Archives de catégorie : dîners de wine-dinners

92ème dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent jeudi, 22 novembre 2007

Le 92ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. Joseph, un ami canadien qui avait participé au dîner au château d’Yquem voulait fêter ses cinquante ans en ce lieu dont il est familier, lors d’un de mes dîners. Il m’avait demandé de livrer mes vins plus de cinq mois à l’avance pour que l’on puisse déterminer si un long repos dans la cave du restaurant Taillevent apporte un équilibre supplémentaire.

J’arrive à 17 heures pour ouvrir les bouteilles et je croise  à l’entrée un groupe d’américains fidèles du restaurant qui quitte seulement le lieu. Cela a retardé les mises en place du soir, et je dois préparer les vins au milieu d’un ballet efficace. La plus grande surprise vient du Laville Haut-Brion 1948. Le bouchon a baissé dans le goulot de six à sept millimètres et le volume libéré est occupé d’une poussière terreuse noire comme du charbon. L’odeur est de terre de cave. J’époussète cette abondante poudre noire. Mais ce qui mérite la remarque, c’est qu’un centimètre plus bas le bouchon est élastique, plein, jaune liège, ignorant ce qui s’est passé un étage plus haut. Le nez du vin est incertain. L’oxygène va sans doute le réveiller. D’autres odeurs sont poussiéreuses, mais je sais que le retour à la vie est assuré. En découpant la capsule du Clos du Pape 1924, je constate qu’un peu de liquide a suinté vers le haut. Je sens. C’est un caramel pur et insistant qui envahit mes narines et je le signale à Alain Solivèrès lorsque je le salue. La plus belle odeur est celle de La Tâche 1955 et la plus motivante pour moi est celle du Nuits Cailles 1915 toujours présent aux rendez-vous que je lui donne.

J’ai donc le temps, malgré la grève, d’aller faire un tour place Vendôme où toutes les boutiques accueillent leurs clients à l’occasion du premier jour des illuminations de Noël. Je salue l’horloger chez lequel j’ai commis une belle folie. Nous bavardons un peu de l’idée d’un dîner que je ferais en ce lieu d’un luxe évident et je retourne accueillir mes convives. Joseph et son épouse Elizabeth ont constitué une table de douze dont je ne connais que trois personnes. L’Italie, le Canada, les USA sont représentés, mais aussi Paris et Besançon. Jean-Claude Vrinat toujours souriant nous a fait l’honneur de nous attribuer le magnifique salon du premier étage que je considère comme le plus beau salon où l’on peut dîner à Paris, avec ses lambris délicats du 18ème siècle. Une petite table pour deux a été ajoutée car Victoria et Henry, les deux jeunes enfants de Joe, habillés comme des princes, vont avoir un petit dîner, proches de nous, avant qu’une nurse ne les reconduise chez eux. C’est touchant et charmant. Henry aime le champagne. Ouf, je suis sauvé !

Le Champagne Dry Monopole, Heidsieck en Magnum 1955 fait partie de ces bouteilles que j’ouvre avec émotion. Il y a tant de bouteilles dans ma cave que je pourrais être indifférent à sortir des exemplaires uniques comme le Clos du pape 1924 que nous boirons plus tard. Mais il y a aussi des bouteilles qui me tiennent à cœur plus que d’autres, comme le Moët 1945 que nous avons bu au château d’Yquem avec Joe, et comme ce champagne que je chéris et que j’aurai sans doute du mal à remplacer. Ce soir, les vins que j’ouvre avec plus d’émotion que d’autres sont ce champagne et le Nuits Cailles 1915, car son stock se tarira forcément un jour. C’est le deuxième que j’ouvre à une semaine d’intervalle, comme l’Anjou 1928.

Le Dry Monopole 1955 a une belle couleur où le jaune a encore des reflets citronnés. La bulle est présente mais sans grande force. Le goût m’évoque instantanément le miel quand une convive voit des fruits jaunes qui apparaîtront plus tard à mon palais. Ce champagne est éblouissant. Il a un bel équilibre, une longueur ravissante, et des saveurs qui entraînent sur des chemins inexplorés pour beaucoup. Notre groupe est conquis par ce grand champagne émouvant, qui remet en cause toutes les idées reçues sur l’âge optimal d’un champagne.

Nous passons à table et voici le menu, créé sous l’autorité de Jean-Claude Vrinat par Alain Solivérès : Rémoulade de tourteau à l’aneth, crème fleurette citronnée / Epeautre du pays de Sault en risotto aux champignons / Viennoise de sole, boutons de guêtre et vieux comté / Palombe rôtie aux légumes d’automne caramélisés / Tourte de lapin de garenne au genièvre / Cristalline aux coings, glace au riz au lait / Croustillant au chocolat et aux fèves de Tonka. C’est un menu élégant, équilibré, où l’on sent que la cause des vins anciens a été prise en compte. Mais voyons plutôt.

Le Dry Monopole 1955 va s’amuser d’une crème de potimarron qui lui fait décliner d’autres facettes. J’explique à mes convives combien les grands champagnes sont flexibles et compagnons d’audaces gastronomiques.

Le Vouvray sec, clos de Nouys, domaine Maurice Audebert 1966 est pour moi une plaisante surprise. Le vin est jeunet mais sage, équilibré, d’une belle acidité, et sa région serait introuvable si je le dégustais à l’aveugle. Ce n’est qu’en fin de verre que je trouverai quelques indices qui le rattachent à son terroir. L’accord est époustouflant. Le radis qui coiffe le tourteau fait ressortir un goût fortement poivré du Vouvray et chacun peut mesurer à quel point le vin améliore le plat et le plat améliore le vin, ce qui est la définition d’un grand accord. Ce Vouvray constitue pour moi une divine surprise.

Je suis toujours servi par le sommelier des premières gouttes d’une bouteille, pour vérifier le vin. Comme j’ouvre les vins et laisse la bouteille verticale, la part du vin qui a été le plus longtemps proche du bouchon m’est servie en premier. C’est la plus ingrate. Aussi quand j’annonce à tous que le Château Laville Haut-Brion 1948 est fatigué, tout le monde me demande ce qui justifie cet avertissement. Et je verrai que les votes vont me donner tort. Mais ce n’est quand même pas le beau Laville que j’adore. Couleur dorée, saveur de Graves, c’est un vin à la palette aromatique plus large que le Pinot Gris Réserve spéciale, Schumberger 1953 qui est servi en même temps. Vin beaucoup plus joyeux et arrondi que le Laville, j’ai tendance à le préférer, contrairement à l’avis de la table. J’aime sans doute que ce vin simple s’exprime avec bonheur ce soir, car cela fait partie des achats de hasard qui foisonnent dans ma cave, cette bouteille étant unique et sans possibilité d’un nouvel essai, sauf improbable bonne pioche. L’épeautre est délicieux et confirme comme pour le premier plat qu’un goût simple, homogène et lisible est indispensable pour l’harmonie des vins anciens.

