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dîner avec des vignerons – la 3ème mi-temps, les fonds de bouteilles vendredi, 12 décembre 2008

Ce dîner a une suite, une troisième mi-temps. Ayant l’habitude de faire des dîners de vins chez Laurent, et gardant toutes les bouteilles vides de ces repas, Daniel a rassemblé pour moi les bouteilles. Il restait un peu de vin dans plusieurs magnums, aussi, dans ma cave, 36 heures après l’événement, mon fils et moi avons rendu honneur aux liquides survivants. Les vins sont bus froids, la cave étant un peu en dessous de ses valeurs moyennes. Les vins non cités ont été asséchés au cours du dîner.

Le Corton-Charlemagne 1986 a perdu un peu de sa fraîcheur mais garde cette solidité de structure qu’il avait au dîner. En revanche, l’écart est spectaculaire en faveur du Chevalier-Montrachet 1992 qui semble beaucoup plus épanoui qu’il n’était au dîner. Il est riche goulu, goûtu, tout à fait dans l’image que l’on a de ce vin splendide. C’est un réveil remarquable.

Le Musigny 1985 est dans la ligne de ce qu’il offrait tantôt, avec une amertume bourguignonne maintenue. Le Clos de Tart 1988 a toujours la prédominance de l’alcool sur un message un peu fermé. Le Volnay 1976 n’a plus la fraîcheur qu’il avait au dîner. On sent que le froid l’a inhibé. Il nous reste pour la bonne bouche deux merveilles. Le reste (très peu) du Beaucastel 1970 est glorieux. De plus, on entre dans le sédiment très riche en goût. Ce vin est merveilleux, riche, sensuel et joyeux. Le final en fanfare est avec le Smith Haut-Lafitte 1961 magnifique de richesse et de densité, confirmant la qualité de ce 1961.

Mon fils croquait des chips et je grignotais un sandwich de gare. Nous étions bien loin de l’élégance de la cuisine de Laurent. De plus, les températures de service en cave n’ont rien d’orthodoxe. Mais retenons les points positifs : le Chevalier-Montrachet Leflaive 1992 devenu brillant, le Beaucastel confirmant son assise terrienne d’une belle richesse et le Smith-Haut-Lafitte 1961 au sommet de son art, gardé trente-six heures durant. Aucune vérité scientifique ne sortira de cette expérience sauf la joie avec mon fils d’avoir prolongé le bonheur d’une rencontre magique avec de grands vignerons.

Dîner de vignerons au restaurant Laurent – les vins mercredi, 10 décembre 2008

Les vins sont annoncés avec le nom de celui qui l’a ofert.

Champagne Dom Pérignon rosé en magnum 1978 (Richard Geoffroy)

Champagne Salon 1990 (Didier Depond non présent)

Champagne Krug 1979 (Olivier Krug)

Corton Charlemagne Bonneau du Martray en magnum 1986 (Jean Charles de la Morinière) (j’ai tourné la bouteille pour qu’on voit le "1,5 l")

Chevalier-Montrachet Domaine Leflaive 1992 (Anne Claude Leflaive)

Château Smith Haut Lafitte en magnum 1961 (Florence Cathiard) (la bouteille, à l’étiquette illisible, n’a pas été photographiée)

Domaine de Chevalier rouge 1928 (Olivier Bernard)

Volnay Taillepieds Domaine de Montille en magnum 1976 (Etienne de Montille) (pas de photo, bouteille sans étiquette)

Clos de Tart en magnum 1988 (Sylvain Pitiot)

Vosne Romanée Cros Parantoux Domaine Méo Camuzet 1991 (Jean Nicolas Méo)

Musigny Grand Cru Louis Jadot en magnum 1985 (Pierre-Henry Gagey)

Château de Beaucastel Chateauneuf du Pape en magnum 1970 (Jean Pierre Perrin) (pas de photo, bouteille sans étiquette)

(photo prise dans ma cave)

Château Chalon Jean Bourdy 1928 (François Audouze)

Gewurztraminer SGN Jean Hugel 2005 (Jean Hugel non présent)

Pajarette Arneaud 1858 (François Audouze)

dîner de vignerons au restaurant Laurent – photos mercredi, 10 décembre 2008

La couleur du rosé Dom Pérignon 1978 et une huître en gelée divine

Rouelle de pied de porc et pomme de terre truffée et beignets de tartare de saint-pierre

Royale d’oursins dans un cappuccino

Filet épais de turbot au naturel, les bardes enveloppées de laitue de mer et cuites vapeur, hollandaise au vinaigre de riz

Croustilles de ris d’agneau, tapenade de champignons

Poitrine de pigeon rôtie en cocotte, pommes soufflées Laurent

Ravioles d’abattis de pigeon et foie gras de canard dans un consommé truffé

Filet de chevreuil relevé au poivre de Sarawak, betteraves jaunes caramélisées au coing, millefeuille de pomme gaufrette au chou rouge

Comté de 18 mois

Craquelin à la framboise et aux litchis

Palmiers (les plus diaboliques de tout Paris)

La belle brochette de vins, mais il manque le Pajarette 1858 !

Quelle belle table !

108ème dîner de wine-dinners au restaurant La Grande Cascade dimanche, 7 décembre 2008

Le 108ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant La Grande Cascade. Lorsque j’arrive pour ouvrir les bouteilles, il y a encore de nombreuses tables occupées, car nous sommes dimanche et ce restaurant accueille des repas familiaux. Ce soir, le restaurant sera plein.

