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Dîner de wine-dinners au restaurant « Le Carré des Feuillants » jeudi, 27 novembre 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant « Le Carré des Feuillants » le 27 novembre 2003
Bulletin 98

Les vins de la collection wine-dinners :
Champagne Krug 1982 en magnum
Traminer Trimbach 1962
Muscadet Lagrive 1960
Chablis Premier Cru Butteaux François Raveneau 1997
Château Margaux 1986
La Romanée Bouchard 1986
Fleurie Richot 1945
Charmes Chambertin Grivelet 1934
Château d’Yquem 1990
Château Suduiraut 1928

Le menu mis au point par Alain Dutournier :
L’huître de Marennes au caviar d’Aquitaine et les algues marines,
Capuccino de châtaignes et faisane à la truffe blanche d’Alba,
La langoustine pimentée et rôtie, nougatine d’ail doux, réduction de muscat au piment d’Espelette et cébettes,
Pavé de turbot sauvage « vapeur » caviar et raifort,
Gâteau de topinambour et foie gras aux premières truffes,
Quartier d’agneau de lait des Pyrénées, cresson meunière, palets de céleri au jus,
Fourme crémeuse et coings confits,
Biscuit chaud fourré de mandarines en marmelade, pané au poivre de Sechuan, gelée, jus et sorbet.

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol mercredi, 12 novembre 2003

Dîner dans la belle salle du Bristol pour un dîner de wine-dinners. Compte tenu des âges des bouteilles je ne me fais pas de souci à l’ouverture. Tous les niveaux sont parfaits. Le Richebourg du Domaine de la Romanée Conti a un magnifique bouchon d’une belle texture. Il a immédiatement une belle odeur, comme ce Passion Haut-Brion. Le Cérons évoque de prometteuses saveurs.

Le bouchon du Mission adhérait mal au goulot. Eric Fréchon arrive au bon moment, quand j’ouvre la Malvoisie des Canaries 1828. Nous dérobons chacun une goutte de ce nectar et sommes saisis par la complexité extrême de cet élixir à la densité infinie. Pendant plus de deux heures j’avais encore la bouche prise de cette invraisemblable complexité.

Voici l’intelligent menu qu’Eric Fréchon et Jérôme talentueux jeune sommelier ont créé : Feuilletés d’apéritif, Tête de cochon persillée et relevée au raifort, girolles au vinaigre, toast de campagne, Araignée de mer, jus de carcasse pressée, chair et corail à la coriandre, cébette et gingembre, Lobe de foie gras de canard rôti en feuilles de figuier au miel et citron, Jeune palombe rôtie à la broche, tartine d’abats au foie gras, sauté de girolles, Lièvre de Beauce, l’épaule cuisinée en civet, le râble rôti au poivre vert, pennes cuits au bouillonde truffe noire, Sabayon au chocolat noir Trinitarios, caramel mou effleuré d’épices, glace à l’infusion de vanille Bourbon, Friandises et chocolat.

Nous démarrons sur Bollinger grande année 1989. Belle bulle fine sur une couleur dorée. Il a déjà commencé à prendre un léger goût de fumé, signe de maturité. Il est opulent, assis, rassurant. Il fait plus vieux que son âge. Paradoxalement le Krug 1988 parait léger à coté de lui. Ciselé, on dirait un cristal de roche. Quelle joie de l’exciter par une tête de porc. Courageux mariage. Le Cérons, château du Mayne, sec que je date autour de 1960 a un nez de Sauternes ancien, avec cette délicatesse qui mêle le citron et le fruit confit. En bouche, il se retrouve Graves sec, et l’araignée simplifie son message d’un équilibre épuré rare. Voilà un vin à qui l’âge a apporté la noblesse qu’il n’avait pas. Il était Porthos. Il est devenu d’Artagnan.

Le Tokay Pinot Gris Hugel Vendanges Tardives 1985 se présente dans des conditions idéales. Il est déjà très doué naturellement, offrant des saveurs passionnantes. Mais il fait voyage avec un foie gras qui est sans doute le meilleur que j’aie jamais mangé. Alors, ce Pinot exulte, et nous fait un numéro de charme exquis. Bel Alsace qui a été mis en valeur en pleine justesse à ce moment du repas.

