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dîner de wine-dinners au restaurant Apicius 60ème vendredi, 18 novembre 2005

Le 60ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Apicius, rue d’Artois. Cet écrin est magique. Le jardin d’une fin d’automne s’est décoré de vases colorés qui forment un orgue champêtre, les amaryllis ajoutent des couleurs à la Gauguin quand la décoration moderne et raffinée se déguste comme un vin de soleil.
J’inaugure à l’occasion de ce dîner trois éléments nouveaux ou presque. Le dîner est un vendredi, alors que le jeudi était quasi statutaire, il se tient dans un salon privé très agréable, et nous ne sommes que huit, pour être à l’aise dans ce petit salon. Ayant prévu des vins pour dix et ayant décidé d’offrir un petit cadeau aux convives, je change quelques vins. L’ouverture se fait avec Hervé, grand sommelier dont l’importance de la crinière s’accroît avec la notoriété du lieu. Nous échangerons beaucoup, ce que j’adore. Un journaliste américain qui travaille pour une chaîne de télévision newyorkaise vient assister à la cérémonie d’ouverture. Je lui fais sentir les bouchons et les vins, et ma confiance dans le retour à la vie de certains vins l’étonne profondément. Il écrit beaucoup sur le vin, a une belle culture de nos vignobles puisqu’il vit en France, mais je le fais entrer dans un monde particulier. J’ai quelques interrogations sur des odeurs incertaines. Nous verrons. Je m’occupe de régler les températures des stockages d’ici le dîner.
Jean-Pierre Vigato ne sera pas là ce soir, ce qui arrive peu pour mes dîners, mais toutes les instructions ont été données. Et cette cuisine sereine, précise, bourgeoise, a de nouveau frappé très fort. Voici le menu : Cuillers « dégustation » / Foie gras de canard poêlé au chocolat noir et poudre d’orange / Homard cuit-cru à la citronnelle / Petit pâté chaud d’oiseaux…. / Râble de lièvre à la broche et compote, « comme à la Royale » / Vieux Comté et pommes de terre aux noix / Pommes en feuille à feuille, miel de cassonade à l’orange / Mignardises.
Le Chablis Grand Cru Blanchots Domaine Vocoret 1996 est rassurant comme pas deux. Précis, il s’accorde au délicieux petit boudin et aux escargots en cuiller.
Le Maury Mas Amiel 1974 m’avait fait peur à cette place du repas, car son nez lourd me laissait imaginer une forte trace qui influencerait le reste du repas. Ouvert près de quatre heures avant, le vin qui enivrait de son impérieuse émanation fut d’une délicatesse exemplaire sur le foie gras au magistral chocolat. Il fallait un chocolat bien sec, cacaoteux, et ce Maury distingué, presque sec dans son expression, pour atteindre un de ces accords chantants qui m’enthousiasment. La trace d’orange est une signature qui embellit le tout.
Le Riesling Cuvée Frédéric Emile, Vendanges Tardives, Trimbach 1990 est d’une définition précise, d’un contenu documenté éblouissant. On n’est pas dans le registre des vins anciens mais dans celui des vins épanouis et expressifs. Le homard est peut-être timide pour ce vin épanoui, un peu entravé par la citronnelle.
Sur le pâté de grive, si simple mais si complexe en même temps, talent du chef, le Château Mouton Rothschild 1962 dont le nez était dans le brouillard à l’ouverture se livre, se construit, et l’on reconnait un Mouton discret, mais typé, d’une distinction remarquable. Mais le Château Paveil de Luze Haut Médoc 1937 est bien trop brillant. Bouteille ancienne au bouchon d’origine et au niveau base de goulot, donc parfait, ce vin d’une couleur très jeune, qui avait exhalé dès l’ouverture une santé insolente, ravit l’âme par sa structure élégante, sa densité veloutée qui prend dans le gibier de quoi se conforter. Un vin de grand plaisir.
Et puis, voilà qu’arrive le gredin de banlieue, pas un contemporain mais un surineur des contes d’Eugène Sue, un Jules Berry du film « Le Jour se lève », j’ai nommé : La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1957. La chair du râble est émouvante de sensibilité. Et La Tâche, au nez amer de vin râpeux, puis décochant en bouche un dépaysement absolu, est tentant comme la beauté du Diable. Quand on accepte le coté dérangeant de ce vin, on est conquis, et toute la table le fut. Quel contraste entre le coté rassurant du 1937 conservé comme un jeune homme et le coté canaille de ce La Tâche dont l’équilibre de l’agressivité et du charme est saisissant.
Cher lecteur, habitué de mes absences d’objectivité, pardonnez-moi un instant. Quand je goûte un Château Chalon Jean Bourdy 1947, je ne peux pas dire que je suis le même. Je touche à des saveurs qui me liquéfient de bonheur. Il y avait pour ce vin des Comtés de plusieurs âges de 2003 et 2004. Comme souvent, c’est le plus jeune qui me plait, car il ne faut pas lutter avec le charme de noix fraîche du vin jaune. Les petites variations associant la pomme de terre ou le reblochon n’apportent rien.
Le dessert à la pomme, impressionnante construction pyramidale qui a cuit pendant dix heures, est absolument délicieux. Bien sûr, il va donner au Château d’Yquem 1984 une saveur qui en tiendra compte. Cet accord n’est pas neutre. Il n’élargit pas le vin doré et discret d’Yquem, mais il lui donne une personnalité particulière. Plusieurs convives fêtaient leurs premier Yquem. Ils furent comblés par ce 1984 qui fut grand. Ce n’est pas le plus flamboyant, mais il est solide.
J’avais pris en cave le cadeau du 60ème dîner, mais je m’aperçus en l’ouvrant qu’il était fortement dépigmenté. Le Madère vieux, mis en bouteille en 1893 date peut-être de 1870. Nous avons cherché des lueurs de vie dans ce vin. Mais ce n’était qu’un liquide vieux, sans vie, sans âme, sans passion.
La table était composée de gens qui ne se connaissaient pas. Une académicienne de l’académie des vins anciens participait à son premier dîner. Un seul convive avait l’expérience d’un dîner, celui de l’Oustau de Baumanière. De divers horizons, de diverses expériences, certains furent interviewés par une journaliste spécialiste de gastronomie qui avait participé à ce dîner. Je sus que dès le lendemain, très tôt, on entendit leurs commentaires. Par malheur je ne suis jamais tombé au bon moment sur France Info pour entendre ce qu’ils ont dit. J’ai su ensuite que ce fut délicat et bien exprimé.
Nous avons procédé aux votes, selon la tradition. Tous les vins sauf le madère eurent au moins un vote, ce qui me plait toujours. Les plus votés furent La Tâche avec quatre votes de premier, le Château Chalon avec quatre votes de premier, sur huit, et sans le mien ! Et Yquem qui eut cinq votes de second.
Mon classement fut : La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1957, Paveil de Luze 1937, Château Chalon 1947 et Riesling Cuvée Frédéric Emile Trimbach 1990.
La cuisine positivement bourgeoise et diablement précise de Jean Pierre Vigato convient bien aux vins anciens. Le râble est exceptionnel de tendreté. Le joli salon rend plus difficile qu’une salle de restaurant le premier contact entre les convives qui se présentent entre eux, car une salle met plus facilement à l’aise qu’un salon. Le Paveil de Luze, couronné d’un vote de premier montra à quel point un vin bien conservé peut être d’une jeunesse émouvante.

