Archives de catégorie : dîners de wine-dinners

Yquem 1861 day minus 1 jeudi, 9 mars 2006

Life has to be lived as an irrational theatre. This morning I receive a call : two people who were registered for the dinner cancel their registration. To find someone the day before is not so easy.

I immediately think of all the people to whom I said no, who had shown an interest for this dinner, and I think that it is a great waste. It is unfair.

As I had heard that Carole Lurton, the wife of Pierre, had been “jealous” of him, because he would drink a 1861, I immediately reacted by inviting her, and she accepted.

So one seat is missing, and it will not be easy to find someone.

As I had exchanged emails with a contributor to this forum, who is a journalist in Strasbourg, Panos, and as I knew that he was in the region, I met him for lunch in the restaurant of “Les Caudalies”, the property of the family Cathiard (Smith Haut Lafitte). I announced that I was there and Daniel Cathiard went to say hello to me. He said that due to a disease which hurts the migrating birds he had decided to take away the swans which were on the charming ponds in the lovely garden of Les Caudalies. He told me that the swans, being hidden in a closed room, are sad and do not eat anything. The “principle of precaution” which exists will kill more than the disease (for the moment).

At the table, many journalists from British and other horizons came from a visit in Haut-Bailly, and by Chateau Brown, whose owner was with us. He is a new owner as he bought the castle in 2004, and we drank the Brown 1998 made before his buy. Not much to say.

We tasted the Smith Haut Lafitte (SML) cabernet franc 2005, the SML merlot 2005 and the white SML sauvignon. I loved the cabernet, very round and showing that the work of making the wine has been well done. Impossible to judge the sauvignon as I am not expert on foetus wines.

We tried to find in a blind tasting a wine which was brought to us. A very elegant nose but a strict mouth did not allow me to find that it was Smith Haut Lafitte red 1998. I would expect this wine to be at a higher level than what I drank.

Now I am going to Mouton-Rothschild. I cannot clear my mind, being so upset that people cancelled one day before.

At my age, I should know that things never happen as was programmed.

I arrive at Mouton, and even if it is difficult to imagine, I have never been there. As I already said, I have never visited places where I was not known, as I do not want to disturb them.

My fault ! Because the museum of Mouton is something unbelievable, and the cellar of Philippine, if I had seen it before, would have pushed me to create a cellar at a higher scale than what I have !

We tasted the 2005, for which I made a separate subject.

We went, with Philippe Dhalluin, in the restaurant of Cordeilhan Bages, whose chef is Thierry Marx.

The food is extremely creative, very precise, and every plate is a piece of art. But it is a little too intellectual for me. I like precision and the cook is very precise, but I do not like too much when sophistication is a goal and not a mean.

And what annoys me the most in the excessive breaks that we should have within our talks because a waiter comes to announce a new butter, a new bread, a new course, a new sauce, a new vegetable. I got bored with all those pompous speeches, disturbing a lot our pleasure.

Obviously a wonderful place, a highly creative cook. But please, stop talking !!!

On that a Calon-Ségur 1986 which was very interesting. Seducing on one moment and strict the other moment, this wine does not like to be characterised. Not extremely long but pleasant in mouth, it left me in a mixed mood.

We had with Philippe Dhalluin a very interesting talk about wine in an historical perspective. A nice dinner.

L’examen des bouchons avec Sandrine Garbay jeudi, 9 mars 2006

Je viens d’ouvrir toutes les bouteilles du dîner de ce soir à Yquem.

Sandrine, maître de chais d’Yquem tient en main le bouchon du Yquem 1861 et confirme l’examen que nous avons fait : cette bouteille a un bouchon d’origine.

Ceci veut dire que pendant 145 ans, jamais un gramme d’air n’est venu altérer le précieux liquide.

On voit sous mon bras les outils que j’utilise pour extirper les bouchons difficiles.