J’avais voulu m’amuser à mettre ensemble trois rouges de la même décennie qui ont la même racine de patronyme. Le Passion Haut-Brion 1976 a le meilleur nez des trois et de loin. En bouche, il étonne par sa réussite. Beaucoup de convives le placeront au dessus de ses deux voisins, pourtant plus gradés que lui. Le Mission Haut Brion 1971 a un premier nez fatigué. On sent une blessure dont le comportement du bouchon avait été l’indice. Mais la chair de la palombe si bien présentée a réveillé en lui ses pulsions animales. Il a fort bien épousé la palombe. Le Haut-Brion 1970 se demandait ce qu’il faisait à coté de ces deux là, le Passion qui brillait plus qu’il n’aurait dû, et le Mission qui jouait du muscle, comme un brigand de faubourg. Ayant choisi d’offrir un nez discret, il s’affirmait en bouche par une distinction de gentleman anglais. Le Passion était Alain Delon, le Mission était Arnold Schwarzenegger et le Haut Brion Sean Connery. J’ai aimé ce Haut-Brion quand d’autres préféraient Passion. Caprices de goût.

Le silence s’est fait lorsque fut dégusté sur un lièvre viril et distingué le Richebourg du Domaine de la Romanée Conti 1981. La couleur est claire et un peu grisâtre, le nez s’habille de celui du lièvre et en bouche, l’animalité du lapin se confond avec lui. Si je devais faire une image – il m’arrive d’en faire – je dirais que ce Richebourg, ce sont les plombs qui ont terrassé l’animal. Il y a une telle fusion sensorielle que le Richebourg a acquis sur le lapin un pouvoir de vie et de mort comme les plombs du chasseur. Ce Richebourg sensuel, qui n’existe que parce que le lièvre existe fut un plaisir largement sanctionné dans les notes.

Ce qui est à signaler, c’est que l’épice qui supportait ce plat arrangeait bien le Richebourg. Mais elle convenait aussi aux trois Bordeaux : le Haut-Brion confirmait la finesse de son architecture gothique, le Mission reprenait vie et retrouvait ses couleurs, et le Passion maintenait sa performance. Cette première partie de repas, avec des vins très jeunes laissait déjà pantois tant Eric Fréchon avait créé une justesse de mariages inégalable.

Arrivaient maintenant les « vrais » vins que l’âge habille.

Le Banyuls Grand Cru Sivir (groupement de propriétaires) 1929 montre tout ce que l’ancienneté apporte au Banyuls. Tout est arrondi, calibré, pour ne retenir que le vrai message de ce vin chaleureux. C’est un brasero du coeur. J’ai toujours un peu peur quand des desserts trop imaginatifs vont dans l’excès quand mes vins de dessert très anciens attendraient des esquisses. Là, l’accord fut parfait car Eric Fréchon a su suggérer sans tomber dans la lourdeur des desserts trop typés qui se veulent talentueux. Merveilleux Banyuls.

Il fallait remonter la pendule d’un siècle pour l’élixir qui suivait. Aucun goût connu ne peut approcher la complexité sensorielle de ce vin insoupçonnable : Malvoisie des Canaries 1828. Il y a du caramel, du café, du fruit confit, de la citronnelle, de l’épice, de la vanille et du cuir qui se mettent à danser comme en un manège, chacun n’apparaissant que lorsqu’il a envie. Complexité, longueur, un moment d’énigme historique qui jalonne une vie.

Je suis assez fier, car dans les quartés des dix convives, chacun des vins a été cité au moins une fois. Le plus acclamé fut le Richebourg, cité sept fois dont six fois premier, puis la Malvoisie cité neuf fois dans le quarté, puis quasi ex aequo, le Tokay, le Passion et le Cérons Château du Mayne cités quatre ou cinq fois.

