Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Restaurant Kiin-Kiin et restaurant Radio à Copenhague samedi, 16 juin 2012

Nous avions tellement été enthousiasmés il y a un an par le voyage à Copenhague couronné par le dîner à Noma que nous y retournons. Ma femme et moi arrivons un jour avant les autres par un froid très inhabituel pour un mois de juin. L’hôtel Admiral est un ancien entrepôt du port de Copenhague, étroit et de grande hauteur, dont la charpente est faite de lourdes poutres consolidées d’armatures métalliques. Le confort est spartiate, ce qui est étonnant dans ce pays. Nous grignotons un agréable déjeuner sur une terrasse au bord de l’eau et des radiateurs infrarouges aériens réchauffent notre zone. Les harengs sont délicieux et les fromages danois fort affinés.

C’est Jean-Philippe qui s’est occupé de nous retenir pour le dîner une table au Kiin- Kiin restaurant thaï doté d’une étoile au guide Michelin. Je ne sais pas ce que Jean-Philippe a pu dire à Henrik, le sympathique propriétaire du lieu qui nous accueille, mais c’est comme si nous étions des réincarnations de Bouddha. Une déférence comme la sienne pourrait faire sourire. En fait c’est Laurent, un belge vivant à Copenhague que je connais et que nous avions rencontré l’an dernier qui a permis de réserver une place en cet endroit. La décoration est superbe, raffinée, ce qui est rare, car les restaurants thaïs partagent avec les restaurants de poisson une fâcheuse tendance à avoir des idées très personnelles du bon goût.

Comme c’est la tendance maintenant, nous sommes embarqués dans un menu unique, avec une multitude de plats : lobster-based Tom Yum Limfjord oysters / Spicy squid salad with glass noodle / Frozen Tom Kha with pickled mushrooms / poached eggs with green beans and holy basil / snails intermezzo /confit of chicken with green curry and summer peas / Star anise and poppy seeds Pandan leaves pistachio and tapioca / petits fours. C’est un repas de grande cuisine, subtil, délicat, avec un service extrêmement attentionné et une grande élégance. A la fin, nous nous disions que l’on aurait pu faire l’économie de quelques plats, car c’est un voyage long dans lequel nous sommes emmenés.

Le Champagne Fleur de Passion Diebolt Vallois 2002, d’une maison que j’aime beaucoup, ayant eu la chance de boire un 1953 exceptionnel, se présente très vert ce qui est étonnant car il a dix ans. Il est bien fait et devient plaisant au cours du repas quand il s’étoffe. Il redevient vert à la fin du repas, quand aucune nourriture ne lui permet de s’arrondir.

Alors que nous attendions le reste de la troupe pour le déjeuner, Jean-Philippe nous surprend au petit-déjeuner. Nous décidons d’aller à pied au lieu du rendez-vous, mais les routes sont barrées car le premier ministre chinois rend visite au Danemark. Nous trouvons des chemins de traverse et parcourons cette ville agréable, aux voies larges, aux nombreux parcs où le moindre rayon de soleil fait éclore sur la pelouse de jolies jeunes filles comme autant de pâquerettes.

Le restaurant Radio est décoré de façon simple mais de très bon goût. Là aussi, nous allons profiter d’un menu unique composé par le chef, avec une multitude de plats, comme si le standard danois était la double douzaine de bouchées diverses.

Le Champagne Brut Tradition Grand Cru Egly-Ouriet sans année a été dégorgé en janvier 2009 après 42 mois de maturation. Il est plus accueillant que le Diebolt d’hier, fort plaisant sur une cuisine simple, danoise, authentique. On sent que Noma a influencé les restaurants de la ville, car les herbes et salades diverses abondent.

Le Champagne Francis Boulard blanc de blancs vieilles vignes est un pur chardonnay dégorgé en août 2010 et fait de vins de 2006 et 2007. Il est beau comme un blanc de blancs, très pur, de grande personnalité. Il est à noter que les champagnes de ces maisons familiales de champagne se trouvent plus facilement sur les cartes danoises que sur les cartes françaises.

