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réveillon du 31 avec champagnes et deux Pétrus vendredi, 31 décembre 2010

Nous descendons dans le sud pour le réveillon. Nos voisins et amis seront une nouvelle fois complices de cet événement, mais cette fois-ci, ce sera chez nous. Jean Philippe arrive par l’avion le 31, sur son 31. Le voir en cravate est étonnant. De son sac à dos débordent des victuailles qui s’ajouteront à nos profusions. Le repas est prévu pour quatorze plats. Il est en effet nécessaire de rendre hommage en cette fin d’année à l’honneur fait à la gastronomie française par l’UNESCO. Etre à l’unisson de l’UNESCO, c’est le programme. Ayant acheté dix fois trop de truffe, il est naturel que l’on ouvre Pétrus. Nous allons comparer un bon millésime et un plus faible. A 16 heures précises j’ouvre Pétrus 1988 et Pétrus 1977. Le nez du 1988 a la délicatesse de Pétrus, prometteur de rares délices. Le 1977 me fait peur car je crains un goût de bouchon. Mais cette odeur présente dans le goulot à cause du bouchon imbibé n’existe pas du tout dans le verre que je me sers. Le vin paraît un peu rêche. Il a devant lui six heures pour s’ébrouer et s’arrondir.

Jean-Philippe et mon épouse s’affairent en cuisine, et contre toute attente, sur les coups de 18 heures, c’est ma femme qui donne le coup d’envoi : "il faut goûter le foie gras" dit-elle. Jean-Philippe préparant une sauce aux huîtres en a trois de trop (c’est ce qu’il dit), aussi j’ouvre un Champagne Salon magnum 1997. Sur l’huître à l’iode explosif, le Salon est un flash de bonheur. Il est iode lui-même. C’est un rare moment d’émotion. Le foie gras en lobe cuit à basse température est absolument délicieux. Et le Salon change de facette. Il devient doux, floral de fleurs blanches, marqué par un intense citron vert. Le mot qui me vient en goûtant ce Salon, c’est charmant. Les Salon sont des champagnes forts, virils, vineux. Celui-ci est délicat, d’où cet épithète de "charmant". Il est d’un plaisir immense, multiplié par le fait que ce petit "casse-croûte" est impromptu.

20heures, ce sont les vœux du Président de la République, discours scolaire en forme de catalogue d’autosatisfaction. J’en profite pour déboucher vite un Champagne Dom Pérignon magnum 1998 pour trinquer à la France. Jean-Philippe découpe des tranches d’andouille de campagne. Je fais un mini sandwich : une tranche d’andouille de campagne et une tranche fine de foie gras pour une alliance ancillaire. L’andouille donne au foie gras une longueur extrême qui est exacerbée par le goût de noisette du Dom Pérignon, tout en légèreté follement expressive. C’est un accord de folie.

Les amis arrivent et nous reprenons à cinq le sandwich ancillaire, fait d’andouille de campagne tartinée de foie gras. L’accord est plus qu’amusant, mettant en valeur la noix que l’on sent dans le champagne très agréable. A chaque essai je donne des instructions comme un professeur de maintien pour que les dosages des bouchées soient calibrés afin que le champagne vibre au maximum.

C’est maintenant le moment d’une dégustation comparée de trois caviars d’Aquitaine de la maison Prunier. Sur les boîtes les seules indications sont : 1 – Love d’Yves Saint-Laurent, 2 – caviar Héritage Prunier, 3 – caviar Prunier. Le n° 1 est le plus noir et le n° 2 le plus gris clair. A la fin du test, il est évident pour notre amie et moi que le gagnant est de loin l’Héritage. Mais notre ami penche pour le caviar Prunier et Jean-Philippe et ma femme choisissent le Love. C’est une belle façon de démontrer qu’il n’y a pas de goût universel. Ce qui l’est en revanche, c’est l’accord des trois caviars avec le Dom Pérignon, qui chante de joie.

Nous passons à table pour le repas qui commence par des coquilles Saint-Jacques au caviar. Le sucré de la coquille répond merveilleusement au Dom Pérignon et le salé du caviar l’excite. Il est temps d’essayer aussi le Salon 1997 qui forme un accord différent, le Salon étant plus tendu, avec une texture d’une rare domination. Les deux accords montrent à quel point ces deux champagnes jeunes sont de grands champagnes, le Dom Pérignon très charmeur et le Salon floral et noble.