67ème dîner de wine-dinners au Chateau d’Yquem – le récit jeudi, 9 mars 2006

J’avais apporté il y a deux jours les bouteilles du 67ème dîner de wine-dinners au château d’Yquem. J’arrive le jour « J » un peu avant 16 heures, les sourires sont sur toutes les lèvres. Sandrine Garbay ne sera pas là quand j’ouvre les bouteilles mais nous les commenterons longuement lorsqu’elle me rejoindra. Un photographe m’accompagne pour immortaliser l’ouverture des vins que Valérie observe avec grand intérêt, et Christiane, gardienne attentive de ce beau patrimoine observe ces allées et venues avec des yeux miroitant d’envie gourmande. Le Carbonnieux blanc 1948 paraissant tellement plus jeune que le Laville Haut-Brion 1976, j’observe le dessous de la capsule et le bouchon qui confirment bien que la bouteille est d’origine. Sa conservation est magnifique. L’odeur du Carbonnieux rouge 1928 est si capiteuse que je rebouche avec un bouchon neutre. Les émanations du Corton 1929 me font un peu peur, mais cela va sans doute se corriger, et le Château Chalon 1955 m’étonne. Là où j’attendais de la noix, c’est la truffe qu’exhale ce vin jaune. Arrive enfin le grand moment. Le Château d’Yquem 1861 très foncé sera-t-il caramélisé ou aura-t-il la chatoyante perfection d’Yquem ? C’est maintenant que je le saurai. La capsule est noircie et collante. J’enfonce une mèche dans le bouchon. Je soulève, et voici que le verre s’effrite. J’enlève quelques éclats, je nettoie alors que le bouchon est à peine soulevé, et j’utilise un sèche-cheveux pour qu’aucune poussière de verre ne puisse subsister. Le bouchon se brise en mille morceaux comme une fleur qui perdrait ses pétales. Aucune parcelle ne tombera dans la bouteille. Et là, bingo, jackpot, le parfum de ce vin est extraordinaire. Le caramel est infime, alors que le cassis, le poivre que j’avais sentis dans des 2005, les fruits confits, lancent des milliers de signes de vie. Je goûte et c’est l’extase. Il s’agit d’un immense Yquem. Valérie avait imprimé une fiche de dégustation du livre sur Yquem dont voici le texte : « " vin incroyable. Sa dégustation est un sommet d’expérience dans la vie d’un œnophile…un nectar qui verra le siècle à venir en parfait état. Acajou aux reflets dorés. Nez riche, fascinant; texture de liqueur. Très longue suite. Equilibre parfait. Exquis." (The Underground Wine Letter, 1983). Goûté à deux reprises par Alexandre de Lur Saluces, qui à chaque fois fut étonné par sa vitalité, sa profondeur et sa complexité. Vendanges commencées le 24 septembre. ». Ce que je découvre est exactement ce qui fut écrit il y a 23 ans. Si vous voulez prendre conscience de l’état de ma joie à ce moment là, allez voir sur le blog la photo qui fut prise de ma jouissance intérieure.

La longueur de ce vin est infinie, et je sentirai des dizaines de fois le fond de ce premier verre. Il s’agit d’un vin issu d’une bouteille qui n’aura jamais été ouverte en 145 ans puisqu’elle est d’origine, ce qui lui confère une rareté encore plus grande. A partir de là ma vie devient plus belle. Sandrine Garbay qui nous rejoint sent les vins avec moi et nous les commentons. Une bouteille entamée d’Yquem 1957 trainant à portée de main, Sandrine m’en verse quelques gouttes pour apaiser mon émotion. Ouvert depuis plusieurs jours, il a perdu de sa longueur, mais Yquem reste Yquem. En prenant ma douche dans une chambre mise à ma disposition, j’ai les mêmes sensations qu’un acteur à qui l’on aurait annoncé qu’il recevra l’Oscar du meilleur acteur. Sur un nuage, je vis un moment d’une intensité suprême. Je me dis que ma vie de collectionneur pourrait s’arrêter là. Mais attendons au moins le dîner.

Les invités arrivent et sont accueillis par Pierre Lurton qui nous fait visiter les chais. Les 2005 et 2004 sont en formation et les 2003 viennent d’être embouteillés. Dans la salle de dégustation nous goûtons Yquem 2001. Quel diabolique Yquem qui a tout pour lui, insolent gamin promis aux plus belles destinées. En le buvant, on « croque » le plus beau botrytis qui ait été fait.

Nous entrons au château et je vais rapidement saluer Marc Demund avec lequel j’ai eu de longues conversations de mise au point du menu. Dans le beau salon, le Dom Pérignon 1985 a pour mission d’effacer les traces indélébiles d’Yquem 2001. Mais au-delà de cela, il cause ! Champagne étonnamment complexe, aux mille évocations, il aurait besoin d’un beau plat, alors que les sacrosaints biscuits d’apéritif, dont je n’ai pas pu négocier l’absence, tradition oblige, brident sa longueur et son enthousiasme.

Nous nous rendons dans la merveilleuse salle à manger du château où nous serons neuf. Pierre Lurton et Carole, qui avaient déjà participé à l’un de mes dîners, deux relations qui m’avaient connu par France Info, un couple de russes et un couple d’ukrainiens. La connaissance des vins est loin d’être homogène, mais il y a de solides palais et une volonté commune d’apprendre.

N’ayant connu la cuisine de Marc Demund qu’en invité des lieux, je n’avais pas une vision exhaustive de sa cuisine. Son menu fut élégant, avec quelques audaces qui furent plébiscitées, et le tout d’un agrément certain : Œuf Poché au Corail d’Oursins / Noix de st Jacques sur Effilures d’Echalotes Confites / Homard Rôti aux Truffes / Esturgeon et Poireaux Bordelaise / Mignon de Veau à la Fleur de Lavande / Foie Gras de Canard Poêlé aux Amandes / Comté / Pavé de Mangue et Agrumes / Mignardises. Beau voyage bordelais.

Le Laville Haut-Brion 1976 a une couleur dorée. Son nez est expressif, et en bouche la qualité des plus grands blancs de Bordeaux apparait. Rond, à maturité, intégré et de belle longueur, il se marie à l’oursin de jolie façon. Pour ma jolie voisine, c’est le vin le plus ancien de sa vie, ce qui annonce bien des surprises à venir. J’ai senti qu’elle apprécie et apprend avec entrain. Le Château Carbonnieux blanc 1948 surprend toute la table par sa couleur de vin jeune. Le nez est de la même eau : éblouissant de jeunesse. C’est en bouche que l’on comprend qu’une palette de saveurs aussi bien constituée ne peut venir que d’un grand vin ancien. Je n’ai pas osé les échalotes, il parait que ce fut bon. La chair de la Saint-Jacques suffisait à mon bonheur.

