Archives de catégorie : dîners ou repas privés

déjeuner au restaurant Arpège samedi, 7 mai 2011

Le prochain dîner de wine-dinners se tiendra au restaurant Arpège. Comme l’an dernier, j’ai envie d’aller quelques semaines avant tester les plats prévus par le chef Alain Passard en fonction de mes vins. C’est un des sacerdoces de ma fonction. Mon ami Tomo ayant envie de goûter des vins avec moi, l’idée vient de créer un Casual Friday en conviant deux des plus fidèles de nos amis. Nous voilà partis !

Le menu préparé par le chef, où je retrouverai quelques uns des plats prévus pour le dîner est ainsi rédigé : L’Œuf parfait, Ail nouveau / Epinards palco, Mousseline carotte-orange / Ravioles printanières, Consommé végétal / Langoustes, curry vert / Saint Pierre grillé, Thé vert / Lotte grillée Sauce vin jaune / Agneau de Lozère, Fenouil / Poularde, Foin / Fromages affinés de Bernard Antony / Crème glacée Acacia / Tarte aux pommes « Bouquet de roses », Caramel au lait / Tarte à l’oseille / Mignardises, 3 macarons.

Ce menu est d’un éclectisme certain et d’une grande qualité technique. Mais le vin n’est pas l’orientation primaire de certains plats qu’il faudra remodeler en simplifiant et en élaguant certaines saveurs qui ne sont pas nécessaires. Un vin ancien a besoin d’un goût principal et toutes les saveurs périphériques doivent assurer la cohérence de l’ensemble.

Le Champagne Pommery Cuvée Louise 1998 manque un peu de vibration. Il se boit bien, mais je ne retrouve pas l’émotion que j’avais eue lors de ma visite à la maison des champagnes Pommery.

Le Meursault Genévrières Domaine Comtes Lafon 1999 a un nez de grande finesse. Il plante le décor. Tomo lui reproche un manque d’ampleur, mais je ne le suis pas dans ce diagnostic. C’est un beau meursault qui ne demande qu’à s’étoffer dans le verre, et dès qu’il le fait, le côté beurré si agréable des meursaults de grande qualité ravit mon palais. Il manque effectivement un peu de tonus mais il me plait. L’accord sur l’œuf est possible.

J’avais bien fait de suggérer que le blanc de Bordeaux vienne après le bourguignon, car le Château Laville Haut-Brion 1990 est grandiose. Ce vin est parfait. Il a tout. La noblesse, la grandeur, la force et la précision. Je dirais volontiers que ce vin est très « british ». Séducteur raffiné, il emplit le palais de joie de vivre. Un très grand vin. Je fais accélérer le service du Château Carbonnieux rouge 1959 car la langouste est tellement envahie par le curry que seul un rouge peut tenir le choc. Nous avons vainement attendu un deuxième service de langouste, car Alain Passard nous a fait une farce en laissant montrer une énorme langouste qui contrastait gaiement avec la petitesse de nos portions. La différence entre les plats de cuisson montrés et nos assiettes s’est retrouvée aussi pour d’autres plats. On ne devrait montrer la « bête » entière que si elle est pour une seule table. Au moment de goûter le Carbonnieux, j’ai un petit recul, car il y a une amertume bien excessive. En fait le vin avait besoin d’un coup de fouet d’air pur, pour délivrer le message d’un vin très tannique, presque noir de couleur, d’une jeunesse insolente, assez cistercien dans son expression. J’aime les vins fortement tramés comme celui-ci, avec une mâche lourde.

La divine surprise, c’est le Richebourg Théophile Gavin 1947. Le hasard de mes achats a fait que j’ai acquis des vins de Théophile Gavin dont des « Bourgogne » 1928 qui ont toujours surpris mes convives : comment le plus banal des vins de Bourgogne peut-il briller autant ? Est-il hermitagé, peu importe si le résultat final est celui du plaisir. Et le Richebourg, aidé par une année elle aussi légendaire, est un moment de bonheur. Il a tout du bourgogne fringant, facile, à qui tout réussit. Gaylord, le compétent sommelier à qui j’avais demandé d’ouvrir les bouteilles était circonspect sur son état au moment de l’ouverture vers 10 heures. Il est brillant, facile à vivre, joyeux et très bourguignon. La surprise est forte.

