Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Dîner au restaurant Laurent – photos mercredi, 12 janvier 2011

Le menu : salade de mâche et toasts "Melba" aux truffes noires / tronçon de turbot nacré à l’huile d’olive, bardes de légumes verts dans un jus iodé légèrement crémé / noix de ris de veau truffée et blondie, perline et lard fumé dans une fleurette aux champignons / caille dorée en cocotte, rôtie aux abats, côtes de céleri mitonnées aux olives noires / tarte fine à la mangue

Champagne Dom Pérignon 1964

Meursault-Genevrières Premier Cru Domaine des Comtes Lafon 1985

Château Ducru-Beaucaillou Saint-Julien 1953

Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1985

Schloss Johannisberger Riesling Beerenauslese 1999

photo de groupe

dîner au restaurant Laurent avec un Richebourg de rêve mercredi, 12 janvier 2011

Il y a des amis de la bande à Jean-Philippe que nous n’avions pas vus depuis longtemps, et ça nous manquait. Rendez-vous est pris pour combler ce déficit d’occurrence de notre amitié. La table est réservée au restaurant Laurent, Philippe Bourguignon fait préparer un menu pour les vins que nous avons envie de partager. Tout est sur les rails.

Las, à 17 heures un mail nous informe qu’une subite maladie d’hiver va nous priver des amis que nous voulions honorer. J’appelle aussitôt nos amis japonais pour leur proposer ce dîner le soir même. Lui peut, elle non. La table se forme. C’est parti.

Mes bouteilles ayant été livrées la veille, mon vin rouge a été ouvert à la bonne heure. Les amis arrivent avec leurs vins qui sont immédiatement ouverts.

Nous sommes au bar et grignotant quelques snacks, nous buvons un champagne Jacques Lassaigne à Montgueux dans l’Aube. La couleur est clairette et le vin est frêle, mais d’une définition dont la précision mérite l’intérêt. Voilà un champagne qui se boit pour sa fraîcheur, avec une jolie trame et une élégance dans la précision.

Nous passons à table et le menu a été conçu pour des vins dont nous avons dû changer le casting : salade de mâche et toasts "Melba" aux truffes noires / tronçon de turbot nacré à l’huile d’olive, bardes de légumes verts dans un jus iodé légèrement crémé / noix de ris de veau truffée et blondie, perline et lard fumé dans une fleurette aux champignons / caille dorée en cocotte, rôtie aux abats, côtes de céleri mitonnées aux olives noires / tarte fine à la mangue.

Nous commençons par un Champagne Dom Pérignon 1964 à la couleur d’un bel ambre légèrement gris. Le nez est engageant, la bulle est discrète et le champagne a les complexités sereines des champagnes anciens. Il y a du fruit, de l’iode, mais il y a une astringence qui me gêne un peu. C’est sur le toast à la truffe que le champagne trouve une opulence qu’il n’aurait pas naturellement. Les champagnes anciens sont sensibles à l’histoire de leurs passages en caves.

Tomo a apporté un Meursault-Genevrières Premier Cru Domaine des Comtes Lafon 1985. Le nez est magnifique et comme le vin est froid, il n’a pas encore d’ampleur. Quand il prend sa température, il devient plus gras, plus crémeux, avec une trace d’iode, et la résonance avec la sauce du turbot est spectaculaire. C’est sans doute l’accord qui m’a le plus ému.

Le vin suivant apporté par Jean-Philippe est le Château Ducru-Beaucaillou Saint-Julien 1953. La couleur est d’une folle jeunesse. Oh, je sens le bouchon de la première gorgée qui m’est offerte. Heureusement tout indique que ce bouchon va s’effacer et c’est le cas. La truffe du ris de veau fait vibrer le vin qui prend de la richesse et de l’opulence d’un beau vin fruité. Hélas, près d’un quart d’heure plus tard, le goût de bouchon réapparaît. Mais nous avons eu pendant ces quelques minutes un saint-julien riche, bien rond et facile à vivre, d’une jeunesse inattendue.

