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dîner wine-dinners au restaurant Le Divellec jeudi, 25 janvier 2007

Le 82ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Le Divellec. J’ai pour Jacques Le Divellec une affection particulière, car il est toujours enthousiaste et en recherche de la qualité totale. Combien de chefs seraient restés comme lui jusqu’à 1 h 30 du matin pour savoir comment cela s’était passé ?

J’arrive à 16h45 pour ouvrir les bouteilles et tout a été mis en place pour que j’officie. Olivier, sommelier attentif et compétent, est lui aussi motivé par l’atteinte de la perfection. Il est rare que j’aie autant de mal à ouvrir les bouchons, ce qui fait un grand contraste avec le récent dîner au restaurant Ledoyen, car aujourd’hui presque tous les bouchons sont venus en lambeaux. Une surprise de taille m’attend, car lorsque je vois la capsule de Margaux 1952, capsule que j’avais photographiée lorsque j’ai pris le vin en cave, je constate qu’elle est en creux, ce qui n’était pas le cas avant. J’ouvre, et j’éprouve un choc : le bouchon est tombé dans la bouteille. Je sens immédiatement le goulot, et je pousse un « ouf » de soulagement : l’odeur n’est pas affectée par cet incident. La chute s’est produite pendant le transport ou lors d’une manipulation. Le vin est carafé, le bouchon est difficilement extrait de la bouteille par les efforts appliqués d’Olivier, et le liquide revient dans son écrin originel. L’odeur la plus extraordinaire est celle de Latour 1916 : une plénitude absolue. Celle du Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1942 est aussi rassurante à souhait. Le seul vin qui m’inquiète est un vin que j’ai rajouté : Savigny la Dominode Roger Poirier 1953.

Les convives ne sont pas ponctuels car Paris est une capitale où l’on reçoit des chefs d’Etat étrangers. Le menu composé par Jacques Le Divellec, après que nous en avons longuement discuté, pour l’esthétisme de la démarche, est le suivant : Œufs brouillés crémeux à l’oursin / Belons frémies au champagne / Saint jacques au foie gras de canard poêlé / Bar  sur peau braisé au saint-émilion / Bécasse sur canapé, coulis de truffes / Stilton / Emincé d’agrumes, mangue et pamplemousses. Bel exercice sur des produits rares au service des vins.

Ayant visité ma cave pour préparer de futurs dîners, j’avais repéré il y a deux jours une bouteille de champagne Laurent Perrier Grand Siècle vers 1960 en vidange. Elle avait perdu un quart de son contenu. L’occasion se présentait de commencer par ce vin que j’ajoutai au programme, pour en faire un sujet didactique. Le champagne est ouvert par Olivier au moment où nous passons à table, et je le découvre comme mes convives. La couleur est ambrée, la bulle est symbolique, mais en bouche, c’est extrêmement plaisant. J’avais pris soin de prévenir de ne pas s’arrêter au constat : « c’est madérisé », qui sonne comme une condamnation et empêche d’en profiter avec un esprit ouvert. Un des convives fit cette remarque : « vous en parlez avec des mots positifs, et nous vous suivons. Mais chacun de nous, chez soi, se ferait dire par ses amis : ton vin est mort ». J’acquiesce, je conviens du fait que ce serait la réaction normale, mais je fais analyser le goût, pour ce qu’il est. Force est de constater que ce vin n’a pas de défaut, si on admet qu’il s’agit d’un vin totalement différent. Sur des crevettes grises et des brochettes de saumon, c’est délicieux. Ce serait le compagnon idéal d’un foie gras.

Nous avons attendu longtemps que le dîner démarre, car on s’agitait fort en cuisine, ce qui nous rendit encore plus heureux de déguster la brouillade d’oursins. Le Champagne Pierre Gerbais Brut à Celles sur Ource non millésimé, de probablement dix ans, est assez agréable, sans personnalité affirmée, et sert surtout de tremplin au Champagne Krug 1981 qui a plus d’émotion que celui bu avec Rémi Krug, car il est ici sur son territoire de prédilection : la gastronomie. Et l’oursin lui va bien, qui lui permet de décliner des fruits roses frais, au-delà de son iode exacerbé.

Les assiettes qui arrivent sur notre table sont particulièrement impressionnantes, car les « pieds de cheval » sont des huîtres pour géant. Avec les doigts de deux mains mis en cercle, on ne pourrait pas en faire le tour. Le Puligny-Montrachet les Pucelles Veuve Génin 1959 a une magnifique couleur dorée. Il est, comme le Laurent-Perrier, dans une phase évoluée de sa vie. Mais cela convient parfaitement à la délicate crème qui enrobe l’énorme huître dont il faut manger le pied doucereux.

Je ne pensais pas que la sauce de la coquille Saint-jacques conviendrait au Château Margaux, Margaux 1952. J’eus peur en la voyant et je m’en ouvris à Olivier, mais je reconnus rapidement que Jacques Le Divellec avait vu juste. L’accord de la coquille, du foie gras avec le grand bordeaux est excitant. J’avais préféré mettre en garde les convives du risque d’un petit défaut du vin. Mais c’est un grand Margaux qui s’épanouit dans nos verres, dense et velouté. Sa trame douce est un plaisir raffiné. Je m’en veux en faisant ce compte-rendu de ne pas l’avoir inclus dans mon vote final, car il s’est révélé un très grand Margaux.