Jean-Philippe a préparé des filets de turbot à la crème d’huître au caviar et poêlée de chanterelles et pissenlits blancs pour donner une amertume qui titille le Champagne Salon 1979 que je viens d’ouvrir. Le bouchon m’a résisté au point de se briser, le bas venant au tirebouchon. La bulle est belle, la couleur du champagne est celle de blés clairs de début d’été, et le champagne a une jolie acidité citronnée. Le goût du champagne est profond, très tendu, d’un âge plus prononcé que les 1976 que j’ai bus. L’accord est remarquable et la cuisson des turbots leur donne une texture exceptionnelle. C’est sans doute le plat le plus beau de ce repas. Dans l’accord, c’est le turbot et sa sauce qui ont le plus beau rôle.

La viande de bœuf fumée coupée en tranches fines, Cecina de León de notre boucher local, va accompagner le Salon d’une bien agréable façon, le champagne prenant plus d’ampleur sur cette viande à la fois prononcée et tendre.

La première partie du dîner, consacrée aux champagnes et au caviar est terminée. Nous entrons maintenant dans le monde de la truffe et Pétrus. Si la Cecina de León était une transition, elle se poursuit sur des filets de rougets, compagnons indispensables du Pétrus 1977. Les filets juste poêlés, avec une petite sauce à l’andouillette sont moelleusement croquants. Et l’accord avec Pétrus 1977 est une fois de plus diabolique. Le nez du vin est expressif, avec un velouté intense et l’amertume répond divinement à la chair du poisson. Malgré l’année, le vin est dense, d’une trame fine, et emplit la bouche d’une belle mâche. Le vin est grand et l’accord est parfait.

Les douze coups de minuit sonnent pour des embrassades d’amour et d’amitié. Nous démarrons l’année avec un ris de veau et héliantis à la truffe. La texture du ris de veau est d’une qualité extrême, en provenance du meilleur boucher de Paris. Le Pétrus réagit au ris de veau et à la truffe avec un naturel confondant. Vient ensuite la pomme de terre à la truffe, plat emblématique de ma femme, meilleur que celui fait par le restaurateur Bruno. Et l’amour n’est pas le seul motif de cette remarque. Je sers alors Pétrus 1988 et c’est curieux, car il paraît coincé, strict, malgré une puissance plus grande. A ce stade, je préfère le 1977 au 1988.

Il suffisait en fait d’attendre, car lorsque le vin s’étend dans le verre, toute la puissance de Pétrus sur fond de velouté délivre enfin le vin de ses entraves et le rend magnifique. Nous décidons de ne pas faire les toasts au foie gras à la façon de Michel Rostang pour passer directement à la volaille en demi-deuil, avec d’abondantes tranches de truffes fourrées sous la peau. Le Pétrus 1988 trouve ici son terrain d’excellence. La truffe vibre avec lui. C’est un très grand Pétrus, magnifié par le tubercule noir.

A ce stade nous sommes doublement saouls de bonheur et de grands vins. Nous faisons l’impasse sur le fromage, ce qui réduit à douze les stations de notre chemin gastronomique. La crème au chocolat et au caramel de ma femme est une merveille. Il faudrait un vin doux. Notre ami va vite chercher chez lui un Klein Constantia Afrique du Sud 2005 qui est d’une agréable douceur aussi bien sur la crème que sur les arlettes délicieusement élaborées par la fée du logis.

Il est trois heures quand nous sortons de table, avec le sentiment d’avoir vécu un réveillon mémorable, aussi bien par le choix des mets que le choix des vins. L’année 2011 se place d’emblée sur une belle trajectoire.

Les vins des 24 et 25 décembre dimanche, 26 décembre 2010

Champagne Krug Grande Cuvée en 1/2 bouteille des années entre 1983 et 1995

Champagne Charles Heidsieck Royal 1962

Champagne Comtes de Champagne Blanc de Blancs Taittinger 1966

Le Montrachet Marc Rougeot-Dupin 1994

Château Trotanoy 1973

Château Filhot 1885 (estimé)

On voit dans le verre des bulles apparues lorsqu’il a été soufflé

"Une" Tarragone des Pères Chartreux du début du siècle 1910 #

Champagne Krug 1973

Romanée Saint-Vivant Moillard-Grivot 1937 (hélas mort)