Les ravioles et leur bouillon, l’agneau et la poularde se sont révélés brillants sur les deux vins rouges. Le repas s’est fini sur un Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1964, le même que celui que j’avais ouvert dans ma cave pour des visiteurs de cette grande maison de champagne. Ce champagne sublime la notion de champagne évolué, avec un kaléidoscope de saveurs étranges faites de fruits tropicaux.

Le classement est évident pour la première place et balancé pour la seconde. Mon classement est : 1 – Château Laville Haut-Brion 1990, 2 – Richebourg Théophile Gavin 1947, 3 – Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1964, 4 – Meursault Genévrières Domaine Comtes Lafon 1999.

A une table voisine, un jeune couple fêtait un anniversaire. Ils ont été émerveillés par un verre du Richebourg, ne soupçonnant pas que de tels goûts puissent exister; A une autre table, un homme m’appelle. Il connait tout de moi : mes mieux de vacances et les noms de mes entreprises. J’apprendrai plius tard qu’il est journaliste. Il est entouré de jolies femmes comme James Bond chaque fois qu’il apparaît quelque part. Ce petit groupe rejoint au caveau Alain Passard qui suçote un impressionnant cigare cubain. Dans cette jeune atmosphère, sous le charme de la beauté, j’écoutais les propos emplis de rires, tout en récupérant d’un casual Friday fait de baux vins et de bonne chère.

déjeuner au Yacht Club de France mercredi, 4 mai 2011

De retour à Paris après une courte escapade, je retrouve mes conscrits au Yacht Club de France. Le Champagne Ruinart sans année est nettement moins inspiré que le même bu il y a peu, mais il se boit bien. Le gérant du restaurant est très motivé avec son chef à nous faire découvrir des saveurs nouvelles. Il y a quelques mois, c’était une feuille qui sent l’huître. Aujourd’hui ce sera une feuille qui s’imprègne du goût de l’anguille. Le plat s’appelle Saint-Jacques rôties et anguille fumée, asperges vertes, feuilles de Majii, beurre blanc. Il est accompagné d’un Pouilly-Fuissé domaine Saumaize-Michelin 2007 qui est une belle surprise dans sa jeune verdeur.

La côte de veau, courgettes garnies des légumes de saison, pommes Président, jus de veau aux truffes, sauce Choron est associée à un Château Les Carmes Haut-Brion 2002 bien agréable et sans surprise, que l’on n’attendrait pas à ce niveau là pour cette année. Nous goûtons un vin de la réserve du gérant, un Chateauneuf-du-Pape Clos de l’Oratoire des Papes 2001 qui montrent à quels point ces vins du Rhône sont joyeux.

La coupe glacée servie avec une poêlée de gariguettes au basilic frais permet au Champagne Joseph Perrier sans année de rafraîchir l’ardeur de nos discussions. L’accueil, le service et la cuisine de ce club sont absolument remarquables. Nous nous y sentons privilégiés.

dîner chez des amis avec une Turque parfaite dimanche, 1 mai 2011

Le lendemain du dîner d’anniversaire au restaurant Laurent, je m’envole vers le sud. Des amis m’ont invité dans leur jolie maison offrant une vue splendide sur la baie de Hyères et de Giens. Le Champagne Bollinger Grande Année magnum 1999 est un grand champagne. Strict, droit, il a un côté bon élève rassurant. Sur du jambon espagnol bien gras, il est à son aise.

Le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle magnum sans année que j’ai apporté est l’opposé complet de ce vin. D’un côté l’élève au carnet de notes idéal. De l’autre la jeune fille romantique batifolant dans les prés. Car le côté floral du Grand Siècle est porteur d’une forte émotion. Le cœur penche vers celui qui vibre plus tout en reconnaissant la précision du Bollinger. Sur un foie gras poêlé, le Grand Siècle s’exprime bien.

