jamais on ne dirait que ce vin subtil et élégant, qui glisse en bouche en une trace séduisante est américain. Non pas que les Amériques ne soient pas capables de faire du bon vin, mais nos cocoricos leur ont collé une telle image qu’un raffinement de ce niveau surprend. Je suis conquis par ce vin. J’attendais de la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1996 qu’elle domine la confrontation mais, est-ce l’attrait de la curiosité, je ne sais, car je suis emballé par le Beaulieu. La Landonne est un solide grand vin du Rhône fidèle à son expression habituelle, mais ce soir l’heure est cosmopolite.

Le lièvre est un sacré gaillard, traité pour exprimer son goût de gibier. Les deux vins qui lui sont affectés n’ont aucune envie de lui laisser le moindre pouce de terrain, comme en une mêlée de rugby acharnée. Le Cristom Willamette Valley Pinot Noir Marjorie Vineyard 1999 est inconnu de tous. C’est un vin de l’Oregon, puissant, facile, lisible, à la définition très claire, qui joue juste et bien. Vin de soif malgré sa force, il se boit avec plaisir. Mais je succombe au charme fou du Penfolds Grange Hermitage Bin 95 – 1987, comme il y a peu, j’avais fondu pour son 1981. Le nez évoque un coulis de framboise. En bouche, il est d’une opulence chatoyante. Il est charnu, goûteux, resplendissant. Je l’aime évidemment, mais un peu moins que le 1981. C’est un vin de très haut niveau.

Le Château Sigalas Rabaud Sauternes 1896 a une belle robe d’un or sombre. Le coing est génialement dosé pour le mettre en valeur. Ce fut une bonne idée que de faire sentir le vin au pâtissier. Le nez du vin évoque le coing, bien sûr, ainsi que la bouche, dans une belle continuité. La râpe du fruit excite le vin de très belle longueur, vin immense qui est le plus grand des 1896 que j’ai bus de ce château. On comprendra aisément que je succombe au charme de ce vin subtil, aux variations gustatives d’une irisation infinie.

Le Massandra Gurzuf White Muscat 1931 étonne tout le monde. Il titre 10° et joue sur sa douceur et son sucre fort. Très long, il est plein de charme. Lorsque je l’avais ouvert, j’avais demandé s’il n’y avait pas quelques pruneaux en cuisine. Un maître d’hôtel me proposa fort judicieusement de grosses dattes tendres. L’accord du muscat avec ces dates est magique. Il faut passer des dattes aux madeleines et vice versa pour connaître des titillations doucereuses du plus bel effet.

Les votes sont particulièrement difficiles pour des vins dont les repères existent peu. Sur onze vins, neuf ont des votes, ce qui est agréable. Cinq vins ont l’honneur d’être premiers : le Vega Sicilia Unico 1964 quatre fois, le Massandra trois fois, le Dom Pérignon une fois comme le Beaulieu et le Sigalas Rabaud 1896.

Le vote du consensus serait : 1 – Vega Sicilia Unico 1964, 2 – Massandra Gurzuf White Muscat 1931, 3 – Château Sigalas Rabaud Sauternes 1896, 4 – Champagne Dom Pérignon 1962, quasi ex-æquo avec le Beaulieu Vineyard Georges de Latour Napa 1978.

Mon vote a été : 1 – Château Sigalas Rabaud Sauternes 1896, 2 – Champagne Dom Pérignon 1962, 3 – Penfolds Grange Bin 95 – 1987, 4 – Beaulieu Vineyard Georges de Latour Napa 1978. Si le premier voté du consensus n’est pas sur ma feuille de vote, c’est sans doute parce que j’avais en mémoire l’aspect visuel du bouchon très laid à l’ouverture et parce que c’était alors le plus fatigué. Le contexte psychologique de ce moment important ne me poussait pas à m’enflammer pour lui.