Côte Rôtie La Mouline Guigal 1981

petit groupe

grand groupe

déjeuner de Noël samedi, 25 décembre 2010

Le lendemain, les enfants jouent dans la neige par un temps magnifique créé par un soleil éclatant. Hier, mon gendre avait remarqué en cave que j’avais des Krug 1973. A son regard admiratif, j’ai pensé qu’il fallait faire quelque chose, aussi l’apéritif débute-t-il par un Champagne Krug 1973. L’étiquette ancienne a un côté un peu désuet mais évocateur de souvenirs de belles années de ce champagne. La capsule est tachée de graisse et il est assez difficile d’ouvrir la cape épaisse. Le muselet est d’un acier de forte section et il faut des efforts pour extirper la protection du bouchon. Lorsque je tourne le haut du bouchon je rencontre une résistance inhabituelle. Le bouchon se cisaille. Avec la mèche que j’utilise sans point d’appui il m’est impossible de l’extraire. Avec un limonadier qui dispose d’un point d’appui, je peux faire levier et le bouchon s’extrait, très dense et collé aux parois. Aucun pschitt ne ponctue cet accouchement.

Lorsque je verse le champagne dans le premier verre, il y a comme une fermentation instantanée qui se fait, le champagne provoquant une forte mousse qui disparaît en moins d’une seconde. Et, surprise des surprises, le champagne est d’une clarté blanche de jeune champagne, avec une bulle lourde et forte. Lorsque je verse dans les autres verres, la bulle est aussi forte et la couleur est aussi claire.

Je suis très circonspect sur ce que je vais boire et la surprise est énorme de voir qu’il n’y a aucune déviation de goût qui le rendrait désagréable. Le champagne est élégant, précis, minéral, bien picoté par la bulle très présente. Il est objectivement bon, et nous le boirons jusqu’à la dernière goutte, mais il est comme un texte de machine à écrire où une lettre ne frapperait jamais le papier, ou une musique dont une note particulière ne produirait aucun son. Il lui manque un "je ne sais quoi" qui en ferait un Krug. Le champagne est bon, vibrant aussi bien avec le foie gras qui est aussi moelleux mais plus intense qu’hier qu’avec la poutargue qui accentue sa droiture minérale. Même s’il n’est pas l’archétype de Krug, son originalité nous a plu puisqu’il n’existe aucun défaut en arrière-plan.

L’entrée est une crème de haricots blancs aux fines lamelles de truffe. J’ai choisi pour ce plat une Romanée Saint-Vivant Moillard-Grivot 1937. Le niveau dans la bouteille était bas. Une vilaine graisse entourait le bouchon. Il m’a fallu plusieurs fois nettoyer le goulot. Dans le verre, la couleur est déviée. Le nez est désagréable. Je n’ai même pas besoin de boire pour dire que le vin est mort. En bouche il est plutôt plus agréable que ce que le nez annonce. Inutile d’aller plus loin, le vin est écarté. Comme il reste un peu de Krug, l’accord se fait agréablement et ma fille aînée peut finir le Château Trotanoy 1973 qui continue à être fringant. La crème de haricots blancs est délicieuse, mais elle ne met pas tellement en valeur la truffe. Aussi la tentation est-elle grande d’ajouter des copeaux de foie gras qui apportent de la fraîcheur et de la cohérence au plat.

Le plat principal est un hachis Parmentier de canard à la purée de pomme de terre et aux copeaux de truffe. Le vin choisi est une Côte Rôtie La Mouline Guigal 1981. Au nez, le vin paraît fumé et trahit une évolution. En bouche, le vin est beaucoup plus séduisant, vin d’une année sèche, qui simplifie le message et réduit le fruit. Mais en fait, à l’aération, le vin devient d’une grande élégance. Il n’a rien de tonitruant, mais il suit sa route bien droite, en distillant des saveurs raffinées. A mon grand étonnement, vers le milieu de la bouteille, un joli fruit rouge est apparu, ajoutant à notre bonheur. Il faut savoir aimer aussi ces vins moins tonitruants que les jeunes. Mais on peut à juste titre se poser la question de la longévité de ces Côtes Rôties qui s’épurent avec le temps.

Comme il restait un peu de Mouline, je suis allé chercher un camembert peu affiné, j’ai tranché une truffe, et fourrant à l’improviste le camembert de truffe, cela crée un accord amusant qui titille bien la Côte Rôtie.

Le dessert est fait de mangues et ananas qui conviennent très bien au reste du Château Filhot 1885 (estimé) qui est devenu nettement plus compréhensible pour mon gendre. J’adore ce vin délicat. Il a une clarté de propos et une élégance de ballerine qui me vont droit au cœur.