L’accueil de « Radio » est sympathique, la cuisine est authentique er légère. Ce restaurant est agréable, simple et sans recherche particulière. C’est une halte sans souci.

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La chambre de l’hôtel Admiral donne sur un bateau antique et l’Opéra de Copenhague. Quoi de plus calme !

mais si on regarde de plus près, qu’y a-t-il ? L’Euro de football en plein air !!!

la profusion de petits plats est plus de l’école danoise que de l’école thaï

l’Opéra illuminé à notre retour de Kiin Kiin

quelques vues de Copenhague – une exposition de chateaux de sable

dîner à Graz avec Lafleur 1999 vendredi, 8 juin 2012

Gerhard, l’ami autrichien fou de vin, rendu célèbre dans mon modeste microcosme par son plongeon accidentel en plein repas dans la piscine intérieure d’Yvan Roux, parce qu’il était excité d’aller chercher une de ses bouteilles prête à être servie, organise à Graz une dégustation verticale de 41 millésimes de La Romanée Liger-Belair, la plus petite appellation française, mais une des toutes grandes en qualité.

Je prends l’avion à Roissy pour rejoindre Louis-Michel Liger-Belair qui m’attendra à Vienne, pour que nous nous rendions ensemble à Graz en voiture. Prendre l’avion avec 45 minutes de retard parce que le personnel de nettoyage des avions est en sous-effectif est une spécificité particulièrement intéressante d’une France « normale ». Louis Michel Liger-Belair, venu de Lyon, m’accueille à Vienne et nous arrivons sans encombre à notre hôtel à Graz. Il a retenu une table au restaurant Eckstein où nous dînons à l’extérieur, sur la place Mehlplaz, dans une ambiance de plein été. Le tout Graz est de sortie, les terrasses des restaurants et bistrots regorgent de monde, les femmes sont jolies, ça sent l’été.

C’est un ami autrichien de Louis-Michel qui a organisé les vins pour nous. Le premier est un Pichler FX, Grünerveltliner Smaragd Dürnsteiner Kellerberg 2001 qui titre 13,5%. Le nez est très expressif, la robe est d’un jaune à peine doré. En bouche, il y a une impression combinée de sec et de doucereux, une fraîcheur remarquable et un confort certain. Le vin iodle ses complexités. C’est charmant, plaisant et agréable à boire.

Le serveur ajoute un vin au programme conçu par l’ami de Louis-Michel. C’est un Pichler FX Riesling Smaragd Loibner Steinertal 2004. Le vin est intéressant, plus sec, mais contrairement à Louis-Michel, je suis gêné par le côté perlant très prononcé. Le vin s’anime sur les plats, notamment un délicieux jambon fumé sec accompagné d’une soupe au concombre et de beignets de champignons. Le 2004 est très pertinent sur un steak tartare peu épicé, ce qui est important pour l’accord.

La vedette du repas, c’est un Château Lafleur 1999. Respect, comme on dit en banlieue. Ce qui frappe immédiatement, c’est un velours impressionnant. Le vin a une longueur extrême et le velours s’étale pendant tout le parcours en bouche. Les tannins sont forts mais bien contenus. Ce vin a un charme fou et nous avons ri car nous avons eu la même idée au même moment : ce vin a un charme inouï qui ne peut pas être bordelais. Traduisez, sans qu’on le dise, que ce charme est forcément bourguignon. J’exagère, bien sûr.

Le vin est profond, musclé mais galant, et c’est son énorme velours qui séduit nos palais conquis. L’agneau à basse température lui convient parfaitement.