Le Vin d’Arbois Vigne de Pasteur 1968 est émouvant à plus d’un titre. La parcelle de vigne qui appartient à la famille de Pasteur est vinifiée par Henri Maire, gratuitement, et le vin n’est pas vendu mais réservé à la famille et à des scientifiques travaillant dans la recherche. Ces bouteilles ne sont accessibles que lors de successions et le premier vin que j’ai bu fut partagé avec l’une des descendantes d’Henri Maire. La vinification spéciale rend ce vin incomparable à tout autre. Je le bois avec émotion. La chair de la sole et le clin d’œil du comté sont très adaptés à ce vin légèrement fumé, gêné par un infime petit goût de bouchon qui disparait très rapidement. Mais la sauce est l’ennemie de ce vin, trop forte, trop typée homard, qui l’effarouche. Boire ce vin, c’est s’approprier un atome d’histoire. Les bisontins présents en éprouvent la sensibilité.

Sur la palombe, Marco, le sommelier chef qui fit une prestation remarquable nous présente ensemble deux vins. Le Château Latour 1957 a une couleur d’une jeunesse incroyable. Comment est-ce possible d’avoir ce rubis intense pour une bouteille de la cave Nicolas que j’ai dans la mienne depuis trente ans peut-être, et qui a un niveau dans le goulot ? A côté, La Tâche, domaine de la Romanée Conti 1955 a une couleur pâle, frêle, un peu marquée par l’âge. Je sens le sel dans La Tâche ce qui laisse sceptique une convive qui en conviendra plus tard lorsque le Nuits Cailles fera ressortir le caractère salin de La Tâche. Ce vin du domaine de la Romanée Conti a un charme imprégnant. Mais je lui trouve une petite fatigue, encore plus accusée par la brillance du Latour que l’on n’attendrait jamais à ce niveau pour un 1957. Quelle race, quelle construction. Un vin brillantissime. Et la juxtaposition d’un bordeaux et d’un bourgogne sur le même plat me plait énormément car les vins sont tellement dissemblables qu’il ne sert à rien de les comparer ou d’en préférer un. Je jouis de l’exposé de ces différences, comme je l’avais éprouvé la veille au restaurant d’Alain Senderens. Malgré mon amour pour les vins du DRC, c’est la performance du Latour 1957 qui me séduit.

Le Nuits Saint-Georges « Les Cailles » Morin Pères & Fils 1915 est vraiment mon chouchou absolu. Sa couleur intense donne un coup de vieux à son cadet bourguignon de quarante ans. Le nez est envoûtant et en bouche, c’est la perfection de la Bourgogne qui nous ensorcèle. Il y a autour de la table de grands amoureux de la Bourgogne. Ils sont conquis par ce vin chaleureux, structuré, sain, joyeux, qui est d’une précision exemplaire. Tant d’idées sur les vins anciens tombent avec ce vin, que la table est secouée dans ses préjugés. Et je me demande comment il est possible que ce Nuits soit toujours aussi parfait chaque fois que je l’ouvre. Une réussite incroyable. En croquant la première bouchée de la tourte de lapin extrêmement virile, je me suis demandé si le Nuits subirait le choc de ces saveurs lourdes mais passionnantes. Un tel plat attendrait des vins lourds du Rhône. Mais le Nuits s’en sort remarquablement. La sauce lourde est ici totalement justifiée car le plat la demande. L’accord se fait bien, d’un mutuel consentement.

Nous quittons maintenant le monde des rouges pour celui des vins doux et trois vins ambrés vont s’aligner devant nous. La couleur de mangue ou de pèche jaune de l’Anjou Caves Prunier 1928 fait plaisir à voir . L’ambre du Clos du Pape Fargues  Sauternes 1924 est sombre mais joyeux. Le Château Lafaurie-Peyraguey  Sauternes 1964 fait clair et jeune par rapport à ses aînés. Le nez de l’Anjou est très curieux, multiforme, avec des feuilles vertes qui se mêlent au citron. Une forte impression de litchi envahit la narine. Le Clos du Pape a le nez brillant d’un sauternes épanoui où se déclinent le pamplemousse et la mangue. Le Lafaurie a un nez discret de vin puissant. En bouche, c’est pour moi le Clos du Pape qui survole de loin. L’Anjou 1928 est moins brillant que l’Anjou Rablay 1928, lui aussi des caves Prunier que j’ai ouvert il y a une semaine chez Pierre Gagnaire. Je pense même qu’il y a une légère déstructuration dans ce vin. Le Clos du Pape a perdu l’initiale évocation de caramel pour être plus mangue et l’association avec les coings est absolument divine. La carapace croustillante aurait dû se marier à ce 1924, mais c’est le coing qui est captivant. La présence du Lafaurie-Peyraguey 1964 à côté du 1924 vérifie le théorème que je lance toujours comme une boutade, mais qui est une vérité immuable : « toute personne qui n’a jamais bu de sauternes d’avant 1935 n’a jamais rien bu ». Car le Lafaurie généreux, goûteux, puissant serait joli tout seul. Mais il est infantile à côté du 1924 et trop simple par rapport au flamboiement langoureux de ce vin de 83 ans.

Nous allons vivre maintenant l’un de ces accords qui font date. Le dessert au chocolat est une merveille. Et l’on sait qu’avec le chocolat, l’accord se fera avec du Maury ou avec un alcool brun. Le Vin de Massandra, Collection Massandra (19°) 1953 que j’ai acheté avec un lot de ces vins multiformes de Crimée possède des étiquettes nombreuses et fort bavardes. Mais comme tout est écrit en cyrillique, c’est comme si nous buvions à l’aveugle, car les vins de Massandra ont exploré une impressionnante quantité de cépages. Alors, que trouve-t-on ? Une couleur foncée mais sans la densité d’un porto. Un nez étrange, énigmatique ou furtivement je ressens les effluves de vins médicinaux. En bouche, on est avec une grappa sans la charge alcoolique. C’est très alcool. Et je perçois immédiatement une caractéristique chère à mon cœur : la réglisse. Et ce vin indéfinissable, qui tient de la grappa mais aussi de vins mutés assez doux dont l’alcool ressort s’accorde au chocolat d’une divine façon. C’est voluptueux. Mon palais est celui des festivals, celui dont des stars aux courbes violentes gravissent les marches pour susciter mille rêves de folies. Il y a un mariage d’une sensualité exacerbée qui restera gravé dans ma mémoire car on transcende les deux accords classiques du vin ou de l’alcool sur du chocolat.

