Archives de catégorie : dîners ou repas privés

beaux poissons chez Yvan Roux mercredi, 25 août 2010

Un ami vigneron de Vosne Romanée passe ses vacances avec sa femme et ses enfants à peu de distance de notre lieu de villégiature. Assidu de la lecture de ces bulletins, sa curiosité est excitée de découvrir la table d’hôtes d’Yvan Roux. Si l’accès est difficile, la récompense est au bout du chemin, avec une vue féerique sur la mer argentée.

Yvan est encore torse nu, préparant les futurs plats, car nous sommes en avance sur l’horaire que j’avais annoncé. Nous mettons au point l’ordre des plats en fonction des vins que j’ai apportés. L’apéritif se prend dans la magnifique cuisine que nous prenons comme comptoir, ce qui nous permet de bavarder avec Yvan et Babette pendant qu’ils organisent les entrées. Yvan tranche le Pata Negra et j’ouvre un Champagne Salon magnum 1995. Je me sers un verre et mon visage se barre d’une grimace : ce que je bois n’est pas ce que j’attends de Salon 1995. L’odeur n’est que tristesse, le vin est bouchonné. Et effectivement en bouche, on ressent un léger goût de bouchon. Je comptais sur ce vin pour honorer mon ami et son épouse, aussi suis-je contrarié. C’est l’esprit bougon que je sers ma fille, mon gendre et mes amis. Tout en croquant les fines tranches de Pata Negra « Cinco Jotas », le champagne devient légèrement plus amène, mais il reste un peu d’amertume. Ce n’est qu’au moment où nous nous asseyons à table que le Salon retrouve 100% de ses facultés. Pour en être bien sûr, je le goûte à de multiples reprises, et c’est clair qu’il est revenu à son vrai niveau, joyeux, goulu, fait de fruits jaunes et de citron. Il retrouve la belle longueur de Salon 1995. Une fois de plus, la patience est récompensée.

Le carpaccio de thon rouge au citron vert est délicieux et s’accorde bien avec le Salon. Yvan nous explique que la pêche au thon rouge est autorisée sous condition de taille du poisson et lorsque le poisson est pêché, il est bagué, et une partie de la bague est adressée à un organisme de contrôle de la pêche. Nous ne sommes donc pas des complices d’une prédation.

Des tempuras de lotte et de feuilles de sauge baignent dans un pesto suffisamment léger pour que le champagne trouve le diapason qui vibre avec la lotte.

Pour les seiches rôties au Pata Negra et piment d’Espelette, déglacées au champagne Salon, nous pouvons essayer aussi bien le champagne que le Châteauneuf-du-Pape Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1998. Le vin est riche, puissant, lourd, fort en alcool, mais réussit à montrer une belle élégance. Ce vin plait à ma fille qui raffole de ces vins riches. Cet Hommage d’une grande année est un vin de grand plaisir.

Le filet de rouget poêlé et safrané à l’ail confit est préparé avec les foies du poisson, et cette chair est mise en valeur de façon exemplaire. Nous nous régalons. C’est le moment d’ouvrir le Moulin des Costes Bandol 1983. Je croyais que la comparaison serait possible avec le Châteauneuf, mais le combat n’aura pas lieu. Le Bandol est légèrement torréfié, un peu cuit, sur une pente de maturité mal maîtrisée. Le vin est bon, bien sûr, mais il ne peut pas s’inscrire dans une comparaison valorisante. Le thon cru, cuit au sésame sur un coulis de poivrons aux noix a une chair fondante qui conclut bien ce festival de poissons.

Le moelleux au chocolat et son caramel au beurre salé accompagne un Maury Mas Amiel 15 ans d’âge qui doit être de 1980 environ. L’accord est merveilleux avec ce vin au goût de pruneau, de griottes, qui sait garder une belle fraîcheur sur sa douceur.

Pendant ce temps, la mer joue de son charme argenté. L’originalité du lieu, l’atmosphère amicale créée par nos hôtes, les mets délicieux et des vins aux performances variables ont créé un grand moment d’amitié.

déjeuner chez Yvan Roux – photos mercredi, 25 août 2010

Ce sont des lactaires sanguins qu’Yvan va préparer avec de l’ail

les plats de poissons préparés en cuisine

des copeaux ce Pata Negra pour accompagner le champagne

carpaccio de thon rouge, tempura de lotte et seiche au Pata Negra

lactaires sanguins à l’ail peu goûteux, sublime rouget et excellent thon au sésame

moelleux au chocolat

Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1998

Moulin des Costes, Bandol 1983

An adorable Salon dimanche, 22 août 2010

In the South, my first daughter arrived with her man and her two daughters, 10 and 6.
In front of us, there is the semi island of Giens, where I had a house for many years;
A walk along the sea is possible, within an area which was a military possession for a long time.
When army left, the place became a State possession, with no possibility to build anything.
Some military units remain, mainly in telecommunications and sky watching.