J’ai fait cohabiter le Château Pavie 1971 et le Château Carbonnieux 1928 sur le homard, choix que j’adore. La truffe va remarquablement avec le Carbonnieux 1928 lourd comme du plomb, au nez de truffe. Tel un vieux porto il envahit le palais. Capiteux, il déroute quelques convives alors que je profite de chaque goutte d’un immense vin. A coté de lui, le Pavie d’une jeunesse folle (par comparaison), dandy chantant, se joue avec bonheur de toutes les composantes du plat. La chair du homard lui va bien. Beau Pavie très long, strict comme un Pomerol, et touché par la grâce d’une année qui réussit à la rive droite. Pierre Lurton apprécie en connaisseur l’élégance de ce saint-émilion, sans doute plus délicat que les réalisations actuelles de ce grand château.

Le Chambolle Musigny Bouchard Père & Fils 1967 offre la plus belle senteur de la soirée si l’on excepte Yquem. Magnifique odeur complexe et chaleureuse. Comme pour chaque vin, je suis émerveillé de ce qu’ils expriment lorsqu’ils ont eu l’oxygène qui leur convient. Que de fois dans d’autres dîners, on s’aperçoit à regret que c’est la dernière gorgée qui est la plus belle. Là, le vin est chaleureux dès son apparition. Et ce Chambolle Musigny est magnifique de charme et de gentille complexité. Il ne s’en laisse pas compter par l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1991, car celui-ci joue sur d’autres registres. Redoutablement séducteur comme les vins de ce domaine, il trouve dans la sauce de l’esturgeon un tremplin de pur bonheur. Quel accord splendide ! Marier une Bordelaise à deux vins de Bourgogne est un de mes plaisirs mutins, surtout lorsqu’on le fait dans ce site symbolique de la magie du bordelais. Deux bourgognes magnifiques qui forment un agréable pendant à la paire de bordeaux, quatre expressions du rouge dans des états d’un grand épanouissement.

Le délicieux mignon de veau accueille le Corton « cuvée B » Brossault 1929 dont l’odeur m’avait fait peur à l’ouverture. Il reste des soupçons d’âge, mais à mon agréable surprise tout le monde adhère à ce vin délicat, clair comme les Corton peuvent l’être. Sa longueur est belle, son palais fort subtil démontrant, s’il en était besoin, que 1929 restera dans l’histoire du vin. La Bourgogne dans sa majesté.

J’ai changé l’ordre des vins et des plats du fait de la dégustation d’Yquem 2001 qui demandait un traitement spécial du palais. Le foie gras se trouve donc ici, comme on le faisait au 19ème siècle, et j’ai gardé le champagne Krug 1988 sur ce plat. C’est une erreur que j’assume. Bien sûr, c’est possible. Mais ça n’apporte rien. Le champagne est grand, le foie gras est bon, aucun des deux ne se parle vraiment.

Un comté très approprié, car je l’avais demandé peu âgé, met remarquablement en valeur le Château Chalon Jean Bourdy 1955 qui a effacé mes craintes. Ayant un type « vin jaune » moins prononcé qu’à l’accoutumée, cela convient parfaitement à des convives novices qui n’eurent pas le réflexe fréquent de l’incompréhension. L’accord glisse avec facilité. Tout s’enchaîne avec bonheur.

Le Château d’Yquem 1961, offert par Pierre Lurton, pour servir de témoin à son aîné d’un siècle est un Yquem dans la ligne historique. La couleur est d’un or pur, joliment miellé, le nez est intense, d’un beau botrytis qui n’en impose pas. Et en bouche, c’est la récompense d’un Yquem sage, chaud, quasiment parfait. Le dessert lui va comme un gant, ce qui est sans doute l’un des plus beaux desserts que j’aie goûté en ce lieu que je révère, et va nous préparer à accueillir le vin qui justifie que l’on tînt ici ce dîner.

Le Château d’Yquem 1861 est d’une couleur foncée, lourde, mais lorsque le liquide s’écoule, des lueurs d’or et d’orange passent fugacement. Cette couleur est infiniment plus belle que celle qu’on apercevait à travers une bouteille opacifiée par l’âge. Le nez est éblouissant, sans doute plus pour moi que pour les autres convives, non parce que je serais celui qui « sait » mais parce que ma route a été jalonnée de témoignages de grands anciens. Pour Pierre, c’est son premier Yquem du 19ème siècle. Pour moi c’est mon plus ancien, car j’ai toujours raté les wagons qu’il eût fallu prendre où l’on ouvrait les 1847 et 1811, années qui me fascinent.

En bouche, c’est un nirvana absolu, car mieux que pour le 1950 récent, ce 1861 a dompté son côté caramel pour ouvrir ses bras aux fruits confits, aux compotes de pruneaux, et de temps en temps aux fruits oranges et aux agrumes. On ne peut pas boire cet Yquem sans émotion et sans penser qu’il a traversé 145 ans pour être bu. La date est historique pour nos hôtes russes, ce qui a justifié leur inscription à ce dîner. Je suis comblé par la perfection de ce nectar dont la longueur est telle que pendant la nuit et le lendemain matin, sa trace ne me quitta pas. Il faut évidemment des références pour goûter ce vin extrême. Mais les « novices » aussi sont touchés par sa majestueuse grandeur.