La portion de bar est aussi gargantuesque que les pieds de cheval. C’est sur la chair du poisson plus que sur la sauce très typée que deux vins grandioses vont briller. Ce qui étonne immédiatement du Château Galan « Land limited by Saint-Julien” Vve Bordessoulles 1929, c’est la jeunesse de sa couleur. Et tout est à l’avenant. Mes convives sont surpris de cette jeunesse et de la solidité gustative de ce vin à la longueur rare. Bien sûr, c’est seulement un cru bourgeois supérieur, et c’est pour cela que j’ai rappelé la mention naïve qui aimerait faire croire que c’est un Saint-Julien. Mais ce vin à l’acidité bien contrôlée a gagné en intelligence, et ravit le palais par sa maturité. Mon intérêt est évidemment porté vers le Château Latour 1916 qui est absolument époustouflant. Il est d’une perfection totale. Le nez m’avait ravi à l’ouverture. Un niveau dans le goulot pour une bouteille au bouchon d’origine est un événement à signaler. La robe est belle et jeune, le nez est d’un parfum envoûtant. Et en bouche, c’est l’idéal de ce que Latour peut devenir avec l’âge. Tout est équilibré et intégré. C’est un moment de bonheur intense. Je sens que mes convives me regardent autrement, même si la majorité de la table a déjà partagé l’un de mes dîners. Car un champagne avancé, un Puligny évolué, c’est bien gentil, mais où est le vrai charme des vins anciens ? Il est là, devant nous, avec deux vins exceptionnels.

Ayant ajouté deux vins au programme, il m’est apparu que nous devrions goûter le Richebourg, Domaine de la Romanée Conti 1942 seul, sans plat. Quel vin ! Notre groupe étant constitué d’une majorité d’amateurs de Bordeaux, il fallait guider le passage aux bourgognes. Mais ce vin intelligent sait s’adapter. Des senteurs envoûtantes, une onctuosité jointe à une légère salinité confèrent à ce vin délicat un charme certain. C’est une des très belles expressions du domaine de la Romanée Conti dans une année calme mais subtile, où la légèreté ne nuit pas à la longueur. Nous avons tous apprécié, comme le montreront les votes. Deux années de milieu de guerre s’étaient suivies.

L’oiseau à long bec est goûteux, viril. Le Savigny la Dominode Roger Poirier 1953 que j’avais ajouté n’aurait pas dû l’être. Je soupçonne un accident thermique qui l’a probablement torréfié. Manifestement consommable, il n’a pas de grandeur. En revanche, le Corton Cuvée Charlotte Dumay Hospices de Beaune Vanier 1945 est une belle réussite de l’année 1945 en Bourgogne. Joyeux, ce vin charnu et puissant sourit et chante dans nos palais. Il parait si facile à boire, vin de pur plaisir.

Le stilton est faire-valoir idéal pour un Château Salins Rions 1ères Côtes de Bordeaux 1941 élégant, simple, équilibré, délicat. Ces vins gagnent manifestement beaucoup avec l’âge. Nous étions encore en une année de guerre, sans qu’il s’agisse de ma part d’un choix délibéré. Un peu court, il ne renie pas son origine de « petit » vin, mais est sans doute nettement plus élégant que des versions plus jeunes.

L’adjoint de Jacques Le Divellec était venu me voir avant le repas pour parler du dessert. Il a réussi dans la simplicité, à créer un accord parfait. Alors que je sens par avance les accords qui vont briller, là où j’attendais la mangue sur le Château Suduiraut 1928, c’est en fait le pamplemousse rose qui a déployé tout le talent de ce sauternes que j’adore, l’un des plus grands que j’aie jamais bus. J’ai déjà mis trois fois cet immense vin dans des dîners. Celui-ci est l’un des plus discrets, ce qui justifie qu’au lieu d’être toujours n°1 dans mes votes, il ne le fut pas cette fois-ci, même si ce sauternes est éblouissant.

Le cérémonial des votes est assez intéressant. Huit vins figurent dans les quartés, ce qui est, une fois de plus, l’une de mes satisfactions. Quatre vins ont été couronnés d’une première place : Latour 1916 cinq fois, Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1942 quatre fois Château Galan 1929 et Suduiraut 1928 chacun une fois.  Le Richebourg figure dans tous les votes, ce qui n’est pas fréquent. Le vote du consensus serait : Latour 1916, Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1942, Suduiraut 1928 et Corton 1945.

Mon vote a été partagé dans l’ordre avec un convive et dans le désordre avec un autre : Château Latour 1916, Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1942, Corton 1945 et Suduiraut 1928.  

Le restaurant Le Divellec est une maison familiale. Toute l’équipe vibre à l’unisson. On guette nos réactions, on souffre si un détail ne va pas, on sourit et l’on souffle quand tout se passe bien. J’aime cette atmosphère concernée, amicale. Et Jacques est un exemple. Son implication exemplaire, alors qu’il a tout vu et tout vécu est particulièrement réjouissante. Il a créé, ce soir, un bel événement, car les vins, dont ce spectaculaire Latour 1916 ont dû partager la vedette. Et c’est bien.

dîner wine-dinners du 25/01/2007 – les vins jeudi, 25 janvier 2007

les deux champagnes

Puligny-Montrachet "les Pucelles" Veuve Genin 1959 à la très belle couleur

Château Margaux 1952 mis en bouteille au château, et venant de la cave Nicolas.

Cette bouteille de Latour 1916 n’a pas d’étiquette, mais l’année est très lisible sur la capsule, d’origine. Le niveau dans la bouteille est excellent (base goulot, dans le goulot).