Il y a eu des vins nettement moins brillants pour le déjeuner de ce deuxième jour. Cela n’a pas altéré notre joie de célébrer Noël en famille.

dîner de Noël vendredi, 24 décembre 2010

Ma femme m’a demandé d’acheter truffes et caviar pour les repas de Noël. Etant d’un naturel assez excessif, j’ai acquis à peu près dix fois plus que ce qu’elle attendait. Au-delà de la sévère réprimande que j’essuie, que faire de tout cela ? Au repas de midi du 24, où une partie de la famille des trois générations déjeune de façon frugale, il y a des brocolis. Je tranche de fins lamelles de truffe, et avec mon gendre, nous entamons le "stock". La truffe a un parfum intense, et avec le brocoli tiède, la truffe se positionne bien.

A 16heures, je descends en cave avec mon gendre pour choisir parmi les vins que j’ai sélectionnés pour ces deux jours. Mon gendre regarde et son œil est attiré par un Champagne Krug Grande Cuvée en 1/2 bouteille des années entre 83 et 95, car son étiquette, qui a évolué au fil des ans, permet de le dater dans cette période. Il la prend en mains et je lui dis : "allez, on se fait notre petit quatre heures".

Nous remontons, j’ouvre une boîte de caviar, et, chacun armé d’une cuiller en nacre, nous mangeons goulûment un caviar spéciale réserve Alverta qui est un osciètre royal. A noter que cette mention finale que j’ai trouvée sur internet n’est pas marquée sur la boîte. Est-ce cela, je ne sais. Le caviar est superbe par son gras et surtout par sa longueur inextinguible. Le sel est remarquablement dosé.

Le champagne montre un bouchon sur lequel est marqué " For U.S. export". La couleur est d’un ambre gris, la bulle est faible et le nez est riche et profond. En bouche le champagne, bien que peu dosé, donne, du fait de l’âge, une onctuosité exceptionnelle. Mon gendre adore ces champagnes à la maturité avancée, qui déclinent d’innombrables parfums. On dirait un panier de fruits rouges, jaunes et orange, longuement exposés au soleil, qui exhalent des parfums chauds. Le fait de boire ce champagne avec ce caviar est un luxe dont nous jouissons. L’accord est poli, mais il faudrait un champagne plus jeune pour accrocher avec le caviar. Cela ne diminue pas le plaisir.

Les petits-enfants s’amusent. Vers 18 heures, la plus jeune de mes filles a faim. Ma femme lui propose de croquer un fruit. Je lui propose de lui ouvrir un caviar. Elle me regarde d’un œil étonné et je lui dis : "lequel de tes deux parents préfères-tu ?". Elle prend le caviar. Je n’en tire pas de conclusion. C’est un Caviar Shassetra provenant d’esturgeons Shrenki. Ma science s’arrête là. Les grains sont plus déliés et gris clair. Ce caviar est plus précis mais moins gras et moins profond que le précédent. Pour un petit casse-croûte avant le dîner, ça va.

Les petits enfants dînent en premier. Ils s’émerveillent des cadeaux qui leur sont faits. Lorsque leur excitation est retombée démarre notre apéritif. La bouteille du champagne Charles Heidsieck Royal 1962 a une forme d’une rare élégance. L’étiquette est d’un vieil or, comme des bouteilles de rhums du 19ème siècle. Le bouchon fait pschitt à l’ouverture. La couleur du champagne est d’un ambre soutenu. Le nez est plaisant et joyeux. En bouche c’est surtout le citron, l’orange et la clémentine qui envahissent le palais. Le champagne est très fruité, surtout d’agrumes, et le citron est l’évocation de l’acidité bien maîtrisée. Sur le foie gras que l’on tartine avec gourmandise, l’accord est parfait. La question se pose : est-ce que le champagne qui va suivre sera aussi bon ?

Le deuxième champagne d’apéritif est le Champagne Comtes de Champagne Blanc de Blancs Taittinger 1966. Alors qu’il y a des couleurs et des odeurs très proches, ce champagne est totalement différent. Il a moins de fruit et moins de citron mais il a une complexité et une assise qui le placent en tête. Il est charmant mais aussi viril. Il s’impose. Sur la poutargue, très nettement meilleure que celle que nous achetons dans le sud, l’accord est plaisant, car il donne une coloration iodée au champagne. Arrivent alors quelques langoustines juste poêlées qui exacerbent la délicatesse du champagne. Mais c’est avec le corail des coquilles Saint-Jacques que l’accord est absolument grand. La sérénité des coraux et la sérénité du champagne se répondent dans une symbiose rare. Deux nouvelles assiettes de gambas et de langoustines permettent de faire le tour de la flexibilité gastronomique du Taittinger 1966. C’est un très grand champagne qui justifie l’amour que nous portons aux champagnes évolués.