Lorsqu’on me verse les premières gouttes du Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1985, je m’exclame, tant l’évidence s’impose : "ce vin ouvre les portes des trésors de la Romanée Conti". Et le plaisir de le boire confirme cette assertion. Ce vin est un passeport pour le paradis du domaine de la Romanée Conti. Tout en lui est parfait. Il y a la salinité que j’adore, maîtrisée pour qu’elle n’entrave pas le charme. Il y a cette retenue toute prude qui vole en éclats tant le vin est parfait. Il y a une harmonie qui n’a pas d’égale. Avec Tomo, nous convenons que ce Richebourg est plus émouvant que les Romanée Conti que nous avons bues ensemble pour un film qui passera bientôt sur FR3.

Si l’on devait définir en quoi la Romanée Conti transcende le pinot noir, nous dirions : "buvez ça". Et la montée en puissance de l’extase ne cesse jamais. Nous savons que nous vivons un grand moment, un de ceux qui sont le "retour sur investissement" émotionnel du collectionneur de vins. Le plat délicieux et viril de la caille se marie merveilleusement avec le vin, impérial et charmeur, avec la signature Romanée Conti dans un état de perfection absolue. Sel, rose fanée, fruit discret, longueur inextinguible, tout y est.

Nous sommes presque sans voix tant l’instant est important.

Sur la tarte à la mangue, Tomo a apporté une demi-bouteille de Schloss Johannisberger Riesling Beerenauslese 1999 qui titre 9°. Ce vin à la finale sèche et au sucre imposant est très agréable à boire.

Mais notre mémoire va garder : 1 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1985, 2 – Meursault-Genevrières Premier Cru Domaine des Comtes Lafon 1985, 3 – Château Ducru-Beaucaillou Saint-Julien 1953, 4 – Champagne Dom Pérignon 1964.

Au cours du repas, nous avons bâti les projets les plus fous qui combineront les talents culinaires de Jean-Philippe et de Tomo avec quelques vins surnaturels que notre passion nous pousserait à ouvrir. Nous ne sommes pas en peine !

déjeuner au restaurant chez Fréd, avenue Péreire mardi, 11 janvier 2011

Un ami sommelier, fidèle de l’académie des vins anciens, m’avait fait connaître Aurore Monot-Devillard, dont la famille est propriétaire de deux vignobles en Bourgogne. L’idée d’un déjeuner avait germé et Aurore ayant le choix des armes nous convie au restaurant chez Fred. Ayant fixé rendez-vous à un marchand de vins pour prendre possession d’une antique bouteille, je suis présent sur place alors même que le personnel n’a pas encore déjeuné avant le service. Le propriétaire des lieux, Alain Piazza est un ours dont j’apprendrai au fil du temps qu’il est bien léché.

Poliment je demande si je peux ouvrir le vin que j’ai apporté. Il s’agit d’un Château Canon La Gaffelière 1955 dont le niveau est dans le goulot et dont le bouchon, curieusement, sort sans aucun effort, alors que le niveau n’a pas été affecté par une éventuelle diminution de l’adhérence. Le bouchon est beau, le parfum est d’une rare délicatesse. Je propose à Alain de le goûter mais je ne suis pas encore d’un miel que goûterait notre ours.

Je m’installe à la table, me faisant le plus discret possible, et la quiétude du lieu est troublée par l’ami marchand qui me fait mirer et miroiter la rareté que j’achète. C’est alors qu’arrive Denis, l’ami sommelier, les bras remplis de vins et de victuailles, en une apparition qui tranche avec le calme du lieu. Etant venu de bon matin, il a fait carafer un vin que nous boirons à l’aveugle. Il apporte un petit cadeau pour moi, dette qui n’est pas de jeu, et il couve une cassolette dont il me dévoile le contenu : il y a trois oiseaux aux becs longs, dont le nom évoque habituellement une bonne bretonne de bandes dessinées. Denis demande qu’on réchauffe un peu les volatiles sur canapés qui serviront d’amuse-bouche à notre repas.