La brochette de vins rouges a démontré que les vins ‘d’ailleurs’ ont de la subtilité à revendre, ce qui tend à modifier l’imagerie d’Epinal sur les vins du Nouveau Monde. Deux accords ont été magistraux, le damier de Saint-Jacques et truffes avec le Dom Pérignon, ainsi que le Vega Sicilia et le ris de veau. L’ambiance chez Patrick Pignol est toujours enjouée et la cuisine d’une grande qualité. Nos rires résonnaient encore tard dans la nuit, conscients que nous étions d’avoir passé un grand moment avec des vins du plus bel intérêt.

125ème dîner de wine-dinners : les vins jeudi, 22 octobre 2009

Champagne Bollinger rosé 1990

Champagne Dom Pérignon 1962

Cristom Willamette Valley Pinot Noir Marjorie Vineyard 1999

Opus One Napa Valley 1984

Sassicaia 1987

Beaulieu Vineyard Georges de Latour Napa 1978

Vega Sicilia Unico 1964

Penfolds Grange Bin 95 – 1987

Côte Rôtie La Landonne Guigal 1996

Château Sigalas Rabaud Sauternes 1896

Massandra Gurzuf White Muscat 1931

124ème dîner de wine-dinners au restaurant de Gérard Besson jeudi, 1 octobre 2009

J’adore quand la mise au point d’un dîner se fait par un dialogue avec le chef. Le 124ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de Gérard Besson. Je lui avais envoyé la liste des vins et à réception, le chef m’avait demandé si je ne voyais pas d’inconvénient à ce que le Coutet 1947 soit associé à une langouste. Comme j’adore les associations canailles, j’ai immédiatement dit oui. Lorsque j’ai reçu le projet de menu, ultra-copieux, j’ai regardé l’ordre des plats, mais je n’ai pas réagi à l’ordre des vins. Et le sujet m’a trotté dans la tête. Lorsque j’arrive au restaurant à 16h30 pour ouvrir les vins, rencontrant le chef, je lui dis : « il faut absolument mettre la langouste après les viandes et non avant, car le Coutet risque de fusiller le Lafite 1919 ». Gérard Besson n’y est pas opposé, mais les viandes finissent par le lièvre à la royale. La transition serait trop rude. La solution paraît évidente : mettre le lièvre à la royale avant l’oreiller de la Belle Aurore et non après, afin que la langouste ne soit pas étouffée par le lièvre. Ces considérations zoologiques sont assez ésotériques, mais la logique culinaire est respectée.

J’ouvre les vins. Le Coutet est tellement puissant et La Tour Blanche 1949 tellement intense qu’il me semble évident que La Tour Blanche doit se marier à la langouste et le Coutet à la tarte. Le chef sent et confirme mon choix. Ces modifications bouleversent tout ce qui était imprimé sur les menus, mais qu’importe quand on sent que l’on tient une logique gustative.

L’ouverture des vins ne me pose que des problèmes classiques de brisures de bouchons anciens. Curieusement, le haut du bouchon du Montrachet 1976 sent fortement l’humus, exactement comme celui de l’Aloxe-Corton 1947. Les vins du Domaine de la Romanée Conti n’ont donc pas le monopole d’exsuder la terre. Le vin de Massandra 1931 est protégé par une cire dure qui est d’une affreuse odeur. En retirant le bouchon bien dense, je constate que le vin n’a pas été atteint. Versant une goutte dans un verre – ce sera la seule à ce stade – je constate un goût irréellement doucereux, comme la cuisse d’une Rita Hayworth alanguie. Ça promet ! Le parfum du Lafite 1919 en magnum est la récompense de ma passion. Nul parfum n’est aussi beau que cela. Je me précipite pour faire sentir cette nouvelle merveille du monde à Gérard Besson, afin qu’il constate cette éclosion divine. Pourvu que le vin tienne ce que promet cette fragrance unique. Le Meyney 1911 qui provient de la cave où j’ai trouvé des Lafite 1900 est d’un niveau très bas. Compte tenu des autres vins, je me permets cette loterie. A l’ouverture, le pari semble gagné. L’odeur du vin est charmante, faite de fruits rouges. Tout me sourit ce soir. Pourvu que ça dure.