Le Chateauneuf-du-Pape Clos des Papes 1999 a malheureusement un défaut qui ressemble à un goût de bouchon, sans affecter le nez. Il se réveillera à un moment, mais replongera dans son aigreur. Il est remplacé par un Chateauneuf-du-Pape Château La Nerthe rouge 2004 qui est agréable, mais sans réelle vibration non plus. C’est comme si ces deux vins du Rhône étaient effrayés d’être suivis pas le monstre sacré que j’ai apporté, Côte Rôtie La Turque, Guigal 2000. Quelle démonstration de talent. C’est un aimable compromis entre Fred Astaire et Mohamed Ali. Car il y a la grâce, la facilité du danseur de talent, mais aussi le punch qui frappe au bon moment. Ce vin velouté, équilibré et serein malgré sa puissance est une leçon de vin moderne. Si un vin est moderne, il doit être cela.

La maîtresse de maison est une grande cuisinière, aussi les légumes ont autant brillé que la viande sur ce vin parfait. Ce délicieux repas a un avant-goût des folies de l’été qui vient.

repas d’anniversaire au restaurant Laurent vendredi, 29 avril 2011

Cette année, nous fêtons nos quarante cinq ans de mariage. La date est proche de celle de mon anniversaire, aussi est-ce un prétexte à faire la fête. Sans que ce soit prémédité, c’est le jour où William et Kate se marient. Il est assez facile d’en tirer quelques plaisanteries. C’est en tenant compte de la capacité de la plus grande salle du restaurant Laurent que nous nous sommes mis sur notre trente-et-un, nombre des convives. J’ai choisi dans ma cave quelques grands formats et quelques bouteilles symboliques.

La veille, au restaurant, j’ouvre deux doubles magnums, l’un de Beaucastel 1998 au magnifique bouchon et au nez très engageant et l’autre qui m’intrigue depuis des années. C’est un Côtes du Rhône de la maison Bouchard Père & Fils 1943 au niveau parfait, et, détail curieux, la capsule porte la mention : "Bouchard Père & Fils – Bordeaux". Réconcilier trois régions avec un seul flacon, il faut le faire. J’avais dans mon voyage bordelais apporté au Château Grand Puy Ducasse un Château Saint-Julien qui est un Saint-Emilion, combinant de façon amusante deux appellations en un seul vin. Ce double magnum en combine trois : Côtes du Rhône, Bourgogne et Bordeaux. La bouteille ancienne est très épaisse, et si le goulot est monumental, le bouchon ne dépasse pas le diamètre d’un bouchon de bouteille. C’est donc un verre étonnamment épais qui l’entoure. Il vient facilement et quand Philippe Bourguignon sent le vin en même temps que moi, il dit : "on dirait un Chateauneuf-du-Pape". Son parfum est délicieux.

Le jour venu, les autres vins sont ouverts par Daniel, le sommelier habituellement complice de mes dîners en ce lieu. Le service des vins sera fait par David, attentif et motivé. Alors que le temps avait été estival, voire caniculaire, pendant la quasi totalité du mois d’avril, ce qui avait fait la bonne fortune du restaurant Laurent dont la terrasse est la plus courue de Paris, les deux derniers jours faisaient grise mine. Par chance, nous pouvons prendre l’apéritif sur la grande terrasse du premier étage, contiguë de la grande salle à manger.

Le Champagne Léon Camuset à Vertus magnum sans année est le champagne historique de ma famille, servi quasi exclusivement par mon grand père puis mon père lorsqu’ils recevaient. Il faut dire aussi que la propriétaire de ce champagne était une lointaine cousine. Le champagne est un blanc de blancs d’une quinzaine d’années fort agréable et mon grand-père avait bien raison de dire qu’il peut jouer dans la cour des grands. C’est ce champagne qui a conditionné mon goût pour les blancs de blancs.

L’apparition d’un grand format de flacon fait toujours de l’effet, surtout si le vin est d’un or flamboyant de blés d’été. Le Champagne Deutz double magnum 1993 a un bouchon qui ne se laisse pas faire. Dès qu’il sort, il s’élargit et montre sa belle qualité. Le nez du champagne est de belle race, la bulle est très active et le champagne profite largement du format qui lui donne une souplesse extrême. C’est un très bon champagne, bu avec des harengs « matjes » et pommes de terre aux condiments.