Mention amusante sur l’étiquette de ce Chateau Galan 1929 : "land limited by Saint-Julien".

 Richebourg DRC 1942 à la bouteille de guerre, bleue du fait de l’absence de plomb. Mention "interdit d’exporter aux USA" pour protéger les agents locaux.

 Corton "Cuvée Charlotte Dumay", Hospices de Beaune Vanier 1945 (je sens que ce sera grand !)

 Chateau Salins, Rions 1941, un premières Côtes de Bordeaux comme je les aime, à la douceur subtile.

 Chateau Suduiraut 1928, un des plus immenses Sauternes de ma vie.

dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen avec Pétrus 1934 jeudi, 18 janvier 2007

Deux jours après ma répétition de plats,  j’arrive pour ouvrir les bouteilles du 81ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen. Le lieu bruisse d’événements dont le vin sera le thème. Il y a au rez-de-chaussée le wine & business club d’Alain Marty qui organise des conférences et un dîner pour un très grand nombre de personnes avec notamment Pichon Lalande, ce qui est impressionnant. Il y a à l’étage, dans un salon, Angélique de Lencquesaing, gérante d’idealwine, avec le talentueux Georges Lepré, sommelier de grande expérience , qui préparent la réception d’une société qui va faire goûter à ses clients des premiers grands crus classés de Bordeaux de 1998. On m’offre généreusement de goûter quelques vins et je classerai Margaux 1998 au charme affirmé devant Mouton-Rothschild 1998 de belle complexité séductrice, puis Lafite-Rothschild 1998,  plutôt fermé mais de belle race et Latour 1998, sans doute le plus grand, mais totalement fermé à ce stade de sa croissance. Le microcosme du vin est fraternel.

L’ouverture des vins se fait avec une facilité rare, en moins de trois quarts d’heure. Les odeurs sont belles, et celle du Pétrus 1934 me plait et ravit Georges Lepré à qui je le fais sentir. Il est admiratif des niveaux des deux vins de 1934. Le bouchon le plus impressionnant est celui de Margaux 1934, sain, jeune et beau, qui a permis au vin de rester à un niveau remarquable, ce qui est une performance pour un bouchon d’origine. Le Loubens 1940 est le seul vin bouché récemment quand je l’ai acheté à Arnaud de Sèzes, vigneron propriétaire de ce Sainte-Croix du Mont. Les odeurs étant saines, j’estime avoir le temps d’aller féliciter les nouveaux trois étoiles de l’Astrance, mais je trouve porte close. C’est en effet le jour des fuites, avec ses drames pour les maisons qui perdent une étoile, et ses liesses pour les promus.

J’avais tellement insisté sur la nécessité d’être ponctuel que tout le monde est là à 20h. Enfin presque, car contrairement aux votes dans les républiques bananières, l’unanimité n’est pas de ce monde. Après les consignes d’usage, nous passons à table.

Il y a autour de la table un ami qui a réalisé le bulletin 200 venu avec un autre de mes amis, un des valeureux participants du fabuleux dîner à l’Astrance avec Cheval Blanc 1947, un ami de bord de mer et autres espaces venu avec sa compagne et l’un de ses amis, le patron d’une grande organisation de vente de vins venu avec un avocat de ses amis, et un académicien de l’académie des vins anciens, breton comme Christian Le Squer, qui ouvrira bientôt une boutique de vins. Les rires ont fusé car l’atmosphère était à la joie.

Le menu créé par Christian Le Squer avec Géraud Tournier est d’une grande sensibilité, au point que le projet que j’avais élaboré en m’inspirant de la carte était resté dans mes cartons. Ce programe est d’un équilibre rare : Saveurs" terre et rivière" / Noix de Saint-Jacques à l’écume de mer / Truffe en croque au sel, onctueuse quenelle de foie gras / Blanc de turbot de ligne juste braisé,  pommes rattes truffées  / Feuilleté brioché de truffes noires en gros morceaux / Noisettes de chevreuil, fruits et légumes d’hiver / Stilton / Brochette Mangue et Ananas.

Le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec  vers années 60 est une inconnue puisqu’il n’est ouvert que lorsqu’on est à table. J’avais supposé qu’il s’agirait d’un champagne assez évolué, car la couleur estimée à travers le verre est un peu ambrée. Surprise quand on remplit mon verre : la couleur est rose. Je goûte, et sans aucune confusion possible le champagne est rosé. Aucun champagne évolué ou madérisé ne peut donner ni cette couleur ni ce goût. Comment peut-on supposer une erreur d’étiquetage ? Voilà une énigme. La rétractation du bouchon et le muselet confirment un champagne de plus de 50 ans. La bulle est encore présente, et tout le monde est surpris par l’immense longueur de ce champagne expressif et séduisant.

Je me demande toujours si je n’ai pas la main verte, tant mes vins sont toujours au rendez-vous. Mais à ce point, c’est surnaturel, car l’accord couleur sur couleur est magique. La betterave réagit au quart de tour sur ce rosé, l’harmonie des couleurs influençant l’accord des goûts et l’anguille au dos rose prune catapulte le champagne à des hauteurs extrêmes de raffinement. Cette combinaison est d’une précision parfaite. Quand le plat est enlevé, nous avons tous en bouche la trace intense de ce champagne qui ne veut pas nous quitter.