Le service a été épatant Par une belle température estivale nous sommes revenus à l’hôtel à pied, croisant une foule hétéroclite et bigarrée. Graz est une ville qui vit !

déjeuner en Autriche dans une auberge bobo vendredi, 8 juin 2012

Nous nous rendons ensuite dans l’auberge Buschenschank Oberguess, une Buschenschank, selon la loi, n’ayant le droit de vendre que des produits de sa propre production. C’est du local food poussé à l’extrême. Christian Krampl, qui était vigneron et maintenant fait du vin pour son restaurant, a le look du bobo retiré à la campagne. Sa femme et lui sont jeunes et beaux, cools, rustiques à souhait. On grignote une assiette de nourritures variées sur les vins de Christian : Ober Guess Sclossberg Gelber Muskateller 2011, Ober Guess Sclossberg Weissburgunder 2011, Ober Guess Sclossberg Sauvignon blanc 2011. Là encore, c’est dur de se tordre les boyaux, mais on constate l’extrême écart entre des vins bien faits, ceux de Stefan Potzinger, et ceux-ci, franchement peu intéressants du fait de leur élaboration imprécise. Un quatrième vin dont je n’ai pas noté le nom mais de 2009 s’est montré beaucoup plus convaincant. Pourquoi boire des 2011, si les 2009 se boivent mieux ?

dîner de vins anciens au restaurant Schmankerlstub’n Temmer vendredi, 8 juin 2012

Pendant tous nos trajets, nos vins étaient dans les voitures, celles de Gerhard dans une boîte réfrigérée, les miennes dans un sac. Gerhard voulait absolument que les bouteilles soient ouvertes pendant notre casse-croûte rustique. J’ai accepté d’ouvrir les siennes puisqu’il le voulait, mais j’ai conservé les miennes intactes jusqu’à l’arrivée au restaurant Schmankerlstub’n Temmer, situé à une vingtaine de kilomètres au sud de Graz. Monika Temmer est en cuisine et Sepp Temmer son mari nous fera le service des vins. Il est très fier de sa toque au Gault et Millau. Il est très motivé à nous servir les vins au point qu’il se sert aussi de belles portions qu’il avale cul-sec, comme un seul homme.

La cuisine est simple, goûteuse et assez bien adaptée aux vins qui sont l’objet de toute notre attention. Stefan Potzinger et Sepp Muster sont avec nous.

Le Stefan Potzinger Joseph Sauvignon blanc magnum 2006 montre à quel point les années profitent aux vins de Stefan et combien la gastronomie est essentielle pour eux. C’est un vin fruité, direct, chaleureux, sans chichi et bien expressif. C’est comme cela qu’il faut boire ces vins.

Le Clos Sainte Hune Riesling Trimbach 1968 a un niveau bas et une couleur beaucoup trop ambrée. Le nez est celui de vins qui ont viré vers le madère et en bouche, si le goût est très agréable, il est très éloigné de ce que Clos Sainte Hune peut être. Alors on le boit comme une curiosité, avec des notes plaisantes, mais un peu hors sujet.

L’Hermitage blanc Audibert & Delas 1950 a aussi un niveau bas et une couleur beaucoup trop ambrée, mais à l’inverse du riesling, il parle, il est causant, il raconte une histoire. Il ne laisse pas indifférent et il a une râpe fort agréable qui signe un vin d’encore belle vitalité. J’ai beaucoup aimé ce vin.

Le Muster Sauvignon blanc Sgaminegg 1992 va apporter la preuve de ce que disait Gerhard il y a quelques heures. Car il est confronté à un Le Montrachet Dupard Aîné 1991, vin de négoce, beaucoup trop ambré pour son âge, plat, sans la puissance ni la pétulance d’un montrachet. A côté, le Muster est élégant, précis, et c’est surtout sa longueur qui m’impressionne. Il est très frais, comme les vins nobles. Un très grand vin. Il faut se précipiter pour acheter des vins de ce vigneron, tant que les tarifs sont encore doux, du moins sur les années récentes.

Le Vosne Romanée Domaine du Château de Vosne-Romanée 1980 est un vin du domaine Liger-Belair que Gerhard possède. Il est hélas trop bouchonné pour qu’on puisse en saisir les subtilités.