Pierre, sommelier, a déjà présenté les bouteilles sur une table pour que je puisse faire des photos, ce qui a permis à des clients du restaurant de venir les voir. Au moment où je vais démarrer les ouvertures, un canadien vient me voir et classiquement me demande si des vins anciens peuvent encore être bons. Il montre le Clos-de-Vougeot Leroy 1949 qui m’avait inquiété quand je l’ai pris en cave, ce qui m’avait poussé à ajouter une bouteille et m’affirme : ce vin est mort. Je lui dis : nous verrons, rien n’est moins sûr. Les votes de fin de repas montreront ce qu’il en est de ces affirmations péremptoires.

L’ouverture des vins se passe remarquablement bien et je suis satisfait des odeurs que je sens, celles du Montrachet étant les plus tonitruantes. Je m’attendais à ce que le Clos de Vougeot étale des odeurs giboyeuses de tripes mais il n’en est rien, au contraire. Le parfum est si beau que pour le garder je rebouche la bouteille pour la conserver intacte, mais au bout d’une demi-heure je laisse l’expansion de l’aération faire son œuvre salvatrice.

La table est très cosmopolite, car un allemand a invité autour de lui un ami grec, un ami que je suppose être britannique, un français, un autre allemand et deux couples de russes dont un est venu avec leur fils. La discussion se tient majoritairement en anglais mais aussi parfois en français que les russes comprennent. Certains convives sont férus de vins dont l’un des russes qui est dans le métier du vin et organise de grands dîners avec les plus grands vignerons français.

Le menu composé par Frédéric Robert est : bouillon crémeux de légumes racines et foie gras de canard aux épices thaï / Emincé de noix de coquilles Saint-Jacques, caviar osciètre / Huître d’Utah-Beach juste tiédie, transparence iodée de légumes du moment, réduction de granny-smith et wasabi / Noix de Saint-Jacques en raviole, émulsion au thym-citron / Nage de homard bleu à la réglisse, minestrone de légumes et feuilles de lime  / Pomme de ris de veau cuite lentement, herbes à tortue comme au Moyen-âge / Carré de biche cuit dans la mousse en papillote, toast de moutarde crémone, sauce poivrade / Stilton et brioche toastée miel et raisin / Meringue à la clémentine, biscuit moelleux aux amandes et marrons d’Ardèche.

Nous commençons par un Champagne Bruno Paillard Nec Plus Ultra 1990. Je suis plus qu’agréablement surpris par ce champagne d’une maison que je ne connais qu’à peine. Intense, profond, d’une forte personnalité, ce champagne laisse une trace lourde en bouche. Il ne peut lutter avec la sauce beaucoup trop percutante d’un foie gras délicieux qui eût brillé, seul avec le champagne qui est une belle réussite d’une grande année. Un convive fait remarquer qu’après quelques minutes il ne reste presque plus de bulles, ce qui s’accompagne d’un élargissement des saveurs doucereuses du beau vin.

Il me faut beaucoup de précautions pour faire entrer tous les convives dans le monde des champagnes anciens et je suis heureux de constater que chacun s’y prête de bon cœur. Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1953 a une couleur d’un or ambré. La bulle a presque disparu et la première gorgée est un festival de complexité. Le bouquet des saveurs est multicolore. Et la présence en bouche est inextinguible. L’accord avec la coquille et le caviar est complet, l’un et l’autre ajoutant leurs talents. La trace du champagne est impressionnante.

Ce sont maintenant trois vins blancs de trois régions qui vont vivre ensemble avec l’huître et avec la raviole de coquilles. Le Château Haut-Brion blanc 1966 a un or d’une grande fraîcheur. Le goût est raffiné, conforme à l’image de Haut-Brion, l’âge se sentant à peine à côté des deux gamins. Le Château Rayas blanc 1997 paraît simple au premier abord, mais son final en queue de paon est impressionnant. Les saveurs claquent sur la langue comme un coup de fouet. Le vin devient de plus en plus plaisant au fil de son expansion dans le verre.

Le Montrachet Marquis de Laguiche Joseph Drouhin 1992 est le plus exubérant et le plus complexe. Ce qui me frappe dans ce vin d’une année particulièrement bonne pour les blancs, c’est l’extrême fraîcheur. L’image que je forme est celle de l’eau qui caresse les galets dans un courant à pente douce. On prend conscience des différences énormes qui existent entre les trois vins, et l’on n’éprouve aucune envie de les hiérarchiser tant il est possible d’aimer les trois et la variation des accords que chacun crée. C’est sans doute le Rayas qui est le plus accueillant pour les deux parties du plat, et le Montrachet qui chante le chant le plus pur et imagé.

La couleur du Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1945 lorsqu’il est versé dans le verre est impressionnante. Le rubis de sang pur est d’une race extrême. En bouche le vin est extraordinaire. J’avais aimé le Léoville-Las-Cases 1945 d’il y a quelques jours. Une étape est franchie avec ce vin irréellement bon. La sauce du homard occulte l’accord qui se trouve avec la chair seule du homard. L’accord est suffisamment intéressant pour que les qualités du vin se révèlent. Mon voisin de  gauche qui est professionnel du vin m’avait annoncé à la première gorgée que le Pichon s’éteindrait au bout de dix minutes. Je lui ai dit que non, et plus d’une heure plus tard, je lui ai tendu, avec l’autorisation de son épouse située à ma droite, le verre encore un peu rempli. Il constata que le vin était toujours aussi vivant, d’une plénitude, d’une densité et d’une trame au point plus fin qu’un tapis d’Iran.