We decided to make a walk with my daughter, my son in law and my grand daughter of ten years.
Normally, the walk can take less than two hours, with nice climbing and descending slopes. We walk along the coast, with nice landscapes.

At one moment my daughter does not want to continue and asks that we cross through the forest. Rapidly we get lost not knowing where to go, and we cross forbidden areas, with great signs saying "forbidden zones".
the walk which could have lasted two hours took four hours.

We come back home, take a necessary shower, and what do I say : "it’s time for Salon".

I open a Salon 1997 and we eat saucisson of mountain with aromatic herbs.
The Salon 1997 – at this moment – is purely white flowers, white fruits, and pure elegance.
After an "adventurous" walk, this is the most refreshing champagne that I have ever had.

And from the first drop to the last, this Salon is elegance, romanticism and delicacy.

For me, a wine cannot be separated from the circumstances of its appearance.

some wines recently drunk samedi, 21 août 2010

Here are notes about some wines recently drunk. Thiese notes give comments according to my taste, which never pretends to be universal. It is the contrary !

Champagne Louis Roederer 2003 : not bad, but not really exciting. It is refreshing, nicely built, but lacks emotion.

Montrachet Chartron et Trébuchet 1991 : already mature, with signs of evolution. It is a wine which normally should not be kept as long as 19 years, but as it is, accepting the evolution, it is a very great wine. I love the smoked aspects, which do not hide the remaining fruits. I have adored this Montrachet, not powerful, not with an extreme personality, but giving pleasure.

Château de Beaucastel Châteauneuf-du-Pape 1990 : this is a « wow » wine. All in it perspires glory. Very genuinely Chateauneuf, it fills the mouth with body, charm and accomplishment. A pure pleasure.

Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1995 : there is a great similarity between the Beaucastel and the Taittinger, as the impression of full accomplishment is there. This champagne combines honey and yellow fruits. I adore this expression of champagne which is very unconventional as it is neither wine like nor romantic like. Great pleasure

Champagne Dom Pérignon in magnum 1998 : not bad, but not really inspired. It is the second day, when the bubble was softer, that I recognised what I like in Dom Pérignon, the white flowers and the romanticism.

Rimauresq Côtes de Provence 1983 : if I had to fall in love with a wine, it would be this one. It has the ripeness of the Côtes de Provence, with a fantastic maturity given by age. I adore this wine, full of qualities. Age adds to such wines a minimum of 6 Parker points (this is an image, but not far from the truth).

Champagne Krug 1995 : this is a nice champagne, but at this stage of its life, there is a certain lack of emotion. Nice, but not emotional enough.

Clos de la Roche domaine Dujac 2004 : I have even more admiration and adoration towards this wine than what I feel for the Rimauresq 1983. This is for me, what I adore in Burgundy. This wine is an elegant perfect gentleman.

Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 2004 : I had ordered this wine to see how it behaves next to the Clos de la Roche for the same millesime. Alas, there was no fight. The Clos de la Roche was too perfect compared with the Rayas, which is a wine that I adore. But the charm of a CdP cannot compete with the complexity of a Burgundy of this calibre.

Champagne Salon magnum 1997 : when this wine was presented for the first time I was invited by Didier Depond to attend the ceremony. And I found it a little light. And Didier told me : “wait and see”. And I must say that at this stage of its life, this champagne performs as I like Salon : romanticism and personality. I love it for its grace, knowing that the power is not there.

Château de Selle, vin des domaines d’Ott 1999 : nice modern style wine, full of charm.

Château de Beaucastel Châteauneuf-du-Pape 1985 : charming wine, all in grace, more pleasant for me than the 1990. This is said from memory and not through a comparative tasting.

Mont-Redon Châteauneuf-du-Pape 1978 : put together with the Beaucastel 1985. The two are completely different and react differently with food. I would be embarrassed to choose which one I prefer. Probably the Mont-Redon would be my favourite, due to the velvety charm and the elegant construction.

Champagne Laurent Perrier Grand Siècle in magnum having around ten years : age benefits to this champagne. Recent ones were rather uninspired, but this one is a wine that I adore : as soon as the magnum is served, it is time to open the next one ! It is what I name a “champagne de soif”, a “champagne for thirst”.

These wines were drunk during vacation. I open more easily champagnes because in hot summer, this is what is more acceptable. And the format of magnum is absolutely necessary if I want to work a little less by opening. I work twice less !