Mon choix personnel, combien difficile cette fois fut Canaries, Richebourg, Château du Mayne et Haut-Brion. J’aurais autant de mal à choisir le meilleur accord tant tous furent d’une rare perfection. Le meilleur plat fut le foie gras qui est un plat de légende. Le meilleur accord est sans doute celui du lièvre et du Richebourg. Mais l’araignée et le Cérons mérite aussi une mention. En fait, chaque accord m’a plu, car il permettait à chaque vin de se transcender. Le Cérons, s’il s’était comparé aux grands Bordeaux secs, eut fait modeste figure. Là, en situation, avec une araignée intelligente, il devint un seigneur.

C’est le secret d’une gastronomie de coeur au service du vin.

 

 

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol mercredi, 12 novembre 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol le 12 novembre 2003
Bulletin 96 – livre page 133

Les vins de la collection wine-dinners :
Champagne Bollinger Grande Année 1989
Champagne Krug 1988
Château du Mayne Graves Supérieures sec à Cérons vers 1960
Tokay Pinot Gris Hugel Vendange Tardive 1985
Domaine la Passion Haut-Brion Graves, Allary propriétaire 1976
La Mission Haut-Brion 1971
Château Haut-Brion 1970
Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1981
Banyuls Grand Cru Sivir (groupement de propriétaires à Banyuls) 1929
Malvoisie des Canaries vers 1828

Le menu mis au point par Eric Fréchon :
Feuilletés d’apéritif
Tête de cochon persillée et relevée au raifort, girolles au vinaigre, toast de campagne
Araignée de mer, jus de carcasse pressée, chair et corail à la coriandre, cébette et gingembre
Lobe de foie gras de canard rôti en feuilles de figuier au miel et citron
Jeune palombe rôtie à la broche, tartine d’abats au foie gras, sauté de girolles
Lièvre de Beauce, l’épaule cuisinée en civet, le râble rôti au poivre vert, pennes cuits au bouillon de truffe noire
Sabayon au chocolat noir Trinitarios, caramel mou effleuré d’épices, glace à l’infusion de vanille Bourbon
Friandises et chocolat

Dîner de wine-dinners au restaurant « Laurent » jeudi, 23 octobre 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant « Laurent » le 23 octobre 2003
Bulletin 93

Les vins de la collection wine-dinners :
Champagne Montebello « cordon noir » demi-sec, vers 1960
Champagne Dom Ruinart 1990
Bâtard Montrachet veuve Henri Moroni 1991
Bâtard Montrachet Domaine Ramonet 1992
Château Mouton Rothschild 1978
Château Haut-Brion 1964
Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1972
Nuits Saint Georges « Cailles » Domaine Morin 1961
Château de Beaucastel Chateauneuf du Pape 1986
Jurançon Château Jolys « Cuvée Jean » 1989
Château La Tour Blanche 1926
Muscat des Canaries 1828

Le menu mis au point par Philippe Bourguignon et Alain Pégouret
et le chef du restaurant Laurent :
Flan d’oursin dans un Capuccino
Saint-Jacques en nage forestière
Noix de ris de veau rissolée en croustille d’amandes
Pigeon à la rôtissoire, coings et petits oignons verjutés
Lièvre à la Royale, pâtes fraîches
Roquefort Carles
Craquelin aux poires ambrées, sorbet à la réglisse
Café mignardises et chocolats

Dîner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 23 octobre 2003

Ayant encore en tête l’émerveillement de l’aventure au château de Beaune, je vais au restaurant Laurent pour ouvrir les bouteilles d’un dîner de wine-dinners. Ces bouteilles s’étaient reposées pendant une semaine. Ghislain, discret et compétent sommelier ouvre avec moi des flacons de bons niveaux et sans problème. La Tour Blanche 1926 délivre un parfum enivrant comme seuls les grands Sauternes savent le faire. Le muscat des Canaries de 1828 a des odeurs de parfum capiteux. Mes mains ont touché quelques gouttes de ce liquide dense comme du plomb fondu et sont imprégnées d’une odeur qui ne s’efface pas. Il y a des épices dans ce parfum là.