Le délicieux ris de veau légèrement caramélisé accueille deux bourgognes. Le Nuits-Saint-Georges les Fleurières Jean-Jacques Confuron vers 1970 va connaître une spectaculaire évolution dans le verre. Il commence par un bourgogne assez amer, viril, légèrement rebutant et se transforme comme par un coup de baguette magique en un vin chatoyant, séducteur, à la rondeur discrète. J’ai écrit « vers » avant l’année car comme souvent hélas, les collerettes des années se décollent, empêchant de connaître le millésime. Au goût, 1970 est plausible. A côté, le Clos de Vougeot Leroy 1949 ne montre aucun des défauts que je pouvais soupçonner avant l’ouverture du fait d’un niveau à cinq centimètres sous le bouchon. Si l’on veut analyser, on trouvera un léger torréfié dans le velours de ce vin, mais toute la table l’adopte. Les deux vins sont extrêmement dissemblables, le Clos de Vougeot exprimant la sérénité d’une excellente année, et le Nuits racontant la séduction perverse du bourgogne sur des fumés et des amertumes.

Une belle expérience va se construire avec deux vins de deux régions sur le carré de biche. Le Chambertin Grand Cru Pierre Damoy 1961 frappe par sa perfection facile. Velouté, équilibré, d’une séduction tranquille il touche toute la table, conquise. Chacun ne cesse de chanter ses louanges, on le verra aux votes. Chacun regrette aussi que l’on fasse apparaître en second le Chateauneuf-du-Pape Paul Etienne 1955. Car ce vin est d’un charme et d’un équilibre rassurant. Il est rond, l’alcool est assez apparent, et il a la lisibilité agréable des Chateauneuf. Mais le chambertin est trop parfait pour laisser le 1955 jouer le premier rôle. Il eût fallu isoler le Chateauneuf pour qu’il puisse briller. La chair de la biche est délicieuse, mais la sauce l’oblitère un peu.

Le Château d’Yquem 1988 est conforme à sa réputation d’excellence, parenthèse de jeunesse folle dans ce dîner. Riche en bouche, il excelle sur l’un des meilleurs stiltons que je n’aie jamais mangé.

Contrairement à la persuasion convaincante que j’avais eue pour que l’on comprît le Moët 1953, je n’arriverai pas à convaincre mes compagnons de table sur l’excellence absolue du Château Suduiraut 1928. Ce sauternes a un équilibre, une rondeur et un charme auxquels je succombe. Le sucre un peu consommé, les tendances de thé délicat font de ce vin un conte magique. Mais ces saveurs sont tellement inconnues pour mes convives, car il n’existe aucune repère actuel sur lequel se reposer, qu’aucun d’entre eux ne vivra la vibration qui m’excite. Ce n’est pas le plus grand Suduiraut 1928 que j’aie bu, car j’en ai rencontrés au botrytis plus affirmé. Mais c’est un immense vin comme le montrera mon vote. Le dessert est trop multiforme, même si les saveurs prises une à une, sauf la meringue, répondent au liquoreux.

Les votes sont intéressants. Nous sommes onze à voter pour douze vins. Et chacun des douze vins va figurer au moins une fois dans le quarté des convives. On peut comprendre ma fierté. Le Chambertin Grand Cru Pierre Damoy 1961 accapare les votes puisqu’il est six fois premier, suivi du Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1945 qui a trois votes de premier, le Château d’Yquem 1988 et le Chateauneuf-du-Pape Paul Etienne 1955 recueillant chacun un vote de premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Chambertin Grand Cru Pierre Damoy 1961, 2 – Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1945, 3 – Montrachet Marquis de Laguiche Joseph Drouhin 1992, 4 – Chateauneuf-du-Pape Paul Etienne 1955.

Mon vote est : 1 – Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1945, 2 – Château Suduiraut 1928, 3 – Chambertin Grand Cru Pierre Damoy 1961, 4 – Montrachet Marquis de Laguiche Joseph Drouhin 1992.

Ce qui est étonnant, c’est que mon deuxième chouchou, le Suduiraut, n’a recueilli qu’un vote, le mien.

Il est à noter que ma voisine n’a pas bu tout le contenu de ses verres. Plusieurs ruses de sioux pour faire une OPA sur ses fonds de verre se sont révélées infructueuses. Quel est le seul vin que j’ai bu lorsque tout le monde est parti ? Le champagne Moët 1953 au goût miraculeux et à la trace en bouche indélébile.

J’avais mis au point le menu avec Frédéric Robert en qui j’ai une grande confiance. L’image qui vient est celle d’une boîte de nuit. Dans une boîte de nuit, la sono est acceptée par les jeunes, alors que les adultes plus âgés ont du mal à supporter les décibels. Dans ce repas, les sauces extrêmement expressives et délicieuses sont mieux acceptées par des vins jeunes qu’elles ne le sont par des vins plus âgés. C’est un tout petit réglage à faire, car la cohérence des recettes était là. Il suffit de baisser le son des sauces, et la musique mélodieuse des accords nous ravira.