Vient le moment des votes. Au risque de me répéter, je prends ces votes avec un plaisir profond et une fierté certaine. Car j’ai apporté douze vins de sept régions différentes et j’ai demandé aux douze votants de désigner quatre vins qui sont leurs préférés sur les douze de cette soirée. S’il y avait quatre vins qui sortent du rang, quatre succès assurés, les votes seraient concentrés. Or onze vins sur douze ont figuré dans les votes. C’est un immense encouragement pour moi à explorer des vins disparates, parfois inconnus et peut-être disparus de toutes les caves. Le seul vin qui n’a pas eu de vote est le Pinot Gris 1953 de Schlumberger que j’ai pourtant trouvé fort bon, et des vins que j’ai estimés en sous performance par rapport à ce qu’ils pourraient être ont eu des votes, comme le Laville Haut-Brion 1948, l’Anjou 1928, La Tâche 1955 ou le vin d’Arbois 1968.

Quatre vins ont eu l’honneur d’une place de numéro un, le Nuits Cailles 1915 quatre fois et le champagne Dry Monopole 1955 quatre fois aussi. Le Clos du Pape 1924 a eu trois votes de premier et le Latour 1957 un vote de premier. Le vote du consensus serait : 1 – Nuits Saint-Georges « Les Cailles » Morin Pères & Fils 1915, 2 – Champagne Dry Monopole, Heidsieck en Magnum 1955, 3 – Clos du Pape Fargues  Sauternes 1924, 4 – Château Latour 1957.

Mon vote a été : 1 – Nuits Saint-Georges « Les Cailles » Morin Pères & Fils 1915, 2 – Clos du Pape Fargues  Sauternes 1924, 3 –  Château Latour 1957, 4 – Champagne Dry Monopole, Heidsieck en Magnum 1955. Ce n’est pas fréquent que le vote du consensus et le mien portent sur les mêmes vins, dans un ordre différent.

Joe me demandant si le séjour prolongé en cave de mes vins apportait quelque chose, je dus lui dire que tant de facteurs jouent sur la performance d’un vin que le passage en cave n’influence que les décimales.

Taillevent a fait comme à son habitude une prestation de grande qualité. Le service efficace, la gentillesse de Jean-Claude Vrinat, le menu bien ordonnancé qui a produit quelques accords rares, le salon de toute beauté, tout cela portait au bonheur. Mais ce fut l’ambiance de la table qui a fait de ce dîner un moment d’une intensité exceptionnelle. Un ami de Joseph qui participa au repas au château d’Yquem fit un petit speech pétillant d’esprit sur Joe et Elizabeth, avec sensibilité, exprima tout ce que Thanksgiving Day apportait à la joie amicale et familiale. Tout le monde a communié à l’amitié, à la bonne chère et aux vins anciens. Ce fut l’un des plus enthousiasmants de mes dîners.

dîner de wine-dinners du 22 novembre 2007 – les vins jeudi, 22 novembre 2007

Champagne Dry Monopole Heidsieck en magnum 1955

Vin d’Arbois Vigne de Pasteur 1968

.

.

.

.

Château Laville Haut-Brion 1948

Château Latour 1957

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1955

Nuits Saint Georges « Les Cailles » Morin Père & Fils 1915

On lit sur la capsule Morin Père & Fils à Nuits Saint-Georges

Anjou Caves Prunier 1928

Château Lafaurie-Peyraguey Sauternes 1964

Clos des Papes Fargues Sauternes 1924

 J’ai ajouté à ce dîner un Vouvray sec Clos de Nouys Maurice Audebert 1966,

un Pinot Gris réserve spéciale Schlumberger 1953

et un Massandra Madeira, Collection Massandra 1953 (19°).

dîner au restaurant Taillevent jeudi, 22 novembre 2007

La très belle table du salon du premier étage. On voit au fond la petite table où les enfants de Joseph vont dîner.

 

Amuse-bouche en émulsion de potimarron et tourteau

 

épeautre et sole

palombe; j’ai oublié de photographier la tourte au lapin, quel dommage !

 

deux desserts magnifiques qui ont créé des accords divins (voir compte-rendu).

 C’est toujours triste quand il en reste autant dans les verres, mais on peut voir les belles couleurs de ces vins extrêmement rares.

91ème dîner de wine-dinners au restaurant Pierre Gagnaire jeudi, 15 novembre 2007

L’opportunité d’une rencontre s’est créée avec Pierre Gagnaire. Il est apparu intéressé de faire un dîner dédié aux vins anciens. Il a accepté cette contrainte à l’expression de son talent. Pour qu’un dialogue fécond puisse exister, je suis venu déjeuner à son restaurant avec un de ses amis et conseillers, Hervé This, qui a commis avec lui quelques ouvrages sur la cuisine moléculaire. Les plats que nous avons alors goûtés ont été examinés dans l’optique des vins anciens. J’ai par la suite reçu des projets de menus qui ont été commentés afin d’arriver au projet final qui est celui-ci : Gelée fraîche à la coriandre, vernis, tourteau, encornets, pommes vertes et concombre. Choux fleurs multicolores / Grosses huîtres Gillardeau et dominos de lisette en marinière, lichettes d’avocat, pain dentelle beaufort et chorizo, pâte de betterave rouge fumée / La Saint Jacques d’Erquy : Lamelles justes raidies dans un beurre « noisette » au sel réglissé. Pascaline à l’amontillado ; marmelade de coing au foie gras. Noix confite à crue à l’encre de seiche ; feuille de culatello aux raisins blonds / Curry de légumes d’automne. Crème glacée de pomme reinette à la tagette / Cabillaud nacré « Vert »,  quinoa, champignons de Paris croustillant et fondue d’endive. Cristalline d’agria / Royale d’oursin, du haddock en assaisonnement. Chair d’aubergine de Florence. Carpaccio tempéré de bar de ligne badigeonné d’huile d’olive foisonnée au miel du désert des agriates / La ferme. Sanguette de raddichio aux noix : brochette de pigeon Gauthier enrobée d’une bigarade au sésame. Pièce tendre de bœuf français assaisonnée d’un beurre au caviar pressé / Fromage cuisiné : galette feuilletée au roquefort et oignons, pointe de crème d’amande / Desserts Pierre Gagnaire.

Ce programme fort long explique très bien que chaque plat reste un foisonnement d’associations de composantes innombrables, mais nous avons pu constater le travail spectaculaire qui a été fait par le chef pour que toutes ces créations s’ordonnancent dans le sens des vins. J’avoue avoir eu certains doutes pour des éléments de plusieurs plats lorsque j’ai reçu le projet final, mais il s’est avéré qu’un seul plat s’est opposé au vin, le curry de légumes d’automne qui refusa l’Arbois. On verra comment nous avons contourné la difficulté. Un seul plat hors sujet, c’est tout-à-fait négligeable, tant les bonnes surprises ont abondé.