Nous passons à table pour trouver une association étrange : des langoustines crues avec du filet de veau. Cette recette, puisée dans l’arsenal de Christian Le Squer, le chef du restaurant Ledoyen va accueillir un Montrachet Marc Rougeot-Dupin 1994. Sur l’étiquette il y a marqué "Le Montrachet" et je ne sais toujours pas pourquoi, pour certains vins, on ajoute l’article. Par ailleurs, la contre-étiquette dit : "récolte 1994, mise en bouteille par Marc Rougeot-Dupin". Est-ce possible que l’implication de Marc Rougeot-Dupin ne soit que la mise en bouteille ? Le vin est d’une rare précision. Sa structure est très belle, le fruit est gris jaune, et l’on sent que c’est un Montrachet subtil. Il n’a pas la puissance envahissante de certains Montrachet, mais il faut dire que le plat a tendance à le rétrécir, à jouer plus sur sa distinction que sur son opulence. J’adore ce Montrachet qui joue de son élégance et n’en fait pas trop.

Il est associé à des coquilles Saint-Jacques crues recouvertes des caviars des deux boîtes que j’avais ouvertes pour les casse-croûtes d’avant repas. L’association coquille et caviar est d’une suavité extrême. C’est presque orgasmique. Le Montrachet réagit bien, mais n’arrive pas à se départir de sa rigidité. On sent bien que ce plat appellerait un champagne, et par exemple un Dom Pérignon, qui convient toujours sur ce plat.

Les filets de rougets aux pommes de terre violettes, des Vitelottes noires, s’accordent très bien avec le Montrachet du fait de la cuisson. Il se trouve que j’ai ouvert pour ma fille qui ne boit que du rouge un Château Trotanoy 1973. Le niveau dans la bouteille était dans le goulot et ce vin que j’ai depuis plus de trente ans en cave méritait un essai, malgré une année peu engageante. Lorsque je verse le vin, la couleur est étonnante de jeunesse. Le nez est pur, et quand on boit ce vin, on est obligé de constater qu’il n’y a pas l’ombre d’une faiblesse que l’on pourrait imputer au millésime. Tout dans ce pomerol est d’une joie de vivre et d’une puissance de grand millésime. C’est un étonnement qui montre une fois de plus qu’après un certain stade de vieillissement, les caractéristiques de faiblesse de certains millésimes peuvent ne plus exister. Et il faut se précipiter à toute vitesse vers l’accord pomerol et rouget, car il est sans commune mesure avec l’accord provoqué par le montrachet. Nous sommes aux anges car le "théorème" rouget – pomerol est une fois de plus démontré. C’est même renversant de bonheur.

Pour le dessert qui est des pamplemousses roses à la gelée d’agar-agar, j’ouvre une bouteille de sauternes ancien qui ressemble comme une sœur à la bouteille d’Yquem 1874 que j’avais ouverte récemment. Elle n’a pas d’étiquette, et la capsule permet de lire sans ambiguïté Filhot. Le bouchon est très ancien et l’on voit des traces d’écriture, mais il est impossible de lire le millésime. Comme le verre de la bouteille est soufflé avec des bulles dans le verre, ce qui montre un âge certain, et comme la couleur est très proche de l’ancien Yquem, ce Filhot pourrait être d’une année comprise entre 1875 et 1905 (pour fixer des bornes). Je l’appellerai Château Filhot 1885. Comme cela arrive très souvent, le vin qui dans la bouteille a une couleur caramel devient d’un or soutenu et radieux dans le verre. Le nez est discret et en bouche, je reconnais les saveurs qui m’avaient enchanté des Filhot 1858 et 1869 que j’ai eu la chance de boire. Alors que le 1869 était opulent et vraiment liquoreux, le 1885 de ce jour, comme le 1858 de naguère, a perdu son sucre. Mais ce qu’il a gardé est d’une sensibilité qui m’enchante. Comme le pamplemousse est assez acide, l’accord se trouve bien avec ce sauternes profond, au goût devenu sec, d’une longueur qui me ravit et d’une finesse de discours qui ajoute à mon enchantement.

Mon gendre a du mal à comprendre ce vin et je peux le comprendre. L’habitude plus grande des sauternes très anciens qui ont mangé leur sucre me permet de goûter la grande pureté de ce vin qui n’a pas dévié, sauf d’avoir évolué vers le statut de sauternes sec. Les redoutables madeleines au miel de châtaignier faites avec la recette de Pascal Barbot, le chef du restaurant Astrance, et des arlettes parachèvent de leurs délices les joies de ce repas.