Les convives sont d’une ponctualité parfaite. Pour dix personnes, je prévois habituellement dix vins. Là il y en a douze. Le premier champagne a été ajouté, car je n’ai aucune idée de ce qu’il offrira. Je le considère donc comme hors programme. Et le vin des Canaries est le cadeau que je veux offrir à des convives qui méritent que j’encourage et récompense leur passion.

Le menu mis au point par Philippe Bourguignon, mon compagnon de la veille à Beaune, avec son chef de cuisine Alain Pégouret est le suivant : flan d’oursin dans un Capuccino, Saint-Jacques en nage forestière, noix de ris de veau rissolée en croustille d’amandes, pigeon à la rôtissoire, coings et petits oignons verjutés, lièvre à la Royale, pâtes fraîches, Roquefort Carles, craquelin aux poires ambrées, sorbet à la réglisse, café, mignardises et chocolats. Choix classique, mais combien pertinent.

Le Champagne Montebello Cordon noir demi-sec Château de Mareuil (Ay) que j’ai annoncé vers 1960 est peut-être plus vieux tant les feuilles dorées et argentées du col sont devenues craquantes. Le bouchon est tout rabougri. Il ne s’agit plus de champagne, mais d’un vin, hésitant entre l’ambre et le doré, hésitant à se parer encore de quelques bulles, hésitant entre le madère et le vin. Ce vin, puisqu’on ne peut vraiment plus parler de champagne me donne l’occasion de présenter le fil conducteur de wine-dinners, qui est de rassembler lors d’un dîner des vins rares, des vins prestigieux, mais aussi des vins modestes épargnés par hasard, afin que les amateurs prennent conscience de ce que fut l’histoire du vin. Dans cet esprit, il ne s’agit pas de juger les vins mais de les comprendre puisqu’on effectue un voyage. Cet apéritif intéressant, d’une belle densité, avec une trace en bouche plaisante, illustrait bien mon propos.

Nous passons à table et le Champagne Dom Ruinart 1990 se présente sous son meilleur jour. Couleur jaune pâle, bulle intense. Ce vrai champagne très orthodoxe est complètement transformé par l’oursin délicieux. Le capuccino déshabille le champagne dont on ne conserve que la trame, comme le script d’un spectacle qui résume toute l’histoire. C’est bien, car l’accord offert est un des plus beaux de cette soirée.

Il est très rare que je choisisse des vins qui pourraient être en compétition, car ce n’est pas du tout l’objet des dîners de wine-dinners. Je m’attendais à ce que l’écart de classe et de valeur d’année entre les deux Bâtard ne crée pas de combat. Mais curieusement c’est le Bâtard Montrachet Veuve Henri Moroni 1991 qui offre de loin la meilleure association avec les coquilles Saint-Jacques, avec une exactitude d’une émotion rare. On a l’impression que le vin et le plat sont faits l’un de l’autre, ce qui émoustille le goût. Bien sûr, la structure du Bâtard Montrachet Domaine Ramonet 1992 est plus belle. Le nez est plus racé. Mais force est de constater que le 1991 était plus harmonieux sur le plat. Il évolua vers des senteurs de pain d’épices quand le 1992 avait une belle complexité bourguignonne assez austère.

Les deux Bordeaux se présentèrent ensemble sur un ris de veau. Le Château Mouton-Rothschild 1978 étale un charme insolent quand le Château Haut-Brion 1964 est d’une structure carrée d’une solidité rare. Opposition de style au plus haut niveau. Ces deux vins donnent l’occasion de voir à quels points les goûts sont personnels, tant les préférences différent. J’étais du camp du charme casanovesque du Mouton quand d’autres penchaient vers la solidité rassurante du Haut-Brion. A noter que comme le Meursault Charmes 1846 bu la veille, le Haut-Brion ne cessait de s’améliorer dans le verre, la puissance donnant de plus en plus de générosité et de classe. Deux Bordeaux d’un magnifique niveau.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1972 offre un nez qui m’a profondément impressionné: il est plus complexe, plus brillant que ce que j’ai bu au Domaine de la Romanée Conti deux jours auparavant, si l’on excepte le Grands Echézeaux 1948 qui est d’une autre catégorie. Le vin est ici pleinement épanoui, et je trouve des complexités qui me rappellent le si brillant Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard 1947, chef d’oeuvre de complication. Le Richebourg superbe, je dirais même grandiose, nous entraîne dans des raffinements envoûtants. Il y a de l’énigme à chaque gorgée. Mais le Nuits Cailles Morin Domaine Morin Père & Fils 1961 tient bien sa place dans un registre différent. Plus rond, plus chatoyant, plus délicatement séducteur, il charme de façon redoutablement efficace. Le pigeon est évidemment le meilleur passeport pour les deux Bourgognes, aussi différents l’un de l’autre que le furent les Bordeaux.