Dîner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 20 octobre 2005

Dîner de wine-dinners du 20 octobre 2005 au restaurant Laurent
Bulletin 157

Les vins de la collection wine-dinners
Magnum de champagne Rothschild à Epernay Réserve Vintage 1973
Laville Haut-Brion blanc 1976
Saint Saturnin rosé grande sélection, VDQS de l’Héraut cuvée 1959
Château Ausone 1955 (le deuxième 5 est supposé)
Magnum de Château Grand Lambert, Veuve Blanchet Ména, Pauillac 1924
Nuits les Cailles, Morin 1915
Sauternes Joanne, appellation contrôlée vers 1950
Château d’Yquem 1949

Le menu composé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon

Saint-Jacques marinées dans un lait crémeux au goût fumé, folichonne de concombre et raifort

Cuisses de grenouilles et haricots coco façon blanquette, jus en écume et noix de muscade

Jarret de veau de lait cuit doucement, légumes de chez Joël Thiébault rehaussés d’un jus acidulé

Râble de lièvre rôti au genièvre, mille-feuille de pomme gaufrette au chou rouge

Poire pochée au tilleul de Carpentras, mont-blanc et meringue mi-cuite

dîner de wine-dinners au restaurant Laurent 59ème jeudi, 20 octobre 2005

Le 59ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Laurent. Je me dirige vers cette belle rotonde que l’on voit de l’entrée, donnant sur le beau jardin aux marronniers complices. Une supernova m’aveugle. Patrick Lair, en m’attendant, a disposé les bouteilles du repas face au jardin, et Yquem 1949 brille comme un lourd diamant jaune sur les doigts d’une fée. Les niveaux des bouteilles sont tous exceptionnels, alors que toutes sauf une n’ont jamais été rebouchées. Le Château Grand Lambert 1924 a été rebouché en 1984. Les bouchons sortent facilement. Celui de l’Yquem s’effrite car il est très imbibé, celui du Nuits 1915, d’origine, fait tomber le monopole qu’avaient les vins de la Romanée Conti, car sous la capsule un fort sédiment sent la terre comme le constatera Christèle, charmante sommelière de précédents dîners, qui s’intéressait, comme Patrick Lair, aux odeurs de ces merveilles. Tous les parfums sont idéaux, pas de menace d’évanouissement et au contraire, il se dégage tant d’envoûtement de la bouteille d’Yquem que je referme bien vite afin que ces senteurs enivrantes soient partagées par tous mes convives. Tout s’est si bien passé, dans l’ambiance amicale de ceux qui préparent un chef d’œuvre, qu’un observateur de passage aurait dit : « c’est si simple que cela ? ».
Je me promène dans le quartier lourd en antiquaires et en boutiques de mode exhibant des robes portées par des déesses de plastique et je reviens pour accueillir les convives. Il y a un journaliste japonais qui rapportera sans doute l’événement à des connaisseurs qui ont une érudition rare, un journaliste d’un grand hebdomadaire qui racontera le dîner (certains d’entre vous l’auront lu), le rédacteur en chef d’une revue professionnelle sur la viticulture qui aura approché une autre vision du vin, des jeunes mordus de mes dîners qui étranglent une nouvelle fois leur cagnotte, mon frère et son épouse qui voulaient voir enfin ce dont on parle souvent en famille car je ne peux m’empêcher de raconter ces aventures, un ami de quarante ans, à l’époque où l’on se disputait les prochaines danses dans des rallyes, entre deux épreuves de mathématiques, et la plus fidèle de ces dîners, qui a probablement assisté à un bon tiers d’entre eux, dont l’enthousiasme est l’un de mes forts encouragements.
Nous prenons au bar une coupe du magnum de champagne Rothschild à Epernay Réserve Vintage 1973 qui surprend par la jeunesse de sa bulle. La couleur est belle et dense, les petits toasts au saumon glissent en bouche avec bonheur et excitent cette belle bulle. Le goût s’est arrondi, concentré, et c’est un vin qui s’est simplifié, mais a gagné une longueur et une expressivité vineuse rares. Je ne m’attendais pas à tant d’élégance de ce champagne que je ne connaissais pas. Nous reprenons ce champagne à table. Il est donc opportun que je vous en donne le menu.
Le menu composé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon : Saint-Jacques marinées dans un lait crémeux au goût fumé, folichonne de concombre et raifort / Cuisses de grenouilles et haricots coco façon blanquette, jus en écume et noix de muscade / Jarret de veau de lait cuit doucement, légumes de chez Joël Thiébault rehaussés d’un jus acidulé / Râble de lièvre rôti au genièvre, mille-feuille de pomme gaufrette au chou rouge / Poire pochée au tilleul de Carpentras, mont-blanc et meringue mi-cuite. Nous nous connaissons tant avec Philippe Bourguignon que j’ai approuvé sa proposition sauf sur un plat. Malgré mon amour inconditionnel du lièvre à la royale et malgré la confiance indéfectible que j’ai pour mon Nuits Cailles 1915, j’ai demandé un râble. Là aussi, l’observateur de passage de tout à l’heure, s’il était revenu pour ce dîner aurait encore dit : « c’est si simple que ça ? », tant tout apparaissait naturel, facile, sans la moindre question.
Entre temps, la bulle du champagne s’évanouissait petit à petit, le champagne devenait plus vineux, et avec le sucré des coquilles Saint-Jacques, l’accord était magique, perturbé par cette folichonne de concombre excentrique mais pas par le raifort qui donnait une excitation justifiée au champagne.