Le point final sera donné par une Tarragone des Pères Chartreux du début du siècle dont je me demande aussi pourquoi le nom sur l’étiquette est "Une Tarragone". L’usage de l’article est surprenant. Ce qui ne l’est pas, c’est la puissance aromatique infinie de cette liqueur aux myriades de fleurs des champs.

Dans l’ordre des saveurs, si la Tarragone est hors concours, et de loin, je mets en premier le Filhot 1885 suivi du Taittinger 1966, alors que selon mes filles et mes gendres, la palme reviendra au Trotanoy 1973 ou au Taittinger 1966.

Ce repas de Noël où manquaient mon fils et sa famille qui vivent outre-Atlantique aura été un dîner de grand raffinement.

restaurant Le Petit verdot – photos jeudi, 23 décembre 2010

Le champagne Comtes de Champagne 1973 est joli dans ce seau

Et l’on voit apparaître, par la magie des réfractions dans l’eau, le profil d’Hidé

La Romanée, Monopole de mise du domaine de la Romanée, réserve A. Bichot 1969

Les plats

Le dessert et une Folle Blanche 1996 du domaine Boignières pour écrire le mot "FIN" à cet amical dîner

dîner au restaurant le Petit Verdot mercredi, 22 décembre 2010

Il y a longtemps que nous n’avions pas vu Jean-Philippe, ce médecin qui cuisine comme un chef trois étoiles et qui nous a cornaqués dans des endroits de haute gastronomie. Le rendez-vous est pris au restaurant le Petit Verdot, tenu par un ancien sommelier et directeur de talent que tout le monde appelle Hidé. De retour de voyage, Jean-Philippe n’a pas le temps d’aller chercher un vin. J’en fournis deux, et Jean-Philippe nous invitera. Le Champagne Taittinger Comtes de Champagne 1973 n’est pas assez frais à l’ouverture, aussi quelques défauts apparaissent qui disparaîtront dès que le champagne sera frappé. Hidé l’aime immédiatement. J’aurai besoin de quelque temps pour l’apprécier, car le début est très champignon, sous-bois, avec la joliesse de l’âge, mais un petit coup de fatigue. Quand il a atteint sa température idéale, le pétillant prend de l’ampleur, ainsi qu’un vrai coup de jeunesse. Il a éliminé ses défauts, et le champagne est assez strict, minéral, marqué aussi par l’onctuosité d’un dosage assez fort. L’élégance du champagne est certaine, avec une jolie retenue d’amertume, et la pureté en bouche est certaine. On imagine volontiers des fruits violets comme la quetsche.

Le menu d’Hidé est ainsi composé : mousse de girolles et sot-l’y-laisse / ris de veau rissolés, salsifis aux oignons, jus de veau aux épices / lièvre au foie gras, sauce vin rouge / bavarois de mangue et gelée d’agrumes.

Les champignons sont exactement calibrés pour faire vibrer le Taittinger 1973 qui s’améliore de seconde en seconde. Il finira sa trajectoire sur le dessert.

La Romanée, Monopole de mise du domaine de la Romanée, réserve A. Bichot 1969 a un nez à se damner. Que peut-on imaginer de plus noble que ce nez là, minéral, d’une tension extrême, promettant un grand vin. Quand je le goûte, j’ai le type de frisson qui signe un grand vin. Il est d’une expression d’intense accomplissement. Il est minéral. Il a un fruit serré. Sa longueur est extrême et ce qui frappe, c’est l’élégance du discours. Je suis aux anges et Jean Philippe aussi. Ce qui va nous marquer, c’est que son parcours ne subira aucun fléchissement. J’avais peur que le lièvre très prononcé ne tue le bourgogne mais il n’en est rien. C’est le vin qui domestique le plat viril et délicieux et pas l’inverse.

Ce vin est d’une subtilité à nulle autre pareille, Il a la noblesse et l’élégance qui conviennent à sa rareté. Hidé nous dit qu’il n’a jamais bu une Romanée de ce niveau. C’est vrai qu’elle est exceptionnelle de raffinement. Le dessert cohabite très bien avec la fin du champagne qui a atteint son plateau d’excellence, où les défauts de départ se sont estompés. Je persiste à penser que le champagne n’est pas parfait malgré tout, alors que La Romanée est à un niveau d’excellence extrême. Savoir que Jean-Philippe et moi, nous avons vibré de la même façon sur ce vin, c’est un plaisir de plus. C’est déjà un cadeau de Noël.

déjeuner au restaurant Dessirier mardi, 21 décembre 2010

Je suis invité au restaurant Dessirier qui est la propriété depuis plusieurs années du grand chef Michel Rostang. La décoration a évolué et s’améliore au fil des ans. A trois tables serrées comme des sardines – restaurant de la mer oblige – à ma gauche et à ma droite il y a aussi deux personnes qui sont arrivées avant leur convives. Alors, on papote entre deux consultations de mails sur son smartphone. Avec un voisin inconnu, nous commandons des crevettes grises, qui sont le seul passe-temps qui ne consomme pas de calories. Mais les doigts s’en souviennent. Les tables demandent des contorsions pour s’installer et j’ai pu constater qu’une fois que la conversation s’est installée avec son convive, on n’entend plus rien autour de soi.