J’écris ces lignes avant le repas et ma réflexion est que l’existence d’un Lafite 1919 en magnum aussi monumental est une récompense absolue. Je me contenterais de ce seul vin. Comme les choses ne se passent jamais comme on les imagine, attendons le dîner.

Les participants sont tous masculins. Il fait si beau que nous attendons les retardataires sur le trottoir où je donne les consignes d’usage.

Le menu préparé par Gérard Besson et que nous avons ensemble ordonné différemment est ainsi rédigé : Gougères, mousse de foie de volaille, gelée truffe, crevette / Superposition d’aiguillette de bœuf et foie gras, truffe de Bourgogne / Gigot d’agneau (en deux services) / Crépinette de pied de cochon et cèpes / Lièvre à la Royale / Oreiller de la « Belle Aurore » / Langouste et rigatoni duxelles / Feuilletage au fruit sur une crème d’amande aux zestes d’oranges confits / madeleines.

Le Champagne de Vénoge 1982 se présente dans une bouteille de grande beauté qui met en valeur la couleur ambre du vin, dans un dégradé que crée la forme presque conique. La couleur dans le verre est très belle, d’un ambre délicat. La bulle est active, le nez est chaleureux. Le goût est celui d’un champagne ancien, ce qui perturbe beaucoup de convives, novices en la matière. J’essaie de montrer l’intérêt de ces goûts non conventionnels, mais il n’est pas sûr que j’aie convaincu.

Le Champagne Krug Vintage 1979 a une bulle très active et plus fine. La couleur est aussi ambrée, d’un bel or. Le goût est résolument ancien, très puissant. Il est aussi difficile à comprendre que le premier champagne. Je ne le trouve pas aussi flamboyant que de précédentes versions de ce millésime de Krug.

Le Montrachet Réserve Nicolas 1976 me fait pousser un « ouf » de soulagement, car nous revenons vers des goûts que tout le monde connaît. Le vin est clair, limpide, opulent, avec une belle variété gustative, sans que la complexité soit extrême. C’est un vin de grand plaisir auquel personne ne saurait donner d’âge tant il est intemporel.

Le Château Meyney 1911 est d’une belle couleur de rouge sang, sans trace de tuilé. Le nez est le même qu’à l’ouverture, charmant. En bouche, le vin est rassurant, ample, velouté, évoquant les fruits rouges. Bien sûr, ce vin n’est pas d’une netteté parfaite, et les signes d’âge abondent. Mais c’est une bonne surprise du fait d’un niveau faible et il est réellement possible de percevoir le message du vin.

Le Magnum de Château Lafite-Rothschild de 1919 délivre maintenant un parfum assagi. La couleur est d’un beau sang de pigeon. En bouche, l’acidité prend le dessus. Il faut beaucoup d’imagination pour en faire abstraction et saisir le beau message velouté sur un tapis de framboises et de groseilles. Je suis triste. Car j’aurais dû reboucher ce vin qui avait un parfum unique, pour ne pas le perdre.

La démonstration du vin n’est pas convaincante, mais comme la cavalerie américaine dans un film de John Wayne, le second service du gigot, sur un lit de haricots blancs, va effacer complètement l’acidité et libérer enfin le beau message qui s’amplifiera pour moi lorsque je boirai la lie. Des haricots blancs qui libèrent un vin, même Hitchcock n’aurait jamais pensé à ficeler une telle intrigue. Mon voisin de table est ravi de découvrir ainsi le Lafite sous un beau jour. Malgré ce progrès, ma tristesse n’est pas totalement effacée, car je croyais il y a quelques heures tenir une pépite de première grandeur.

L’Aloxe-Corton Rémi de Foulanges 1947 est une bouffée de jeunesse. Il montre à quel point les bordeaux eussent dû être bus beaucoup plus tôt. Mais comme je le précise, je n’ai jamais voulu faire vieillir ces vins. Je les ai trouvés et acquis et je leur donne une occasion de connaître enfin le sort auquel ils étaient destinés. Le vin bourguignon au message simple est follement rassurant. Ilse boit avec un immense plaisir sur une divine crépinette au goût prononcé qui fait chanter l’Aloxe.