J’arrive vers 17 heures pour ouvrir les bouteilles. Le salon où nous tiendrons notre repas est de très belles proportions. Il offre une vue discrète sur les cuisines et les tons de notre table, dans des couleurs de blanc, de jaune pâle et de vert, sont d’une rare délicatesse. Raphaël, le sommelier qui va nous accompagner toute la soirée avec efficacité a tout préparé pour que je puisse officier. Une personne de plus ayant été annoncée, j’ai rajouté deux vins. Certaines odeurs montrent l’absolue nécessité d’une oxygénation abondante car elles sont poussiéreuses ou étriquées. Un seul vin me paraît trop blessé pour renaître. Il ne reviendra pas.

Un américain amateur de vins et son amie, de passage à Paris, sont venus me saluer pendant l’ouverture des vins. Nous nous sommes rafraîchis d’un champagne Egly-Ouriet non millésimé que je trouvais un peu vert à l’ouverture mais qui s’est ouvert assez vite, pour délivrer sa finesse et son intelligence. Ce champagne fut servi ensuite à l’arrivée des convives qui s’étala pendant une bonne heure, car Paris en grève est complètement bloqué, même à ces heures tardives, ce qui a failli nous priver de la plus fidèles de mes convives, désespérée de ne plus pouvoir se déplacer, ni en voiture, ni en métro.

Notre table de onze compte un seul novice de nos dîners, élevé en Bourgogne, qui a montré une grande connaissance du vin. Trois convives participent à leur deuxième repas. Les autres sont de solides piliers de nos agapes. Voici les vins du 91ème dîner de wine-dinners, qui présentent la particularité très intéressante de provenir de huit régions viticoles différentes.

Le champagne Egly-Ouriet non millésimé sert d’attente. Il est lisible, direct et franc et se boit naturellement. Les petits amuse-bouche sont d’un joli talent et forment des taches de couleur dans des tons d’automne qui tranchent sur les couleurs de la table, plus pastel. Le champagne Brut Sauvage de Piper Heidsieck 1982 m’est totalement inconnu et Raphaël, notre sommelier ne le connaît pas non plus. Je n’ai pas cherché à me renseigner sur ce qu’il est, mais nous pouvons constater qu’il est délicieux, et même particulièrement bon. Il faut dire que son année donne de beaux champagnes. Sa couleur est joliment dorée et il occupe joyeusement la bouche par une plénitude fort arrondie. Le mariage avec les vernis est engageant, car la fraîcheur citronnée du plat fouette le champagne dans le bon sens, le titillant et le réveillant encore plus.

Le champagne Cristal Roederer 1983 dont je suis, comme pour chaque vin, servi de la première goutte de la bouteille, me paraît un peu vert et strict, ce que je dis à mes amis. Mais en fait, lorsque le vin s’ébroue dans le verre, on voit que la précision du champagne confirme son élégance. C’est surtout la lisette qui met en valeur ce champagne qui est beau sans être dans des directions que j’aime explorer. On connaît mes chouchous.

Le plat de Saint-Jacques est dans le style très caractéristique du chef qui est venu, tout souriant, nous souhaiter la bienvenue en nous expliquant ce plat. Le Meursault Domaine Berthe Morey 1962 est spectaculaire. Notre nouvel ami bourguignon n’avait jamais imaginé qu’un meursault de 45 ans puisse avoir cette tenue. Le vin est pur, équilibré, intégré dans ses composantes, et respire la joie de vivre. Une immense surprise pour toute la table qui est impressionnée par la prestation élégante de ce vin.

La bouteille de l’Arbois Coteaux des Anges Fruitière Vinicole d’Arbois 1949 est d’une rare beauté. C’est la sobriété des humbles. Le vin est une de mes amours. Je ne peux me lasser du charme envoûtant de ces goûts discrètement déroutants. Le vin est magnifique, mais le plat ne va pas. Comme la sauce est très typée, combinant le sucré, le lourd et le poivré, j’ai l’intuition que l’Yquem 1984 lui conviendrait. Nous en prenons trois gouttes et c’est effectivement ce qui colle le mieux à cette sauce aventurière.

Le plat de cabillaud est une merveille. Le Château Carbonnieux rouge 1928 a un nez un peu brûlé. La couleur est d’encre, sans une trace de vieillissement. Le vin est bon, mais un peu torréfié. Autant de nombreux vins de ce soir se présentaient à leur apogée, autant ce Carbonnieux commence à ne plus être au mieux de sa forme. Il fut cependant fort apprécié.

J’étais très intrigué que l’on puisse mettre à cet instant du repas une royale d’oursin. Pour être sûr de ne rien rater, j’ai prévu trois vins sur ce plat. Disons tout de suite que j’ai rarement mangé des oursins plus typés et authentiquement marins que dans cette préparation complexe mais d’une rare réussite. Le Château Grillet Neyret-Gachet 1976 que je venais d’acheter il y a seulement quelques jours à un ami marchand est complètement mort. C’est le vin pour lequel j’avais de fortes craintes. Curieusement son odeur n’est pas désagréable, mais en bouche ce vin connait des déviations giboyées. Le peu que nous en buvons, juste pour voir ce que c’est qu’un vin mort, met encore plus en valeur le Bâtard-Montrachet François Gaunoux 1962 qui est une vraie merveille. J’avais senti à l’ouverture il y a quelques heures une explosion tonitruante d’arômes. Il a conservé cet enthousiasme et affiche une puissance et une complexité exemplaires. Le bourguignon n’en revient pas. Oserais-je dire mon non plus, car aucun Bâtard, même de compétition, des années récentes, ne peut approcher de près ou de loin la flamboyance de celui-ci.

Nous sommes en terre encore plus inconnue avec ce Mascara vin d’Algérie Domaine Manuel (vieilli 17 ans en fût de chêne) 1962. Le nez était à l’ouverture d’un porto léger. Il est devenu plus authentiquement vin à cet instant et se boit avec plaisir. Il est fort, expressif, lourd en bouche, la trace de bois étant acceptable et légère, et m’évoque des vins comme le Vega Sicilia Unico que j’adore. Il y a aussi quelques accents du Rhône et de Bourgogne. C’est un vin viril, puissant, qui colle bien au bar badigeonné de miel, quand le Bâtard se marie fort bien à l’oursin. Cette découverte d’un vin inconnu, mis en bouteilles à Chalon-sur-Saône, m’a rappelé les vins d’Algérie dont je raffole, fait dans la région de Mascara.