Des coquilles Saint-jacques crues légèrement citronnées (j’aurais mis un soupçon de moins d’acidité), sont entourées d’une émulsion aérienne d’une iode magique.  Le vent fort de la Pointe du Raz submerge nos narines. Nous sommes le gardien de phare de l’île de Sein. Et cette tempête atlantique est exactement nécessaire pour le Champagne Krug 1988 qui se complait de ces saveurs marines. Rien ne serait plus adapté pour mettre en valeur ce grand champagne typé qui est évidemment plus compréhensible que le Veuve Clicquot au rose camouflé.

Le nez du Meursault Jean François Coche-Dury 1990 devrait être archivé à la Bibliothèque Nationale, sous deux rubriques, Meursault d’une part, car c’est la plus belle pierre à fusil qui soit, et Coche-Dury d’autre part, car sa signature est là. Le Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997 a des parfums plus exotiques où le litchi n’est pas absent. Le Meursault et la truffe, ça cause ! Notre table se divisera pour préférer l’un ou l’autre vin. Mon cœur balance vers le Meursault, même si le Corton-Charlemagne est d’une extraction plus noble, car le plus jeune fait vraiment très jeune, quand le 1990, d’un âge de gamin, fait déjà vin évolué, avec ce que cela implique de plénitude.

Nous avons décidé de mettre le Château Rayas Chateauneuf du Pape rouge 1992 à ce moment du repas, pour éviter une confrontation avec le Musigny qui ferait un vaincu. Et nous avons bien fait. Car sur la chair du turbot, ce Rayas se montre sous son plus beau jour. Voilà un vin sur lequel le caviste de notre table n’aurait pas beaucoup parié du fait du millésime. Mais il faut savoir qu’il y a une différence fondamentale entre un vin placé dans une comparaison verticale et un vin placé en situation de gastronomie. Ici, ce Rayas, très fidèlement respectueux de sa définition historique s’est comporté comme un seigneur. Il a joué son rôle, même si Rayas peut jouer plus fort.

La scène que nous allons vivre pourrait être une définition du luxe. Avoir dans le verre de droite Pétrus 1934, dans le verre de gauche Château Margaux 1934 et devant soi une truffe entière sous une croûte qu’un maître d’hôtel vient découper pour laisser échapper des arômes diaboliques, c’est assez décadent, comme le suggère l’homonyme anglais qui indique une insolente expression de rareté. Et les trois acteurs jouent juste. Le Pétrus 1934 est un vrai Pétrus, dans sa ligne historique, dense, intense, d’une trame précise, et profond comme la truffe. Le Margaux 1934 joue sur son charme débordant. C’est curieux comme Pétrus joue Pétrus et Margaux joue Margaux. Et l’on est bien en peine de dire lequel l’on préfère, même si les votes iront vers Pétrus du fait de sa rareté. Le plus truffier des deux est le Pétrus et je suis assez fier, car avant le repas et avant le service du plat, j’avais annoncé que Pétrus capterait la personnalité de la truffe et deviendrait truffe. C’est ce qu’il a fait. On aimerait que de tels moments irréels ne s’arrêtent jamais. Le parfum de la truffe en croûte est dix fois plus imprégnant que celui de la truffe précédente goûtée sur les blancs. Il fallait qu’il y eût ces deux acceptions.

On me sert toujours en premier un demi verre, car lors de l’ouverture quelques heures avant, je ne bois jamais les vins, pour affiner mon jugement en me servant de mon seul nez. Il me suffit d’un quart de seconde, encore une fois au nez, pour me rendre compte que le Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951 est un pur amour. Tout en lui est extraordinaire. Messieurs les écrivains du vin, il va falloir mettre une parenthèse sur l’année 1951, qui n’a pas laissé une trace dans l’histoire, pour encadrer ce Musigny, qui forme avec la chair tendre du chevreuil un couple qui gagnerait les Oscars des meilleurs acteurs, du meilleur scénario, et du plus bel érotisme, si cette catégorie existait. La chair est délicatement traitée, toute en subtilité, et le Musigny a cet habit bourguignon du plus bel apparat. Longueur immense, distinction, subtilité, charme, élocution. Il a tout, car son année a calmé toute velléité de rustrerie. Noble, brillant, je l’adore.

Le Château Loubens 1940 est une leçon d’agrumes. Un peu salin, il joue bien avec le Stilton. Le Château Climens 1943 fait partie de ces sauternes qui ont laissé leur sucre en route. Alors, il faut accepter cette évolution. C’est mon cas, et je suis bien conscient que c’est plus difficile pour mes convives.

Le vote des dix participants qui doivent désigner les quatre vins préférés sur dix auront concerné neuf vins sur dix, ce qui est absolument excellent. Trois vins seulement auront eu droit à un vote de premier : Petrus 1934 avec cinq votes de premier, soit la moitié de la table, ce qui est rare. Le Musigny 1951 a eu trois votes de premier et le Margaux 1934 a eu deux votes de premier. Le vote du consensus serait : Pétrus 1934, Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951, Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec  vers années 60, Château Margaux 1934, ce qui semble un choix très logique.

Mon vote a été : Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951, Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec  vers années 60, Pétrus 1934 et Château Climens 1943.

Les accords ont été tellement éblouissants qu’il serait difficile de nommer un seul gagnant. La truffe avec Pétrus 1934 est immensément académique, le chevreuil avec le Musigny est d’une sensualité forestière, l’écume de mer avec le Krug est bretonnément iodique. Mon cœur irait sans doute à la façon dont la betterave a caressé le Veuve Clicquot. C’est d’une finesse sensible romantiquement agreste.