Les jugements des convives sur la qualité de la cuisine furent unanimes. Les vins, dans leur état de présentation, très déterminé par l’ouverture épanouissante, ont été chaleureusement applaudis. Ajoutons à cela un service de grande qualité et tout a contribué à faire de ce dîner cosmopolite un dîner mémorable dont les suites, j’en suis sûr, seront nombreuses.

dîner wine-dinners du 7 décembre – photos des vins dimanche, 7 décembre 2008

Champagne Bruno Paillard Nec Plus Ultra 1990

Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1953

Château Haut-Brion blanc 1966

Montrachet Marquis de Laguiche Joseph Drouhin 1992

Château Rayas blanc 1997

Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1945

Nuits-Saint-Georges les Fleurières Jean-Jacques Confuron vers 1970

Clos de Vougeot Leroy 1949

( en réserve )  : Chambertin Clos de Bèze Grand Cru Pierre Damoy 1961

Chateauneuf-du-Pape Paul Etienne 1955

Château d’Yquem 1988

Château Suduiraut 1928

108ème dîner de wine-dinners à La Grande Cascade – les photos dimanche, 7 décembre 2008

Les vins du dîner

photos de groupe partielles

Les bouchons et mes ustensiles

La magnifique salle à manger du restaurant

Bouillon crémeux de légumes racines et foie gras de canard aux épices thaï

Emincé de noix de coquilles Saint-Jacques, caviar osciètre

Huître d’Utah-Beach juste tiédie, transparence iodée de légumes du moment, réduction de granny-smith et wasabi / Noix de Saint-Jacques en raviole, émulsion au thym-citron

Nage de homard bleu à la réglisse, minestrone de légumes et feuilles de lime

Pomme de ris de veau cuite lentement, herbes à tortue comme au Moyen-âge

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Carré de biche cuit dans la mousse en papillote, toast de moutarde crémone, sauce poivrade

Stilton et brioche toastée miel et raisin

Meringue à la clémentine, biscuit moelleux aux amandes et marrons d’Ardèche

La table, symbole de délices

107ème dîner de wine-dinners au restaurant Le Divellec jeudi, 4 décembre 2008

Le 107ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de Jacques Le Divellec. Ce grand chef qui a tout vu et tout connu est d’une folle jeunesse et d’un grand enthousiasme. Avec son équipe, il vit ces dîners comme de nouvelles aventures. Son amicale implication est rafraîchissante et plaisante.

Lorsque j’arrive vers 16h30, Olivier a déjà mis toutes les bouteilles en place pour la photo de groupe. Lorsque j’avais emballé les bouteilles dans ma cave pour les livrer au restaurant une semaine à l’avance, j’avais remarqué la sale couleur du Puligny 1955. Convaincu que le vin serait mort, j’avais pris un Chassagne de substitution. En ouvrant le Puligny, il ne fait aucun doute que le vin est mort, avec des odeurs d’entrailles de gibier et une sensation de suint. Habitué aux miracles, mais sans illusion, j’indique à Olivier que je goûterai le vin au moment du service afin de voir si l’on peut le faire essayer aux convives pour qu’ils apprennent ce qu’est un vin mort.

Mis à part le bouchon du Léoville-las-Cases 1945 qui s’est brisé en mille morceaux, je n’ai eu que peu de difficultés avec les bouchons, sauf avec celui de l’Hermitage 1978 qui m’a donné du fil à retordre. Au lieu de glisser dans le goulot, il a hoqueté son trajet, exactement comme les pneus d’une voiture qui a bloqué les roues lors d’un fort freinage. Les pneus ne glissent pas mais tressautent en fortes secousses. L’accouchement de ce bouchon ressemble à ces soubresauts.

C’est une entreprise qui m’a demandé de faire le dîner de ce soir, l’état-major de Chicago de Londres et de Paris recevant des clients potentiels parisiens. Nous sommes dix et la seule femme souriante vient des rives du lac Michigan. Le menu composé par Jacques Le Divellec est le suivant : Mousse d’avocat aux grains noirs et tapas maquereau à l’oignon rouge confit / Carpaccio de barbue au caviar / Huîtres Prat-Ar-Coum frémies au champagne / Saint-Jacques en cassolette aux truffes d’hiver / Bar braisé au Saint-Emilion, os à moelle rôti, céleri poêlé aux herbes / Brochette de ris de veau aux lentilles vertes, réduction de bouillon de poule / Râble de lièvre à la royale, purée aux truffes / Mangue caramélisée, amandes grillées.

La circulation ayant empêché les invitants d’être là à l’heure, les premiers arrivés patientent avec un champagne Taittinger non millésimé qu’Olivier ouvre pour nous. Assez aqueux, d’une largeur d’esprit érémitique, le champagne permet d’attendre patiemment. Après des mots de bienvenue nous passons à table. Il y a parmi les convives quelques grands amateurs, formés qui au champagne, qui au vin de Bourgogne.

Le Champagne Dom Pérignon 1993 a de belles évocations romantiques de fruits blancs et une longueur qui marque un saut qualitatif par rapport au champagne « d’attente ». La mousse d’avocat au caviar n’excite par le champagne, alors que le maquereau le fait vibrer. L’accord divin se forme avec le succulent carpaccio de barbue qui crée une continuité gustative avec le champagne qui est saisissante. La chair est belle et sa texture est parfaite. Seule, elle caresse le Dom Pérignon dans le sens de ses fruits blancs. Le caviar n’ajoute rien à l’accord et la petite crème rend le champagne plus doucereux mais plus court. Sur la chair seule, l’accord est éblouissant.

Le Champagne Krug 1988 ne connaîtra pas le même sort, car le sabayon qui recouvre l’huître fort iodée est salé, et l’épinard assèche un peu le très beau champagne qui, dans des notes de fruits jaunes, est d’une complexité généreuse. Très long, quasi inextinguible, il sera passé à côté de la belle huître.