On allait goûter deux vins sur les cuisses de grenouille. Le Saint Saturnin rosé grande sélection, VDQS de l’Héraut cuvée 1959 a une couleur d’un beau rubis raffiné, un pâle de Ceylan. Le nez est renversant de pureté, et j’ai adoré au-delà de l’imaginable ce rosé qui arrivait à exister à coté d’un des monstres sacrés de Bordeaux, le Laville Haut-Brion blanc 1976 qui dans cette année sèche et chaude explose de puissance alcoolique et de complexité. L’émulsion et les haricots coco formaient avec le rosé un accord qui prenait au ventre. Objectivement le rosé allait mieux avec le plat que le Laville, puissant, sûr de lui, qui méritait les vivats pour son talent intrinsèque. Le plat est une merveilleuse mise en valeur des vins.
Comme dirait un présentateur télé, c’est sous un tonnerre d’applaudissement que trois cheminées de centrales atomiques, trois jarrets de veau cuits vingt heures apparaissaient à notre table. J’avais annoncé dans le programme : Château Ausone 1955 avec cette mention : le deuxième 5 est supposé. J’avais bien supputé car le bouchon impeccable et d’origine révéla Château Ausone 1955. L’odeur d’emblée était sensuelle. Ausone nous annonçait : ce coup-ci, je ne joue pas les rosières pudiques, je vous montre ce que je sais faire, et sur la délicieuse viande, un chaud vin de plaisir, rond en bouche, profond comme seuls les grands savent l’être ravit chacun des convives. Et le Magnum de Château Grand Lambert, Veuve Blanchet Ména, Pauillac 1924, comment se comporterait-il ? Il évolua grandement dans nos verres. La première odeur fut plus sensuelle que celle de l’Ausone, le palais étant plus frêle. Puis, on commence à comprendre un peu plus le vin au message subtil. Dire que c’est un Pauillac n’est pas aisé. J’ai eu peur en milieu de bouteille car je sentais le vin qui se fermait, mettant en avant son acidité. Et tout est revenu, le vin s’améliorant encore pour délivrer en fin de bouteille un message de pur charme à la longue trace raffinée. C’est du velours, du tissu délicat à coté d’un Ausone conquérant, une magnifique et rassurante réussite de cette année.
Ma belle-sœur qui a vécu toute sa jeunesse à Bordeaux, a tété le Bordeaux à sa source, allait avoir un de ces chocs tragiques, quand des vérités que l’on croyait intangibles s’effondrent sur une gorgée de vin. Le Nuits les Cailles, Morin Père & Fils 1915, le même que celui qui avait séduit Alain Senderens il y a quelque temps (bulletin 45), est tellement parfait qu’on ne peut plus ignorer la grandeur de la Bourgogne. Le râble lourd, goûteux forme avec ce vin extraordinaire un accord viril. Comment expliquer quand un vin a tout pour lui. C’est George Clooney invité dans un pensionnat de jeunes filles. C’est Catherine Zeta-Jones arrivant dans une réunion de collectionneurs de timbres. Toutes les dentelures vont s’écorner. Jeune de couleur dans sa bouteille soufflée très ancienne et lourde, au nez précis de pur bourgogne, ce vin a tous les dons, dont celui de l’exactitude de ton. Difficile d’ajouter des caractéristiques quand on a la définition précise du bourgogne que l’on désire.
Le sauternes Joanne, appellation contrôlée, que j’ai situé vers 1950 a été l’objet d’une question que Patrick Lair a posée à Olivier Castéja, en lui décrivant l’étiquette au téléphone. De recoupements effectués on peut penser qu’il est de 1950 à 1955, avec cette jolie inscription : « expédié en cercles par Joanne ». En cercles, on peut supposer à bon droit que c’est en fûts. Le vin a une couleur qui ne pâlit pas à coté de celle d’Yquem, mais par précaution on va le boire avant, sur un délicieux dessert qui répond à mes désirs, car il n’y avait que trois saveurs, toutes complémentaires. Une poire délicate qui montrait tout le coté virginal et frêle du Joanne, une crème de châtaigne qui le renforçait et un marron glacé qui lui, allait affronter l’Yquem. Beau sauternes générique de pur plaisir comme le fut le rosé du début de repas. Quand Château d’Yquem 1949 arrive, on se tait. Cet or profond comme de l’acajou blond, ce parfum inimitable que seul Yquem possède, et puis en bouche, ce lourd jus de pure jouissance à la persistance infinie. C’est précis comme la Vénus de Milo, attirant comme le sourire de Laetitia Casta, et solennel comme le couronnement de Napoléon 1er. Il y a tout dans ce vin là.
Les votes de premier couronnèrent cinq fois Yquem, trois fois le Nuits Cailles, une fois Ausone et une fois le Laville Haut-Brion. Les plus votés furent Yquem, Nuits Cailles, Ausone et le champagne.
Mon vote personnel fut dans l’ordre : château d’Yquem 1949, Nuits Cailles Morin 1915, Champagne Rothschild 1973 et le rosé Saint-Saturnin 1959. Bien sûr, le rosé n’a pas la classe ni d’Ausone, ni du Laville Haut-Brion. C’est donc par pure coquetterie que je veux honorer ce sans grade du fait d’un accord merveilleux avec les grenouilles. De même, l’émotion était plus rare avec le Nuits Cailles 1915 qu’avec l’Yquem. Plus inespérée, plus inattendue. Mais l’Yquem est tellement parfait que je voulais primer cette forme ultime de l’accomplissement du vin.
Des plats merveilleux d’une simplicité sereine, un service du plus haut niveau. L’un des plus beaux accords de dessert et sauternes, puisque c’est souvent la partie qui pèche le plus, quand le pâtissier fait un dessert comme un dessert et non pas comme un goût adapté au sauternes. Des vins sublimes, une atmosphère joyeuse. Comme après chaque dîner on se dit que ce fut le plus grand.