Les oiseaux sont servis dans nos assiettes sur leurs canapés et Denis nous sert un vin carafé sans nous dire de quoi il s’agit. Le nez est joyeux et évoque le fruit, et la bouche met en avant le fruit. Denis nous demande l’année. Je pense 2007 mais c’est 2008. Aurore pense que le vin est bourguignon alors que j’ai pensé, à quelque petites lumières qui se sont allumées dans mon cerveau, que ce vin n’est pas français. C’est un Marlborough pinot noir Framingham de Nouvelle-Zélande 2008 charmant, qui pousse son fruit jusqu’à son paroxysme.

Denis nous demande de saisir le long bec et de manger toute la tête. Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est viril. Aurore grimace et je ne suis pas loin d’en faire autant. Les suprêmes sur les toasts aux foies gras sont sublimes. Ce volatile est une délicatesse. Pendant que nous croquons et grignotons, Aurore nous sert un Nuits-Saint-Georges Premier Cru Aux Perdrix Domaine des Perdrix 2003. Ce qui caractérise ce vin, c’est le fruit. Comme il est froid, juste ouvert, je suis un peu gêné par l’absence de longueur. Mais fort heureusement il s’agit d’un état précaire, car la longueur va se révéler dès que le vin s’assied dans le verre.

Sur des coquilles Saint Jacques juste poêlées, le gagnant est le vin de Nouvelle Zélande, suivi du Canon La Gaffelière 1955 qui a encore besoin de s’ébrouer. Le Nuits est trop puissant pour la coquille. Aurore est étonnée de l’ampleur du 1955 et Alain Piazza qui commence à sentir notre miel, fait encore la moue devant le 1955, mais sa citadelle tombera.

Le plat de résistance est une poularde goûteuse et moelleuse à souhait accompagnée d’une sorte de taboulé à gros grains à la truffe et à la moutarde discrète. C’est cette diabolique préparation qui propulse le Nuits Saint Georges 2003 qui s’est épanoui à des hauteurs incommensurables. Mes réserves sur la longueur du vin tombent et je ne retiens que la richesse fruitée.

Avec nos verres étalés sur la table, nous sommes un objet de curiosité pour les serveurs, et je menace des morts les plus cruelles les serveurs qui veulent nous enlever des verres. Une serveuse a la naïveté de l’innocence, car goûtant le 2003 d’Aurore et mon 1955, elle lance toute bravache : "ah, moi, je préfère le 1955". Or les trois vins ont leur importance : le 2008 dans l’innocence de son fruit, le 2003 dans une générosité joyeuse frondée aussi sur le fruit, ainsi qu’une belle mâche, et le 1955 dans l’opulence, la complexité et l’intelligence d’un vin racé. Alain Piazza, qui a pour Aurore les yeux de Chimène, prend tout prétexte pour goûter le Saint-Emilion qu’il trouve de plus en plus à son goût.

La galette des rois est copieuse et goûteuse, mais il n’y a pas de fèves, ce qui nous privera de royauté. Un Champagne Gosset Brut Grande Réserve sans année très dosé picote bien la langue, sans véritable discours après ce que nous avons bu.

Générosité, échanges, lieu charmant, tout appelle une revanche.

Il ya quelque chose de pourri au royaume du Danemark (Hamlet) lundi, 10 janvier 2011

Il y a quelque chose de pourri au royaume d’Audouze. Notre fils ayant émigré vers les Amériques a passé les fêtes de fin d’année loin de nous. Il passe quelques jours en France et c’est l’occasion d’embrassades et de vœux. Le dîner à trois, ma femme, mon fils et moi se termine par une galette des rois. Il est assez évident que si l’un des mâles est roi, le choix de la reine est tout trouvé.