Olivier me sert maintenant le Puligny-Montrachet de Moucheron Tasteviné 1955. Je n’ai aucune illusion du fait de la couleur. Je sens, je goûte et à ma grande surprise, tout aspect giboyeux a disparu. Le vin a une belle acidité de fin de bouche, ce qui est étonnant. Je n’ai aucune envie de défendre ce vin, car il n’a plus rien à voir avec un Puligny, mais il faut comprendre qu’il serait buvable agréablement si l’on accepte cette déviation. Chacun a pu goûter sans faire de grimace ce vin qui a eu l’honneur de votes, ce qui n’a pas laissé de me surprendre.

Les coquilles Saint-Jacques aux abondantes truffes voisinent avec deux vins dissemblables, l’un de Bourgogne, l’autre de Bordeaux. Le Chassagne-Montrachet Morgeot Domaine Ramonet 1994 est d’une belle complexité. Chatoyant, polymorphe, ce vin s’adapte bien à la coquille, alors que l’ « Y » d’Yquem 1988, opulent, tutoyant les saveurs sucrées d’un Yquem, accapare les larges copeaux de truffe pour les apprivoiser.

Mes dîners n’ont généralement pas de thèmes mais ce soir, je voulais explorer trois grandes années de bordeaux de la décennie quarante. Sur le bar à la belle sauce épaisse, cohabitent les deux Saint-Emilion. Tout le monde est subjugué par la couleur invraisemblable des deux vins, d’un rubis sang de pigeon d’une jeunesse folle. Le Château Laroze Saint-Emilion 1947 est un symbole absolu de la perfection. Un convive dit qu’il n’a jamais bu un vin d’une telle perfection, plein en bouche et de longueur infinie. Je donne l’image qui me vient souvent, celle du Rubik’s Cube quand il est enfin résolu. Le Château Trottevieille Saint-Emilion 1943 a quelques infimes traces d’âge qui vont se corriger avec la crème anti-ride que représente le temps dans le verre. En passant d’un vin à l’autre, on prend conscience que ces deux vins représentent « la » définition wikipédiesque du goût du saint-émilion. Et l’on mesure la pertinence de l’accord de ces deux vins avec le poisson délicieux, peut-être cuit trois secondes de trop, délicieusement accompagné par l’os à moelle et le céleri.

Le Château Léoville-Las-Cases Saint-Julien 1945 affiche une couleur aussi vivace que les deux précédents avec peut-être une infime trace d’orangé sur le beau rubis birman. Le goût du vin est aussi jeune que celui des deux précédents avec peut-être une plus grande rondeur, liée à la différence des terroirs de deux rives opposées de la Gironde. L’accord avec le ris de veau est naturel, mais n’a pas l’intensité de celui du bar avec les deux saint-émilion. Pendant que mes convives s’émerveillent de ces trois vins, je ne peux m’empêcher de mesurer la chance d’avoir eu trois vins aussi parfaits de cette décennie. Est-ce l’histoire des bouteilles, la qualité de ma cave et peut-être aussi la méthode d’ouverture généreuse en oxygène salvateur qui expliquent la réussite de ces vins ?

Le lièvre à la royale est absolument charnel. Le goût est d’une richesse rare, sans avoir la lourdeur souvent attachée à ce plat. C’est lui qui va tenir le grand rôle devant deux beaux vins. Le Chambertin Clos de Bèze Domaine Armand Rousseau 1982 a un nez envoûtant de grand bourgogne. On reconnaît tout ce qui fait le charme des grands vins de cette région, avec une virilité marquée par un charme interlope et canaille. Mais c’est curieux, je bois ce vin comme lorsque je revois pour la centième fois « Chantons sous la pluie ». Le vin absolument précis est totalement conforme à mes attentes et me donne un goût de « déjà vu » (en anglais dans le texte). Le charme est là, largement attendu. Alors qu’au contraire l’Hermitage L. de Vallouit 1978, d’une bouteille banale à qui l’on donnerait trois francs six sous, délivre un message d’une chaleur rare. Il y a le message des grands vins du Rhône, fait d’une apparente facilité comme le geste du joueur de pétanque avant qu’il ne fasse un carreau. Mais derrière cette apparente facilité il délivre une  complexité chaleureuse, d’un charme rassurant.

Le repas, qui avait commencé sur un accord vibrant entre la barbue crue et le Dom Pérignon boucle sa boucle sur un accord époustouflant, celui du Château de Fargues Lur Saluces Sauternes 1989 avec la mangue. Ce sauternes a un peu « mangé son sucre », prenant des tendances de thé, avec des fruits fumés. Il est cuivré et assez sec. L’accord est déterminé par le glaçage qui marque subtilement la mangue. La continuité gustative est spectaculaire. Si l’on devait évoquer la jeunesse relative des vins, il parait évident que le Laroze 1947 est beaucoup plus jeune que le Fargues 1989. Car le Fargues a pris un train de sénateur, a épousseté son botrytis pour s’accoupler à la mangue. Mais son charme est là.

Alors que nous étions passés à table, un homme était arrivé et nous avait salués. C’est un ami canadien vivant aux Etats-Unis, qui a assisté à cinq de mes dîners dont un des plus grands à Yquem. Il avait dit trois ou quatre mots flatteurs et voici que quittant le restaurant, il se penche vers notre assemblée. Il harangue mes hôtes et jette tant de fleurs en brassées sur notre table que je tente de corriger : « vous savez, c’est un coup monté. Je lui ai demandé de dire cela en fin de repas ».