Le Vosne Romanée Saint-Florentin Domaine Grivelet 1955 avait des petites bêtes qui couraient sur le haut de la capsule qui, au fil des ans, avait exsudé une pâte molle. Un bon nettoyage avait éliminé ces parasites. Le vin sent un peu le renfermé, mais en bouche, il est très plaisant, avec une belle esquisse de salinité très bourguignonne. Gerhard s’étonne de sa puissance et l’idée qui vient est celle d’un apport d’une minorité visible dans ce vin. Je le trouve fort agréable.

Viennent maintenant mes deux vins. Est-ce que, selon une tradition solidement établie, je vais les juger les meilleurs du dîner, ce dont nous plaisantons avec Louis-Michel ? Ça paraît bien parti, car le Chateauneuf-du-Pape Domaine du Pégau 1988 est un gaillard sacrément solide. Il est puissant affirmé, avec un velours beaucoup plus guerrier que celui, subtil, du Lafleur 1999 de la veille. Je l’aime beaucoup, et Louis-Michel un peu moins, pour son côté rouleau-compresseur. C’est vrai qu’il passe en force.

Le Vega Sicilia Unico 1965 m’oblige à respecter la tradition de la préférence de mes enfants, car ce vin est superlatif. Sepp Muster est subjugué par sa jeunesse. Ce vin n’a pas d’âge, mais ce qui est le plus confondant, c’est qu’il est d’une fraîcheur mentholée exceptionnelle. Il glisse en bouche en la rafraîchissant. Il ne bougera pas d’un iota pendant sa dégustation.

Le Rheingau Qualitätswein mit Prädikat Erbacher markobrunn Riesling Auslese 1971 a tout le charme des beaux vins allemands et la sérénité de l’année 1971 superbe en Allemagne. Délicieusement liquoreux, avec des complexités successives, je l’aime beaucoup, même s’il n’est pas totalement équilibré dans sa structure. C’est un grand vin.

Le Château d’Arche Lafaurie sauternes 1964 est hélas bouchonné, mais après une bonne dizaine de minutes, il effacera presque complètement l’odeur désagréable. Il restera à peine une amertume rêche. C’est un grand sauternes dont nous n’avons pas pu profiter comme il eût convenu.

Mon classement sera : 1 – Vega Sicilia Unico 1965, 2 – Muster Sauvignon blanc Sgaminegg 1992, 3 – Rheingau Qualitätswein mit Prädikat Erbacher markobrunn Riesling Auslese 1971, 4 – Chateauneuf-du-Pape Domaine du Pégau 1988, 5 – Stefan Potzinger Joseph Sauvignon blanc magnum 2006.

Une telle journée ne pouvait se concevoir qu’en recrachant les vins. Par une belle journée ensoleillée dans des paysages de rêve, nous avons fait la connaissance de deux vignerons sympathiques, dynamiques et compétents. Nous avons dîné avec des vins parfois un peu fatigués, mais comme disait Pierre de Coubertin, l’important c’est de participer et d’ouvrir des vins anciens qui n’attendent que d’être bus. Les cinq que j’ai mis dans mon classement justifient à eux seuls ce beau repas entre amis.

Stefan Potzinger Joseph Sauvignon blanc magnum 2006

Clos Sainte Hune Riesling Trimbach 1968

Hermitage blanc Audibert & Delas 1950

Muster Sauvignon blanc Sgaminegg 1992

Le Montrachet Dupard Aîné 1991

Vosne Romanée Domaine du Château de Vosne-Romanée 1980

Vosne Romanée Saint-Florentin Domaine Grivelet 1955

Chateauneuf-du-Pape Domaine du Pégau 1988

Vega Sicilia Unico 1965

Rheingau Qualitätswein mit Prädikat Erbacher markobrunn Riesling Auslese 1971

Château d’Arche Lafaurie sauternes 1964

les plats

déjeuner au restaurant Laurent mardi, 5 juin 2012

Déjeuner impromptu au restaurant Laurent avec un ami, fidèle de mes dîners. Quand je suggère de commander un vin à Ghislain, il fait : « oh, oui, c’est mon préféré ».