Les lecteurs attentifs le savent, le Nuits Saint Georges Les Cailles Morin 1915 est mon chouchou. Ayant eu la chance d’en acheter un certain nombre, je l’ai chaque fois adoré. Quand je bois la première gorgée, j’éprouve le sentiment du marathonien qui vient de franchir la ligne d’arrivée. Il souffre, il souffre et quand il passe la ligne, tous ses efforts trouvent leur récompense dans un relâchement d’ivresse, de joie intense. Je ressens cela en buvant ce vin auquel je trouve tous les talents. Il a tout pour moi. Il est équilibré, souple, jeune, velouté, distingué, élégant, jouant dans un registre poli. Il ne veut rien faire de trop car il est parfait. J’en jouis au-delà de l’imaginable. On verra que beaucoup de convives rejoindront mon avis dans leur vote, car on pourrait soupçonner un aveuglement de ma part. Aussi bien sur le pigeon que sur l’originale présentation du bœuf le vin se porte bien. Nous sommes au sommet du plaisir.

La galette de roquefort a été faite exprès pour nous. Elle est délicieuse. Un peu forte sans doute pour l’Anjou 1928 "Rablay" Caves Prunier, mais le vin sait se défendre. D’un ambre doré divinement beau, il est en bouche l’un des plus délicats liquoreux qui se puisse concevoir. Il a la mangue, le coing, et un léger goût de rhubarbe trempé dans du thé. C’est un vin magnifique de grande subtilité. Le Château d’Yquem 1984 fait un grand contraste car c’est un jeune bambin plein d’assurance, fort en gueule, doué par la nature. La subtilité va à l’Anjou, la gouaille joyeuse va à l’Yquem.

Une symphonie de desserts tous azimuts va couronner le festin. Quand on a des saveurs de fruits, on se tourne vers l’Yquem. Quand on a des variations  sur le chocolat, on succombe à l’Ermitage de Consolation Banyuls 1925, un exemple de la perfection que peut atteindre le Banyuls s’il vieillit bien. Ce vin a un charme assez unique. Malgré un alcool que l’on soupçonne fort, le vin est léger, aérien, d’un final enlevé. Il n’a pas la pression insistante d’un porto. Il joue en douceur mais laisse une empreinte indélébile dans le palais. C’est tout simplement grand et joyeux..

Voter dans ces conditions pour des vins aussi réussis de huit régions différentes : Champagne, Bourgogne, Bordeaux, Jura, Algérie, Rhône, Anjou, Banyuls, ne va pas être chose simple. Et tout flatta mon orgueil, car tous les vins, à l’exception du Château Grillet, mais on sait pourquoi, eurent au moins un vote d’un convive. Plus incroyable encore, six vins ont reçu un vote de premier : le Nuits Cailles 1915 six fois et l’Ermitage de Consolation 1925, l’Yquem 1984, l’Anjou 1928, le Carbonnieux 1928 et le Mascara 1962 eurent chacun une fois un vote de premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Nuits Saint Georges Les Cailles Morin 1915, 2 – Anjou 1928 "Rablay" Caves Prunier, 3 – Château d’Yquem 1984, 4 – Meursault Domaine Berthe Morey 1962.

Mon vote est : 1 – Nuits Saint Georges Les Cailles Morin 1915, 2 – Bâtard-Montrachet François Gaunoux 1962, 3 – Meursault Domaine Berthe Morey 1962, 4 – Anjou 1928 "Rablay" Caves Prunier. Il est à noter que Raphaël considère que le plus grand vin de cette soirée est le Banyuls 1925. C’est un avis intéressant.

Je suis particulièrement fier que Pierre Gagnaire ait accepté de se livrer à cet exercice. Il a manifestement modifié sa cuisine pour assurer une cohérence gustative des éléments des plats afin de correspondre aux besoins des vins anciens, plus sensible que les jeunes à l’harmonie des saveurs. Nous avons eu des grands moments de gastronomie et je retiens la lisette et le Cristal, la betterave douce toute seule dans son fumé, le cabillaud vert sur le Carbonnieux, l’oursin sur le Bâtard et le bar sur le Mascara, l’esquisse de caviar sur le Nuits Cailles à l’aise sur le pigeon. Il y avait ce soir un festival de saveurs où les vins anciens furent à l’honneur. La motivation du chef s’est ressentie dans l’implication de l’équipe au service sans faute. Huit régions viticoles confrontées à un génie de la cuisine, cela crée un événement.

        

dîner de wine-dinners du 15 novembre 2007 – les vins jeudi, 15 novembre 2007

1. Champagne Brut Sauvage de Piper Heidsieck 1982

2. Champagne Cristal Roederer 1983

3. Meursault Domaine Berthe Morey 1962

4. Arbois Coteaux des Anges Fruitière Vinicole d’Arbois 1949

"Coteaux des Anges"… tout un programme !

5. Château Carbonnieux rouge 1928

Ce vin fut chaque fois au rendez-vous. j’espère qu’il effacera la contreperformance qu’il connut à San Francisco, par un vilain bouchon.

6. Mascara vin d’Algérie Domaine Manuel (vieilli 17 ans en fût de chêne) 1962

Je connais les vins de Mascara, dont Sidi Brahim est un représentant connu, qui faisait des vins sublimes, dont un 1942 que j’ai bu au George V. L’inconnu, c’est ce vieillissement de 17 années en chêne.

vins ajoutés servis avec le Mascara :

7. Nuits Saint Georges Les Cailles Morin 1915

Il s’agit d’un des plus grands bourgognes que j’aie eu l’occasion d’ouvrir. Chaque fois ce fut une merveille. J’espère que cette bouteille au niveau parfait saura tenir son rang à 92 ans.

Par un hasard particulier, j’ouvrirai au dîner du 22 novembre un autre Nuits Cailles Morin 1915. On peut voir des photos détaillées de l’étiquette d’année et de la capsule sur le message où je montre les photos des vins du 22 novembre.

Je boirai en seulement sept jours deux Nuits 1915, par le même hasard qui m’a fait boire dans le même mois, en avril 2007, deux Mouton-Rothschild 1945.

8. Anjou 1928 Caves Prunier

J’aimerais connaître ce que signifie le nom de "Rablay", alors que sur d’autres bouteilles, on lit "Anjou 1928".

9. Château d’Yquem 1984

10. Ermitage de Consolation Banyuls 1925

 

Les quatre personnages en capes et chapeaux haut de forme qui boivent dans les chais m’ont toujours fasciné. J’aimerais connaître l’histoire de cette cérémonie.

 

Trois vues de l’ensemble des bouteilles qui viennent d’être ouvertes.

Les vins de la soirée, débouchés, et mes outils.