La table a une belle forme permettant aux conversations de se développer, le service est attentif, la cuisine est ciselée avec art. Ce dîner rempli de rires et de joie fut d’un raffinement gastronomique inégalable.

dîner du 18 janvier 2007 – les vins jeudi, 18 janvier 2007

le demi-sec de Veuve Clicquot, et l’esquisse du Krug 1988. Rien n’indique que leplus âgé est un rosé : énigme.

 A noter le muselet qui indique un âge certain !

Coche-Dury et Bouchard

Margaux 1934

 Je préfère une étiquette comme celle-là pour Pétrus 1934, car les chances d’un faux sont nettement plus faibles.

 Loubens 1940 et Climens 1943

dîner wine-dinners du 18/01/2007 – le menu jeudi, 18 janvier 2007

Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec  vers années 60

                            Saveurs" terre et rivière"

Champagne Krug 1988

                            Noix de saint-Jacques à l’écume de mer

 Meursault Jean François Coche-Dury 1990

Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997

                            Truffe en croque au sel, onctueuse quenelle de foie gras

Château Rayas Chateauneuf du Pape 1992

                            Blanc de turbot de ligne juste braisé,  pommes rattes truffées 

Pétrus 1934

Château Margaux 1934

                           Feuilleté brioché de truffes noires en gros morceaux

Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951

                           Noisettes de chevreuil, fruits et légumes d’hiver

Château Loubens 1940

                           Stilton

Château Climens 1943

                           Brochette Mangue/Ananas

dîner wine-dinners du 18/01/07 – liste des vins jeudi, 18 janvier 2007

dîner du 18 janvier 2007

1. Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec vers années 60

2. Champagne Krug 1988

3. Meursault Jean François Coche-Dury 1990

4. Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997

5. Pétrus 1934

6. Château Margaux 1934

7. Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951

8. Château Rayas Chateauneuf du Pape 1992

9. Château Loubens 1940

10. Château Climens 1943

dîner des amis de Bipin Desai jeudi, 14 décembre 2006

J’ai déjà abondamment parlé de Bipin Desai, ce scientifique américain qui organise les dégustations thématiques les plus grandioses de la planète. Chaque année depuis six ans, il me charge d’organiser un déjeuner ou un dîner amical, à vins et frais partagés, qui lui permette de rencontrer des amis ou de nouvelles connaissances. Ces dîners étant comptés au sein des dîners de wine-dinners, même si les vins ne viennent pas en totalité de ma cave, ce sera donc le 80ème dîner de wine-dinners.

Bipin m’ayant prévenu très tard, des participants fidèles comme Alexandre de Lur Saluces, Aubert de Villaine ou Didier Depond ne pourront être présents. Ce sera l’occasion d’accueillir de nouveaux amis comme Jean-Jacques Bonnie, propriétaire de Malartic-Lagravière, Jean Hugel, de la maison alsacienne éponyme, Richard Geoffroy, le magicien qui fait Dom Pérignon, ainsi que l’ami qui fut le déclencheur du fabuleux dîner à l’Astrance où figurait le légendaire Cheval Blanc 1947. Les deux habitués sont Bernard Hervet, qui va rejoindre ou a rejoint Faiveley, et mon fils.

Dans le délicieux hall d’entrée Empire du restaurant Laurent, nous découvrons un magnum de Dom Pérignon Oenothèque 1966 dégorgé fin 2004. Un dégorgement de deux ans lui va bien, nous indique Richard. Ce champagne est spectaculaire, et nous laisse quasi sans voix. Le boire avec les commentaires de Richard Geoffroy et ses mises en perspective rajoute énormément à notre plaisir. Les premières évocations vont vers le salin, iodé, Richard dit feuilles vertes comme le troène. Puis arrivent les fleurs blanches comme le jasmin et les fruits roses. Le champagne s’étend lascivement dans le verre, et les fleurs blanches s’ouvrent. Les fruits se densifient. Le message se structure et se simplifie. Et Richard, qui a le même enthousiasme que nous en le goûtant, adore cette simplification qui est le gardien du message historique de Dom Pérignon. Il explique sa démarche qui doit être fondée sur la recherche de la qualité totale, dans le cadre de la continuité décennale du goût. Ce champagne qui ne cesse de s’ouvrir et de dévoiler des myriades de séductions est impressionnant pour tous. Je pense qu’il serait à l’aise avec des plats qui vont dans son sens et des plats qui le provoquent. Ainsi des huîtres et des coques exploiteraient sa tendance iodée, quand un fromage de tête l’exciterait pour exacerber ses arômes.

Nous passons à table dans la jolie salle à manger, et curieusement, notre belle table oblongue ne permettra pas aux conversations d’être générales, mais seulement en petits groupes. C’est sans doute la forêt de verres qui en est la cause.

Philippe Bourguignon a élaboré avec Alain Pégouret un menu très intelligent dont les sauces vont être, ce soir, de vraies vedettes. Saint-jacques marinées au citron, betteraves rouges cuites et fumées au feu de bois / filet épais de gros turbot cuit au naturel, ventrèche et condiments, jus iodé / jarret de veau cuit doucement, légumes d’automne en cocotte, rehaussés d’un jus acidulé / filet de chevreuil relevé au poire de Sarawak, « späzle » à la poêle / vacherin Mont d’Or et reblochon fermier / mousse un peu sucrée de marrons ardéchois en mille-feuille croustillant, brisures de châtaignes grillées. La magie de Laurent a de nouveau fonctionné, avec un service attentif et exemplaire.