Ce vin, c’est un Hermitage Jean-Louis Chave blanc 2001. Il arrive à une température idéale, ce qui est un plaisir de plus. En lui, tout est grand. Le parfum est fort et expressif. Il un joli fumé et un caractère oxydatif sympathique. C’est surtout son opulence et sa complexité qui me frappent. On peut dire que ce vin est aimablement envahissant, car à aucune gorgée on ne l’oublie : il est là, il occupe le terrain.

Mais il a la gentillesse de laisser le plat jouer aussi. Il est parfait pour accompagner de croquantes asperges vertes et un poisson cuit à la vapeur d’une tendreté extrême.

La cuisine est toujours aussi précise, mais la vedette incontestable, c’est ce vin blanc d’une présence inouïe.

Pommard André Morey 1928 mardi, 29 mai 2012

Préparer une séance de l’académie des vins anciens n’est pas une mince affaire. Nous en sommes à 46 vins dont 19 de ma cave. J’ai toujours envie d’en rajouter. Je me promène dans ma cave à la recherche de bouteilles supplémentaires. Mon œil est attiré par une bouteille au faible niveau. Il s’agit d’un Pommard André Morey 1928. Le bouchon tient à peine et s’est en partie décollé du verre. Le vin vit probablement ses derniers instants. Il n’est pas question de le laisser mourir. Je décide de le rapporter chez moi pour le boire ce soir.

Il fait chaud, le vin est secoué dans la voiture et j’arrive à l’heure du dîner. Tout est réuni pour que l’exercice soit difficile. Le bouchon est enfoncé et je gratte au couteau une poussière grasse. Il faut faire attention de ne pas pousser le bouchon avec la pointe du tirebouchon. Le bouchon se lève. Il est gras et disgracieux. L’intérieur du col est gras et je le nettoie avec mes doigts qui deviennent noirs de graisse. Je sens le vin, m’attendant au pire et, oh surprise, l’odeur est plaisante, évoquant des fruits rouges et noirs frais.

Je verse du vin dans un verre et une peur nouvelle apparaît, car la couleur n’est pas engageante, très foncée. Elle s’améliorera par la suite. L’odeur du vin dans le grand verre à bourgogne est plaisante. Elle donne une impression de charge alcoolique que l’on ne retrouve pas au goût. En bouche je suis surpris, car le vin est plein de charme. Il y a des petits fruits comme des cerises, mais le plus étonnant est l’impression de fraîcheur que donne le vin. Il est vraiment vivant, et c’est sa fraîcheur qui me subjugue, une fraîcheur presque mentholée, sous-tendue par son acidité.

Ce plaisir dure quelques minutes, puis l’acidité prend le dessus, alors que le nez reste galant. Je m’attends à une extinction progressive, mais à ma surprise, du velouté apparaît, qui rend l’acidité plus acceptable. J’imagine alors que le vin pourrait profiter de l’aération. J’attends une heure avant de reprendre la dégustation. Entretemps, le vin a décidé de mourir, le parfum ayant viré vers l’animal, et l’acidité ayant pris le dessus, avec l’apparition d’un vilain goût métallique qui existait mais n’était pas encore apparu. On veut croire aux miracles, mais on ne peut pas lutter contre l’inéluctable.