 

90ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen jeudi, 13 septembre 2007

Le 90ème dîner de wine-dinners se tient ce soir au restaurant Ledoyen. Les bouteilles avaient été livrées il y a trois mois et ont été redressées hier. J’arrive à 16 heures pour ouvrir les vins et c’est un plaisir de voir une équipe motivée, soucieuse de la perfection et concernée par l’événement qui se prépare. Patrick Simiand et Géraud Tournier ont travaillé avec le chef Christian Le Squer, et l’envie de tous de faire bien est un plaisir pour moi. Frédéric, sommelier de ce soir est complètement dans son sujet. Tout est réuni pour que notre dîner soit parfait. J’ouvre les vins, et le Châteauneuf-du-Pape blanc a une odeur camphrée qui va disparaître. Lorsque j’ouvre le Nuits 1899, je pousse un ouf de soulagement en le sentant, car c’est du vin, et du vin encore vivant. Rassuré par ces ouvertures faciles, je vais me promener dans un Paris inondé de soleil arpenté par des touristes de toutes nationalités.

Pour attendre mes convives et ne pas entamer le magnum de Krug, Géraud, sommelier de grand tact, nous offre un champagne Laurent Perrier Grand Siècle, que je trouve un peu plus dosé que ceux que j’ai bus cet été. Mais c’est fort agréable.

Les convives arrivent, de plusieurs nations : Etats-Unis, Suisse, Italie et France. Presque tous les participants sont des fidèles, à l’exception d’un invité de mes amis italiens et d’un vigneron ami, grand amateur de vins et hôte généreux, qui veut faire connaissance de nos agapes. L’américain est Bipin Desai, organisateur des verticales de Rauzan-Ségla et Canon, ainsi que du déjeuner au Carré des Feuillants, l’un des plus grands experts en vins anciens que la terre puisse compter.

Nous passons dans la magnifique salle à manger du premier étage et notre table est fort belle. Voici le menu créé par Christian Le Squer : Sardines à cru, eau de tomates à l’huile d’olives / Araignée de mer décortiquée en carapace / Concentré de Cèpes crus et cuits / Jambon Blanc, Cèpes, Parmesan aux Spaghettis / Foie de veau en persillade, jus de fruits rouges acidulé / Pithiviers brioché de Foie Gras et Cèpes et truffes / Vieux Comté / Soufflé Ananas épicé. L’élégance de cette cuisine aérienne ne fut mise en défaut qu’une fois, le foie de veau étant à contre-emploi avec le plus légendaire des vins de cette soirée, d’Henri Jayer.

Sur de délicates mises en bouche, le Magnum de Champagne Krug Vintage 1982 révèle toute sa grandeur. Un peu crémeux, opulent mais subtil, ce champagne brille par sa complexité. Le vigneron et Bipin Desai sont de redoutables amateurs, et nous avons discuté sur les mérites comparés de Salon 1982 et Krug 1982. Nos goûts différent, mais c’est tout à fait normal. L’accord avec la sardine est médusant, mais comme le dit mon ami vigneron, il est encore meilleur quand la sardine crue est enrobée de sa crème. Ce champagne de gastronomie est au sommet de son art.

Tout dans le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1990 respire le bonheur. Il est chaleureux, joyeux, puissant, parlant d’une voix à la Pavarotti. Il est comme le Krug à un possible apogée.

Le Châteauneuf-du-Pape blanc les Cansonniers  L. de Vallouit 1961 a une odeur d’une rare complexité. En bouche, c’est le plus déroutant des vins, parce que l’on n’a aucun repère. Je raffole de ses variations énigmatiques. Les cèpes sont succulents, explosent de talent. Ils accueilleraient aussi un rouge, mais l’exercice auquel ils sont confrontés est une réussite absolue. J’aime ces vins qui font explorer des pistes qui n’existent plus.

Le Château Palmer, Margaux 1959 m’avait séduit par un parfum spectaculairement franc et sympathique. Lorsqu’il est servi, il est généreux. Il est accompagné par le Château Margaux, Margaux 1934, dont le nez à l’ouverture était plus discret. A table maintenant, il est spectaculaire, tout en charme, en séduction en subtilité. L’opposition entre les deux margaux est passionnante, car on peut aimer les deux, le Palmer plus viril, plus soldat, et le Margaux beaucoup plus charmeur et féminin. Lors de l’ouverture je m’étais demandé si le 1934 n’avait pas été rebouché, mais j’hésitais, car il était très possible qu’il s’agisse d’un bouchon d’origine magnifiquement conservé. Le vigneron ami eut la même première réaction puis en vint à la même analyse : il s’agit d’une bouteille au bouchon remarquablement conservé. Le 1934 est exceptionnellement bon et préféré de presque toute la table au Palmer que j’ai personnellement adoré.

Le jambon aux spaghettis, dont un ami moquait l’intitulé par humour (venir à Ledoyen pour manger un jambon nouilles est assez original), est un plat sensationnellement bon. Et sa mise en valeur des vins est d’une rare efficacité.

Lorsque l’on sert un vin de légende, on en attend beaucoup. On me sert le Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1989 et l’odeur me fait me pâmer. C’est extraordinaire de voir la précision de cet agencement d’arômes. En bouche, c’est un immense bourgogne. Mais, oserais-je le dire, on attendrait John Wayne, et c’est Mickey Rooney. Il est subtil, élégant, complexe, parfait. Mais il manque cette pincée de puissance qui chanterait en bouche. Grand vin, bien évidemment, mais jouant un petit ton au dessous. Le foie de veau ne l’a pas servi, dégageant une acidité qui entravait le vin.

La bouteille de Nuits 1899 est sans doute la plus belle de ma cave. La bouteille soufflée à la main, très dissymétrique, porte la petite étiquette de l’année : 1899 et la grande étiquette, incomplète, n’a qu’un mot : « Nuits ». Je ne connais pas beaucoup d’étiquettes où il n’y a qu’un mot et cinq lettres. Si j’aime ces bouteilles, c’est parce que l’exploration des vins anciens que je veux partager porte sur des vins de prestige, comme le Margaux 1934 ou le Palmer 1959 mais aussi sur ces inconnus que l’Histoire nous a légués. Tout à ma joie que le nez à l’ouverture ait été celui d’un vrai vin, je ne remarque pas immédiatement, malgré l’évidence, que le vin est bouchonné. Mais fort heureusement, le goût en bouche n’est pas altéré. Et la truffe joue un rôle de soutien comme les soigneurs dans le coin d’un boxeur entre les rounds. Et le vin, si l’on admet qu’il a 108 ans est un vrai vin, vrai témoignage, avec son charme, sa consistance encore solide. J’adore ces vins, car j’en admets les petites insuffisantes. 

Le parfum du Château Chalon Jean Bourdy 1934 est à se damner. A mourir comme on dit aujourd’hui. C’est la plus belle année du 20ème siècle pour les vins jaunes, et il est évident que l’âge donne à ces vins oxydatifs une rondeur particulière. L’accord avec les deux comtés séparés d’un an d’âge se fait toujours aussi naturellement. L’ami vigneron qui fait un rouge mais aussi un blanc fort prisé a plus de mal à entrer dans la logique d’un goût qu’il n’a aucune envie de produire dans sa région.