Alors que je découvre la fève dans ma part de galette, ma femme s’empare de la couronne, sans que j’aie eue le temps ni de prononcer mon discours de couronnement, ni de désigner ma reine.

Il n’y a pas à dire, tout fout le camp mon pauvre monsieur.

Pendant ce temps là, nous buvons un champagne Dom Pérignon 1988. C’est un champagne en pleine sérénité et en pleine possession de ses moyens. Mais le bouchon trop chevillé était venu trop rapidement. Qu’on le veuille ou non, le goût s’en souvient, même de façon infime. La conservation des champagnes dans une atmosphère humide est une nécessité.

Il va sans dire que nous nous sommes régalés de ce beau champagne à la maturité joyeuse. Il fut suivi d’une demi-bouteille de champagne Billecart-Salmon rosé non millésimé. Après le Dom Pérignon, il était difficile à ce champagne de capter notre attention.

le repas du 2 janvier dimanche, 2 janvier 2011

Le filet de chevreuil apporté par Jean-Philippe et ce que nous consommerons

le champagne Krug rosé daté autour de 1980. A noter le prix de 520 F qui est resté collé à la bouteille

la couleur du rosé, plus sombre qu’hier, est à rapprocher de celle du Salon 1997

Côte Rôtie la Turque guigal 1995

ris de veau et truffe

panais, topinambour et foie gras

filet de biche en fine tranche pour le krug rosé et en tranche plus épaisse pour la Côte Rôtie

tout finit par des madeleines, mais nous ne pleurons pas !

Millefeuille de brie à la truffe dimanche, 2 janvier 2011

Vous prenez un brie bien coulant

Vous prenez des tranches de truffe

Mais attention ! vous vérifiez que les tranches font bien 1,2 millimètre (consultez la liste des experts assermentés de votre commune)

Première étape :

Deuxième étape

Troisème étape (bon, je sais, ce n’est pas facile à suivre, mais essayez)

Quatrième étape

Maintenant mangez !

Et surtout, gardez le sens de l’humour et de la bonne chère !

L’apothéose est le deux janvier dimanche, 2 janvier 2011

L’ennui, quand on a invité quelqu’un qui cuisine comme un Dieu, c’est qu’il aime cuisiner (bis, comique de répétition). L’apothéose est le deux janvier pourrait être le titre de ce déjeuner. Jean-Philippe était venu chez nous avec diverses victuailles dont un filet de biche et un cuissot de chevreuil. Le filet était prévu pour le dîner du 1er janvier, mais nous avons tous décidé de supprimer ce dîner. La biche sera donc jouée au déjeuner du deux. Le Champagne Krug rosé vers 1980 ayant été ouvert hier sera le compagnon de ris de veau au léger parfum d’andouille, couverts de tranches de truffes. Si la truffe est bonne, elle n’est pas vraiment nécessaire à l’accord naturel qui se trouve entre ris de veau et le champagne rosé. Disons-le tout net, ce champagne est totalement transcendant. Dans un monde de notation on sait dès la première gorgée que l’on est en face d’un 100/100 Parker, comme on dit. L’acidité de ce champagne est d’un équilibre saisissant. Et c’est la longueur du Krug qui nous porte vers l’infini. Jamais je crois un champagne rosé ne m’a entraîné à un tel niveau. On jouit de chaque gorgée comme s’il s’agissait d’un diamant rare.

Jean-Philippe a cuit des topinambours et des panais. Il est inéluctable que les topinambours rencontrent le foie gras. Et topinambour plus foie gras multiplié par le Krug donne le nombre d’or, la clef du paradis.

Il était entendu comme une évidence que nous tenterions la biche en fines tranches sur le Krug rosé. Et l’accord, dans sa pureté, avec une mâche de viande qui combine fermeté et douceur, est un pur moment de bonheur. A cet instant, nous savons que nous explorons les étages ultimes de l’Himalaya de la gastronomie.