Puis arrive Domaine Beaucastel Chateauneuf du Pape 1986. On a l’impression qu’on a tout vu, tant les quatre rouges avaient représenté une palette étendue de vins brillants, et voilà que survient, sans se presser, le caïd, le séducteur sûr de son charme, le Belmondo du vin, qui sait qu’il lui suffit de paraître pour séduire. C’est magnifiquement beau sous le message le plus simple, comme le trait d’un dessin de Picasso, qui n’a pas besoin de fioritures pour exprimer de l’art pur. Pour le producteur de cognac qui était un des convives de la table, une surprise totale tant les repères manquent. Evidemment, le lièvre à la royale chante avec Beaucastel qui a besoin d’un plat vigoureux pour montrer tout son charme. Mais j’ai quand même essayé le Richebourg sur le lièvre. Il lui a ajouté une touche de grande élégance.

Sur le roquefort, le Jurançon Château Jolys Cuvée Jean 1989 Petit Manseng m’a étonné, car je l’ai trouvé moins fringant que lors de précédentes expériences. Plus roturier que les autres vins, j’ai voulu lui trouver des charmes morganatiques, mais cela devenait de l’auto persuasion. Malgré la pertinence de l’accord on s’ennuie un peu, aussi me suis-je amusé à essayer le roquefort Carles dans sa partie la plus blanche avec le Bâtard 1992. Et c’est un essai fort excitant qui m’a bien chatouillé les papilles.

Sur le dessert, mais aussi avant qu’on le serve, le Château La Tour Blanche Sauternes 1926 offre une odeur dont on ne se lasserait jamais. Evocations d’agrumes et de fruits jaunes en marmelade, mais surtout Sauternes délicieusement typé. Un grand Sauternes que j’ai trouvé plutôt plus riche que d’habitude. Nettement plus vivant et délicieusement séduisant que le Filhot 1858 que j’avais quand même largement plus aimé que mes compagnons de table. Ce Sauternes me plait à un point que l’on peut à peine soupçonner. Je le contemplerais volontiers pendant des heures, m’enivrant de ses odeurs, et me nourrissant au goutte à goutte de son invraisemblable miel.

Vint alors le muscat des Canaries de 1828 que nous avions décidé de boire sans dessert, même si la forte glace à la vanille lui eut convenu. L’odeur qui était explosive à l’ouverture s’était faite discrète mais se réveilla vite. Des images de café torréfié, de réglisse surgissaient en le sentant. Philippe Bourguignon parla même de zan, ce qui est la signature des Chypre 1845. Ce muscat a une forte densité, une persistance aromatique éternelle. Il plombe la bouche comme le ferait un parfum. On imagine en le buvant ce que pouvait être le monde il y a 175 ans, quand Jules Verne naissait, lui qui décrirait des îles comme celle qui est à l’origine de ce vin.

Les classements des vins du dîner furent extrêmement variés. Neuf vins furent classés dans le quarté et six furent nommés en numéro 1, ce qui prouve l’étendue des vins qui furent aimés. Le consensus si l’on peut dire alla vers : La Tour Blanche 26, puis Richebourg 72, puis Nuits Cailles 61 et Mouton 78. Mon vote fut pour : La Tour Blanche 1926, Richebourg DRC 1972, Canaries 1828 et Nuits Cailles 1961.

Encore une fois une belle expérience. L’accord du capuccino d’oursin avec le Dom Ruinart fut splendide, comme la Saint-Jacques avec le Bâtard 1991. Le muscat de Canaries 1828 est un témoignage historique à la rémanence gustative infinie. Le service du restaurant Laurent fut exemplaire et Ghislain a fait un travail de sommellerie remarquable.