Il est temps de passer aux votes. L’un des convives a dû hélas s’éclipser car sa société, l’un des phares du CAC 40, subit les soubresauts de la politique internationale. Et le globe terrestre n’a pas isolé le fuseau horaire de notre dîner. Nous ne sommes que neuf à voter pour onze vins. Jamais je n’aurais parié que onze vins sur onze figureraient dans les quartés des votants. C’est un de mes plaisirs de constater que chacun de mes vins trouve un écho auprès d’au moins un convive. Que le Puligny soit inclus dépasse mon entendement.

Le château Laroze 1947 obtient cinq votes de premier et quatre vins obtiennent un vote de premier, le « Y » d’Yquem, le Chassagne-Montrachet 1994, le Trottevieille 1943 et le Fargues 1989. Le vote du consensus serait : 1 – Château Laroze Saint-Emilion 1947, 2 – Château de Fargues Lur Saluces Sauternes 1989, 3 – Chassagne-Montrachet Morgeot Domaine Ramonet 1994, 4 – « Y » d’Yquem 1988.

Mon vote : 1 – Château Laroze Saint-Emilion 1947, 2 – Hermitage L. de Vallouit 1978, 3 – Château Léoville-Las-Cases Saint-Julien 1945, 4 – Champagne Krug 1988.

Après les votes, notre américaine avoua qu’elle avait voté pour le Puligny par sympathie, trouvant que je l’avais trop éreinté alors qu’il était encore vivant.

Le plus beau plat est le lièvre à la royale, suivi de la barbue en carpaccio. Les deux accords de magie sont celui de la barbue avec le Dom Pérignon et de la mangue avec le Fargues. L’ambiance fut chaleureuse, chacun mesurant l’ouverture sur un monde inconnu de beaucoup, celui des vins anciens. Alors que le restaurant de Jacques Le Divellec fourmillait de repas dont le thème était la gastronomie, c’est au dessus de notre table qu’un petit nuage de perfection s’était installé, sans risque qu’un vent mauvais ne le chasse de notre aplomb.

Alors que Paris était déjà bien endormi, Jacques Le Divellec veillait encore et recueillit nos compliments. Grâce à trois bordeaux légendaires, à un service attentif et au talent d’un grand chef, nous avons vécu un repas mémorable.

dîner wine-dinners du 4 décembre – photos des vins jeudi, 4 décembre 2008

Champagne Dom Pérignon 1993

Champagne Krug 1988

"Y" d’Yquem Graves blanc 1988

Puligny-Montrachet de Moucheron Tasteviné 1955

(ajouté en réserve) Chassagne-Montrachet Morgeot Domaine Ramonet 1994

Château Laroze Saint-Emilion 1947

Château Trottevieille Saint-Emilion 1943

Château Léoville Las Cases Saint-Julien 1945

Chambertin Clos de Bèze Domaine Armand Rousseau 1982

Hermitage L. de Vallouit 1978

Château de Fargues Lur Saluces Sauternes 1989

 

107ème dîner de wine-dinners au restaurant Le Divellec – les photos jeudi, 4 décembre 2008

Les vins alignés

photos par petits groupes

les bouchons

Mousse d’avocat aux grains noirs et tapas maquereau à l’oignon rouge confit

Carpaccio de barbue au caviar (pas de photo, hélas)

Huîtres Prat-Ar-Coum frémies au champagne (elles étaient tellement bonnes que je les ai mangées avant de penser prendre la photo !)

Saint-Jacques en cassolette aux truffes d’hiver

Bar braisé au Saint-Emilion, os à moelle rôti, céleri poêlé aux herbes

Brochette de ris de veau aux lentilles vertes, réduction de bouillon de poule

Râble de lièvre à la royale, purée aux truffes

Mangue caramélisée, amandes grillées

Ce sont tous les verres qui ont été utilisés

La table avant et après le repas

106ème dîner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 27 novembre 2008

Le 106ème dîner de wine-dinners se tient, une fois n’est pas coutume, au restaurant Laurent. Les vins ont été apportés une semaine avant l’événement. A 16h30 commence l’importante et cruciale étape de l’ouverture des bouteilles. Lorsque j’avais prélevé les bouteilles dans ma cave pour prendre les photos individuelles qui figurent sur mon blog et les envelopper, j’avais constaté que le Pouilly-Fuissé avait une couleur annonçant une mort quasi certaine. Une bouteille devait la remplacer. Mes yeux étant attirés par un des plus beaux chablis que j’aie bus, mon bras s’en empara. Ce n’est pas le seul cadeau que mes amis allaient recevoir.

Les bouteilles sont déjà rangées dans l’ordre de service sur une table pour que je puisse faire une photo de groupe. C’est une belle attention de Daniel, sommelier fidèle, qui fera ce soir un service des vins parfait. Pendant que j’ouvre les bouteilles une discussion se développe avec Patrick Lair, le très efficace chef-sommelier de ce restaurant que j’adore. A l’ouverture, le Pouilly-Fuissé 1959 est bien mort, mais ses jambes bougent encore, aussi sera-t-il didactique de faire goûter ce liquide aux convives. Les parfums du Gazin et du Pétrus sont divins, d’une plénitude joyeuse. Le cadeau impromptu est celui-ci : le programme annonçait Pétrus 1937 ou 1957 car une déchirure rend difficile la lecture du troisième chiffre. Or le bouchon laisse lire distinctement 1967, année de Pétrus que je chéris particulièrement, d’une part parce qu’elle est une réussite pour Pétrus mais aussi parce que c’est l’année de naissance de ma première fille. Le Corcol 1938 présente une odeur nettement plus belle que ce que j’attendais. Le vin jaune explose dans un bouquet de fragrances fracassantes. Le Gilette 1955, cadeau de l’un des convives, est d’une rare distinction. L’ouverture s’est faite en un temps record.