Dîner de wine-dinners au restaurant Le Pré Catelan jeudi, 22 septembre 2005

Dîner de wine-dinners du 22 septembre 2005 au restaurant Le Pré Catelan
Bulletin 153

Les vins de la collection wine-dinners
Magnum de champagne Dry Monopole, Heidsieck 1952
Vouvray sec Clovis Lefèvre 1961
Fonsalette, Chateauneuf du Pape blanc de Rayas 1980
Château Mouton-Rothschild 1979
L’Angélus, Saint-Emilion 1959
Hermitage rouge Chave 1997
La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1965
Château Doisy, Barsac 1966
Château Monteils, Sauternes 1934

Le menu composé par Frédéric Anton
La Betterave. Fines lamelles parfumées à la muscade, vieux Comté en copeaux, jus gras
La Fregola « Sarda », cuite dans un bouillon, recouverte de copeaux de truffe et parmesan
L’ Os à Moelle, l’un parfumé de poivre noir et grillé en coque, l’autre farci de girolles et d’une compotée de chou à l’ancienne mijotée dans un jus de rôti
Le Ris de Veau cuit en casserole, cèpes poêlés aux herbes fraîches, jus gras
Le Pigeonneau poché dans un bouillon aux épices, semoule au brocoli préparée comme un couscous, cuisses en petites merguez, quelques pois chiches
Le Cantal de Salers, le Bleu des Causses
Le Citron Confit, sorbet au basilic, feuilleté caramélisé et pâte de fruit légèrement sucrée
Café et Mignardises