La Côte Rôtie La Landonne Guigal 1984 est rassurante, confortable, cossue, d’une douceur qui convient bien à ses 25 ans. L’année met un bémol à la puissance qu’il pourrait avoir, mais c’est bien ainsi, car il ne crée pas de choc frontal avec le lièvre à la royale.

Le Cos d’Estournel 1955 démontre de façon éclatante que c’est à cette maturité qu’il faut boire les bordeaux. Il est magnifique d’équilibre et de sérénité. C’est un beau et grand vin à la longueur remarquable. Les votes le constateront.

Le Château La Tour Blanche Sauternes 1949 crée avec le homard un accord spectaculaire. Gérard Besson est venu goûter le vin pour ajuster ses sauces. Nous vivons un régal de continuité gustative. Le vin est d’un or plus gris que le Coutet. Son goût est plus strict mais infiniment raffiné. Il fallait cette classe pour mettre en valeur le goût subtil et délicat du crustacé et du vin.

Le Château Coutet Barsac 1947 est d’un or joyeux. Il incarne la joie de vivre avec la beauté d’Alain Delon quand il avait vingt ans. La tarte aux fruits jaunes est délicieuse de légèreté. Elle forme un accord cohérent avec le vin, mais sans créer la vibration de l’accord précédent. Les zestes d’oranges sont goûteux, mais un peu trop forts pour entraîner le Coutet dans leur sillage. On ne peut imaginer plus dissemblables que ces deux liquoreux, l’un dans la distinction et l’autre dans la joie de vivre.

Le Vin de Crimée de la Collection Massandra Al Danil Tokay 1931 nous emmène dans un univers totalement inconnu. Personne n’a de repères sur ce vin d’un marron clair, au nez doucereux. En bouche le vin est une interrogation. On imagine qu’il est faiblement alcoolisé, dans les 8° peut-être, mais la présence alcoolique est forte au palais. Où est la vérité ? Le grain de raisin de Corinthe est la saveur la plus immédiatement présente. Doucereux, charmeur, il a des langueurs orientales. Ce qui le rend encore plus plaisant, c’est qu’il fait explorer des gammes de goûts intemporelles et inconnues. On imagine volontiers que le même vin de cent ans de plus aurait le même goût. Les madeleines lui conviennent bien.

Il est temps de voter. La surprise est infinie de voir que les onze vins de ce soir ont tous reçu au moins un vote de la part des dix votants. Pour mesurer l’invraisemblable portée de ce phénomène, il suffit de penser ainsi : si un convive, ou moi-même, notait les onze vins dans l’ordre, et ne se limitait pas à seulement quatre vins, il aurait un onzième dans sa feuille de vote, le vin le plus faible pour lui. Comment imaginer que ce onzième puisse être dans les quatre premiers d’un autre votant ? C’est extrêmement improbable, mais cela se produit souvent.

Le Château Meyney 1911 a reçu des votes de 1er, 4ème, 4ème. Le Lafite 1919 a reçu des votes de 2ème et 2ème. Quelle surprise ! Six vins sur onze ont été nommés premiers : le Cos trois fois, le Krug deux fois, et le Meyney, l’Aloxe-Corton, La Landonne et le Massandra une fois.

Le vote du consensus serait : 1 – Cos d’Estournel 1955, 2 – Côte Rôtie La Landonne Guigal 1984, 3 – L’Aloxe-Corton Rémi de Foulanges 1947, 4 – Château Coutet Barsac 1947.

Mon vote a été : 1 – Château La Tour Blanche Sauternes 1949, 2 – Vin de Crimée de la Collection Massandra Al Danil Tokay 1931, 3 – Château Coutet Barsac 1947, 4 – Cos d’Estournel 1955. Dans mon cas, la place de premier est influencée par le plus bel accord, celui avec le homard.

