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J’ai bu un vin parfait, un vin éternel mardi, 4 octobre 2011

J’ai bu un vin parfait, un vin éternel, tel devrait être le titre de ce récit. Mon fils vit aujourd’hui en Floride. Il est toujours le gérant de mes affaires, aussi est-il chaque mois en France pour gérer les affaires dites courantes. Une fenêtre de tir s’ouvre pour un dîner à la maison. J’ai envie d’ouvrir du lourd, un vin dont on se souvient pour longtemps. Je me fie à mon nez, à ma chance, à ce je ne sais quoi qui fait que je trouve de bonnes pioches. Dans la cave, j’arpente les allées, et une cuvée Cathelin me paraît une bonne pioche. Mais soudain, sur une étagère où il y a des bouteilles d’alcool qui sont debout, je repère une bouteille de vin debout. Dans ma cave, les bouteilles debout sont celles qui ont une baisse anormale de niveau. Pourquoi celle-ci, qui a un niveau superbe est-elle debout ? Elle n’a pas d’étiquette et la capsule m’apprend qu’il s’agit d’Audibert et Delas. Je regarde dans la case la plus proche et je vois qu’il existe une bouteille d’un Hermitage Audibert & Delas, Cuvée Marquise de la Tourette 1929. En comparant les deux bouteilles, on voit que le verre est identique, le cul étant profond et de la même forme. La bouteille sans étiquette a une capsule qui paraît plus vieille que l’autre. Mais le niveau de la bouteille incertaine est dans le goulot, si l’on peut dire pour une bouteille de forme bourguignonne, quand la 1929 a perdu de son volume. J’éclaire la bouteille pour constater que la couleur est belle et me fiant à mon étoile, je décide que ce sera celle-là.

Revenu chez moi, je cherche un champagne qui pourrait convenir à ce repas intime. Coup de chance supplémentaire, j’ai mis au frais une bouteille de Salon 1982. Le scénario est clair.

J’ouvre la bouteille inconnue et le bouchon est totalement collé au verre. Quand le tirebouchon remonte, le liège reste collé aux parois. Avec un couteau et avec le tirebouchon, j’extirpe des lambeaux de bouchon, et au bout de quelques minutes, tout est extrait. Le parfum du vin est chaleureux, flamboyant. Une perfection se dessine.

Mon fils arrive et j’ouvre le Champagne Salon 1982. Le bouchon s’extirpe sans explosion. La bulle s’active dans la bouteille et le vin qui est versé est pétillant, fortement ambré. Le nez du vin est intense, mais tout se joue en bouche. Ce champagne déjà évolué mais très jeune est structuré. Il a l’expression d’un champagne ancien, mais avec un équilibre invraisemblable. Boire ce champagne, c’est s’allonger dans un canapé moelleux. Impossible de le définir, tant il est équilibré. C’est, ce jour, le plus grand Salon que j’aie jamais goûté, car l’année 1982, romantique, est au sommet de son art. Avec mon fils nous constatons qu’aucun autre champagne ne pourrait donner ce sentiment de plénitude et d’accomplissement. Nous le buvons sur des copeaux de foie de morue, sur des tulipes de betterave et il s’adapte, tout en gardant la noblesse de son message profond. Ce champagne est un bonheur absolu et il est inconcevable qu’un autre champagne puisse avoir cet équilibre, cette rondeur et cette cohérence. Il est long, caressant, profond. Il a un goût à se souvenir à jamais.