Des tranches plus épaisses du filet arrivent sur nos assiettes, avec un joli coulis de cassis, et c’est le moment où le jeune premier du théâtre de boulevard joué par la biche arrive sur scène. C’est la Côte Rôtie La Turque Guigal 1995. L’image qui me vient instantanément est celle du patinage artistique. Lorsque l’on compare les programmes des candidats, celui du champion du monde ne comprend que des sauts d’une fluidité invraisemblable. Tout dans ses triples Lutz, quadruples Axel et boucles piquées respire la facilité. Et cette Turque, c’est cela. Une invraisemblable facilité synonyme de perfection. L’autre image qui me vient est celle de Fred Astaire, ce danseur prodige dont chaque mouvement, fruit d’un travail intense, paraît d’une insolente fluidité.

Le coulis est évidemment indispensable à l’accord, et je mords moins à celui que suggère Jean-Philippe avec une tranche de lard qui donne un peu de fumé, car le vin perd de sa joie de vivre pour plus de rigueur. Tout dans le plat est éblouissant et le coulis est indispensable au plaisir, et la Côte Rôtie, impériale de sérénité et de jeunesse, s’installe elle aussi sur les coussins du 100/100, synonyme d’ultime perfection. Les approvisionnements ayant été calibrés sur l’opulence, il reste beaucoup de fromages et beaucoup de truffes. C’est donc l’occasion de jouer les petits fous. Jean-Philippe tranche des lamelles de truffes et nous vérifions qu’elles font bien 1,2 millimètre. Quatre tranches de truffe et du coulant de brie entre elles, et voilà un millefeuille de truffe et brie qui accompagne les dernières gouttes du champagne Krug rosé. Un fromage de chèvre porte une brindille de romarin. Avec la Côte Rôtie, c’est d’une délicatesse achevée. Quelques madeleines marquent la fin d’un rêve éveillé, parcours invraisemblable de mets subtils fondés sur des produits de grande qualité et des vins émouvants, qui comptent dans le Panthéon du patrimoine viticole français.

En raccompagnant Jean-Philippe à l’aéroport, notre poignée de mains amicale était comme la conclusion d’un accord : nous savions que nous avons tutoyé le nirvana gastronomique.

le déjeuner du 1er – photos samedi, 1 janvier 2011

Voilà une petite table bien simple. Des couverts ordinaires, une bouteille d’eau et une bouteille de vin

en cuisine, des rougets et des filets de turbot

dans un coin, un peu de fromage

et puis, c’est l’illumination d’un champagne Salon 1979 à l’étiquette transparente

et le vieux rose d’un champagne Krug rosé des années proches de 1980 (j’ai voulu sur la photo que le vieux rose soit rapproché de l’or des madeleines au miel)

les rougets s’animent pour le reste du Pétrus 1988

ils se parent même de lard

Pétrus est suivi du Salon 1979 et du Salon 1997, le plus jeune étant le plus clair

turbot et petits légumes, puis ris de veau diaboliques de gourmandise

essai improbable mais réussi d’un camembert à la truffe qui excite le Salon

le Krug rosé est ouvert et sa couleur se confond avec celle des madeleines au miel

déjeuner du 1er de l’an samedi, 1 janvier 2011

L’ennui, quand on a invité quelqu’un qui cuisine comme un Dieu, c’est qu’il aime cuisiner. Tard dans la matinée, le réveil est un peu rude. Nous allons chez nos voisins et amis les admirer prenant le bain du 1er janvier dans une eau à 13°. Je n’ose pas les imiter, car mon corps n’a pas encore absorbé tous les vins d’hier. Au retour, nous voyons Jean-Philippe qui a investi la cuisine, avec la ferme intention de nous faire à déjeuner. Je sauterais volontiers ce repas, mais l’appétit, c’est comme la tentation, car rien n’est plus beau que de fauter.