Nous quittons l’agréable terrasse qui donne de jolies perspectives sur le théâtre Marigny, sur le Grand Palais et sur les jardins qui longent les Champs Elysées pour passer dans la grande salle où une table a été dressée pour trente-et-une personnes et où sont alignés près de trois cents verres. Le menu préparé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon est : saumon sauvage mi-cuit, macédoine de légumes, sauce verte / pigeon rôti en cocotte, navets farcis aux petits pois / noix de ris de veau rissolée, morilles / carré et selle d’agneau de lait des Pyrénées grillotés, asperges vertes de Provence / saint-nectaire / mille-feuille à la mangue.

Le "Y" d’Yquem 1988 a un nez d’une rare puissance. En bouche, le vin est carré, solide, avec une belle personnalité. C’est un vin extrêmement rassurant et entraînant. Avec la délicieuse chair du saumon, l’accord est brillant. Ce vin plein est un grand plaisir, qui montre que ce Bordeaux Supérieur est capable de briller lorsque l’année lui va bien.

Lorsque David me sert le Nuits Saint Georges 1er Cru les Boudots Charles Noëllat magnum 1978, j’ai le choc qui se produit lorsque je suis en face d’un vin immense. C’est fou. Touché, je me lève et je dis à tous mes amis qu’ils peuvent comprendre avec ce vin pourquoi tant de temps m’enchaîne à ma passion. Car ce vin est d’un plaisir total. Il y a toute la Bourgogne dans ce vin et je m’imagine arpentant les vignes de la Côte des Nuits, humant la terre sauvage et saline qui se retrouve dans ce vin. Il est charmant, alors qu’il ne fait rien pour séduire, avec une salinité très proche de celle de la Romanée Conti. Un tel vin m’émeut. Cette sensation est ressentie comme un cadeau d’anniversaire. Un deuxième magnum est servi, que David me fait goûter. Il est encore meilleur.

Le Côtes du Rhône Bouchard Père & Fils double magnum 1943 est d’une beauté roturière qui me ravit. Le vin est servi en carafes à magnums, car le flacon est trop lourd pour un service à table. Le vin est grand. Il a tout d’un Bourgogne et c’est assez étonnant. Il "pinote" dit un cousin qui vit au cœur du Châteauneuf du Pape. J’ai peur que mes convives ne soient rebutés par une légère fatigue, mais en fait, tout le monde accepte ce vin, certains le trouvant même beaucoup plus jeune que ce qu’ils auraient imaginé. Je suis étonné par sa complexité et ce charme dans la diversité des arômes. Le ris de veau se marie divinement bien avec le vin, amplifiant sa sérénité.

Le Château de Beaucastel Chateauneuf-du-Pape double magnum 1998 est un vin dont Jean-Pierre Perrin, le propriétaire de Beaucastel, était très fier lors de son lancement. Il est d’une solidité à toute épreuve et ma fille aînée l’adore. Mais après deux vins extrêmement vibrants, sa sérénité et son absence de surprise limitent l’émotion. C’est très amusant de constater à quel point le vin est gentiment excité par les asperges vertes.

Le Domaine de La Passion Haut-Brion 1978 accompagne le saint-nectaire de bien agréable façon. C’est un vin carré, sans histoire, le bon élève qui a réussi le programme imposé. Il est moins brillant dans les figures libres, car sa pertinence de construction a restreint la part d’émotion. Ce vin est très plaisant et profite à fond de l’effet millésime, qui lui va bien.

Le Château d’Yquem 1985 se marie bien avec la mangue et moins avec le feuilleté très sucré. C’est un Yquem très classique que beaucoup de convives adorent. Je le trouve un peu discret pour un Yquem.

L’atmosphère était si enjouée que personne ne quittait la table et les conversations se poursuivaient. Aussi ai-je fait servir le Champagne Mumm magnum 1990 qui a relancé les conversations. Solide champagne, il n’a pas atteint l’émotion du début donnée par le Deutz.