Nous passons à table et je verse le vin inconnu. La couleur est belle, rubis, sans trace de tuilé. Le parfum est dense et profond. En bouche, le miracle se produit. Mon fils et moi nous sentons que nous buvons un vin parfait, un vin éternel, ce type de vin qui envahit l’âme. Nous cherchons d’abord à savoir si c’est bien un Hermitage 1929. La force alcoolique suggère plutôt 1947, mais la capsule étant plus âgée que celle du 1929 et le bouchon ayant éclaté en mille morceaux suggèrent que 1929 est raisonnable. Le vin est velouté, avec une force alcoolique certaine et un équilibre indescriptible. C’est un vin du Rhône assurément, avec une rondeur et une longueur inégalables. A mon fils comme à moi viennent en mémoire l’Hermitage La Chapelle Jaboulet 1961 que nous avons eu la chance de goûter. Non seulement le vin que nous buvons lui ressemble en mille aspects, mais, osons le dire, celui-ci est plus grand encore. C’est un vin éternel car il n’a ni âge ni défaut. Il représente le plaisir absolu qu’un vin puisse donner. Alors, nous nous le racontons ce plaisir, sur du poulet, sur des patates douces, puis sur un Saint-Félicien de compétition.

Je suis tellement fier que ce vin sans étiquette, prélevé « à l’instinct » dans ma cave soit un vin parfait. Nous finissons le Salon 1982, champagne d’une plénitude absolue qui montre à l’évidence que l’Hermitage est cent coudées au dessus, car il n’a ni rides ni défaut.

Pour que le plaisir ne finisse jamais, je verse un petit verre d’Une Tarragone des années dix sans doute. Cet élixir est un poison de bonheur qui conclut un dîner impromptu où nous avons goûté l’un des plus grands vins de notre vie.

deuxième repas gastronomique au Casadelmar samedi, 1 octobre 2011

Le lendemain matin après des longueurs de piscine dès potron-minet, branlebas de combat. Je suis le capitaine d’un grand semi-rigide au moteur puissant. Je vais réaliser un rêve. C’était une utopie, tant j’imaginais que sans doute ma vie se passerait sans que cela n’arrive. Nous irons par la mer à Bonifacio, contemplant les falaises et les maisons en équilibre « par en dessous ». Quel bonheur ! Le site de Bonifacio, côté mer ou par l’entrée au port est un spectacle inouï.

Nous avons prévu de déjeuner à Marina di Cavu, un hôtel qui appartient à une chaîne « Chateaux et Hôtels Collection » dont fait aussi partie Casadelmar. Nous accostons à un embarcadère et un taxi nous attend pour nous y conduire. Un monsieur se présente. Je lui serre la main et il me dit : « je suis le propriétaire de Marina di Cavu, je vous emmène. Vos amis prennent le taxi, venez avec moi ». Et sur le trajet, Jacques Bertin me raconte sa vie, ses ambitions en matière d’hôtellerie et de restauration.

Le chef Julien Diaz a travaillé cinq ans avec Davide Bisetto et sa cuisine est naturellement imprégnée des idées de son mentor. Nous avons très correctement déjeuné dans un cadre qui pousse à la paix de l’âme.

De retour à l’hôtel, sieste puis ouverture des vins du soir. Davide le chef est à nos côtés pour l’apéritif et l’on sent bien l’amitié qui se renforce, fondée sur la recherche de l’excellence culinaire et des accords mets et vins. Davide est en quête permanente de perfection, en s’appuyant sur des recettes locales et ancestrales et en les revisitant. C’est un bonheur de l’écouter expliquer ses cheminements.

Les canapés sont copieux et le champagne Jacques Lassaigne Le Cotet est toujours aussi agréable dans une construction de bon aloi. Il est précis, net, et met naturellement en valeur le Champagne Bollinger R.D. 1979 qui est très jeune, à la bulle discrète, de belle structure. Ce champagne racé est bien excité par les anchois, et surtout par les beignets d’anémones de mer.

Le menu composé par Davide Bisetto pour nos vins est ainsi rédigé : seiches comme des pibales, enokis / fenouil- palourdes – mandarine – corail d’oursin / affogato de cannocchie, langoustine-tourteau / saint-pierre, eau de pistache, ormeaux, salsifis a la colature d’anchois / « pasticcio » de pigeon et cèpes / agneau rôti au piment, miel et charbon végétal / fromages corses / mûre-zola / boule kaki.