Pour la première fois je n’ai pas fait voter pour les vins, parce que l’atmosphère ne s’y prêtait pas. Je vais donc remplir l’unique bulletin de vote en commençant par Yquem 1861, suivi de Chambolle Musigny Bouchard 1967, Carbonnieux blanc 1948 et Château Pavie 1971. Il est certain qu’Yquem 1961 mériterait la vedette dans d’autres dîners. L’honneur qu’il porte à son aîné est magistralement mérité.

Ce soir fut la récompense la plus inespérée de ma passion des vins anciens. Merci à ceux qui l’ont permis.

Les vins servis à Yquem jeudi, 9 mars 2006

Légitime fierté que de poser avec les vins de ma collection qui figureront au dîner de ce soir.

Le dernier vin à droite est Yquem 1961 offert par Pierre Lurton. Puis Yquem 1861, et les deux qui suivent, que j’avais pris en réserve (Yquem 1893 en demie-bouteille et Yquem 1938) ne seront pas bus car l’Yquem 1861 fut splendide.

Yquem 1861 : J – 2 mardi, 7 mars 2006

I have already talked about this bottle. Some news.

The story, as I already told, had begun when noticing that a Yquem 1861 had a rather low level, I decided to put it in one dinner, as an alternative option to a Yquem 1938 of pristine condition.

Pierre Lurton suggested that I would make the dinner in Chateau d’Yquem. You can imagine how I was happy and proud. I changed therefore the list of wines, taking care that the champagnes would belong to the Arnaud’s properties.

I had the contact with the man who usually does the dinners and lunches in Yquem. I changed many things on his proposal.

I wrapped with emotion all the bottles to put them in my car.

I went in my cellar to choose a gift for Pierre Lurton, and I saw a split of Yquem 1893 of a nice colour, but low shoulder. I took it, with an idea : to share it with Pierre, Valerie, Sandrine and Francis, to thank them.

I had a travel with an enormous stress : how will my wines accept such a travel? When at the pay toll on highways there are some elements on the road designed to wake you up if you sleep by driving, I was nervous as it would probably shake my wines above their capacity of resistance.

I arrived in Chateau d’Yquem and brought the wines in a cool room near the kitchen. I checked that no damage had occurred. And Valerie and Sandrine were with me to see my wines. The colours of the dry whites are fantastic : Laville Haut-Brion 1976 is of a deep gold, and the colour of the Carbonnieux 1948 is the one of a really young wine. Nearly incredible.

Then we look at the Yquem. Christiane who served for many dinners that I attended by the time of Alexandre de Lur Saluces and had tears of emotion for the last lunch with the Count for his departure was tetanised by these bottles. She asked me : “will I sip just a drop of these treasures?”.

The Yquem 1938 that I have brought for security is magnificent. The colour is perfect, like semi-brown honey, and the fill is very high. The Yquem 1893 in half was not announced as I took it this morning. It created an enormous emotion on the three women : 1893 is a myth, and the castle has only one bottle. So, their way of reasoning is so : “if there is only one, we have no chance to drink this wine, which will remain as a testimony, and there, you bring a possibility to drink one”. They were excited. Unfortunately, Pierre Lurton will not be there when Sandrine will be there, as Sandrine has to leave on Thursday when Pierre will come, so I will probably not open this bottle if the four of them are not all together. I will decide what to do.

The 1861 is low shoulder and significantly dark. Will it be as the 1950 which I opened last Sunday? We will see. As the 1950 performed well, I have hopes.

I stayed there, in the castle, talking with the three women, that I appreciate, for one and a half hour. What struck me is the emotion that they showed when seeing these bottles. Instead of being neutral, they were participating in advance with what will happen in two days in this castle, for which I have a unique and special love. This place represents to me the equivalent of the Taj Mahal in wine.

The bottles will be opened in two days. I will tell you.

j’ai préparé les vins du prochain dîner à Yquem vendredi, 3 mars 2006

On peut assez aisément imaginer ma fierté de faire le prochain dîner de wine-dinners en ce lieu merveilleux. C’est dû évidemment à l’extrême générosité de Pierre Lurton mais aussi à mon "passeport", un Yquem 1861 dont le château n’a aucune bouteille.

La bouteille a un bouchon qui doit être d’origine. Elle a évidemment souffert, mais le liquide me plait. Une petite fuite a sali l’étiquette. Grande angoisse sur ce que ce sera. J’ai pris à titre de secours une très jolie Yquem 1938. Mais comme me l’a dit Valérie Lailheugue, agréable correspondante au château, "vous savez, on a aussi des solutions de secours".