dîner de wine-dinners au Pré Catelan jeudi, 22 septembre 2005

Nouveau repas de wine-dinners au Pré Catelan. J’arrive pour ouvrir les bouteilles alors qu’une grande table est encore en pleine discussion. Joël Robuchon est là, et à sa sortie de table nous bavarderons aimablement, évoquant sans insister la critique que j’avais faite de l’ouverture des vins à ce qui était annoncé comme le dîner du siècle, qu’il avait organisé au Japon avec Robert Parker. Il pense que tout a été bien fait. Les images montraient le contraire. C’est sur le terrain qu’il faudra confronter les méthodes. Frédéric Anton se détend un peu entre deux services, ce qui nous donne l’occasion de bavarder de gastronomie pendant que j’ouvre les bouteilles du dîner avec un sympathique sommelier, Jérémie.
Un phénomène qui méritera des investigations supplémentaires me fait toujours autant d’impression. Quand je découpe la capsule de La Tâche 1965, sous la capsule et sur le bouchon, un noir sédiment sent la terre et ressemble à celle de la cave de la Romanée Conti. J’ai fait sentir cette odeur lourde à Frédéric Anton. Aubert de Villaine, à qui j’avais relaté les constatations précédentes m’avait demandé de prélever cette terre pour l’examiner. En fait, c’est difficile et dans le feu de l’action, faute d’outil de laborantin, j’oublie le prélèvement. Mais quelle constance dans ce qui devient presque une signature du Domaine ! Le seul vin qui m’inquiète au nez est l’Angélus 1959. Nous le goûtons avec Frédéric. Un peu léger il me laisse de l’espoir alors qu’il rebute Frédéric Anton. On verra plus loin les miracles que peut accomplir l’oxygène, quand il est judicieusement sollicité. Le bouchon de La Tâche accuse un problème de stockage, car la première moitié de sa longueur est comme brûlée d’une sécheresse excessive, l’autre moitié, bien souple, puant même généreusement.
La mise au point du menu s’était faite par un dialogue que j’ai eu avec Frédéric Anton et Olivier Poussier, meilleur sommelier du monde au savoir encyclopédique sans limite. Et c’est ce que j’aime. Je commenterai plus loin ce programme absolument exceptionnel : la Betterave, fines lamelles parfumées à la muscade, vieux Comté en copeaux, jus gras / La Fregola « Sarda », cuite dans un bouillon, recouverte de copeaux de truffe et parmesan / L’ Os à Moelle, l’un parfumé de poivre noir et grillé en coque, l’autre farci de girolles et d’une compotée de chou à l’ancienne mijotée dans un jus de rôti / Le Ris de Veau cuit en casserole, cèpes poêlés aux herbes fraîches, jus gras / Le Pigeonneau poché dans un bouillon aux épices, semoule au brocoli préparée comme un couscous, cuisses en petites merguez, quelques pois chiches / Le Cantal de Salers, le Bleu des Causses / Le Citron Confit, sorbet au basilic, feuilleté caramélisé et pâte de fruit légèrement sucrée / Café et Mignardises. Il y a une intelligence et une sensibilité dans ce repas que je vais largement tam-tamer par la suite.
La table est artistiquement dressée par un personnel joyeux avec qui nous évoquons des souvenirs de vins. Le plateau rond est si grand que j’ai peur que l’on ne discute pas avec son vis-à-vis. Or en fait tout le monde a participé aux échanges, et nous avons vécu la même aventure, ce qui n’arrive pas toujours quand la forme de la table divise les clans. Un grand chroniqueur gastronomique, une journaliste japonaise à la grande culture française et gastronomique, une femme auteur de best-seller, des amateurs gourmets, c’est le cocktail idéal pour de passionnantes discussions. L’ambiance fut agréablement enjouée.
Le magnum de champagne Dry Monopole, Heidsieck 1952 est d’une immense beauté. Le liquide qui m’est servi pour goûter a encore de la bulle qui, comme le génie de la lampe, va s’évanouir pour conquérir d’autres cieux. La couleur est d’un miel ensoleillé, le nez est profond et distingué. Et si l’on admet – ce que fit toute la table – que la faiblesse de la bulle ne doit pas gêner la dégustation, on prend connaissance d’un délicieux « champagne-vin » qui décline des saveurs complexes où les agrumes, les fruits roses et le thé ne sont qu’une faible partie de ce qui est exposé. Le plus spectaculaire, c’est la longueur. La betterave est osée. Elle est merveilleusement traitée, sans franchement ajouter au plaisir de ce très rare champagne.
Le plat suivant est joyeux, chantant le sud, mais ne met pas en valeur le Vouvray sec Clovis Lefèvre 1961 qui m’a profondément étonné. J’avais le souvenir d’un vin sec, âpre, et voilà que celui-ci, sec objectivement, y ajoute un doucereux et une intensité rares. Pénétrant, expressif, il damnerait tous les dégustateurs à l’aveugle. Là encore plat et vin ne s’ajoutaient rien, l’un à l’autre, la semoule freinant le vin quand la truffe l’accélérait.
Le Fonsalette, Chateauneuf du Pape blanc de Rayas 1980 montrait, bouteille encore fermée, une couleur qui annonçait un vieillissement. Il fallait donc boire ce vin comme il venait, sans penser trouver un Chateauneuf du Pape comme on le boirait aujourd’hui. Et si l’on admet de déguster ainsi, on entre dans un de ces plaisirs culinaires qui marquent une vie. Je n’ai jamais mangé un os a moelle de cette qualité. C’est le traitement qui en fait le génie. Et le vin se met à transformer tout cela avec une propulsion invraisemblable. Le vin donne au plat de la consistance et le plat modèle le vin qui atteint des longueurs infinies. Et chaque convive voit bien la différence énorme qui se crée quand le vin et le plat se parlent, se séduisent et s’enlacent. Ce moment fut d’une intensité rare. Il va expliquer ce qui suit.
Le ris de veau d’une chair, d’une densité, d’une expressivité sans pareilles accueille deux vins, le Château Mouton-Rothschild 1979 et L’Angélus, Saint-Emilion 1959. Et immédiatement, à la première bouchée et la première gorgée de chaque vin, on se sent bien, étonnamment rassuré. C’est comme ces publicités pour des marques de matelas qui imagent leur élasticité par des sauts de trampolines. On est dans un confort pullman, on a des saveurs qui sont toutes lisibles. Les bordeaux sont de grands garçons bien élevés. Ils nous font le baisemain. L’Angélus est tellement époustouflant, balayant d’un revers de main les craintes de l’ouverture, que l’on aurait du mal à imaginer bordeaux plus sensuel que cela. C’est rond, chaleureux, séduisant, emplissant la bouche comme la couronne de frangipaniers orne le cou des vahinés. Alors, le Mouton parait plus strict, plus linéaire lors du premier contact. Mais le Mouton étend son charme et le charme agit. C’est un Mouton d’une année faible, mais ici d’une subtilité appréciable. Et l’Angélus est immense de la première à la dernière goutte. Ce ris de veau est un bonheur.
Le pigeon a une chair savoureuse (rien n’est plus savoureux que le pigeon). Alors, l’Hermitage rouge Chave 1997 s’en réjouit et s’exhibe de la plus belle façon. C’est évidemment un petit choc de revenir sur des goûts très actuels, mais cette virilité contrôlée est tellement conquérante qu’on se laisse aller. Les merguez faites avec les cuisses du pigeon sont à se damner. C’est l’exacte munition que réclame le Chave ! Le spectacle est beau quand le vin et la chair se provoquent comme cela.
Nous venions d’avoir à la suite trois plats où le vin et le plat chantaient à l’unisson. Quel bonheur !
Il fallait cela pour l’enterrement qui allait suivre. La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1965 dont le nez ne m’avait pas trop alerté, était manifestement trop usé pour représenter sa légendaire lignée. Ce qui me conduit à une remarque. Je croyais avoir suffisamment étalonné les senteurs d’ouverture. Or j’avais peur pour l’Angélus qui fut sublime, et j’avais confiance dans La Tâche qui fut absent au rendez-vous. Les diagnostics à l’ouverture ne sont donc pas toujours parfaits. Le Salers était délicieux. Le vin racontait quand même un peu l’histoire de La Tâche ce qui lui valut de recevoir les votes de deux convives. Belle solidarité.
Le Château Doisy, Barsac 1966, déjà présent à plusieurs dîners, a toujours cette couleur orangée et dorée, cette senteur profonde et ce goût rassurant du liquoreux sage, sûr de son effet. Sur un bleu bien gras, c’est un accord sécurisant.
Le Château Monteils, Sauternes 1934 m’est inconnu. Où est ce domaine, je ne le sais. Le vin que l’on découvre d’un bel or rosé et d’une odeur toute en finesse n’a pas la puissance des plus grands, mais il en a l’élégance. Ces Sauternes de 70 ans gagnent en rondeur et en expressivité de façon remarquable. Et je recommande aux amateurs d’acheter ces vins moins connus dans des années anciennes, car il y a une gratification énorme. Le sorbet méritait de l’eau, car il est goûteux comme pas deux, mais trop explosif. Le Barsac va bien avec la fine et délicate pâtisserie, belle comme la jolie pâtissière qui l’a faite. Mais on ne peut pas dire que les deux, le feuilleté et le Barsac ont des choses à se raconter.
Les cigares fusèrent dès que ce fut permis et l’on vota. L’Angélus 1959 a fait un carton, sans doute l’un des plus beaux de tous les dîners, avec sept places de premier sur dix convives, et deux places de second. Les plus votés ensuite furent le champagne Dry Monopole et le Vouvray sec.
Mon vote fut le suivant : Angélus 1959, champagne Dry Monopole 1952, Vouvray sec Clovis Lefèvre 1961, Fonsalette 1980. Tous les vins, sauf un eurent au moins un vote dans les quartés, ce qui est toujours réconfortant pour mes choix et ma cave.
On parla abondamment de ces trois plats de rêve, dont tout le monde dit qu’il valent trois étoiles, en classant en un l’os à moelle en deux le pigeon et en trois le ris de veau. Trois plats de souvenir éternel, illuminés par des vins qui leur collaient au cœur pour un pur ravissement.
Le service fut exemplaire, tout ici fleurait bon la très grande cuisine. Lorsque Frédéric Anton m’appela le lendemain (c’est toujours agréable de se parler le lendemain quand il s’agit d’une victoire), le débriefing fut un moment de bonheur tant ça fait du bien de disséquer ce qui fut grand.

dîner de wine-dinners au Grand Véfour jeudi, 15 septembre 2005

Dinner held by restaurant « Le Grand Véfour » on September 15, 2005
Bulletin 152
For the friends of Bipin Desai