Mon classement serait 1 – Nuits Saint Georges 1er Cru les Boudots Charles Noëllat magnum 1978 de très loin, 2 – Côtes du Rhône Bouchard Père & Fils double magnum 1943, 3 ex aequo Champagne Deutz double magnum 1993 et Château d’Yquem 1985 et 5ème ex aequo "Y" d’Yquem 1988 et Château de Beaucastel Chateauneuf-du-Pape double magnum 1998.

Le Nuits Saint Georges a marqué ce repas. La cuisine toujours aussi solide du restaurant Laurent a bien mis en valeur des vins originaux par leurs formats et leurs origines. Mais c’est surtout la chaude amitié qui a fait de ce dîner d’anniversaire une fête mémorable.

les vins du repas d’anniversaire vendredi, 29 avril 2011

Champagne Léon Camuset à Vertus magnum sans année (vers 1998)

Champagne Deutz double magnum 1993

Champagne Mumm magnum 1990

"Y" d’Yquem 1988

Nuits Saint Georges 1er Cru les Boudots Charles Noëllat magnums 1978

Côtes du Rhône Bouchard Père & Fils double magnum 1943 (chose incroyable, ce vin réconcilie trois régions, car la capsule porte la mention : "Bouchard père et Fils, Bordeaux") !!!

Domaine de La Passion Haut-Brion 1978

Château de Beaucastel Chateauneuf-du-Pape double magnum 1998

Château d’Yquem 1985

dîner d’anniversaire – photos vendredi, 29 avril 2011

La veille, je viens ouvrir les doubles magnums au restaurant Laurent.

On m’offre une coupe de champagne Bruno Paillard Blanc de Blancs

Le bouchon du Beaucastel est impressionnant car il était tellement serré qu’il s’est dilaté à l’ouverture. A gauche la capsule du Rhône 1943

La jolie salle du restaurant Laurent

La jolie terrasse avec de belles perspectives sur Paris

les plats

le beau saint-nectaire

quelques photos d’ambiance

dîner à la campagne photos samedi, 23 avril 2011

Champagne Henriot 1996 et Champagne Bollinger Grande Année 2002

Chateau Haut-Brion blanc 1990

Pétrus 1974 en 1/2 bouteille qui est peut-être allée aux USA. La capsule porte « Chateau »

Chateau la Conseillante 1989

la sardine de 2007

les plats et le « chef »

Rivesaltes Domaine Puig Parahy 1989

journée d’anniversaire avec de beaux vins samedi, 23 avril 2011

Un artisan aux mille talents est devenu au fil des ans presque un ami. Il passe à la maison le jour de mon anniversaire. Sans lui signaler que cette date est particulière, j’ouvre un Champagne Krug Grande Cuvée qui me fait extrêmement plaisir, car acheté il y a environ un an, il est déjà agréable à boire alors que la Grande Cuvée nécessite toujours quelques années de plus en cave pour atteindre le charme qui fait sa renommée. Il a une belle personnalité, non encore typée mais sensible, avec un léger fumé et des fruits jaunes d’or. Sur du foie gras que l’on tartine, c’est un casse-croûte impromptu fort plaisant. Ce champagne se boit avec facilité et glisse bien en bouche.

Nous nous rendons dans la maison de campagne de ma fille cadette, à l’orée de la forêt de Fontainebleau. Il fait depuis trois semaines un temps estival qui rend obsolète le conseil de nos ancêtres : « en avril ne te découvre pas d’un fil ». Les chants des oiseaux occupent l’espace sonore et le soir au coucher du soleil, j’ai pu profiter d’un spectacle que je n’avais jamais revu depuis un demi-siècle. Quand j’étais gamin, ma mère nous faisait rentrer à la maison lorsqu’arrivait un nuage de hannetons, car ils s’accrochaient dans les cheveux. Ce soir, ils sont plus petits, volent à plus haute altitude, et de beaux souvenirs d’enfance me reviennent.