Les autres bouteilles sont sans histoire. J’attends beaucoup d’un Corton 1929 qui m’est inconnu.

dîner de wine-dinners chez Patrick Pignol – le menu jeudi, 16 février 2006

les deux champagnes et le Chevalier Montrachet ne sont pas sur la photo
Dîner du 16 février 2006 au restaurant de Patrick Pignol /
Bulletin 172
Les vins de la collection wine-dinners
Champagne Ayala Brut ancien vers 1980
Champagne Salon « S » 1983
Corton Charlemagne Eugène Ellia 1993
Chevalier-Montrachet Domaine Leflaive 1993 
Vouvray le Haut Lieu Demi Sec Huet 1971
Château Coustolle Côtes de Canon-Fronsac 1966
Château Margaux en magnum 1970
« SEG » F. Sénéclauze (13°)  Saint Eugène (Oran) récolte 1952
vin très ancien de la cave de M. Bichot père, probable avant 1920 (voire avant 1900)
Arbois Jaune Louis Carlier 1949
Château d’Yquem 1959
Le menu composé par Patrick Pignol
Damier de Saint-Jacques et truffes noires
Langoustines croustillantes infusées au citron et parfum de marjolaine
Oursins en coque, mousseline de persil tubéreux
Animelles dorées au beurre de cardamome
Cochon de lait en cocotte, légèrement pimenté au gingembre
Salsifis lardés
Mimolette « vieille » dans sa simplicité
Clémentines caramélisées et petites madeleines au miel de bruyère

dîner de wine-dinners au restaurant de Patrick Pignol jeudi, 16 février 2006

Le 66ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de Patrick Pignol. J’étais allé dîner quelques jours auparavant après le spectacle de Laurent Gerra pour évoquer diverses hypothèses d’accords. Le chef est à Rungis avant l’aurore et fait son menu en fonction des produits qu’il trouve, mais bien sûr avec quelques idées en tête que mes vins lui suggèrent. C’est cela que j’étais venu scruter, car Patrick aime créer des recettes nouvelles avec des clins d’œil joyeux.

vin de Bichot de plus de cent ans. Mystère ! Pour lui donner un nom, j’ai supposé : Beaune Bichot 1899 (lire le compte-rendu ci-joint)

J’arrive pour l’ouverture des bouteilles. Deux journalistes et un photographe vont assister à cette cérémonie devenue un rite. Comme je réponds à des questions tout en ouvrant, je suis peut-être moins attentif à certains détails, et la statistique quasi irréelle de bonne tenue de mes bouteilles va se faire plomber ce soir. Le vin qui m’inquiète, c’est l’Arbois. Il a un nez plat de vin fatigué. Je suis prêt à le déclarer mort, car il me chiffonne trop. Je vais lui laisser une chance, mais il est exclu qu’il accompagne les oursins. On va donc lui substituer le Vouvray au nez rassurant, en demandant au chef de faire ressortir le coté sucré des oursins. Le message lui parvient.

Tout en répondant aux questions des deux journalistes, je fais mon inspection des odeurs, et voilà que le Corton-Charlemagne est bouchonné. A peine perceptible en bouche, mais le nez rebute trop. Je décide de prendre sur la carte de Patrick Pignol un Chevalier-Montrachet. Pas question de décevoir mes hôtes malgré un volume de vins très nettement supérieur à la moyenne habituelle pour les neuf que nous serons. Le bouchon du Bichot confirme qu’il a plus de cent ans. Cette bouteille sans étiquette fait du vin une énigme. Son odeur est redoutablement belle.

Mes hôtes arrivent avec une ponctualité remarquable et nous faisons un tour de table pour nous présenter sur un Champagne Ayala Brut ancien vers 1980. En fait, en  bouche, je dirais volontiers 1975. Les participants comprennent dès ce premier vin que nous entrons dans le monde des vins anciens. Belle rondeur en bouche et trace longue, équilibre chaleureux. C’est une belle mise en bouche.

Voici le menu composé par Patrick Pignol, menu de retour de marché : Damier de Saint-Jacques et truffes noires / Langoustines croustillantes infusées au citron et parfum de marjolaine / Oursins en coque, mousseline de persil tubéreux / Animelles dorées au beurre de cardamome / Cochon de lait en cocotte, légèrement pimenté au gingembre, salsifis lardés / Mimolette «vieille » dans sa simplicité / Clémentines caramélisées et petites madeleines au miel de bruyère. Il y aura dans ce voyage gastronomique de belles émotions. Et les clins d’œil subliminaux ne manqueront pas.

Nous avons autour de la table deux couples qui sont venus à la suite de l’interview de France Info de l’année dernière, qui a manifestement été entendue en Suisse et dans le limousin, les deux journalistes, une amie d’enfance qui, au lieu d’avoir le pieux recueillement que suggèrent mes doctes propos, ne cessait de me plaisanter comme quand nous avions vingt ans, et l’ami cuisinier de génie à ses heures que je voulais remercier de ses prouesses racontées dans de précédents bulletins. Pour la première fois depuis bien longtemps c’était un dépucelage pour tous les convives. Il y a d’habitude toujours un « ancien » qui joue les vétérans. Là, point. Le dîner commence.

Le Champagne Salon « S » 1983 aura du mal à exprimer son nez car nous sommes sous un nuage de parfum de truffe. Le plat est éblouissant et le Salon affiche des personnalités différentes que révèlent le sucré de la coquille ou l’insistance de la truffe. Ce champagne a la couleur d’une pêche déjà rosie, une belle bulle active et une profondeur en bouche qui est rare. Et l’accord met nos sens en éveil tant il faut être attentif pour déceler tout ce qui se passe dans notre palais. Nos papilles sont heureuses.

Devant la profusion des vins, je n’ai même pas cherché à savoir si le Corton Charlemagne Eugène Ellia 1993 revenait à la vie. On ne le saura jamais. Le Chevalier-Montrachet Domaine Leflaive 1993 est tellement éblouissant que la question n’a plus d’intérêt. C’est un vin jeune puissant, chaleureux, qui joue sur du velours avec une langoustine goûteuse à souhait. Ici, on ne se pose aucune question car tout est naturel et parfait.