Il fait si froid dehors qu’il n’est pas question d’aller flâner. Mon ordinateur est ouvert sur une petite table au bar du restaurant et je peux assister au spectacle d’un représentant qui vante les mérites des vins de sa gamme à Patrick, Michel et à Philippe Bourguignon venu les rejoindre. La faconde intarissable de cet homme vaut toutes les pièces de boulevard qui fleurissent à Paris. Michel nous fait goûter un champagne Jacquesson 2000 dosé à seulement 3,5 grammes, vin strict, un peu austère mais au goût intéressant qui pousse chacun d’entre nous à se faire resservir. Ce signe ne trompe pas.

Dans le beau hall circulaire qui marque l’entrée, les convives arrivent avec une précision digne des horloges atomiques. Il y a ce soir trois banquiers d’origines différentes et qui ne se connaissent pas, deux personnes travaillant dans l’immobilier qui ne se connaissent pas non plus, un avocat fidèle parmi les plus fidèles, l’organisatrice du salon Livres en Vignes, un vigneron et une habitante d’Hyères, professionnelle du vin, qui voulait vivre cette expérience. A cette table enjouée les rires fusent, les petites piques aussi, tant ma passion inébranlable est prévisible et parfois prétexte à plaisanterie.

On nous sert dans ce hall un Champagne Besserat de Bellefon brut non millésimé. Alors que je recommande de ne pas juger les vins, voilà que je l’assassine, car le premier contact manque cruellement d’imagination. Mais le champagne se reprend et sur un petit toast au poisson fumé, le vin se réveille, prenant même un début de personnalité. Vient ensuite une bouteille majestueuse, d’une grande beauté, celle du Champagne Krug en magnum 1982. Nous changeons totalement de registre. L’attaque est légère et discrète et le vin va s’épanouir avec une grande expansion au fil de la dégustation. La verrine d’araignée de mer, spécialité de la maison, étire le champagne qui prend une longueur infinie en bouche. L’image qui me vient est celle de l’eau qui coule sur de belles pierres plates d’un ruisseau.

Nous passons à table, autour de l’un des tables lovées dans des alvéoles propices aux discussions. Nous en avons abusé. Le champagne nous suit.

Voici le menu préparé par Alain Pégouret que j’étais allé féliciter en cuisine pour le dîner de l’Académie du Vin de France qu’il avait particulièrement réussi : Coquilles Saint-Jacques marinées dans une marmelade d’agrumes, corail séché et pickles sur une feuille de romaine / Huîtres « pousse en claire » N°2 de David Hervé lutées dans leurs coquilles, fleurette aux mousserons / Aiguillettes de joues de veau fondantes, risotto à la truffe blanche d’Alba / Râble de lièvre rôti, navets confits au foie gras / Epaule de lièvre selon la recette du sénateur Couteaux, « fusilli » pour la sauce / Vieux Comté / Millefeuille à la mangue et au piment d’Espelette.

La marinade d’agrumes fait chanter le Krug 1982 qui s’épanouit de plus en plus. Le sucré de la coquille Saint-Jacques lui donne d’autres ardeurs et le trait commun est une longueur et une trace indélébile en bouche. L’amande et la noisette apparaissent quand le champagne est bien aéré.

Le Pouilly-Fuissé Château de Fuissé 1959 est servi. Les traces de vie existent mais ce vin ne mérite pas plus d’une demie gorgée, car la cause est entendue, le vin est mort. Celui qui le remplace est un Chablis Moutonne Grand Cru Long Dépaquit 1959 qui est la perfection absolue du chablis. Un convive cite Clos Sainte-Hune tant la similitude est possible avec le prince des rieslings. Mais le chablis sait tracer sa propre route faite d’épanouissement des parfums, de rectitude en bouche et d’un final d’une rare fraîcheur. C’est la sauce aux mousserons qui forme une continuité gustative exemplaire avec le chablis qui en épouse la trame.