Le Champagne Henriot 1996 est d’un bel or déjà ambré. Le nez est joyeux, la bulle est fringante et en bouche le premier étonnement vient de son évolution. On lui donnerait facilement quinze ans de plus. Ce champagne est follement agréable, joyeux, plein, avec de jolis fruits dorés par le soleil. J’adore les champagnes qui gardent leur jeunesse tout en commençant à devenir des champagnes anciens. Il y a deux clans, ceux qui comme moi goûtent des tranches de saucisson avec le champagne, nommons-les les prolétaires, et ceux qui, comme mon gendre et mon épouse goûtent un délicieux foie gras, nommons-les des gens « de la haute ». Par un réflexe républicain rassembleur, je décide de tartiner du foie gras sur une tranche de saucisson. Cette réconciliation sociale va-t-elle réussir ? J’en avais l’intuition et le résultat est au dessus de toute espérance. Le foie gras est sublimé par le saucisson dont le goût se fait plus discret, plus modeste, alors que le foie gras gagne nettement en saveur. Je laisse à chacun faire les interprétations politico-sociales de cette expérience qui peut être facilement refaite. Elle est convaincante. Inutile de dire que le champagne accompagne ces expériences avec une pertinence remarquable.

Mon gendre ouvre le Champagne Bollinger Grande Année 2002 qui est une bombe. Il est d’une puissance, d’une virilité qui s’impose au palais. Incroyable à quel point il est tendu, attaquant, envahisseur. C’est un très grand champagne qui ira loin. On note une petite note d’évolution fort agréable vers un peu de fumé, mais c’est surtout son aspect vineux conquérant qui n’exclut pas les fruits jaunes qui marque une trace indélébile. Nous l’essayons avec des sardines de 2007 et si la sardine est délicieuse, elle ne crée pas de réel accord.

Lorsque j’avais ouvert le Château Haut-Brion blanc 1990 de mon gendre, j’avais eu peur d’un parfum beaucoup trop discret. Heureusement les choses se sont arrangées et le vin est glorieux, le plus grand des vins blancs secs de Bordeaux. Avec le risotto aux copeaux de truffe noire, le blanc trouve un propulseur dans le riz. Mais peu à peu apparaît une fatigue qui tient à la bouteille qui a probablement connu un stockage avec des variations de température. Le vin est grand et mon gendre l’apprécie. Mais il n’est pas aussi flamboyant que ce qu’il pourrait être.

Nous allons connaître la situation inverse avec le Pétrus 1974 en demi-bouteille dont il est à signaler que la capsule rouge sur laquelle est dessiné le château à trois tours pointues porte la mention « Château Pétrus ». Ce vin au parfum envoûtant et à la couleur noire est d’un velouté extraordinaire. Il est impossible de dire que ce vin n’est pas d’une grande année, tant il représente la force d’expression d’un grand Pétrus. Les évocations de truffe sont présentes, mais c’est le velouté qui est le plus impressionnant ainsi qu’une trace en bouche indélébile.

Le deuxième pomerol que j’ai apporté, avec l’espoir d’une belle prestation, est Château la Conseillante 1989. Sachant ce que Pétrus donne sur ce millésime, j’attendais que La Conseillante fasse un tabac. Hélas, même si le vin est bon, il n’est que l’ombre de ce que j’imaginais. Il a des arômes de truffe délicieux, mais il fait torréfié. J’avais ce vin en cave depuis plus de quinze ans aussi suis-je déçu d’une prestation qui n’est pas suffisante. Le vin est bon, et ma femme adore son parfum. Mais il fait scolaire et limité. Alors, bouteille ou non ? Il faudra l’essayer à nouveau.

Les deux pomerols sont goûtés sur un agneau cuit plus de dix heures à basse température. Les deux ont bien réagi à cette viande goûteuse et fondante, le Pétrus étant sublimé.

Sur la rituelle Reine de Saba de mon épouse, un Rivesaltes Domaine Puig-Parahy 1989 a apporté sa touche de charme fait de griottes et de pruneaux pour un final délicat.

Le classement des vins de ce dîner est : 1 – Pétrus 1974, 2 – Bollinger Grande Année 2002, 3 – Henriot 1996, 4 – Haut-Brion blanc 1990. Les deux premiers se sont révélés au dessus de mes attentes, le plus triste étant La Conseillante 1989. Ce repas familial à la campagne fut un grand plaisir.