Comme dirait Sylvie Vartan, « je ne suis pas tout à fait abandonné » par ce vin, car j’ai eu « deux minutes trente cinq de bonheur ».

premier dîner dehors en région parisienne jeudi, 24 mai 2012

Mon fils va repartir demain sous d’autres cieux. C’est l’occasion de profiter des premiers soirs cléments pour dîner dehors. Comme souvent, je prélève en cave des bouteilles sans plan particulier. La première est un Marquès de Riscal Rioja Reserva 1992 qui titre 12,5°. Le niveau est dans le goulot. Alors que le haut du bouchon est d’une propreté parfaite, le bouchon se brise à la levée. Il n’est pas de belle qualité. Le vin est d’une couleur déjà tuilée ce qui n’est pas normal. Il sent très bon, d’un parfum franc et prometteur. La déception est en bouche. On sent que le vin pourrait avoir du potentiel, mais le vin a vieilli trop vite. On lui donnerait facilement vingt ans de plus. Il a le désagrément des vins fatigués. Le vin est plat, sans véritable final. Le jambon espagnol lui convient et le fouette, car ils sont des « pays », et le foie gras le domestique. Mais ce n’est pas folichon du tout. C’est plus que certainement un problème de bouteille, et probablement un coup de chaud.

La deuxième est un Corton Clos du Roy L.A. Montoy Propriétaire 1929. L’étiquette est quasiment illisible alors que la capsule est très précise. La devise est ainsi notée : « CAUSA NOSTRÆ LÆTITIÆ », ce qui est charmant. Le bouchon est gras, mais pas trop et se brise de façon normale. Le nez n’est pas très engageant, avec des arômes de sous-bois et de champignons. La robe est plus jeune que celle du Rioja dont le millésime est un anagramme. En bouche, on sent instantanément que ce vin « cause » quand l’autre était muet. Il y a une âme dans ce vin. Mais la fatigue est là. Bien sûr, nous chercherons à capter ce qui reste du message, mais on est bien loin de la pétulance habituelle des 1929 bourguignons. La soirée est si belle que cela ne va pas gâcher notre plaisir. Nous aurons de meilleures pioches.

à droite, c’est le même bouchon, mais retiré en deux fois

repas de conscrits au Yacht Club de France mercredi, 23 mai 2012

Les amis de mon âge débordent d’imagination. Dans la salle à manger privée du Yacht Club de France, Thierry Leluc a concocté avec le chef un menu « impérial » : carpaccio d’empereur à la mangue ivoirienne, rouleau impérial à l’araignée de mer / filet de veau fermier Marengo / fromage « empereur » corse et le Napoléon des Pyrénées / la Sachertorte, gâteau viennois au chocolat préféré de l’impératrice Sissi.

Tout fut délicieux, attentionné et inventif. Les herbes de l’entrée proviennent du jardin de Thierry Leluc.

Le Champagne Boizel brut sans année est aimable, mais sans grande imagination. Le Champagne Vilmart & Cie grand cellier brut premier cru est un peu plus expressif et sert de faire-valoir au Champagne Besserat de Bellefon sans année, au message plus clair et plus joyeux. C’est un champagne de plaisir.

La star de ce repas, c’est le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2008. Riche, plein, expressif, à la trace très longue et complexe, ce vin est très gastronomique. C’est sur le carpaccio qu’il a trouvé la plus grand vivacité.

Le Cos d’Estournel 1996 que nous avons déjà goûté en ce lieu est un très grand vin. Son équilibre est remarquable et son empreinte est forte. Sa force tannique est d’une grande jeunesse. Le La Rose Pauillac 1975 d’un groupement de propriétaires de Pauillac a la fâcheuse idée d’être bouchonné. Le Château Malescot Saint-Exupéry Margaux 1986 est plus simple et moins percutant que le Saint-Estèphe, mais il se boit très agréablement. Le Château Lynch-Bages 1997 convient bien aux fromages, car il est d’une grande délicatesse, dans sa discrétion.

Le Champagne Cuvée Joséphine Joseph Perrier 2002 est superbe, goûteux et vif, grand champagne qui a su tenir tête à la Sachertorte et surmonter le chocolat.

Il nous fallait un Cognac Courvoisier Napoléon pour couronner notre statut d’empereurs. Le Yacht Club de France est d’un accueil impérial comme notre menu. C’est toujours un plaisir de voir la motivation des équipes qui ont composé et réalisé ce beau repas.

de grands vins au restaurant Laurent dimanche, 20 mai 2012

Les amis que nous avions reçus dans le sud étant de passage à Paris, nous nous retrouvons avec eux et avec notre fils au restaurant Laurent.