Une coupe de champagne nous est offerte par la fille de Michel Rostang et nous commandons notre repas. J’offre à mon invitante un Champagne Dom Ruinart 1996 d’une minéralité assez exemplaire. Ce beau champagne expressif est d’une grande personnalité, encore sauvage, très tendue, mais très enrichissante. Nous commençons par des huîtres bretonnes expressives mais un peu monotones et le champagne est délicieux sur les parfums iodés. Je goûte ensuite le sandwich à la truffe, véritable réussite culinaire emblématique de Michel Rostang. L’équilibre et le dosage du gras, du pané et de la truffe sont exemplaires. Le champagne accompagne l’émerveillement.

Cette brasserie d’hommes d’affaires pressés est une halte solide et convaincante.

déjeuner en hommage à Gérard Besson jeudi, 16 décembre 2010

Nous avions envisagé un Casual Friday, qui, au nom des droits à l’égalité et à la libération des jours de la semaine, devait se tenir un jeudi. C’est l’un d’entre nous qui avait proposé de fournir le plus grand nombre de vins. Tout occupé au 143ème dîner et au voyage pour des obsèques, je n’ai pas bien compris que la séance soit annulée. Elle a été remplacée par autre chose. Aussi est-ce dans une configuration différente des séances précédentes et avec des participants différents que nous nous sommes retrouvés à sept au restaurant Gérard Besson pour le déjeuner d’adieu que j’avais suggéré et souhaité pour rendre un dernier hommage à un grand monsieur de la cuisine française.

Lorsque j’arrive, des bouteilles alignées ont été débouchées par Gilles. Les bouchons sont torturés comme cela arrive avec des vins très anciens. Certains vins ont des niveaux un peu bas, et les odeurs des vins un peu chauds ne sont pas très engageantes. Il est demandé à Gilles de descendre les bouteilles dans la cave, car il serait désagréable de boire des vins trop chauds.

Gérard Besson nous a concocté ce menu : amuse bouche de gougères et saucisse coupée au couteau / Saint-Jacques d’Erquy aux lames de truffe / oreiller de la belle Aurore, sauce fumet plumes et poils / oiseau, figue et champignons / oiseau comme le faisait "Georges Garin" / Brie de Melun, lames de truffe / tarte d’automne aux quatre fruits.

Il était exclu que nous quittions Gérard Besson, que nous reverrons bien sûr, sans qu’il exécute l’oreiller de la belle Aurore, plat emblématique de la cuisine française, tourte de douze chairs différentes, de gibiers de toutes sortes.

Lorsque l’ami qui a apporté le plus grand nombre de vins se présente, avec la diplomatie qui me caractérise, je lui dis : "tu sais, il y aura du déchet". Les faits montreront que j’ai bien eu tort, car les performances furent belles. Et je trouve justifié de rendre hommage à son choix de vins.

Le Champagne Moët & Chandon Brut 1964 est magnifique. Ce qui est bien avec ce champagne dans cette année, c’est qu’il est confortable, facile à vivre, donnant l’image du champagne serein. Si on prend ses lunettes pour critiquer, on trouvera toujours un petit détail qui manque. Mais si on l’accepte comme un ami, il renvoie son amitié. C’est très agréable de boire un tel champagne qui démontre avec facilité l’intérêt des champagnes anciens.

Le Champagne le Diamant Bleu Hiedsieck Monopole 1964 est d’une extraction supérieure. Doté de plus de bulles, d’une couleur plus claire qui indique une jeunesse mieux préservée, ce vin est moins dosé, plus strict et plus profond, avec une longueur qui fait rebondir le goût. Alors bien sûr on se moque de moi car je manifeste ma joie de boire ce vin qui est mon apport, mais il est évident que si le Diamant bleu est plus grand, les deux champagnes de 1964 sont deux vrais plaisirs.