Le Château Laville-Haut-Brion 1979 a une belle couleur. Le nez est fermé, d’alcool et de glycérine. Il est un peu amer et ce n’est qu’après quelques gorgées que l’on ressent que la gêne vient d’un goût de bouchon. Heureusement la Coulée de Serrant Nicolas Joly 1979 va nous combler d’aise. Son nez est de pierre à fusil. En bouche, il est beau, fruité, joyeux, rond. Chose amusante, le Savennières met en valeur le Laville et le rend plus structuré, presque buvable. Le vin de Nicolas Joly ne va pas du tout avec le plat de seiches. Il n’est brillant que seul, alors qu’on sent que le Laville pourrait être parfait. Il ne fait pas de doute que pour cette étape, c’est le plat qui est le gagnant.

Le plat de palourdes est extrêmement iodé. Le Corton-Charlemagne Domaine Bonneau du Martray magnum 1992 est d’une élégance exceptionnelle. Je sens de la brioche et des agrumes. Le vin est racé et l’accord est vibrant. Le fenouil est magistral. Par une formule dont on excusera le côté corps de gardes, je note : « le plat est couillu mais c’est le vin le mâle dominant ». Le vin est capable de capter aussi bien l’iode que le fenouil, les agrumes ou l’huile. Il capte tout et prend une longueur extrême. Je le trouve chaleureux. Quand le palais s’apaise la mémoire garde la palourde, le côté pâtissier du vin, la clémentine et le fenouil.

Le deuxième plat associé au magnum est très fort. Le romarin est prégnant et la sauce est forte, ce qui éteint le vin qui devient plus étriqué, même s’il exprime de la menthe et de la réglisse. Le plat est classique et très goûteux. Le vin ne redevient lui-même que quand l’assiette est retirée.

Le Bâtard-Montrachet Domaine Ramonet 1992 me donne un coup de poing au cœur, comme chaque fois que je ressens un vin parfait, un 100/100 dans l’échelle parkérienne. Sa richesse gustative est infinie et il pianote sur tous les arpèges. Il est hors norme, indescriptible tant il est au dessus de tout. Le délicieux saint-pierre met en valeur le Corton-Charlemagne, car ce Bâtard n’a besoin d’aucun plat. La sauce et les ormeaux sont magiques, le salsifis est judicieux. La Coulée de Serrant réagit bien sur la sauce.

Pauline, ravissante serveuse, passe devant nos yeux et nos nez un plat à gratin qui est l’interprétation du chef du pigeon. C’est un sommet de la cuisine bourgeoise. Et le Château Margaux 1979 est le vin le plus noble et le plus raffiné qui soit. Noblesse et bourgeoisie. Le plat est fou tant il est si spontanément goûteux. Et le Margaux tout en noblesse finesse et race. Il transcende son millésime.

Le Vosne-Romanée 1er Cru Cros Parantoux Emmanuel Rouget 1997 est éblouissant. Il est café, moka, chocolat sur la première gorgée. Puis, il montre à quel point il est sauvage, avec une râpe qui fait le bonheur des vins bourguignons. Quel talent ! Il y a un lien très net avec les vins d’Henri Jayer dont le Nuits-Saint-Georges bu la veille. Le vin est sublime mais le plat est trop fort. Le charbon alimentaire me gêne et m’empêche d’aimer l’agneau. Pour finir le vin nous demandons des fromages corses présentés de façon très compétente par l’un des serveurs, ce qui permet de continuer de profiter du vin d’Emmanuel Rouget qui m’émeut et me transporte de joie.

Contrairement à mes amis, je ne vibre ni pour le dessert, ni pour le Château d’Yquem 1975 qui est trop sur des notes de thé et manque de flamboyant. Mais je n’exclus pas la saturation de mon palais.

C’est le pigeon qui a illuminé ce repas, et le Bâtard-Montrachet Ramonet est de loin la star de ce repas et aussi, à mon avis, du séjour. Les deux repas ont été éblouissants d’inventivité culinaire, de pertinence des goûts. Nos vins nous ont permis d’explorer le meilleur de plusieurs régions. Les accords ont été riches et subtils. Davide nous traite en amis, partenaires de recherches, et l’équipe du service en salle, jeune, dynamique et motivée a cherché à nous satisfaire dans tous nos désirs.