Dès que nous sommes servis du plat et des deux vins, nous sommes tous conscients que nous allons vivre un de ces moments d’extase dont il ne faut pas perdre la moindre miette. Un silence se fait et nous prions tous pour que l’inexorable marche du temps soit stoppée sur cet instant. Une des jolies femmes de la table parlera d’orgasme, tant ce que nous vivons est intense. Le plat est fait de deux parties. A gauche, c’est la joue de veau et à droite la truffe blanche d’Alba sur son risotto incendie nos narines. En face de la joue de veau il y a un verre de Château Gazin 1959 et en face du risotto il y a un verre de Pétrus 1967. Cela pourrait donner lieux à quatre combinaisons mais en fait, personne n’a envie d’essayer de modifier la latéralité naturelle : le Gazin est diaboliquement parfait avec la joue de veau mais surtout avec sa sauce impérieuse, et le Pétrus ayant capté le parfum de la truffe blanche comme les plantes carnivores gobent les mouches, nous sommes en présence de deux accords de fusion absolument confondants de pertinence. A chaque bouché et à chaque gorgée je me dis : « mon Dieu, arrêtez la marche du temps et laissez-moi jouir à jamais de ces accords irréels ». Le Gazin est d’une couleur de folle jeunesse, d’un rubis goutte de sang. Son nez est pénétrant et poivré. En bouche, la précision de sa trame et sa force s’imposent face à la doucereuse langueur de la joue. Le Pétrus a une couleur un peu plus trouble et d’un rubis birman. Le nez est érotiquement féminin, annonçant des caresses insoutenables. En bouche il pianote sur des notes douces, charmeuses, et le message velouté emporte le cœur. Mille fois je suis revenu sur ces accords, trouvant à chaque fois un plaisir de plus. Ce qui m’a le plus saisi, c’est la conscience que j’avais de vivre un moment inoubliable. Quand le jeune convive à ma gauche évoque la nécessité de décrire ce Pétrus dans mes commentaires je lui réponds que j’en serais bien incapable tant le charme de ce Pétrus agit dans sa globalité, sans qu’on puisse le disséquer.

Personne à la table, y compris le vigneron de Beaune ne sait quelle est l’origine du Beaune cuvée Estienne Hospices de Beaune "Corcol" 1938. Le nez est résolument bourguignon et prometteur, et son goût dépasse de loin ce que je pouvais imaginer de l’année 1938, qui n’a pas laissé une trace indélébile dans l’histoire du vin. Le vin est charmeur, goûteux, et le râble de lièvre lui répond.

Le Nuits Saint-Georges Bouchard Père & Fils 1947 se présente dans une bouteille au col très fin et dissymétrique, la bouteille est soufflée à l’ancienne et son cul est d’une rare profondeur, indiquant une bouteille du 19ème siècle réutilisée. Le nez est de truffe noire, le goût est profond, lourd comme un Grand Cru, et la trace est chaleureuse, forte comme une belle truffe. L’accord des deux bourgognes avec la chair  du lièvre, tendre comme celle d’un pigeon, est parfait.

Le Chateauneuf-du-Pape Dufouleur Frères 1959 au nez bourguignon me subjugue par sa réussite. Je ne m’attendais pas à un tel niveau. L’alcool se sent fort mais un fruit rouge et lourd marque le goût. Le vin se prend pour un porto. L’épaule de lièvre est tellement forte, le sénateur Couteaux ayant décidé de créer des recettes pour des ogres aux gosiers en fonte, que le vin du Rhône est un peu perdu devant l’insistance du plat. Mais son élégance naturelle et sa joliesse nous éblouissent.

Il est très rare que l’ensemble d’une table adore le vin du Jura. Aussi est-ce un bonheur de voir que le Vin Jaune Lucien Clavelin 1949 est apprécié par tous sur un splendide Comté de dix-huit mois. Le nez de ce vin vaut tous les Chanel ou Jicky de la terre. On en ferait son lait d’ânesse. Je ne me lasserai jamais de ses amertumes de noix.

Le Château d’Yquem 1983 est à un stade de sa vie où tout lui réussit. C’est le golden boy des places financières quand il n’y a pas de crise. Tout en lui est chaleureux, gras doux, avec un équilibre parfait et un dosage subtil de chaque qualité. L’accord est sublime avec les lamelles de mangue qui lui répondent par un mimétisme une fois de plus confondant. Le vin est jeune, bien sûr, mais il est délicieusement prêt à boire.

Le Château Gilette crème de tête 1955 est lui aussi à un moment clé de sa vie. Il a franchi une étape par rapport au 1983 et la juxtaposition dont j’avais un peu peur est en fait à l’avantage des deux sauternes. Celui-ci se boit comme on suce un bonbon, sans nécessité de dessert.

Le vote est particulièrement difficile aujourd’hui, car nous sommes KO assis devant tant d’accords parfaits. Onze vins sont en compétition pour dix votants, le Pouilly-Fuissé étant hors concours. Dix vins sur onze ont des votes ce qui me plait évidemment et seul le premier champagne n’a aucun chevalier servant. Quatre vins ont eu des votes de premier, le Pétrus cinq fois, le Nuits-Saint-Georges deux fois comme le Gazin et le Chateauneuf une fois. Le Pétrus figure dans huit votes et le Nuits-Saint-Georges dans sept votes.

Le vote du consensus serait : 1 – Pétrus 1967, 2 – Nuits Saint-Georges Bouchard Père & Fils 1947, 3 – Château Gazin 1959, 4 – Chateauneuf-du-Pape Dufouleur Frères 1959.

Mon vote : 1 – Pétrus 1967, 2 – Chateauneuf-du-Pape Dufouleur Frères, 3 – Château Gilette crème de tête 1955, 4 – Chablis Moutonne Grand Cru Long Dépaquit 1959.

La cuisine d’Alain Pégouret a démontré une fois de plus sa justesse. Le service de Daniel et de toute la brigade a été parfait, l’ambiance intemporelle de la belle salle nous faisant ressentir le privilège d’être là. Mais ce qui restera à jamais, c’est cet instant où tout autour de nous n’existait plus. L’intense envie de jouir le plus intensément possible une rencontre gastronomique unique entre une joue doucereuse et un Gazin mimant la sauce et entre une truffe au parfum en gyrophare accouplée à un Pétrus aux séductions insoutenables. Le temps s’est arrêté au dessus de notre table pour l’un des plus beaux orgasmes gastronomiques de nos vies.