Décidément, les vins de Didier Depond n’auront pas de chance. Pour l’académie des vins anciens, Didier avait expédié des vins qui étaient bien arrivés mais avaient été égarés. Pour ce dîner où Didier ne pouvait se rendre, sa gentillesse l’avait poussé à nous offrir un magnum de Delamotte 1985. Redoutant que deux magnums de champagnes soient excessifs, j’avais échangé ce cadeau contre un Salon 1988 qui avait été retrouvé après son absence à l’académie. Hélas, son champagne Salon 1988 est bouchonné. Que d’aventures ! Heureusement, le nez troublant n’empêche pas la bouche d’être passionnante, car si l’on a la sagesse d’accepter un voile un peu astringent et amer, le discours du Salon 1988 se positionne très bien. Nous en convenons volontiers avec Richard qui fait preuve en la matière d’une totale ouverture d’esprit. La combinaison de la mer et de la terre du plat un peu épicé est une belle trouvaille et aurait dû faire chanter ce Salon qu’il faudra vite goûter pour retrouver son charme et sa puissance.

Deux vins que tout oppose vont cohabiter sans se nuire. Le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1985, cadeau de Jean-Charles de la Morinière qui ne pouvait venir à ce dîner, se présente un peu fermé. On dirait qu’il peine à ouvrir sa porte pour nous accueillir. On reconnaît cependant, mais en cherchant, tout ce qui fait la noblesse de ce grand vin. En revanche, le Meursault Perrières Coche-Dury 2004 est une bombe. Le nez minéral intense envahit l’espace. Et Richard jubile car il y a dans ce vin les goûts qu’il recherche. Et c’est vrai que le Dom Pérignon, association souvent égale entre le chardonnay et le pinot noir, porte en son chardonnay des intonations que l’on retrouve ici. Comme Richard m’explique, je le ressens beaucoup mieux. Ce Meursault est puissant, expressif, typé, et forme avec la ventrèche un de ces accords qui ravissent le palais, chaloupé par tant d’audace si bienvenue.

Le Château Malartic-Lagarvière 1961 de Jean-Jacques Bonnie arrive en scène avec le soupçon d’un petit voile de poussière. Mais  on sent qu’il va disparaître, et il le fait très vite. Et le doucereux presque sucré, les pain d’épices, moka, café de ce vin s’intègrent magnifiquement. Ce vin épanoui est joyeux. Le jarret de veau est un bonbon fondant dans la bouche, d’une jouissance rare. Mais c’est avec la sauce que le Malartic aime se confondre pour un accord délicat.

Plus de quarante ans séparent le doyen de la table, Jean Hugel aux 82 ans d’une tonicité invraisemblable et les deux jeunets Jean-Jacques et mon fils Frédéric. Et ça ne dérange pas, comme l’écart de plus de soixante ans cette fois entre les deux rouges qui cohabitent sur le gibier. Le Chambertin Clos de Bèze Faiveley 1990 est un vin jeune à qui il manque juste d’être un peu plus assemblé. Prometteur, l’alcool fonçant en avant, on en profite en se disant qu’il ferait mieux de dormir encore un peu en cave. Mais il a de l’avenir. A côté de lui, affichant une couleur d’une rare jeunesse, le Pommard Epenots Joseph Drouhin 1929 confirme à mes voisins Richard et Jean-Jacques tout ce que je racontais sur ma « main verte » ou mon « magic touch » qui les faisaient sourire. Car ce vin est éblouissant et exact au rendez-vous. Ouvert par Patrick Lair ou Christèle, la jolie et souriante sommelière il y a plus de six heures, ce vin explose de jeunesse, sérénité, joie de vivre, naturel. Tout en lui paraît tellement facile. Riche, onctueux, velouté, il forme lui aussi avec la sauce du chevreuil un accord éblouissant.

Une discussion s’instaure entre Richard Geoffroy et Bernard Hervet qui me donne un bonheur immense. Ces deux vignerons se racontent leur compréhension de l’année 2003 et les choix de vendanges qu’ils ont dû faire. Et à partir de là, toute la concordance de leurs analyses s’étale voire s’imbrique. Nous assistons à leur plaisir de constater l’unité de leurs deux visions, à l’avant-garde de ce qui se pratique. J’écoute, tel l’enfant qui laisse parler les grands. Rassurez-vous, Jean Hugel n’allait pas leur laisser la parole. Car quand le Jean est lancé, rien ne peut l’arrêter. Mais il dit des choses remarquablement sensées, et l’âge lui permet de raccourcir le propos sans politesse inutile. Alors, c’est passionnant. Et Jean peut parler, car ses vins lui en donnent la légitimité.

Le vacherin accompagne le deuxième vin que j’ai inclus parce que j’aurais bien aimé que Jean-Pierre Perrin assiste lui aussi à ce dîner qu’il a déjà fréquenté. C’est une bouteille très rare : Châteauneuf-du-Pape Domaine de Beaucastel blanc 1955. Un vin doré d’un cuivre discret, un nez intense d’une rare précision. En bouche, je me pâme, car ce vin a tout pour lui. Les évocations de tous les fruits possibles et imaginables sont là, mangues, ananas, kaki, mais aussi beaucoup de bois précieux. Le message du vin n’est pas dispersé. Il est précis, prononcé, typé, et montre que ces vins vieillissent avec un succès remarquable. 