Le lendemain midi sur un risotto aux cèpes, nous avons ouvert un des vins de réserve, le Château Gazin 1979 parfait pomerol pour le risotto.

A l’aéroport de Figari puis à Orly en attendant nos valises nous nous sommes gavés de macarons d’Anne Marchetti, divins macarons d’une talentueuse créatrice de Porto-Vecchio. Ce week-end gastronomique fut un festival. Il devient un rite.

Casa Del Mar – deuxième dîner gastronomique samedi, 1 octobre 2011

Les vins : Champagne Bollinger R.D. 1979 et Château Laville Haut-Brion 1979

Champagne Le Cotet Jacques Lassaigne

Bâtard-Montrachet Domaine Ramonet 1992

Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1992 et Chateau Margaux 1979

Vosne-Romanée 1er Cru Cros Parantoux Emmanuel Rouget 1997

Les bouchons et Chateau d’Yquem 1975

l’apéritif

le dîner

premier repas gastronomique au Casadelmar vendredi, 30 septembre 2011

Le lendemain du féérique dîner à l’hôtel Casadelmar commence par quelques longueurs de la piscine à débordement de 25 mètres de longueur. L’eau plus chaude que l’air frais du matin crée une légère brume. Il fait beau et les couleurs du début d’automne sont pastel rose.

Notre groupe s’agrandit au moment du déjeuner et un Champagne Jacques Lassaigne Le Cotet est bien agréable pour fêter des retrouvailles. Les tempuras de langoustines et gambas sont toujours aussi copieuses. L’après-midi est peuplé de siestes et de sport pour les uns, et d’excursions en montagne et de shopping macarons pour d’autres. A 18 heures j’ouvre les vins du soir et découvre quelques parfums explosifs comme celui du Bâtard Montrachet Leflaive et celui du Vega Sicilia Unico.

A 20h30 notre groupe est enfin au grand complet. Le Champagne « Initial » de Jacques Selosse est extrêmement délicat et plaisant. Il vibre sur de la coppa et sur un jambon corse tranché très fin. Très droit, direct et précis, le vin de belle tension au message clair nous ravit.

Nous passons à table pour le premier des deux dîners de gala. Le menu conçu par Davide Bisetto en partenariat avec Jean-Philippe est : consommé de poularde de Bresse, menthe-mandarine / foie gras comme un tiramisu / risotto « pure iode » / loup E.V.O., matsushima méditerranéen, percebes / cappellatti d’osso bucco, fondue d’Ubriaco, balsamique 50 ans d’âge, cacao / chevreuil glacé, rhum genièvre / gelée de vieux whisky, mantecato aux dattes / O’baba autour des agrumes.

L’« Y » d’Yquem 1978 que l’on me fait goûter est glorieux. Il combine le caractère d’un vin sec avec en filigrane le doucereux délicat du sauternes qui est son cousin et frère. Le bouillon rétrécit le message d’Y. Le gras du consommé de poularde se marie mieux avec le reste du Selosse. L’accord de l’Y est prévu avec le foie gras et c’est la gelée de café qui fait vibrer l’Y que je trouve sublime, avec des évocations de thé au fruit.

Au programme, nous devions avoir un Meursault qui a fait faux bond aussi est-ce de la carte du restaurant que nous prélevons un Riesling Clos Sainte-Hune Trimbach 2002. C’est un très grand vin à la longueur extrême et ce qui nous frappe, c’est la continuité gustative entre l’Y et ce riesling. Le risotto est tout iode comme le titre du plat l’indique, et c’est la langue d’oursin qui embellit le grand vin d’Alsace, tandis que la poutargue laisse une forte amertume, pas désagréable du tout. J’aime la pureté et le délié du vin.