Il y avait à notre table un convive de 86 ans, peu familier de ces vins, qui a écouté et appris avec le sourire. Comment a-t-il fait pour supporter le choc de tant de plats ? Mon voisin de gauche a eu la prudence de ne manger qu’un tiers de son lièvre. Pris dans les conversations et les explications, j’ai mangé sans laisser de reste. C’est une folie meurtrière. Car Gérard Besson est trop généreux. Il a traité chaque plat comme s’il était un plat unique. Et même le gigot a été doublé ! Cette folie a au moins un mérite. Elle a montré le talent d’un homme généreux qui a, ce soir, réalisé un grand repas. J’ai classé les plats que j’ai préférés : 1 – la crépinette de pied de cochon et cèpes, 2 – le gigot, 3 – la superposition d’aiguillette de bœuf et foie gras, truffe de Bourgogne, 4 – le feuilletage au fruit sur une crème d’amande aux zestes d’oranges confits.

Ce matin, ma balance m’a adressé une lettre recommandée d’avis d’expulsion : elle ne peut plus me supporter. Malgré la légère tristesse que m’a causée la désillusion du Lafite 1919 que j’avais trop rapidement déifié, les vins de ce dîner ont créé un merveilleux voyage. Quatre régions que j’adore sont dans le vote global. Une belle cuisine traditionnelle a rendu hommage aux vins français.

124ème dîner – les photos jeudi, 1 octobre 2009

La photo des vins du dîner :

(le Gruaud Larose 1955 mis en réserve n’a pas été nécessaire, et d’autant moins qu’un convive prévu n’est pas venu)

Qu’y a-t-il de plus beau que cette capsule du Coutet 1947 ?

Le bouchon de La Tour Blanche 1949

J’avais parié sur ma mémoire en indiquant qu’il s’agissait de Lafite 1919 car la bouteille est illisible (vois photos des vins du dîner ci-dessous). La capsule et le bouchon confirment.

La cire de la bouteille du vin de Massandra 1931 et les verres rangés, prêts pour le service

J’ai oublié de prendre des photos de beaucoup de plats. Ici, les amuse-bouche et le premier service du gigot

Le lièvre à la royale et la délicieuse tarte

La photo finale des verres en fin de repas

124ème dîner de wine-dinners – les vins mercredi, 30 septembre 2009

Champagne de Vénoge 1982

Champagne Krug Vintage 1979

Montrachet Réserve Nicolas 1976

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Cos d’Estournel 1955

Magnum de Château Lafite-Rothschild année illisible, 1919

Château Meyney 1911

Aloxe-Corton Rémi de Foulanges 1947

Côte Rôtie La Landonne Guigal 1984

Château Coutet Barsac 1947

Château La Tour Blanche Sauternes 1949

Vin de Crimée Collection Massandra Al Danil Tokay 1931

123ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de l’hôtel Bristol jeudi, 24 septembre 2009

Le 123ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de l’hôtel Bristol. En une belle journée de fin septembre, le jardin donne un air champêtre chic à la salle à manger d’été. Je viens ouvrir les vins à 17h30 et aucune difficulté particulière ne se présente. Des bouchons anciens se déchirent, obligeant à utiliser plusieurs ustensiles pour en venir à bout. Le parfum du vin d’Arlay 1929 est tellement enivrant et sensuel que je le fais sentir à tous les serveurs et au jeune sommelier Maxime qui fera ce soir le service du vin.

C’est une entreprise qui reçoit des clients ou prospects, et la table sera masculine. Les arrivées s’égrènent ce qui nous permet de profiter d’un soir clément dans le beau jardin.

Une longue perche contient trois petits amuse-bouche qui, comme chaque fois, montrent la dextérité exceptionnelle du chef triplement étoilé. Un consommé de cèpes, une tranche d’ananas confit, une sucette où un goût très fort que je n’ai pas reconnu voisine avec de la betterave et enfin une olive travaillée avec talent accueillent le Champagne Krug Vintage 1988. Commencer un repas avec ce champagne au sommet de sa forme est évidemment un signe. Ce qui frappe c’est la persistance aromatique qui plombe la langue. C’est un beau champagne.