Le Château Sigalas Rabaud Sauternes 1918 est en fait un 1928, ce qui n’en est que mieux. Car l’expert qui avait fait le catalogue de la vente où j’ai acheté ce vin a cru lire sur le bouchon de cette bouteille sans étiquette 1918, mais une pliure de la peau du bouchon, qui s’enfle lors du débouchage, révèle un « 2 » là où  l’on lisait un « 1 ». La correction est dans le bon sens, et l’on est époustouflé par la perfection de ce sauternes à la complexité exemplaire. Il y a, à mon sens, plus de saveurs explorées et récitées dans ce vin que dans un Yquem. Je suis en extase lorsque des vins liquoreux sereins exposent autant de variété et de chatoiement. Le dessert est délicieux, accompagne bien, mais le sauternes opulent est largement capable de se diriger tout seul.

J’avais demandé aux  amis américains qui dînaient à une autre table de venir nous rejoindre en fin de repas pour finir le magnum de Krug. Par délicatesse, de craindre de modifier l’ambiance de la table, ils ont préféré nous saluer de loin.

Nous avons voté pour neuf vins et le Nuits 1899 est le seul qui n’a eu aucun vote, ce qui est triste. Il aurait mérité un lot de consolation, car il a, à mon sens, joué son rôle de bien belle façon. Mais c’est la loi des votes. Quatre vins ont été nommés premier : le Sigalas Rabaud 1928 et le Château Margaux 1934 trois fois, le Krug 1982 et le Chevalier Montrachet 1990 deux fois. Le vote du consensus serait en 1 Château Margaux 1934, en 2 Sigalas rabaud 1928, en 3 ex aequo Krug 1982 et Chevalier Montrachet 1990.

Mon vote : 1 – Sigalas Rabaud 1928, 2 – Château margaux 1934, 3 – Chevalier Montrachet Bouchard 1990, 4 – Château Chalon Bourdy 1934.

Je suis bien sûr extrêmement sensible au talent de Christian Le Squer, et je retiens le jambon, la sardine et les cèpes. Mais c’est surtout l’ambiance et la motivation de l’équipe qui créent une atmosphère amicale. C’est un réel plaisir de boire de grands vins quand on dispose de tant d’atouts. 

Les vins du dîner du 13 septembre 2007 jeudi, 13 septembre 2007

Voici les vins.

(pour voir plus grand, cliquer sur la photo)

Magnum de Champagne Krug Vintage 1982

(ce magnum est particulièrement élancé)

Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1990

Châteauneuf-du-Pape blanc les Cansonniers L. de Vallouit 1961

Château Palmer, Margaux 1959

(je devrais dire que c’est 1859, ça ferait plus chic !)

Château Margaux, Margaux 1934

Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1989

la bouteille de 1989, pleine, trône auprès de ses petites soeurs, souvenirs…

Nuits 1899

sans doute la plus belle étiquette des vins de ma cave

Château Chalon Jean Bourdy 1934

Château Sigalas Rabaud Sauternes 1918

 

 

(bouteille sans étiquette)

Le joker, pour le cas où..

 

 Vosne Romanée Mugneret Gibourg 1972.

89ème dîner de wine-dinners au Grand Véfour mardi, 29 mai 2007

A peine revenu du Sud et sa mer agitée, je viens ouvrir les vins du 89ème dîner de wine-dinners au restaurant le Grand Véfour. Patrick Tamisier, facétieux sommelier à l’humour direct et sympathique sait aussi écouter, échanger, et c’est un plaisir toujours renouvelé de construire avec lui. L’opération d’ouverture se passe avec une extrême facilité. Un vin constitue une énigme renouvelée. Alors que le bouchon du Véga Sicilia Unico 1960 est sec, plein, souple et efficace, celui du Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1963, enfoncé de cinq millimètres a produit dans cet espace vide une considérable poussière noire qui sent la terre, la tourbe et le sous-bois feuillu. Le vin lui-même sent la terre acide et je m’imagine que tout client qui commanderait ce vin dans un restaurant le renverrait ad patres. On sait depuis que je le raconte que ces vins reviennent à la vie et sont souvent brillants comme la suite de ce récit le montrera. Mais un tel aspect me surprend toujours, car on le comprendrait d’un vin de trente ans de plus, mais pas de cet âge là. C’est sans souci que j’ai laissé les vins pour aller saluer mes amis des Caves Legrand et pour flâner dans les jardins du Palais Royal. Je suis entré dans le magnifique écrin de la boutique de Serge Lutens où j’ai acheté le parfum Ambre Sultan, un must de ce créateur. Si je cite cette anecdote c’est en rapport avec le vin. Comme c’est la coutume, les parfumeurs ajoutent au petit paquet fort coûteux des échantillons. Peu de jours plus tard, j’essaie « Chypre rouge ». Et ce parfum a des notes prononcées de réglisse ce qui est incroyable, car mes vins de Chypre de 1845 ont une caractéristique fondamentale, c’est une note intense de réglisse. J’aime ces coïncidences, mais revenons à nos convives.

Notre table de huit a été formée par un de mes amis qui invite des clients. Je m’attends donc à ce qu’il y ait des retardataires. Aussi fais-je ouvrir en plus des vins prévus un Champagne Delamotte 1997 qui doit servir d’intermède ou d’ouverture. Le retard est effectivement au rendez-vous, si je peux oser cette image et le Delamotte joue parfaitement son rôle. 1997 est une année très réussie pour Delamotte, et ce que j’apprécie, c’est la claire définition de ce champagne. Agréable champagne de soif, il rassure par la lisibilité de son message.

Guy Martin a composé un menu qui est l’expression de sa personnalité : Pizza d’asperges vertes, crème de coque et caviar / Bouchées de crevettes « bouquet » / Langoustines juste saisies, d’autres crues assaisonnées aux fruits de la passion / Pigeon rôti au sautoir, patate douce et mangue, jus au bois sucré / Comté 16 mois / Compote et émulsion de mangues, sorbet pomelo / Café et mignardises. Certains plats sont véritablement adaptés aux vins, d’autres sont plutôt des créations personnelles où son talent s’expose sans relation réelle avec le vin. On sait que j’aime quand les chefs épurent leurs recettes au service du vin. Mais retrouver le talent de ce chef dans ce lieu chargé d’histoire est un plaisir qui ne se boude pas. Nous avons le joli salon du premier étage parfaitement calibré pour notre table de huit.