Le Bâtard-Montrachet domaine Leflaive 1996 est une bombe olfactive, de pétrole et de pierre à fusil. En bouche le vin est opulent, puissant au-delà du possible, avec un gras confortable. Le loup est absolument divin et je m’interroge sur la pertinence de l’acidulé de la sauce mais la démonstration est faite, car ce que le palais garde en mémoire, c’est la texture de la peau du loup et la pierre à fusil du Bâtard. Et cet acidulé délicat donne au vin une longueur infinie. Le plat est d’une originalité exemplaire.

Le Nuits-Saint-Georges Meurgers Henri Jayer 1981 est d’un rouge quelque peu rose avec une petite amertume qui va exprimer sa race. C’est un vin de puriste, très authentique, avec la belle râpe des grands Nuits-Saint-Georges. Il est très frais, sur le fruit, sans concession. Les raviolis d’osso bucco sont d’une mâche envoûtante, et le miracle se produit : le vin d’Henri Jayer devient Romanée Conti. Il respire ce qui fait la magie du domaine de la Romanée Conti, la rose et le sel. Je suis tétanisé par l’appropriation que le vin fait des caractères envoûtants du domaine de la Romanée Conti que j’adore. On est dans un festival de grâce. Les deux folies sont la mâche du plat et le parfum de rose du vin d’Henri Jayer.

Le Vega Sicilia Unico Reserva Especial (1991, 1994, 1995) a un nez qui est une explosion de fruits noirs. Ce vin a été mis en bouteille en 2010 et malgré sa longue maturation, il a la fraîcheur d’un bébé. Et le genièvre du plat de chevreuil donne au vin une fraîcheur exceptionnelle. La chair du gibier est aérienne malgré une sauce lourde. C’est un régal. Le vin espagnol a des notes de café et un final mentholé. On pourrait croire que ce vin puissant est simple, mais ce n’est pas le cas. La tendreté du chevreuil est extrême.

Le Château de Malle sauternes 1961 est un vin simple, sans problème, sans chichi mais qui atteint parfaitement son but car il renvoie bien la fraîcheur du dessert qui lui convient parfaitement. L’orange confite et l’ananas donnent une résonance à l’aimable sauternes.

Que retenir de ce dîner : une émotion exceptionnelle avec le vin d’Henri Jayer, la mâche des raviolis d’osso bucco, l’acidulé qui accompagne le loup, trois vins blancs au sommet de leur art, un chef d’une délicatesse et d’une justesse de composition d’un rare niveau, nos rires, nos « oh » et nos « ah ». Tout était réuni pour un grand repas gastronomique en un lieu enchanteur.

Casa Del Mar – premier dîner gastronomique vendredi, 30 septembre 2011

les vins que nous avons apportés pour les deux dîners

Champagne Jacques Lassaigne Le Cotet

Champagne « Initial » de Jacques Selosse

« Y » d’Yquem 1978

Riesling Clos Sainte-Hune Trimbach 2002

Bâtard-Montrachet domaine Leflaive 1996

Nuits-Saint-Georges Meurgers Henri Jayer 1981

Vega Sicilia Unico Reserva Especial (1991, 1994, 1995)

Château de Malle sauternes 1961

les plats

grand coup de génie à Casadelmar jeudi, 29 septembre 2011

L’été se termine traditionnellement par notre « université de fin d’été », un séjour à Casadelmar, le magnifique hôtel de Porto-Vecchio. A Figari, il faut louer une voiture et on mesure à quel point le souci du client est une notion obsolète. La priorité est au prix de revient, à l’optimisation de la masse salariale, et le client doit s’adapter à ce programme minimum. Penser à ses souhaits serait une erreur de nos jours. Productivité, on vous dit. Après un parcours sans histoire dans des paysages qui prêtent à la rêverie nous arrivons à l’hôtel. L’hôtesse est prévenante, et notre chambre qui donne sur la baie de Porto-Vecchio est un appel au bonheur.