L’histoire commence avec quelques filets de rougets rescapés d’hier, que Jean-Philippe cuit avec des tranches de lard. Il reste de quoi faire deux verres du Pétrus 1988 à la couleur noire tant on est près de la lie. Le vin est magnifiquement velouté, avec une mâche extrême et des tannins puissants. Tout aujourd’hui est meilleur : le rouget est plus plein, le lard plus expressif et le Pétrus encore plus ample. C’est du bonheur.

Après un adieu au Pétrus, c’est un autre adieu au Salon 1979. Quelques heures de plus apportent la preuve que le 1979 est trop évolué. Il n’a pas la grâce qu’il pourrait avoir. C’est la moins belle performance des vins de ce réveillon, même si on peut l’aimer – un peu seulement.

Jean-philippe nous cuit des filets de turbot avec du lard très blanc. L’astuce, c’est d’ajouter des têtes de pissenlits blancs à l’huile d’amande dont l’acidité naturelle excite le Salon 1997 impérial maintenant, dans sa grâce florale et son extrême distinction. Jean-Philippe réalise alors un plat d’anthologie. Quand je dis que c’est le plus grand plat de cette année, tout le monde sourit puisque l’année n’a pas un jour, mais on pourrait étendre mon propos à l’année 2010. Car le ris de veau, les lamelles de truffe et l’hélianthis plus croquant que la veille composent un plat gourmand comme je n’en ai que rarement rencontrés. La mâche du ris est suave et jouissive. Je suis sur un petit nuage d’une épaisseur extrême. Le Salon va bien mais je suis sûr qu’un Château Margaux procurerait un accord émouvant.

C’est maintenant l’heure des fromages que nous avions écartés hier, et alors que nous n’avons pas faim, l’enchaînement des plaisirs va nous conduire à la folie. C’est d’abord le coulant d’un brie que l’on cache par une tranche de truffe. Ce sandwich improvisé excite le Salon. La tranche étant trop fine, nous étudions ce qui ferait vibrer le champagne. Soyons fous, c’est lorsque la tranche atteint 1,2 millimètre que le plaisir est à son comble. Cela me rappelle les ateliers du goût d’Alain Senderens, qui nous disait que l’épaisseur d’un toast doit être de 1,3 centimètre. Nous sommes dans la même recherche studieuse. La truffe avantage aussi le camembert, le Saint-Félicien est trop fort pour susciter un accord, et le Salers se mange pour lui-même. Le Salon est un accompagnateur fidèle de nos folies.

Ma femme a fait un tombereau de madeleines au miel. Ma pulsion est d’ouvrir un Champagne Krug rosé qui est probablement du début des années 80, avec une petite étiquette collée par un caviste de 520 F.

L’étiquette est tellement abîmée par le temps, avec des couleurs passées, et le bouchon est si chevillé que les années 70 ne sont pas exclues. La couleur d’un champagne est d’un rose saumoné qui évolue gentiment vers le jaune, comme s’il voulait se confondre avec les madeleines. Disons-le tout net, c’est pour moi de loin le plus grand vin de ces deux jours, même si les Pétrus furent grands. Tout en ce champagne respire l’étrangeté. Il m’emmène sur une planète de félicité. Je ne peux pas me lasser d’en jouir et les madeleines s’égrènent sans fin.

Ce déjeuner impromptu vaut tous les réveillons du monde.

réveillon du 31 – photos samedi, 1 janvier 2011

Jean Philippe arrive avec des victuailles

j’ouvre Pétrus 1977 et Pétrus 1988

la table est mise

j’ouvre le champagne Salon magnum1997 pour le foie gras

Jean Philippe est en cuisine

de l’andouille de campagne

les trois caviars d’Aquitaine

le Dom Pérignon magnum 1998

coquilles Saint-Jacques puis turbot

.

arrivée du Salon 1979

cecina de Leon

Vient le tour de Pétrus 1977

associé "obligatoirement" à du rouget

ris de veau hélianthis, pomme de terre, poulet en demi-deuil avec Pétrus 1988

crème au chocolat et caramel