Le menu de saison nous paraît sympathique : petit pois en vinaigrette à l’huile d’olive et basilic, galette croustillante / foie de canard poêlé, veloutine à l’oseille et haricots « risina » / tronçon de turbot à l’huile d’olive, bardes et légumes verts dans une fleurette iodée / pigeon à peine fumé et rôti, pissaladière de jeunes légumes, sauce piquante / voiture de fromages / soufflé chaud mangue-safran. C’est un menu délicat, équilibré, de cuisine rassurante qui mériterait un peu plus de considération de la part du Guide Michelin.

Le Champagne Clos des Goisses Philipponnat 2000 est d’un bel or clair. La bulle est fine et rapide. Le vin est imposant, riche, plein en bouche, de forte personnalité. Ce sont des fruits jaunes qui marquent le goût. C’est un grand champagne à la forte trace.

L’Hermitage Jean-Louis Chave blanc 2001 est puissant et fumé comme un vin de vieilles roussanes. Il est riche et pénétrant. S’il ne trouve pas vraiment le tempo qui convient au foie de canard, il est merveilleux sur le turbot, et créera le plus bel accord du dîner. J’aime ce vin puissant, conquérant, d’un grand équilibre. Il est à un point de sa vie que l’on peut considérer comme idéal.

Le Chambertin Clos de Bèze Domaine Armand Rousseau 2006 nous fait commettre un infanticide, mais j’en avais furieusement envie et c’est le seul millésime sur la belle carte des vins. Dès la première gorgée on est conquis par le charme délicat de ce vin subtil qui sait combiner la puissance et le raffinement. Je suis un amoureux non transi des vins de ce domaine. Force est cependant de constater que l’on boit ce vin un peu trop jeune, car il va s’épanouir et gagner encore en complexité. Avec le pigeon, c’est un régal.

Il fait soif et c’est l’heure des folies. Un Ermitage Cuvée Cathelin Jean-Louis Chave 2000 apparaît sur notre table. Le vin est grand, ce n’est pas une découverte. Opulent, riche remarquable en tous points. Mais le vin venait tout droit de la cave. Le vin est donc encore un peu coincé et ne se débridera qu’en fin de parcours. C’est notre faute d’avoir commandé ce vin au dernier moment, car l’émotion n’a pas eu la plénitude que j’attendais.

Mon classement du fait des performances de ce soir et non pas sur le potentiel des vins, c’est le Chave blanc, puis le Clos des Goisses, puis le chambertin un peu jeune et le Cathelin un peu coincé sorti de cave.

La grande satisfaction, c’est d’avoir célébré des vins que nous aimons, fleurons de beaux vignobles, sur une cuisine sereine et apaisée, de grand confort, avec l’un des services de salles les plus plaisants de Paris.

La Tâche 1943 émouvante vendredi, 18 mai 2012

Mon fils revient des Etats Unis, juste trois jours après son anniversaire. C’est l’occasion de fêter ça. Je repère en cave une bouteille de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943 qu’il faut boire, car le niveau ressemble à un mi-épaule /basse épaule selon le standard bordelais. La couleur du vin vue à travers le verre me plait. Pendant ma visite de cave, je vois une bouteille de Château Latour 1907 qui a perdu plus de la moitié de son volume. Je la pose à même le sol comme on la poserait dans un cercueil. Grandeur et décadence : collectionner les vins c’est s’exposer à ce type de problème, la mort inéluctable des vins. Et en couchant la bouteille de Latour, j’ai une pensée pour Michel Chasseuil, qui a la plus belle cave du monde, mais l’expose à la mort subite du vieux barbon, quand le bouchon a décidé de rendre l’âme.

Pensant que La Tâche pourrait avoir un problème, je choisis un Vega Sicilia Unico 1982 au niveau dans le col, qui devrait être la bonne sauvegarde.