The wines offered by the generous friends :
Didier Depond : magnum Laurent Perrier 1976
Bipin Desai : Meursault Perrières Comtes Lafon 1996
Bernard Hervet (who could not come), Montrachet Bouchard Père & Fils 1961
Aubert de Villaine (who could not come) : La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1990
Eric Platel : Côte Rôtie Guigal 1966
François Audouze : Château Chalon Bourdy & Fils 1911
Frédéric Audouze : Chevalier, Sainte Croix du Mont, coopérative de Sainte Croix du Mont, 1959

The menu created by Guy Martin and his team :
Tomate et mozzarella en beignet, émulsion de pancetta
Foie gras de canard au persil plat, bouillon de coco, tranches de cèpes au Combawa
Homard de Bretagne, jeune betterave confite à la vanille et d’autres crues
Turbot cuit meunière à l’huile de truffe blanche, fine purée de petits pois et jeunes carottes
Canard croisé cuit sur son coffre, cuisse confite aux épices, jus de miel citronnier et fenouil
Vieux Comté
Fondant de figues sur un croustillant de riz soufflé au basilic

dîner de wine-dinners au Grand Véfour jeudi, 15 septembre 2005

Je dois pour la cinquième année consécutive ordonnancer le repas qui s’appelle « repas des amis de Bipin Desai ». Bipin est ce professeur de physique nucléaire américain qui organise les plus invraisemblables dégustations de la planète. On lui doit celle des 38 millésimes de Montrose (bulletin 151). Ayant réglé par téléphone ou mail tous les détails, j’ai le temps de me rendre à l’inauguration du Salon du Collectionneur au Carrousel du Louvre où les objets présentés, contrairement à la brocante de Hyères (bulletin 149), procurent des émotions esthétiques uniques. On se sent petit devant la perfection artistique de ces personnages chinois de terre dont le graphisme épuré est sorti de mains d’artistes nés il y a 1300 ans. Les éclairages, les stands intelligents, tout montre la richesse d’œuvres d’art quand on prenait le temps d’exécuter. Après avoir salué quelques amis et trempé mes lèvres dans un très expressif champagne Henriot, je rejoins le restaurant Le Grand Véfour pour vérifier que tout est prêt, et c’est le cas. Dans ce lieu porteur de l’histoire du bien manger, le petit salon en étage est le lieu idéal pour nos retrouvailles. La période des vendanges a hélas écarté de notre table des amis indispensables. On toasta largement en leur honneur, surtout quand ils avaient eu la gentillesse d’être présents par le biais d’une belle bouteille.
Guy Martin a composé un menu qui fut un beau voyage. Qu’on en juge : Tomate et mozzarella en beignet, émulsion de pancetta / Foie gras de canard au persil plat, bouillon de coco, tranches de cèpes au Combawa / Homard de Bretagne, jeune betterave confite à la vanille et d’autres crues / Turbot cuit meunière à l’huile de truffe blanche, fine purée de petits pois et jeunes carottes / Canard croisé cuit sur son coffre, cuisse confite aux épices, jus de miel citronnier et fenouil / Comté de 18 mois / Fondant de figues sur un croustillant de riz soufflé au basilic.
Les amuse-bouches abondants et éclectiques se marient à ravir avec le champagne Laurent-Perrier 1976 en magnum. Bouteille d’une élégance rare par la forme effilée du flacon et le gris argenté de l’étiquette. En bouche, ce blanc de blanc est d’une subtilité particulière. Il n’est pas envahissant mais charmeur, conteur d’histoires de goûts délicats. Toute évocation de goût serait réductrice mais j’ai rêvé de fraises des bois en sentant la caresse suave des bulles sur mes lèvres conquises. La variation sur la tomate est originale.
Patrick Tamisier que je connais depuis un quart de siècle du temps où j’étais assidu à la Tour d’Argent a apporté un soin particulier aux vins. Il me fait goûter le Meursault Perrières Comtes Lafon 1996 et c’est une grenade de parfum qui explose sur mon nez. Quelle agression olfactive de pur plaisir ! Ah, c’est viril. C’est sans concession. Et en bouche la puissance est énorme. Je suis un peu gêné par le poids alcoolique de ce lourd Meursault, mais quel plaisir. Avec le foie gras judicieusement mêlé au persil, c’est une merveille. J’ai apprécié l’audace du citron japonais sur les tranches de cèpes qui donnent au Meursault une autre philosophie.
Le Montrachet 1961 Bouchard Père & Fils arrive trop froid. Etait-ce l’absence de Bernard Hervet, ce vin que j’ai tant aimé au château de Beaune était ici bien pâle, comme le tigre qui cherche des yeux son dompteur et se sent perdu s’il n’est pas là. Bien sûr, quand il s’étend, le vin montre comme il est grandiose. Comme de plus je n’ai pas trop aimé l’expression du homard qui ne me parlait pas, peut-être à cause du vin que je ne retrouvais pas, ce ne fut pas le soir de ce grand Montrachet dont j’ai relaté l’émotion unique (bulletin 143).
Le nez de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1990, en un dixième de seconde, plante le décor. On ne peut pas concevoir quelque chose de plus élégant. Le raffinement est sans limite. Sur la chair du turbot, ce vin d’une noblesse immense brille d’une façon que l’on ne pourrait pas imaginer sans le verre en main. Ce vin est grand, d’une longueur extrême. Il y eut comme un silence quand chacun prit conscience de l’intensité de ce vin. Une pensée fusa pour Aubert de Villaine retenu pour des récoltes qui seront belles.
Le canard à la belle chair mais au miel un peu fort donna à la Côte Rôtie Brune et Blonde Guigal 1966 l’occasion de délivrer un message d’un charme certain. Passer derrière La Tâche, ce n’est pas un service à rendre à un vin. Mais il s’en tira fort bien dans un registre de vin plus mûr au charme ensoleillé.
Avant l’arrivée des convives j’étais allé sentir les bouchons des bouteilles ouvertes par Patrick Tamisier, et l’odeur du bouchon du Château Chalon Bourdy P&F 1911 m’avait fait vaciller d’aise. C’est immense. Didier Depond, président de Salon-Delamotte vibre comme moi à la sensualité dérangeante de ces vins extraterrestres. Servi beaucoup trop froid, il se rattrapa bien vite sur un délicieux Comté de 18 mois que j’avais préféré au 36 mois qu’on m’avait proposé. Il ne faut pas pour ces vieux vins jaunes de choc gustatif excessif. Le vin se rétablissant à une vitesse sidérale, nous avons goûté la perfection absolue du vin jaune du Jura. Et nous imaginions les nombreux mariages que ce vin suggère pour de redoutables joutes culinaires. Avis aux amateurs, car j’en ai une belle provision.
Le délicieux dessert à la figue se fiança avec un Sainte-Croix-du-Mont de coopérative, « Chevalier » 1959 à la couleur d’un bel or patiné, au nez de pain d’épices, et chaleureux en bouche comme un beau Sauternes à qui il manquerait juste un peu de longueur.
La table fut enjouée et des milliers de sujets nous entraînèrent en des discussions passionnantes. La certitude de perpétuer une amicale tradition de grande qualité éclairait nos visages. Patrick Tamisier fut attentif et amical. Guy Martin nous avait composé un très intelligent et agréable voyage exécuté d’une belle dextérité. Il y avait en chacun de nous l’envie de recommencer.