Cela n’allait pas être le cas avec l’oursin et le Vouvray le Haut Lieu Demi Sec Huet 1971. Je dis un peu trop vite que je trouve la mousseline trop salée. Le chef informé vient rectifier notre appréhension sur le plat. Et effectivement mon impression change après deux ou trois cuillérées. L’oursin a des accents de châtaignes, avec cette légère douceur qui convient au Vouvray. Notre table se divise en deux camps, ceux qui pensent que l’oursin rétrécit le vin, qui s’épanouit dès que le plat est fini, et ceux qui comme moi pensent que l’accord est d’un immense intérêt. On pourrait sans doute rapprocher les points de vue en admettant que le plat n’élargit pas le vin mais que l’accord est judicieux. Malgré les remarques de quelques convives, je pense que cet essai se devait d’être tenté, parce qu’il sollicite les papilles comme en un manège, où l’on est pris dans un tourbillon de saveurs variées. Ce Vouvray est éblouissant de charme et de sérénité.

Les animelles devraient sans doute s’appeler animâles, car il s’agit des parties sexuelles mâles qui généralement vont par deux. Faisons le calcul. Nous sommes neuf, et nous avons chacun dans notre assiette trois moitiés de testicules de veau. Où est le chaînon manquant ? Est-ce la masse manquante de l’univers ? Plat délicieux qui a montré que je ne devrai plus essayer le Château Coustolle Côtes de Canon-Fronsac 1966, car cette bouteille bouchonnée (je ne l’avais pas remarqué à l’ouverture) fait suite à un autre malheureux essai. Heureusement, il suffisait d’avoir le Château Margaux en magnum 1970, qui après avoir installé un suspense sur la première gorgée non encore ouverte, fit montre de l’éclat rayonnant d’un beau bordeaux chaleureux. Ce n’est pas le meilleur Margaux qui soit, mais quand il a trouvé son épanouissement, il communique un plaisir sans mélange.

Je tenais absolument à voir en situation de repas ce « SEG » F. Sénéclauze (13°)  Saint Eugène (Oran) récolte 1952. Il n’a pas manqué son rendez-vous. Epanoui, chaud en bouche, au message simple mais convaincant, j’ai adoré, alors qu’un bourguignon présent à table allait évidemment lui préférer le vin très ancien de la cave de M. Bichot père, probable avant 1920 (voire avant 1900). Ce vin m’avait été offert dans la cave de M. Bichot, vin sans étiquette, sans dénomination, que l’on aurait pu identifier en se référant aux numéros des cases. Mais cela a-t-il de l’importance ? La couleur évoque un Beaune, et le goût aussi. Le bouchon m’avait indiqué la fin du 19ème siècle. Le goût me suggère 1899 car j’en ai le souvenir. Je ne garantis évidemment pas cela, mais comme il n’est plus possible de vérifier, disons : Beaune Bichot 1899. Ce vin est splendide. Il sera définitivement sacré dans les votes. Sa jeunesse étonne, et la plénitude de l’assemblage de toutes ses composantes. Magnifique sur le cochon de lait, il ne doit pas faire oublier le vin d’Oran que j’ai beaucoup apprécié, dans des atmosphères de Rhône.

La mimolette à pleine maturité allait accompagner un revenant, l’Arbois Jaune Louis Carlier 1949. C’est vraiment un ressuscité car le vin que j’aurais volontiers déclaré mort tenait son rôle à ce stade du repas. Légèrement fatigué, sans doute, mais redevenu de sa région.

Le Château d’Yquem 1959 a une couleur qui ferait pâlir d’envie les publicitaires qui veulent vanter une crème solaire. Ce vin a la couleur des délicieuses gelées de coing dont ma femme règle l’alchimie. Le nez est exact. C’est l’Yquem dans sa plénitude totale. La longueur est infinie, et bien malin qui pourrait trouver le moindre défaut à ce sauternes idéal. Plus beau, plus chaleureux que le 1937 de l’académie. Là-dessus, la clémentine caramélisée a capté avec une précision absolue l’organigramme de cet Yquem. Et l’accord est impressionnant. On est en présence d’une perfection culinaire totale. Inutile de dire que la joie est à son comble.

Nous ne serons que huit à voter car une jolie chypriote férue d’art s’en sent bien incapable. Le Beaune de Bichot rafle quatre places de premier et trois places de second. Le vin d’Yquem reçoit trois votes de premier et le Salon un vote de premier. Le palmarès résultant de tous les votes serait : Beaune Bichot vers 1899, Château d’Yquem 1959, Château Margaux 1970, Vouvray le Haut Lieu Huet 1971 et champagne Salon 1983. Mon vote : Château d’Yquem 1959, Beaune Bichot vers 1899, Vouvray Huet 1971, champagne Salon 1983.