Nous passons à table. Le menu créé par Eric Fréchon est ainsi rédigé : Feuilleté et amuse-bouche / Homard bleu rafraîchi d’un gaspacho de tomate, cannelloni d’avocat légèrement pimenté / Macaronis farcis truffe noire, artichaut et foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan / Ris de veau de lait braisé au fenouil sec, carottes au pain d’épices et citron, jus de cuisson / Fromage de chèvre / Assiette de Comté / La fraise des bois fromage blanc allégé, fines crêpes dentelles et sorbet fraise / Mignardises.

Malgré mes explications préalables sur le goût très particulier des champagnes anciens, chacun est en terre inconnue lorsqu’il prend contact avec le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1969. De couleur délicatement ambrée, ce champagne a un nez doucereux. En bouche, la bulle est inexistante, mais l’impression de picotement est sous-jacente. Ce vin évoque un sauternes léger qui serait devenu sec. La délicatesse et l’élégance caractérisent ce champagne. L’amuse-bouche est un peu fort pour lui mais le fait revenir dans le monde des champagnes par un efficace coup de fouet. Lorsque le plat est enlevé, c’est la douceur discrète et raffinée qui revient au palais.

Je n’avais prévu qu’un vin blanc pour le homard. Mais en préparant les bouteilles de ce dîner, l’idée m’est venue d’en mettre deux, pour montrer l’effet du temps. Le Chassagne Montrachet Morgeot Domaine Ramonet 1994 est servi à droite, et le Chassagne Montrachet Domaine des Hautes Cornières Ph. Chapelle 1978 est à gauche. Le deuxième n’est pas un Premier Cru et son domaine m’est totalement inconnu. Quand Maxime me sert pour que je goûte avant le service de ces deux vins, je lui demande de vérifier si réellement ce sont bien les vins dans cet ordre qu’il m’a servis. Car le nez du 1978 est d’une richesse extrême et sa vivacité est remarquable. Maxime et mon voisin de table confirment qu’ils s’agit de ces vins. Et la comparaison est d’un bel étonnement car le 1978 fait aussi fringant que son jeune cousin de 1994. On remarque bien sûr que le Ramonet a une structure plus dense que son aîné. Mais pour beaucoup, le plaisir sera plutôt du côté du fantassin inconnu qui montre la vitalité des vins blancs qui surprend beaucoup de convives. Le homard est particulièrement délicieux. Le cannelloni d’avocat réveille bien le 1978. Il fallait laisser de côté le gaspacho, fort opportunément servi à part.

Les vins rouges vont donner l’occasion de deux accords d’anthologie. Deux Margaux sont servis ensemble, le Château Rauzan-Gassies 1934 et le Château Cantenac Brown 1934. Pourrait-on envisager que des vins si proches montrent autant de différences ? Le Cantenac-Brown est d’une riche structure un peu stricte, alors que le Rauzan-Gassies est plus folâtre, primesautier, romantique. Le macaroni s’accorde avec le Rauzan-Gassies, alors que la lourde sauce à la truffe noire réchauffe le Cantenac-Brown. C’est le plus strict et structuré qui correspond à mon goût. Le vote me montrera à quel point le plus féminin des deux aura du succès. Le plat est toujours aussi merveilleux et l’accord est doctrinal.