Avec Jean-Philippe, nous déjeunons au grill, à une table cachée sous l’ombre d’un grand arbre, bercés par le clapotis des eaux calmes. Nous avions dit « pas de vin », mais il faut fêter le début du séjour, alors c’est un Champagne Bollinger R.D. 1996 qui nous souhaitera la bienvenue. Les plats sont extrêmement copieux et goûteux. J’ai pris des poissons crus en spaghettis et un mixed grill de poissons. Le champagne est d’une forte personnalité, viril et très typé. Il est vraiment grand. L’entrée en matière de ce séjour est réussie.

A 20 heures, Jean-Philippe est en grande conversation avec Davide Bisetto, le chef du restaurant, car nous avons au programme deux dîners gastronomiques avec nos vins apportés pour la circonstance. Davide est passionnant à écouter car il est très marqué par les plats italiens de sa jeunesse mais aussi par les plats des générations précédentes. Et il revisite des recettes historiques. Il aimerait bien utiliser cette base historique pour le parcours de deux jours que nous allons faire. Il a la mémoire des plats que nous avons goûtés et veut que chaque étape soit marquée par la nouveauté. Nous trinquons sur un Champagne Krug 1990. Le nez du champagne est d’une folle jeunesse, complexe, fort. En bouche il est passionnant car il combine des expressions de grande jeunesse avec le côté buriné des champagnes anciens. A la charnière de deux tendances, il est excitant car insaisissable. Il a des amertumes de thés aux fruits, mais aussi une vigueur très vineuse. J’aime qu’il nous entraîne dans du hors piste.

C’est Davide qui a composé notre menu : autour du Risina di Spello (qui est un haricot blanc) / langouste à l’Amatriciana, glace d’aubergine au sel fumé / tortelli de baccala, gambas marinés, émulsion roquette-ginger-lime / pigeon fermier poché au Vernaccia de Sardaigne / rafraîchissant / soufflé au yoghourt de brebis et café, sorbet réglisse.

Trompettes de la renommée, il va falloir vous habituer à sonner les trois étoiles de ce chef. Car c’est un des plus brillants dîners que nous avons vécu. Le plat miraculeux, c’est celui de la langouste. Car l’interprétation est artistique, divinement créatrice, avec un sens esthétique extrême. Puisque Davide est italien, on pourrait parler de Raphaël ou de Michel-Ange, tant l’harmonie et l’imagination sont présentes.

Pour les deux plats suivants, tout aussi brillants, ce sont les petits bouillons qui rehaussent les goûts et jouent un rôle multiplicateur extraordinaire pour les vins. L’émulsion de roquette, si l’on accepte la force du goût, donne au Krug 1990 une assise et une plénitude hors du commun. Pour le pigeon à la tendreté démoniaque, nous avons choisi un Solaia Antinori 2000 pour honorer l’origine du chef. Le vin a un nez d’une richesse de notable. En bouche il est puissant et confortable. C’est vraiment le notable de province, mais un notable qui a du pouvoir. Avec le jus fait d’abats, le vin est propulsé à des hauteurs de richesse et de bonheur qui sont rares.

A chaque fois, nous sommes confondus par le talent du chef fait de créativité, d’élégance, de pertinence et de cohérence des goûts. C’est spectaculaire et va beaucoup plus loin que de nombreux chefs qui ont trois étoiles. Il va rejoindre leur cercle, c’est sûr. Alors, on pense à Noma et l’on se dit que Noma, c’est un voyage. Le repas est un parcours initiatique extrêmement passionnant. Tandis qu’avec Davide, c’est une succession de tableaux de Raphaël. C’est le génie dans la conception et dans la réalisation.

Ce soir, nous étions concentrés sur la cuisine, car c’est là qu’était le talent. Les deux très bons vins ont eu l’intelligence de savoir profiter de cette créativité pour nous trouver des arômes qu’ils cachaient sous leurs blouses.

Nous avons vécu l’un des plus beaux dîners de cette année 2011. Il en reste deux à venir !