Dîner de wine-dinners au restaurant Carré des Feuillants mardi, 21 juin 2005

Dîner de wine-dinners du 21 juin 2005 au restaurant Carré des Feuillants
Bulletin 149

Les vins de la collection wine-dinners
Champagne Ruinart Brut
Champagne Bollinger grande année 1985
« Y » d’Yquem 1985
Montrachet Guy Amiot 1992
Château Margaux 1966
Château Gruaud Larose 1918 (Faure Bethmann)
Vosne Romanée Bouchard 1971
Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1988
Opus One, Napa Valley California 1985
Château Filhot, Sauternes 1975
Château d’Yquem 1931

Le menu composé par Alain Dutournier
Crevette sauvage tiède dans sa « crème de tête », billes de melon en chutney et gaspacho safrané
Le bouillon parfumé du pêcheur de perles
Gelée d’écrevisses, foie gras et ris de veau, artichaut poivrade râpé, truffe d’été et févettes
L’asperge blanche des landes, les mousserons, et l’œuf en coque d’asperges
Turbot sauvage « vapeur », marinière de palourdes, lasagne printanière et tomates confites
Paleron de bœuf confit dans son jus, barigoule d’artichauts poivrades et carottes fanes
Jubilé de cerise burlat « façon forêt verte »

dîner de wine-dinners au Carré des Feuillants mardi, 21 juin 2005

Nouveau dîner de wine-dinners au restaurant le Carré des Feuillants où, avec la sympathique brigade, nous sommes maintenant bien rôdés. Le sommelier Christophe est toujours aussi attentif et perfectionniste. Avide d’apprendre les odeurs rares qui se dégagent des bouteilles à peine ouvertes il fera, tout au long du repas, un travail remarquable. Je l’ai vu plusieurs fois s’assombrir pendant le service et je me demandais quelle remarque aurait pu l’attrister. En fait, je m’obstinais à l’appeler Rodolphe – c’était le jour de la Saint Rodolphe – ce qui ne plait pas forcément aux Christophe. Nous en avons ri après le dîner.
Pas de problème à l’ouverture. Le bouchon du Gruaud Larose 1918 est léger, colle aux parois et sortira en miettes, mais il a joué son rôle comme il convenait. La bouteille soufflée est lourde et belle. L’odeur du « Y » est moins exubérante que celle que j’attendais. Les senteurs du Margaux, du Vosne Romanée et du Grands Echézeaux sont particulièrement belles.
Un jeune entrepreneur tonique et volontaire, déjà fidèle de mes dîners, avait réuni autour de sa ravissante épouse et lui-même des amis qui partagent tous la passion des chevaux. Au moins trois possesseurs de haras et des cavaliers titrés qui allaient s’affronter aux championnats de France de saut d’obstacles. Blagueurs, décontractés, ils avaient moins de discipline pour suivre mes indications que n’en ont leurs chevaux quand ils doivent franchir d’impressionnantes constructions de bois fragiles. Les femmes toutes ravissantes et bronzées ne cessaient de quitter la table pour téter de nécessaires cigarettes. Les champs de tabac de Virginie s’en essoufflent.
Le menu composé par Alain Dutournier est un kaléidoscope de maîtrise et de complexité : Crevette sauvage tiède dans sa « crème de tête », billes de melon en chutney et gaspacho safrané / Le bouillon parfumé du pêcheur de perles / Gelée d’écrevisses, foie gras et ris de veau, artichaut poivrade râpé, truffe d’été et févettes / L’asperge blanche des landes, les mousserons, et l’œuf en coque d’asperges / Turbot sauvage « vapeur », marinière de palourdes, lasagne printanière et tomates confites / Paleron de bœuf confit dans son jus, barigoule d’artichauts poivrades et carottes fanes / Jubilé de cerise burlat «façon forêt verte ». La mise au point du menu s’est faite sans que nous en parlions, ce que je regrette toujours. Je suis juste intervenu pour intervertir deux plats pour la logique des vins, ce qui fut un bon choix.
Le champagne Ruinart Brut est fort agréable pour se mettre en bouche. C’est l’échauffement du coureur de cent mètres, indispensable avant le jaillissement des starting-blocks. Coulant fort bien en bouche, il nous prépare bien. Le champagne Bollinger grande année 1985 montre une structure vineuse percutante. Il annonce le ton de la suite, et la crevette lui va bien, quand les autres saveurs du plat, qui iront souvent par trois presque pour chaque assiette, l’effarouchent.
Le bouillon complexe et délicieux n’appelle pas le vin. Le « Y » d’Yquem 1985 me parait nettement moins rayonnant que le souvenir que j’en ai. Il avait capté cette année-là des grains de raisin d’Yquem et je m’attendais à ce qu’un botrytis l’ait encanaillé. Or en fait ce blanc sec, fort bon, est sérieux. Et voici soudain qu’avec la truffe d’été, il devient splendide. C’est un accord de rêve. La bouche gardera longtemps avec le Y une forte mémoire de truffe. Le foie gras et ris de veau fort goûteux dansent bien avec l’Y mais la truffe est le bon mariage.
Le Montrachet Guy Amiot 1992 est un solide Montrachet rassurant. Ce n’est sans doute pas le plus puissant, mais il est bon. Le plat est goûteux. L’asperge et l’œuf sont réellement divins. On commence par se dire que le plat ne joue pas avec le vin. Et comme en diplomatie, en trouvant les mots qui rassurent, c’est-à-dire en lustrant ses papilles dans le bon sens, on arrive à ce qu’ils se parlent.