Si les deux bordeaux avaient suffisamment de parenté, les deux bourgognes sont dissemblables. Le Nuits-Saint-Georges Bouchard Père & Fils 1947 se présente dans une très curieuse bouteille dissymétrique, au verre torturé comme soufflé à la main et dont la couleur est rouge brun. La couleur du vin est presque noire tant elle est vive. Le nez est puissant et en bouche, ce vin est d’une densité de plomb. Il serait impossible de lui donner un âge tant il est fringant, puissant et riche.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1989 est en contraste complet. Il a le raffinement des vins du domaine, il est d’une couleur plus claire même si elle est soutenue. Son parfum est délicat et en bouche le vin est distingué. L’évocation assez immédiate, c’est celle de la rose, une belle rose épanouie. La tentation est forte de goûter la sauce du ris de veau sur le Nuits. C’est renversant de bonheur. Les deux vins se marient parfaitement au ris de veau d’une qualité extrême. Les deux séries de rouges ont été exceptionnelles dans leur association à leur plat.

A l’ouverture avec Maxime, nous n’aurions pas parié beaucoup sur le Vouvray doux La Lanterne, Péan propriétaire 1959 qui se présentait assez poussiéreux. J’avais demandé un jeune fromage de chèvre pour l’accompagner. A ma grande surprise, le nez du vin est devenu civilisé, agréablement doux. En bouche, le vin a acquis une belle rondeur. Ce qui me frappe, c’est son équilibre. Bien sûr il n’a pas une trame très complexe et on ne le lui demande pas. Mais je n’attendais pas que ce petit Vouvray se comporte aussi bien. L’association avec le sainte-maure est osée. Mais elle est titillante. J’aime ces rencontres imprévues de saveurs que tout oppose.

Le Château d’Arlay, Marquis de Voguë 1929 est dans une bouteille qui doit être un demi-Clavelin. Le flacon est d’une rare élégance. Ce vin jaune au parfum envoûtant a une force en bouche qui est envahissante. Sur un Comté de 36 mois, c’est un régal si l’on prend bien soin de mâcher le fromage en salivant en abondance. La persistance gustative de ce vin est infinie.

Le Monbazillac Monbouché 1929 est d’un bel or doré. En bouche il est d’un charme redoutable. Je succombe à ce vin comme le montrera mon vote. La couleur du vin appelant des fruits jaunes, le mariage avec les fraises des bois ne se fera pas. On profite donc du vin pour lui-même, charmeur, séducteur, aux plaisirs simples mais infinis.

Sur les mignardises, le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle auquel je donne plus de 30 ans remet en perspective le Moët 1969 du début de repas, car celui-ci a de la bulle. Il combine l’attrait des champagnes anciens avec la jeunesse que lui confère la bulle. C’est d’une subtilité conquérante.

Pour la quasi-totalité de la table, cette expérience remet en cause tous les présupposés, toutes les supputations sur les vins anciens. La longévité des vins blancs, la présence des bordeaux de 1934, ces champagnes complètement atypiques bouleversent tous les référentiels que chacun s’était construits.

Je n’insisterai jamais assez sur l’importance du fait que les douze vins de ce repas figurent tous, au moins une fois, dans les votes des dix participants. Ce qui veut dire que même les petits vins de ce repas ont plu à au moins l’un d’entre nous qui les a inclus dans ses quatre préférés. Six vins sur douze ont été nommés premiers, ce qui montre la diversité des goûts. Ont été nommés premiers : le Rauzan Gassies quatre fois, le Nuits-Saint-Georges deux fois et une fois le Krug, le Ramonet, l’Echézeaux et le Monbazillac.

Le vote du consensus serait : 1 – Château Rauzan-Gassies 1934, 2 – Nuits-Saint-Georges Bouchard Père & Fils 1947, 3 – Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1989, 4 – Monbazillac Monbouché 1929.

Mon vote, après avoir longtemps hésité à mettre l’Arlay dans mon bulletin, est : 1 – Monbazillac Monbouché 1929, 2 – Nuits-Saint-Georges Bouchard Père & Fils 1947, 3 – Champagne Laurent Perrier Grand Siècle de plus de trente ans, 4 – Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1989.

La cuisine du chef est d’une grande maturité, le service a été bien conduit. Les deux plats qui accompagnaient les rouges ont créé des accords de haute gastronomie. Les convives ont soulevé le coin du voile qui permet d’entrer dans le monde des vins anciens. J’espère leur avoir inoculé cette belle maladie.