Le Pouilly-Fuissé "les Champs" Georges Burrier 1955 a une couleur qui commence à ambrer, un nez extrêmement séducteur, car il combine le parfum du zeste de citron vert avec des fraîcheurs mentholées. En bouche il est bien rond, ne montre pas trop son âge. C’est un très bon vin assez simple et de plaisir. Il a un final entraînant.

Le Meursault 1ère J. Faiveley 1919 d’une amie est une bouteille rare. Le risque est assez grand avec une bouteille de 91 ans et effectivement le nez fait très âgé, à la limite (non franchie) du bouchonné. Le palais est plus agréable et l’on note même une belle rondeur. Ce vin est fatigué mais va montrer au fil des heures un beau retour à une vie possible.

Le Château Rausan Ségla Margaux 1928 est très peu marqué par l’âge, mais il l’est quand même un peu. Sa couleur est un peu trouble, le nez est élégant et en bouche il se boit agréablement, riche dans sa structure. On pourrait être moins critique mais le Château Nénin Pomerol 1955 est tellement éblouissant que le cœur ne retient que lui. Tous les vins de 1955 sont grandioses en ce moment, cela se vérifie à chaque essai. L’oreiller est magnifique et sa sauce est redoutable. Nous l’aimons tellement que nous réclamons un supplément, car à l’œil, nos sept tranches sont loin d’épuiser le long oreiller, presque de lit double. Gilles nous dit que le reste a été partagé en cuisine, ce qui est une belle attention de la part du chef.

Lorsque l’on verse le Chambolle Musigny Albert Brenot 1926 nous nous souvenons de la phrase indélébile de notre ami, dont nous nous moquons, qui est : "je n’ai jamais été déçu avec les 1926". C’est le petit côté élitiste, voire l’aspect "secte des sachant" que nous stigmatisons. Et en fait, ce 1926 lui donne raison. Il a une rondeur de grand cru, alors qu’il ne l’est pas. J’adore ce vin chaleureux. Les oiseaux sont servis par des sauces absolument exceptionnelles, car le chef est le prince des sauces. Les vins en profitent.

Au contraire, le Chambertin Cuvée Héritiers Latour Domaine Louis Latour 1935 fait franchement fatigué. On peut lui trouver des circonstances atténuantes, car le message est encore lisible, mais il vaut mieux se tourner vers l’Aloxe-Corton P. A. André négociant au Château de Corton 1959, vin absolument resplendissant et sans défaut. Voilà un vin que j’aime.

L’Hermitage E. Vérilhac 1945 montre moins de signes de fatigue que ce que le bas niveau faisait craindre. Il est pur, équilibré, solide comme un hermitage, et se boit avec plaisir si on enlève le voile de fatigue.

Le Caillou blanc du Château Talbot 1959 est parfait, ne lésinons pas sur le commentaire. Ce que je veux exprimer, c’est qu’il n’a aucun défaut, l’année merveilleuse lui donnant une jeunesse éternelle. Equilibré, serein, il n’a peut-être pas le coffre des plus grands, mais il se boit comme un grand. Le Puligny-Montrachet les Pucelles Bouchard Père & Fils 1976 est aussi une belle surprise, d’un vin qui apporte un joli fruité. Ces deux blancs sont purs.

Le Champagne Salon 1997 est une belle récompense sur le brie et sa truffe. Charmant, floral à souhait, il se révèle comme un Salon qui joue plus sur l’élégance que sur la force.

Le Château Rayne-Vigneau 1928 est grand, bien campé solidement sur un squelette irréprochable. Sa sérénité est conquérante et sur la sublime tarte de Gérard Besson, c’est un régal. Bravo l’ami pour tes choix de vins.

Gérard Besson vient nous rejoindre et nous fait servir un Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Clos des Capucins Domaine Weinbach Théo Faller 1983. Le vin est riche, frais, fluide, avec la légèreté des grands liquoreux alsaciens. Nous trinquons avec Gérard en évoquant quelques grands souvenirs de gastronomie. Les voix s’éraillent sous le poids de l’émotion. Nous imaginons une rencontre nouvelle chez un autre chef ami de Gérard, pour que le cordon ombilical ne se coupe pas.

Les amis s’en vont, je reste seul pour embrasser Gérard Besson et son épouse, et là, les larmes sont au bord des yeux. Prince des sauces, prince des gibiers, grand connaisseur des accords mets et vins, Gérard est devenu au fil des ans un ami. Il part en plein succès car tout le monde veut l’honorer, au point que le service a du mal à suivre. Tant mieux, car Gérard partira en sachant que de nombreux gourmets lui doivent des souvenirs impérissables.