L’ambiance était à la joie, aux rires, aux petites taquineries amusantes, avec un Patrick Pignol souriant et épanoui, sa cuisine au diapason de son humeur, un service attentif. Une soirée qui illuminera le ciel des souvenirs de chacun des participants.

un dîner pour des membres du forum la passion du vin mardi, 31 janvier 2006

 

une bonne partie des vins bus ce soir. Au premier plan, un de mes « chouchous », Nuits Cailles Morin 1915

 

 

L’histoire commence lors de l’émission d’Antenne 2 « Envoyé Spécial » où l’on me voit dans ma cave. Je montre des bouteilles d’alcool et je dis : « au rythme où je bois des alcools, j’ai ici plus de mille ans de consommation ». Un spectateur n’entendant pas le mot « alcool » pense que j’ai en cave des vins pour mille ans et écrit sur un forum : « voilà un très mauvais exemple, puisque, s’il a mille ans de stock, c’est qu’il ne boit rien ». S’ajoutent des commentaires acerbes qui poussent un de mes amis à me suggérer de mettre les choses au point. Ce que je fais.

 

Ayant l’habitude d’écrire mes aventures sur un forum américain, je trouve ce forum francophone actif, ce qui est rare et j’y écris. Une volée de bois verts accueille mes propos : richard, buveur d’étiquettes, people, ignare, j’en passe. Une meute s’organise pour essayer de me faire fuir. Ceci n’est pas dans mon tempérament. Mais le six-cors le plus vaillant ne peut rien quand les poursuivants s’organisent. Je m’épuise en courses inutiles. Une idée me vient. J’invite une dizaine des membres de ce forum pour qu’on boive de mes vins à ma façon. Mon ami Jean Philippe Durand que je consulte, qui avait créé une cuisine impressionnante à la Saint Sylvestre accepte de faire le menu de cet événement. Je passe de longues heures à chercher des vins qui les surprennent, et nous voilà chez Jean Philippe Durand, onze inconnus de ce forum et moi.
Je me croyais en milieu hostile, et voilà que je découvre onze passionnés de tous horizons, tous sympathiques même quand nous avions ferraillé. L’ambiance fut joyeuse, amicale, enrichissante.

 

Je propose comme un clin d’œil de démarrer sur un Clacquesin. Cette liqueur de goudron, faite à partir de résine de pin, si l’on s’en tient à la première impression, est affreusement médicinale. Mais si on va un peu plus loin, les complexités s’organisent, et je suis très excité par ces saveurs inconnues. L’un d’entre eux, Jérôme, aura le mot juste : le Clacquesin appelle une saucisse de Morteau. Et c’est vrai.
Comme il faut expliquer ma démarche et ce que j’attends de cette soirée où j’invite, on se prépare comme à l’académie des vins anciens avec un Champagne Léon Camuzet de Vertus, âgé de l’ordre de dix ans dont je suis mauvais juge puisqu’il fait partie de mes traditions familiales. Un velouté de potimarron, arôme de céleri, le chatouille agréablement. Tous les vins qui vont suivre seront bus à l’aveugle, ce qui n’est pas dans mes habitudes, mais ne connaissant aucun des convives, je ne veux pas que les commentaires soient inversement proportionnels aux prestiges des étiquettes.

 

Nous démarrons par une Clairette de Die Jean Algoud, vers années 60 sur une huître Gillardeau n°2 simplement pochée, sabayon extrême à la reine des prés. La Clairette a perdu l’essentiel de sa bulle, a une couleur qui a foncé, mais offre en bouche une belle présence. Bien goûteuse, elle est de grand plaisir. Le même Jérôme la découvrira à l’aveugle, ce qui est impressionnant. Ce fut la seule découverte des vins de ce soir, l’objet n’étant évidemment pas de trouver des vins très inhabituels pour beaucoup.

 

Le Grand vin de Cassis, La Ferme Blanche vers 1985 accompagne un foie gras de sept heures, chutney de poireaux à la coriandre, caramel acide d’épices dont la tendreté est inénarrable. Le vin un peu court mais joliment expressif ne ressemble plus tellement à un vin du Sud puisque certains penseront au Jura. L’accord fonctionne à merveille.
Le Saint Véran maison Bichot 1989, vin que j’aime beaucoup pour la palette très éclectique de ses saveurs bigarrées fait son parcours avec une noix de St Jacques juste saisie, soupçon de vanille, laitance de roquette à l’amande douce, girolle. Jean Philippe Durand aime invoquer la roquette. Même épurée, discrète, sa trace effraie les vins. Pas trop en l’occurrence, mais un peu quand même.

 

On fait beaucoup d’honneur au Montlouis La Taille aux loups demi-sec 13° – 1990 en le mariant au bar à l’unilatérale, jus végétal au coquelicot, coing poêlé qui représente la forme ultime de la chair de bar. J’attendais beaucoup de ce Montlouis que j’adore. Je le trouve ici un peu en dedans, malgré des complexités chantantes. Il joue en sourdine.
Hélas, le saumon mi-cuit vapeur, framboises façon royale, morille à la pistache, qui est sans doute le plus grand saumon que j’aie goûté de ma vie, ne va pas trouver un partenaire à sa mesure avec le Château Coustolle Côtes de Canon Fronsac 1966. Il a un léger nez de bouchon, qui ne se voit pas en bouche. Mais le goût est sec, attristé, confiné. C’est dommage car je comptais beaucoup sur ce vin, l’une des plus belles expressions de son appellation. Heureusement pour le plat, un Château La Tour de Bessan Margaux 1949 au nez brillant à l’ouverture, au niveau proche du goulot, va constituer l’une des plus belles surprises de cette soirée. Il me confirme la grandeur de cette année magique, souvent masquée par l’ombre de 1945 et 1947.