Le Champagne Dom Ruinart rosé 1986 a une couleur peau de pêche d’un charme rare. Comme il y a bien longtemps que je n’ai pas cité Laetitia Casta, il faut bien que je le fasse. Cette couleur est aussi belle que la peau de notre idole. Messieurs, en parlant d’elle, c’est de la République que je parle. La pizza complètement réinterprétée par Guy Martin est un cocktail éventail de goûts créatifs, disparates mais délicieux. Aussi, cet immense champagne de gastronomie est parfaitement à l’aise dans tous les compartiments du jeu, même lorsque Guy Martin, à l’instar de Pierre Gagnaire, repousse les limites de son talent. Ce champagne est un des plus grands rosés que je connaisse, car il sublime la notion même de rosé.

Il y a à notre table un grand amateur de Chablis. Le Chablis Grand Cru "Grenouilles" Louis Michel 1984 est subjuguant, car personne ne l’attendrait à ce niveau d’accomplissement. Il faut dire que les cinq heures d’oxygène lui ont donné de l’ampleur et un gras fort sympathique.

D’une façon assez générale, les vins de Mouton Rothschild ne laissent pas indifférent et il est de bon ton de le toiser dans les milieux de la critique du vin. Je me souviens que mes voisins de table à la dégustation des 1949 hésitaient avant de se rendre compte de la réussite extrême de Mouton 1949. Ici, le Château Mouton Rothschild 1975 est très au dessus de toute image que l’on aurait de ce vin. Là aussi l’oxygène joue un rôle crucial, épanouissant des arômes timides. Il s’agit d’un vin franc, aimable, subtil, dans le pur style de Mouton. A côté de lui le Château Grand La Lagune 1934 est une belle surprise pour mes convives, comme cela arrive souvent, car il brise tous les schémas convenus sur l’âge du vin. La majorité d’entre eux ne pouvait pas soupçonner qu’un vin de 73 ans puisse avoir une telle couleur de jeunesse et un tel allant en bouche. Les détails qui trahissent son âge sont infimes. C’est un vin fort agréable à boire qui confirme une fois de plus que 1934 est une année taillée pour une garde encore longue.

Patrick me donne à goûter le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1963. J’ai dans mon verre la partie la plus pâle du vin et lorsque Patrick a fait son tour de table je lui demande de me resservir un peu « pour homogénéiser ». Cette expression fait rire l’ami qui a organisé cette table. Dès le premier nez, je sais que c’est gagné. Ce vin qui aurait été refusé à son ouverture a retrouvé sa beauté première. Très bourguignon, subtil comme pas deux, ce vin m’enchante par ses complexités sous-jacentes. Il forme un contraste particulièrement intéressant avec le Vega Sicilia Unico 1960 qui est un vin d’un ravissement absolu. Puissant, clair, droit dans ses bottes, ce vin expose directement son message et s’y tient alors que le 1963 minaude. Je deviens de plus en plus amoureux de ces Vega Sicilia Unico anciens. Vins de soleil et de plaisir premier. J’apprécie d’avoir face à moi deux tendances qui m’enchantent : le vin pur apparemment simple mais complexe sous son message franc et le vin qui se drape dans des voiles de séduction, qu’il faut déchiffrer à chaque mouvement de ses graciles épaules. La confrontation méritait d’être faite. Ce Grands Echézeaux est délicat et envoûtant.

Le plus gradé des invités de mon ami avait clairement annoncé son manque d’intérêt pour les vins du Jura, aussi me fallut-il prodiguer des conseils précis pour que le Vin Jaune Arbois Bouvret Père & Fils 1967 soit correctement apprécié. J’avais fait changer le Comté pour un plus jeune, car les 16 à 18 mois sont idéaux et je demande à chacun de mâcher ostensiblement le Comté en secrétant un excès de salive. Ensuite il s’agit de boire le moins possible du vin afin que l’alcool ne domine pas. Cela donne une autre perspective à la combinaison, qui fut agréée par le plus grand nombre.

Le Château d’Yquem 1939 a un nez qui se suffit à lui-même. Il fait partie de ces vins dont le parfum tétanise. Le plaisir du nez est si grand que le bras est paralysé et l’on n’éprouve pas le besoin de boire le vin. Les plus anciens lecteurs se souviennent sans doute de ce Suduiraut 1928 que nous avions gardé en main plus de dix minutes lorsqu’il nous fut servi en compagnie de Guy Savoy assis à notre table, tant l’odeur était paralysante. Nous sommes ici dans le même cas avec des évocations de pamplemousse, de mangue et d’ananas. Tous les fruits de la même gamme de couleur que l’or serein de ce vin sont appelés à s’exprimer dans nos narines. Je fus bien inspiré de faire orienter le dessert vers la mangue, car ce fruit merveilleusement traité fit chanter cet Yquem immense. Je n’aurais jamais soupçonné que le 1939 d’Yquem ait ce charme là. Il n’a pas la solide présence du 1955 récent, mais il a un équilibre de ses composantes qui est assez spectaculaire car ici aucun trait n’est forcé. Yquem sait jouer de son charme dans ces années moins tonitruantes.

La beauté du lieu et l’envie de parler nous poussèrent à goûter un original Rhum du Venezuela Santa Teresa (Ron Antiguo de Solera) pendant que  nous votions. Tous les vins ont eu au moins un vote à l’exception du vin d’Arbois, sans doute à cause de sa position dans le repas entre deux vedettes. L’Yquem 1939 a reçu cinq votes de premier sur huit votants, le Vega Sicilia Unico 1960 a eu deux votes de premier et le Mouton 1975 a eu un vote de premier. Le vote du consensus serait : 1 – Yquem 1939, 2 – Vega Sicilia Unico 1960, 3 – Mouton Rothschild 1975, 4 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1963.

Mon vote a été : 1 – Yquem 1939, 2 – Vega Sicilia Unico 1960, 3 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1963, 4 – Mouton Rothschild 1975.

Egoïstement, je serais heureux que la mise au point du menu donne l’occasion d’un échange avec le chef ou que nous fassions une analyse a posteriori pour orienter de nouvelles pistes. Car si tout fut marqué d’un grand talent, il est des goûts qui s’accordent moins naturellement avec les vins anciens. Mais le charme du lieu, l’extrême implication d’une équipe motivée par l’excellence, ont fait de ce dîner un grand dîner. La mangue avec cet éblouissant Yquem et le pigeon avec le Vega Sicilia forment des souvenirs impérissables. Ce fut un grand dîner.

dîner wine-dinners du 29 mai 2007 – les vins lundi, 28 mai 2007

Champagne Dom Ruinart rosé 1986

Chablis Grand Cru "Grenouilles" Louis Michel 1984

Château Mouton-Rothschild 1975

Château Grand La Lagune 1934

Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1963

Vega Sicilia Unico 1960

Vin Jaune Arbois Bouvret Père & Fils 1967

Château d’Yquem 1939

 

Curieux habillage de cet Yquem 1939 qui a pourtant une capsule qui provient de l’embouteillage au château.