 

 

Dîner de wine-dinners au restaurant « Patrick Pignol » mercredi, 24 septembre 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant « Patrick Pignol » le 24 septembre 2003
Bulletin 89 – livre page 115

Les vins :
Champagne Salon « S » 1988
Chablis Premier Cru Vaillons Domaine François Raveneau 1997
Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1989
Château Petit Village Pomerol 1950
Château Haut-Brion Pessac 1924
Vosne Romanée Henri Lamarche 1959
Pommard Marius Meulien 1923
La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1960
Château Loubens Sainte Croix du Mont 1945
Château Rayne Vigneau Sauternes 1921

Le menu, créé par Patrick Pignol :
Huîtres chaudes en habit vert, jus iodé
Langoustines et topinambours infusés au bâton de citronnelle et de marjolaine aux éclats d’arachide
Cèpes et lard fumé à l’émulsion de livèche, noix de Dordogne et fine tranche briochée, dorée aux senteurs des sous-bois
Cannelloni de homard, jus de crustacés
Ris de veau doré au beurre de campagne, pistaches torréfiées
Grouse d’Ecosse en cocotte, betteraves rouges confites
Fromages
Figues de Solliès infusées à la pulpe de citron confit, sablé à l’huile d’olive et romarin

Dîner de wine-dinners au restaurant de Patrick Pignol mercredi, 24 septembre 2003

Bénéficier du talent de Patrick Pignol pour un dîner de wine-dinners est toujours un plaisir, car on est dans une ambiance de création souriante et d’expression libre. La composition du menu est un travail où nous coopérons. C’est bien plus gratifiant de créer ensemble des accords excitants.

L’ouverture des vins est un rite important et contribue au succès de la soirée. Je me faisais la réflexion que depuis la création de wine-dinners en décembre 2000 je n’ai retiré lors de l’ouverture qu’une seule bouteille de l’un des dîners, remplacée par une bouteille de secours que je prends le soin d’emporter. Et même la Romanée Conti 1956 (voir bulletin 77) que j’avais annoncée cliniquement morte a été servie puis notée par certaines convives en n°1 ou n°2 de leur vote, Alain Senderens constatant avec moi cette invraisemblable résurrection : « est-ce bien le même vin ? » fut notre commune remarque tant cinq heures d’oxygénation avaient fait renaître ce blessé. Il est évident que le contrôle de l’oxygénation des vins du dîner pour une présentation optimale est une phase majeure. C’est aussi un plaisir quand avec le sommelier, comme je le fis avec Nicolas, nous devisons aimablement, jugeant ensemble ces odeurs si subtiles qui vont changer entre l’ouverture et la dégustation. Les deux Bordeaux sont apparus immédiatement séducteurs et brillants. Les trois bourgognes nécessitaient de reprendre leur souffle avec une belle bouffée d’oxygène, avec l’espoir qu’ils ne s’essoufflent pas car certains paraissaient fragiles dans leur remontée vers leur apogée.

Patrick Pignol a construit un dîner particulièrement élégant : Huîtres chaudes en habit vert, jus iodé, Langoustines et topinambours infusés au bâton de citronnelle et de marjolaine aux éclats d’arachide, Cèpes et lard fumé à l’émulsion de livèche, noix de Dordogne et fine tranche briochée dorée aux senteurs des sous-bois, Cannelloni de homard, jus de crustacés, Ris de veau doré au beurre de campagne, pistaches torréfiées, Grouse d’Ecosse en cocotte, betteraves rouges confites, Fromages, Figues de Solliès infusées à la pulpe de citron confit, sablé à l’huile d’olive et romarin