 

Le quasi de veau, basse température, crème de foie de veau, mousseline de vitelottes, d’une subtilité rare forme avec le Moulin à Vent Alfred Liboz 1955 l’accord le plus émouvant de la soirée. Tout est totalement dosé. Le vin ne joue pas trop fort, car sa fatigue est réelle, mais il raconte un joli discours qui rosit les joues de cette pomme de terre violette. Magnifique moment de pure harmonie.

 

Si ce qui précède est le plus bel accord, voici maintenant le plus grand vin. Le filet mignon de porc poêlé minute, truffe noire, coulis de pétales roses, cèpe est le plat parfait pour mettre en valeur mon chouchou, l’un de mes vins préférés, le Nuits Saint Georges Les Cailles, maison Morin 1915 dont je vais bientôt tarir la source tant je le mets en vedette dans des dîners. Quel vin ! Un nez d’une expressivité extrême et en bouche, une séduction chatoyante d’un grand vin à la maturité sereine. Inutile de préciser que j’adore.

 

Le cuissot de biche en rôti, jus court à la truffe noire, chou vert en compotée est un plat fort. La biche est là et se fait voir. Elle le mérite. Il lui faut bien deux vins puissants qui ont été rajoutés au dernier moment. Je range en ce moment ma cave pour détecter les bouteilles qui sont en danger, du fait de l’état de leur bouchon. Voici une bouteille étonnamment ancienne, au cul extrêmement profond comme on le faisait au 19ème siècle, qui n’a plus d’étiquette, et dont la capsule indique un très grand vin, aux caractères illisibles tant elle a été rongée. Je pressens un premier grand cru classé, je pressens une année très ancienne, 1900 ou avant. Compte tenu d’achats dont j’ai la mémoire, ce pourrait être un Cheval Blanc 1900. Mon ami sommelier qui fait le service du vin confirme en le goûtant mon impression de mémoire. Appelons-le Cheval Blanc 1900. Si ce n’est pas ça, c’est du même calibre. Le nez à l’ouverture confirme la grandeur du vin car je reconnais des repères de Cheval Blanc 1947. Nez puissant, dense, qui annonce une force extrême. En bouche, le vin est vieux, mais expressif encore. Je l’aime plutôt. Mais la surprise la plus grande vient du Château Mouton-Rothschild 1934. Ce vin serait invendable en salle de ventes car il serait classé « vidange », c’est-à-dire sous le bas de l’épaule. Or aussi bien au nez qu’en bouche, c’est comme s’il n’en était rien. Ce n’est pas le plus flamboyant des 1934 bien sûr, mais on sent un Mouton vivant, plein de séduction. Une agréable surprise pour moi. Sachant les incertitudes de ces deux grands ancêtres bordelais, j’avais ajouté un vin d’Algérie, Cuvée du Président, vers 1980, pour servir d’étai à d’éventuelles défaillances. C’est l’étai qui le fut, variation sur l’être, tant il est fragile à coté de ces chenus vétérans.

 

Un Stilton de compétition, crémeux à souhait va faire briller le Château Pion, Monbazillac 1973, liquoreux que j’adore car il est généreux. La poire Williams, tiède mais crue, est un joli exercice de style de Jean Philippe Durand, magnifique variation sur la poire, mais hors sujet quand elle vole la vedette au vin.
Au contraire, le suprême de pomelos juste saisi, coulis de mangue aux agrumes, mangue fraîche est exact avec le subtil et délicat Château Cantegril, Haut-Barsac 1922 qui décline des saveurs concentrées d’agrumes avec une fraîcheur déconcertante. Mes hôtes ont pu comprendre en quoi les sauternes de plus de 60 ans ont quelque chose en plus que ne peuvent atteindre les plus jeunes.

Il est si tard que je n’ai pas fait voter mes convives. Si je dois voter maintenant, mon quarté serait le suivant :
– Nuits Saint Georges Les Cailles, maison Morin 1915,
– Château La Tour de Bessan Margaux 1949,
– Château Cantegril, Haut-Barsac 1922,
– Clairette de Die Jean Algoud, vers années 60.
J’hésite entre Mouton et Clairette, mais place aux jeunes, pour une fois.

 

Le repas était si complexe, Jean Philippe Durand étant tout seul pour combler les papilles de cette tablée de douze que la fin des festivités se fit après deux heures du matin. Le temps de ranger les verres que j’avais apportés, replier quelques chaises d’appoint, débarrasser, nous aurions pu croiser le laitier sur le chemin du retour.

 

Ces nouveaux intronisés dans les vins « de ma planète » m’ont offert des cadeaux d’une générosité invraisemblable. Voilà des gens que je croyais accueillir en adversaires qui me montrent une gentillesse attentionnée. Les larmes n’étaient pas loin de couler sur mes joues.
J’avais lancé cette invitation folle, absurde à toute logique. Et voilà que ce fut un dîner charmant, amical, plein de découvertes de vins qui ont traversé l’histoire avec des bobos parfois mais encore beaucoup de messages parlants.

J’étais dans l’irrationnel. La joie de l’avoir fait est bien réelle. Et je pense qu’elle est partagée.