A 18 heures, j’ouvre La Tâche et le bouchon vient entier, noir mais laissant apparaître le mot « Tâche ». La première odeur est divine. Il y a un insistant fruit rouge, framboise ou peut-être noir, de cassis, qui promet un grand moment. J’ouvre le Vega Sicilia Unico et la similitude de parfum est confondante. Car on retrouve le même fruit rouge, le même velouté, le vin espagnol ayant un peu plus de vigueur, mais pas tant que ça.

Ma femme, pensant qu’il y aurait un champagne au début, a prévu saucisson de canard, rillettes de canard et Pata Negra. Le dilemme pour moi est : « La Tâche en premier ou en second ? ». Le risque, c’est que le vin espagnol servi en premier écrase le bourguignon. Je décide que l’espagnol viendra en tête. Quitte à prendre des risques, autant les prendre tous. Le Vega Sicilia Unico 1982 est assez extraordinaire. Alors qu’il titre 13,5°, sa légèreté est incroyable. Son attaque est faite de fraîcheur. Il est frais, agréable, séduisant. En milieu de bouche, c’est à la fois une amertume contenue et un fruit rouge délicat. Et sur le final, c’est du velours sur du fruit rouge. Ce vin paraît facile à vivre, subtil, au velours rare. Il se boit avec une facilité déconcertante.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943 est accompagnée d’un agneau de lait goûteux à souhait sur des tranches de pomme de terre juste poêlées. L’accord est divin. La couleur du vin est rouge encore et s’assombrira au cours de la soirée. La continuité avec le vin espagnol est étrange, car on retrouve le même fruit rouge et le même velours. Mais il y a une tension dans La Tâche qui n’existe pas dans le vin espagnol. Est-ce à dire que l’un serait meilleur que l’autre ? La Tâche est assurément plus complexe. Mais le Vega est plus fringant. Alors, laissons-les côte-à-côte. Plus on avance dans le vin, plus La Tâche est profonde. La lie de La Tâche est une merveille absolue. En sentant les deux fonds de verre, c’est La Tâche qui exprime plus de complexité. Ce vin, que j’ai acheté il y a trente ans, est peut-être le dernier que j’ai. J’en ai connu de plus fringants. Mais celui-ci a une âme devant laquelle on se recueille.

Comme j’avais parlé du Château Latour 1907, pourquoi ne pas le remonter de cave ? Il a perdu la moitié de son volume. Je tire le bouchon, excessivement gras et je suis étonné, car l’étiquette indique un reconditionnement en 1989. Ce n’est pas la première fois que je me suis fait surprendre, car le vin n’a pas été reconditionné en 1989, mais réhabillé. Ce qui veut dire qu’on a seulement mis une étiquette, sans changer le bouchon. Aucune inspection au château, seulement une nouvelle étiquette. Est-ce que le commissaire priseur l’a expliqué, j’en doute.

Le vin versé dans le verre est dépigmenté. A boire, c’est horrible. Ce qui est intéressant à constater, c’est que le bouchon sent bon, c’est que la bouteille, quand elle est vide, sent bon. Et c’est le vin servi dans le verre qui est horrible.

Pour ne pas rester sur cette impression, je sers à mon fils un verre de « Une Tarragone », des Pères Chartreux vers 1920. La précision de cet alcool est démoniaque. On imagine les Pères Chartreux travaillant depuis mille ans sur l’assemblage des herbes et des épices et qui, disons vers 1450, ont trouvé la pierre philosophale. A partir de ce moment-là, la question n’était plus d’améliorer, mais d’être sûr qu’on ne s’écarterait plus jamais de la recette miracle. Cette Tarragone est faite de la recette miracle. Le cocktail d’herbes, de fleurs et d’épices est unique, inégalable. C’est la folie absolue. Mon Père, absolvez-moi, car j’ai bu la plus démoniaque de toutes les liqueurs.