Jean m’avait annoncé avant de l’envoyer qu’il subodorait que le Riesling Vendanges Tardives Hugel 1966 serait devenu presque sec. Le reblochon se justifie donc mieux que le roquefort qu’aurait aimé voir Bipin, en se fiant seulement au nom du vin. En fait, le choix est bon, même si Jean n’aime pas les fromages avec ses vins, car ce Riesling bien sec est délicat, soyeux, doucereux, calme, et demande une saveur confortable et lisible pour montrer toute la subtilité de ses épices et agrumes suggérés.

Le contraste avec le Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles 1997 est assez spectaculaire. J’avais déjà bu ce vin chez Jean et je m’en souviens comme d’une bombe. Elle est toujours là, donnant au nez autant de souffle que l’on en aurait à l’oreille si l’on était coincé en concert entre Miles Davis et John Coltrane. La puissance est au rendez-vous, mais c’est un David Douillet. C’est-à-dire que ce vin a une force tranquille qui n’a aucun besoin de parader. Le vin est remarquablement construit et n’a pas de nécessité d’en faire de trop.

Quand je demande que l’on vote, les vignerons présents hésitent, car il est toujours embarrassant de voter pour son propre vin. Le Dom Pérignon est consacré roi de la soirée par quatre votes de premier sur huit, sans avoir besoin du vote de Richard. Le Pommard 1929 a deux votes de premier, le Meursault 2004 un vote de premier, ainsi que le Riesling 1966. Tous les vins ont des votes sauf le Salon, naturellement. Le vote du consensus est assez difficile à faire car les votes ont été très dispersés. Ce serait : Dom Pérignon Oenothèque 1966 en magnum, Pommard Epenots Joseph Drouhin 1929, Beaucastel blanc 1955 et Riesling VT Hugel 1966.

Je n’ai pas eu la retenue de Richard et j’ai voté pour mes deux vins aux deux premières places pour une raison simple : je n’ai aucune raison d’avoir la pudeur du vigneron qui fait les vins, mais aussi parce que j’ai mis ces vins pour faire plaisir à mes amis. Il fallait donc que je les aime déjà ! Mon vote est : 1- Pommard Epenots Joseph Drouhin 1929, 2 – Beaucastel blanc 1955, 3 – Dom Pérignon Oenothèque 1966 en magnum, 4 – Riesling VT Hugel 1966.

Nous étions huit dont quatre vignerons de quatre régions distinctes. La joie des discussions, la densité du contenu, la force de l’amitié, ont été considérables. Philippe Bourguignon et ses équipes ont une fois de plus réussi le tour de force de satisfaire tout le monde. Beaucoup de rendez-vous se sont pris, des promesses de se revoir. Grands vins et grande amitié : un grand moment.

dîner wine-dinners du 07/12/2006 jeudi, 7 décembre 2006

Les vins de ce dîner

  1. Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1997
  2. Champagne Dom Pérignon 1985
  3. Corton Charlemagne Verget 1993
  4. Château Latour 1943
  5. Château La Gaffelière Naudes 1929
  6. Vosne-Romanée Les Genévrières Charles Noëllat 1969
  7. Romanée Conti, Domaine de la Romanée Conti 1974
  8. Château Chalon Jean Bourdy 1955
  9. Château Filhot 1986
  10. Château Rayne-Vigneau 1947

dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol jeudi, 7 décembre 2006

Le 79ème dîner de wine-dinners se tient une nouvelle fois au restaurant de l’hôtel Bristol. C’est Virginie, sommelière attentive qui va faciliter une fois de plus le cérémonial de l’ouverture des vins. Un amateur éclairé canadien, qui vit aux Etats-Unis, est intéressé d’observer comment je procède. Les bouchons viennent particulièrement aisément, même si ce fut difficile pour l’un d’entre eux, collé au verre comme à la glu. Les odeurs sont encourageantes et je ne vois pas de problème saillant. La petite incertitude vient du Latour 1943 qui pourrait évoluer de diverses façons. Nous verrons. La Romanée Conti me semble nécessiter un peu plus d’oxygène. Comme son niveau est très haut dans le goulot, il faudrait élargir la surface. Comme j’ai pris depuis longtemps l’habitude d’apprécier le retour à la vie d’un vin en me fiant aux seules odeurs, sans boire le vin, on comprendra que c’est par pur dévouement que, Joe et moi, nous bûmes quelques gouttes de cette exquise Romanée Conti !

Les convives sont presque tous à l’heure et je donne les consignes d’usage sur un champagne Charles Heidsieck  mis en cave en 1997. Je suis très agréablement surpris par l’élégance charmante de ce champagne qui évoque des fleurs et des fruits roses. Le dosage n’est pas excessif, et ce champagne joue exactement son rôle, de nous préparer à un repas de rêve.

Eric Fréchon a travaillé avec Jérôme Moreau à la mise au point d’un chef d’œuvre. Voici ce qu’ils ont imaginé et réalisé : Royale de foie gras fumé, écume d’oseille / Noix de coquilles Saint-Jacques contisées à la truffe blanche d’Alba, gnocchis au jus de roquette et parmesan / Sole de petit bateau farcie aux girolles, sucs d’arêtes réduits à peine crémés au vin jaune / Faisane de foie gras, topinambour et truffe / Comté 18 mois / Stilton / Dégustation autour de la poire.