Le château Margaux 1966 et le château Gruaud Larose 1918 (Faure Bethmann) sont associés au même plat. La chair du turbot est sublime et va évidemment bien avec les deux rouges, mais c’est la palourde et surtout le jus de palourde qui fait du « dirty dancing » avec ces vins de légende. Le Margaux 1966 a le nez archétypal du château Margaux. Il en a aussi le charme. Le Gruaud Larose joue une partition d’un niveau encore supérieur. On est en face d’un vin remarquablement épanoui, structuré, sobrement beau. Une trace élégante qui sera couronnée dans les votes. Décidément la palourde est l’amie des vins rouges car nous avions eu une expérience aussi excitante chez Patrick Pignol.
Le délicieux paleron accueille trois vins, et non des moindres. Le Vosne Romanée Bouchard Père & Fils 1971 dont le nez à l’ouverture était délicieusement bourguignon, nous a joué un insolent jeu de charme. C’est un petit Vésuve en bouche. Alors que le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1988 s’en tient à son nez. Il n’y a pas de plus beau nez que ce nez là. Mais en bouche, il paresse. Il attend qu’on l’aime. Ou bien il se dit que sa puberté peut se prolonger. Le Opus One, Napa Valley California 1985 m’a surpris. Elégant, raffiné, il n’a aucune des exagérations des vins californiens. On sent qu’il n’est pas bordelais, on sent qu’il n’est pas bourguignon, et l’on succombe à son charme certain. C’est un vin bien fait, de belle race.
Les cerises, sur le papier, m’avaient laissé perplexe. En fait, astucieusement domestiquées par le talent du chef, elles s’accordent bien au château Filhot, Sauternes 1975. Le reste de l’assiette ne l’attire pas, mais croquer cette cerise ferme sur un Filhot est un bel exercice. Il faut de ces audaces quand le produit est bien traité. Je sentais que chacun s’impatientait, prêt à bousculer le Filhot tant l’Yquem était attendu. Magnifique château d’Yquem 1931 que j’ai trouvé moins sec que ce que j’imaginais. On avait en bouche une belle définition du Yquem historique où la mangue, le thé, le fruit délicatement caramélisé forment un éventail de saveurs à la persistance sans limite.
On vota bien sûr et les votes furent toujours aussi dispersés. Le Gruaud Larose 1918 fut le plus couronné, ce qui, on en conviendra, est un de mes motifs de fierté. Les plus votés ensuite furent le Vosne Romanée Bouchard 1971, le Montrachet Guy Amiot le Yquem 1931 et le Château Margaux 1966. Mon vote fut le suivant : Yquem 1931, Vosne Romanée Bouchard 1971, Gruaud Larose 1918 et Montrachet Amiot 1992.
Alain Dutournier vint nous saluer et évoquer, avec sa langue qui s’exprime d’un verbe coloré, chantant et diablement argumenté, les chemins qu’il suit pour créer des plats pour les grands vins. Il fut complimenté pour ce festival de saveurs. Ce que je voudrais signaler, car je compte bien en discuter de nouveau avec lui, c’est une remarque incidente qu’il glissa dans son propos. Il nous dit : «vous savez, quand on est entre copains et qu’on ouvre une grande bouteille, on ne fait que des plats simples. Une saveur, un point c’est tout ».
Je suis persuadé qu’il a raison, et il doit pouvoir le faire dans le cadre de ces dîners, car la démonstration de son talent n’en souffrira pas. Revenir aux racines du plat, à la saveur la plus proche du vin, c’est le cœur de ce que je souhaite. Nous sommes en effet dans un exercice très particulier où le plaisir sera magnifié si une saveur du plat colle parfaitement au vin. Alors, tous les chemins de traverse sont à éviter. La saveur primaire, voilà le secret. Et si c’est ce que fait tout naturellement Alain Dutournier, grand gourmet devant l’éternel, quand il est avec ses copains, c’est ce qui doit être fait. Les convives ont été subjugués par le brio et le talent. Ils le seront tout autant si la trame essentielle du plat les renverse de bonheur quand le vin et le plat s’enlacent de façon lascive.
Christophe fut un sommelier expert, la cuisine fut distinguée et belle de réalisation. L’ordonnateur de l’événement me téléphona le lendemain pour me faire part de la satisfaction des convives. Ce fut un grand 56ème dîner.

Dîner de wine-dinners au restaurant de Patrick Pignol mardi, 14 juin 2005

Dîner de wine-dinners du 14 juin 2005 au restaurant de Patrick Pignol
Bulletin 147

Les vins de la collection wine-dinners

Magnum de champagne Bollinger Brut Spéciale Cuvée NM vers 1990
Chablis Premier Cru Vaucoupins Bichot 1988
Chevalier Montrachet Grand Cru Georges Deleger 1994
Château Magdeleine saint-émilion 1986
Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1919 (ME)
1/2 Pommard Réserve de Vernhes 1966
Corton Grancey Louis Latour 1970
La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1980
Chateauneuf du Pape Delas 1947
Château Loubens, Sainte Croix du Mont 1937
Château Gilette, crème de tête 1949

Le menu créé par Patrick Pignol

Amandine de foie gras de canard, petite salade d’herbes
Tourteau et sardine de Bretagne, marinés aux agrumes et vinaigre balsamique
Pétoncles à la truffe d’été de Carpentras
« plat » de girolles de Sologne et moules de Bouchot, saisis à la minute, jus terre et mer
Ris de veau caramélisé
Pigeon de Touraine cuit en cocotte, aux épices et dragées caramélisées
Fromage de l’Aubrac, le « Laguiole »
Tagliatelles chocolat, abricots caramélisés et leur coulis aux senteurs de basilic frais