Le Champagne Salon « S » 1988 est un petit bijou de champagne avec de nombreuses évocations. Il est vineux mais offre aussi beaucoup d’images de forêt, de fruits et d’espaces inviolés. Il marque déjà de son empreinte le niveau du repas. Le Chablis Premier Cru Vaillons Domaine François Raveneau 1997 a un nez de Chablis délicat. Très rond en bouche, c’est un blanc plaisant remarquablement marié au plat. Je le trouve assez typé Chablis au nez mais moins en bouche, avis qui n’est pas partagé par un vigneron bourguignon présent. Je ne garderai évidemment que son jugement. La langoustine subtile lui allait remarquablement. Le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1989 est à la hauteur de ce qu’on peut attendre d’un vin de ce niveau. Il est à parfaite maturité, et montre des complexités passionnantes. Très profond, long en bouche, c’est un grand bonheur. Ce qui est intéressant avec des blancs si complets, c’est la variété des évocations qui satisfont le palais.

Un convive ayant lancé une discussion sur le cycle de vie des vins, qui doivent « forcément » vieillir, cela me servit de tremplin pour montrer la vacuité de cette théorie. Car les deux Bordeaux étaient d’une insolente jeunesse. Le Château Petit Village Pomerol 1950 est un délice. L’année 1950 va si bien aux Pomerol. Équilibré, subtil, avec cette finesse que permet la distinction, il enchante le palais. L’invraisemblable surprise venait du Château Haut-Brion 1924, qui avait offert la plus belle odeur à l’ouverture. Il a gardé cette odeur enivrante, et livre en bouche un goût puissant riche et alcoolique avec une délicieuse acidité qui est le signe d’une extrême jeunesse. Ce vin de 79 ans se compare à ses pairs de moins de trente ans. Epoustouflant, et largement meilleur que son année. Sur le homard, les deux Bordeaux brillaient et se situaient à un niveau très supérieur à ce que l’on pouvait attendre.

Si certains vins de mes dîners sont des sujets d’étonnement, le Vosne Romanée Henri Lamarche 1959 était l’expression absolue de l’idéal. La rondeur, ce sentiment de satisfaction et de plénitude quand il remplit la bouche, la profondeur tout en ayant une légèreté plaisante, puis une longueur qui n’en finit pas. Qu’on se sent bien avec ce vin là.

On est bien, et puis patatras, arrive une de ces surprises qui vous prend et vous terrasse : le Pommard Marius Meulien 1923, contre tout ce qui est écrit dans les livres vous met KO. Il a une puissance rare, une profondeur unique, et offre une aspect complètement opposé du vin de Bourgogne. Hyper concentré, puissant comme aucun Pommard ne peut l’être. Ce vin renverse tout ce que l’on pourrait prévoir. Il est grand comme le Haut-Brion 1924. Il subjugue.

Sur la grouse à la chair puissante, La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1960 présenté avec l’oxygénation idéale arrive lui aussi en dépassant les standards de son année. Très reconnaissable La Tâche, aérien, léger mais en même temps imprégnant. Un vin qui révélait des subtilités rares quand on prenait le soin de les lire. C’est l’accord de la puissance agressive de la chair de la grouse avec la trame fragile et aérienne de La Tache qui m’a le plus enthousiasmé. Un vin puissant aurait créé un choc avec la grouse, alors que cette délicate finesseopérait comme une prise de judo, accompagnant dans le sens de la force la grouse pour mieux la dominer. Accord rare comme je les aime.

Quelle surprise que ce Château Loubens Sainte Croix du Mont 1945. Provenant directement de la cave du Château, il offre un équilibre et une rondeur rares. Ce qui frappe c’est une noblesse à laquelle on est peu habitué. A l’ouverture je l’avais senti à un niveau peu commun, et je me demandais comment se situerait le Château Rayne Vigneau Sauternes 1921. Et aussi bien à l’ouverture qu’au moment de le consommer, alors qu’on croit avoir atteint avec Loubens un niveau inégalable, le Sauternes, de 24 ans son aîné, place la barre encore plus haut, avec une palette aromatique quasi infinie. Un de ces clins d’oeil que j’aime du grand chef : de la guimauve à la rose en petits dés crée une confrontation gustative pleine de charme, comme cette feuille de mélisse qu’il faut à peine mâcher.