Nous passons à table dans la merveilleuse salle à manger lambrissée d’une ellipse parfaite. Notre table centrale est belle. Les premiers petits amuse-bouches annoncent que la perfection est ici la norme car la bouchée de chamallow au foie gras est le premier indice du talent du chef, exposé ensuite sur des saveurs délicates. Le champagne Dom Pérignon 1985 arrive sur une entrée que j’avais demandée, tant je l’avais aimée lors d’une récente visite. Cette combinaison de foie gras, d’oseille et de fumé insistant est extraordinairement troublante et vole la vedette au délicieux Dom Pérignon, tant l’énigme est excitante. Mais le Dom Pérignon est suffisamment civilisé pour se prêter à cette farandole gustative. Contraint d’être le Monsieur Loyal du plat, le champagne sophistiqué sait se tenir. Le Corton Charlemagne Verget 1993 est un blanc typé quasi intemporel. Il est tellement rassurant qu’on ne peut lui donner d’âge. La truffe blanche n’est pas la plus explosive, c’est l’année qui veut cela. Et l’intérêt est ailleurs. C’est l’exquise sauce à la roquette (c’est la première fois que je la vois domestiquée comme cela), qui forme avec le bourgogne noble une association d’une provocation passionnante.

Le Château Latour 1943 a une robe d’un rose soutenu, un parfum de grande race. En bouche, il mérite un soin attentif pour en saisir toutes les nuances. Son élégance, sa subtilité sont de grand intérêt. Mais on est attiré par le verre d’à côté. Car le Château La Gaffelière Naudes 1929 fait vaciller toutes les certitudes. J’avais, comme souvent, fait un couplet enamouré sur l’année 1929. Et voici que ce vin, noir comme un 2003 sortant de fût, au nez de truffe, nous donne une perfection gustative presque irréelle. Ce vin est profond, lourd comme le serait un 1961, évoque un grand Cheval Blanc comme le 1947 que nous avons bu avec l’un des convives de ce soir, et dont nous rappelons la mémoire avec émotion. Des convives qui aiment cuisiner disent qu’il serait impossible d’imaginer la jeunesse de ce vin tant qu’on ne l’a pas essayé. L’expérience d’une telle pétulance ne peut pas être crue si on la raconte. Il faut l’avoir vécue.

Le Vosne-Romanée Les Genévrières Charles Noëllat 1969 est bu entre deux plats. Je l’avais ajouté pour le plaisir. Il y a autour de la table des amoureux des vins de Bourgogne. Ils sont comblés. Ce vin d’une grande année bourguignonne résume tout le charme troublant de sa belle région. Notre érudit canadien nous raconte que ce Genévrières a été acheté il y a treize ans par Lalou Bize-Leroy, l’une des grandes personnalités de la Bourgogne. Ce qui indique que le vin qu’on fait sur cette parcelle est de grande valeur. Notre verre le confirme. Le Gevrey-Chambertin Clos Saint-Jacques Clair Daü 1961 était éblouissant à l’ouverture. J’en attendais beaucoup. Il est au rendez-vous. Et le contraste avec la Romanée Conti, Domaine de la Romanée Conti 1974 est assez saisissant. Le Gevrey est d’une année divine. Il est assuré, confiant, déclinant le charme généreux de la Bourgogne. Malgré une extraction plus roturière, il s’exprime en gentilhomme à côté de l’empereur des vins, d’une petite année, au charme romantique. Tout est en suggestion dans cette Romanée Conti de grande race. On comprend avec ce vin ce qui fait la réputation de la Romanée Conti car la subtilité est extrême, et les évocations d’épices et de parfums sont innombrables. Il est clairet en haut de bouteille, et j’eus la chance de déguster la fin de bouteille, très foncée sans avoir de lie. Cette concentration de saveurs délicates est un plaisir d’esthète. A deux dîners de suite, nous aurons eu Latour 1947 puis 1943 et Romanée Conti 1967 puis 1974. Cette conjonction est rare.

Pour les deux fromages qui vont suivre, j’ai appris à mes charmants convives le rôle primordial de la salive pour créer un accord gustatif parfait. Celui du comté avec le Château Chalon Jean Bourdy 1955 est naturel. Cet exemplaire du 1955 que j’ai maintes fois bu est particulièrement brillant, avec une présentation civilisée remarquable. Toute la table est sous son charme. Le Château Filhot 1986 est un vrai bambin. Mais c’est plaisant à ce stade du repas. Naturel, franc, il ne surprendra personne. En revanche, le Château Rayne-Vigneau 1947 à la couleur d’un cuivre épanoui, au nez de coing et de mangue, est d’une insolente sérénité. C’est le presque sexagénaire d’une séduction de Dom Juan. Il chante le chant du sauternes avec sérénité et passion. Les variations complexes sur la poire sont déroutantes pour lui.

Les votes sont plus concentrés que d’habitude. Quatre vins ont eu un vote de premier, dont quatre pour la Romanée Conti, trois pour le Gevrey Chambertin 1961, trois aussi pour le La Gaffelière 1929, et un pour le Vosne-Romanée 1969. Le vote du consensus serait Romanée Conti 1974, La Gaffelière Naudes 1929, Rayne Vigneau 1947 et Gevrey-Chambertin Clos Saint-Jacques Clair Daü 1961. Mon vote a été : 1 – Château La Gaffelière Naudes 1929, 2 – Rayne Vigneau 1947, 3 – Romanée Conti, Domaine de la Romanée Conti 1974, 4 – Gevrey-Chambertin Clos Saint-Jacques Clair Daü 1961.

Le plat le plus extraordinaire est la « Royale de foie gras fumé, écume d’oseille » qui est à se damner. L’accord le plus excitant est le jus de roquette avec le Corton Charlemagne. Le talent d’Eric Fréchon, qui ne cesse de s’affirmer, a permis à des vins de briller et à des convives conquis de s’extasier.