Comme chaque fois les votes furent tous différents, et 9 vins sur 10 furent cités dans les quartés, ce qui montre que tous furent au goût des convives. Forte concentration de votes dans l’ordre sur La Tache 1960, sur le Pommard 1923, sur Haut-Brion 1924 et sur Rayne Vigneau 1921.

Mon classement personnel fut Pommard 1923, Vosne Romanée 1959, Rayne Vigneau 1921 et Haut-Brion 1924. Si je n’ai pas mis La Tâche, alors que c’est l’accord avec ce vin qui m’a le plus enchanté, c’est que j’ai bu beaucoup de grands La Tache, alors que le Pommard 1923, si exceptionnellement brillant et unique forçait mon choix. Il est à signaler que beaucoup de convives n’ayant pas l’expérience des vins anciens ont placé les trois vins les plus anciens de la décennie 20 dans leur vote.

Patrick Pignol a fait une cuisine d’une subtilité rare, sachant comme chaque fois mettre son talent au service du vin. Ce soir là tous les vins se présentaient en grande beauté, ce qui montre l’importance du rite de l’ouverture. Une fois de plus un service impeccable d’une équipe motivée a permis de réussir une de ces soirées de rêve qui placent chaque convive sous le charme de sensations raffinées qui ne finissent jamais.

 

 

Déjeuner chez Patrick Pignol jeudi, 18 septembre 2003

Chez Patrick Pignol j’ai aussi mon rond de serviette virtuel. La faconde du maître d’hôtel, le sourire de charme de Madame Pignol, la discrète complicité de Nicolas le sommelier et l’exubérance créatrice du maître, tout cela repose mon âme, car je sais que j’aurai toujours une bonne surprise. J’y allais pour livrer les vins du prochain repas  et pour mettre au point le menu. Mais ce chef est un Paso péruvien. On ne va pas l’enfermer comme cela dans un programme. Il veut s’inspirer des arrivages du jour et choisir le gibier quand j’aurai ouvert mes vins. Cela me va bien. Au déjeuner, à l’eau (!), je goûte une variation sur les cèpes. C’est traité avec un talent rare, car en mangeant, j’avais l’impression de marcher en forêt. J’avais la mousse sous mes pieds et une branche odorante me caressait la joue. Un délicieux plat champêtre. Une coquille Saint-Jacques traitée au naturel et à l’ail livre un message simple mais qui interdirait tout vin, du fait de cet ail prenant. Alors qu’un homard à la chair exquise appelait un vin. Je ressentais le manque. J’ai pensé à Pomerol, par exemple Vieux Château Certan pour accompagner ce délicieux homard à la sauce de viande, véritable appeau de Pomerol.

Cela m’ouvre les papilles pour le prochain dîner.

dîner de wine-dinners au Pré Catelan mardi, 16 septembre 2003

Dinner held by restaurant « Le Pré Catelan » on September 16, 2003
Bulletin 87
For the friends of Bipin Desai

The wines offered by the generous friends :
Didier Depond : magnum Salon 1976
Bipin Desai : Meursault Perrières Comtes Lafon 1990
Francis Bessettes, Meursault Perrières Coche Dury 1990
Pierre Chevrier, Haut-Brion 1934
Edmond Asseily : Charmes Chambertin Docteur Barolet 1947
Aubert de Villaine (who could not come) : Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1953
Eric Platel : Vosne Romanée Cros Parentoux Emmanuel Rouget 1990
Jacques Glénat : Hermitage La Chapelle Jaboulet 1991
François Audouze : Château Chalon Bourdy & Fils 1921
Antoine Maamari : Filhot 1939 and Filhot 1929
Alexandre de Lur Saluces : Yquem 1937

The menu created by Frédéric Anton and his team :
le vernis préparé en coquille,
marinière de coquillages et haricots coco, gratiné au beurre de sarrasin
le turbot
cuit au plat, recouvert d’un « pesto » de cresson
le ris de veau
cuit en casserole, jus de pomme à cidre et truffes
l’agneau
la poitrine pochée puis dorée au four, farcie de légumes confits, jus gras
les fromages fermiers frais et affinés
le baba au rhum, crème fouettée à la vanille
café et mignardises