The wines of South of France are perfectly adapted to this period of time, wines of sun.

If I had to name two wines, it would be Clos de la Roche Dujac 2004 and Rimauresq 1983.

beau dîner à l’Hôtel des Roches mercredi, 18 août 2010

Matthias Dandine ayant quitté les fourneaux de l’Hôtel des Roches au Lavandou, nous voulons lui rendre visite avec des amis dans sa nouvelle installation à Bormes-les-Mimosas. Mais le restaurant est plein. Aussi avons-nous la curiosité de découvrir la nouvelle cuisine de l’Hôtel des Roches.

Sur la terrasse qui surplombe la mer, un trio interprète des mélodies brésiliennes. Le Champagne Louis Roederer 2003 arrive à peine chaud et n’est pas très excitant sur la première gorgée. Ce n’est que lorsqu’il est bien frappé qu’il commence à devenir plaisant, sans toutefois briller.

Nous commandons des plats différents. Les miens sont un risotto à la truffe d’été et jambon d’Espagne qui est très bien exécuté, avec une truffe goûteuse et abondante, et un merluchon succulent. Nous apprenons que c’est le second de Matthias Dandine qui a pris la suite. Il a l’étoffe pour voler de ses propres ailes.

Le Montrachet Chartron et Trébuchet 1991 a une couleur très légèrement ambrée. Le nez est capiteux. En bouche le vin est grand. S’il montre un peu de maturité, qui lui donne du fumé, il a suffisamment de fruit et d’ampleur pour nous plaire. Il n’a pas le coffre d’un Montrachet d’une grande année récente, mais j’aime beaucoup son élégance.

Le Château de Beaucastel Châteauneuf-du-Pape 1990, dès le premier instant, est glorieux. C’est un vin généreux, plein en bouche, d’une mâche agréable. C’est un très grand vin au sommet de sa forme. Un fort dépôt collé au verre sur plus de la moitié de la surface indique peut-être un problème de cave. Cela n’a pas altéré le vin qui nous a ravis.

Sur une assiette de fruits rouges, les verres étaient vides. Un Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1995 a montré un saut qualitatif majeur par rapport au premier champagne. Ce champagne où le miel côtoie les fruits jaunes est d’un plaisir immense. Il a la carrure de Pierre Emmanuel Taittinger, et une joie de vivre du même moule.

Les services du bar et du restaurant mériteraient d’être améliorés. Mais nous retournerons en ce lieu pour la vue splendide sur la mer et pour une cuisine de qualité qui ne demande qu’à progresser.

Nostalgie sur des fonds de bouteilles … lundi, 16 août 2010

Le lendemain, ma fille, mon gendre et leurs enfants sont partis. N’était le violent mistral, tout ici respirerait le calme total.

Il reste des fonds de champagne et de vin rouge. Un petit plateau d’apéritif avec foie gras, compote de poivrons et diverses vérines met en valeur le Dom Pérignon 1998 en magnum dont la bulle s’est à peine assagie, mais dont l’expressivité vineuse ressort avec encore plus de force. C’est le lendemain que ce champagne montre sa profondeur. Du même traiteur italien fournisseur du plateau, j’ai acquis un petit pot de crème de cèpes à la truffe blanche.

Si la truffe blanche « pèse » 2% de l’ensemble, le prix et l’odeur en ont tous les deux capté largement plus. Tartiner cette crème odorante sur du pain est un bonheur pour le champagne, et quand il est vide, c’est une explosion de joie sur le Rimauresq 1983. Car ce vin a tous les accents de l’olive noire, qui malgré l’opposition de couleurs blanc et noir, a beaucoup de points communs avec la truffe blanche. Et la continuité du vin avec cette crème est un régal. Ce Rimauresq 1983 est définitivement un grand vin aux tonalités d’olive noire, de cèpe et de truffe blanche.

Quand les deux bouteilles sont vides, c’est comme si l’on avait éteint un feu d’artifice.

Magnifique Rimauresq dimanche, 15 août 2010

Avec ma fille et mon gendre, nous avions fêté la joie de partager l’été en allant au Petit Nice à Marseille. Le lendemain est le dernier jour, un dimanche. Qui dit dimanche dit agneau et sur le barbecue deux épaules d’agneau sont en train de rôtir. Le déjeuner se fait « forcément » à l’eau, car la veille fut redoutable. Quand on ne boit pas, l’appétit ne suit pas, aussi l’une des épaules n’est pas entamée. Le soir, c’est le dernier jour, il faut bien fêter ça. J’avais apporté dans le sud des magnums de Dom Pérignon et jusqu’ici, je n’en avais ouvert aucun. S’il fallait en ouvrir un, c’est avec mon gendre.

S’il est un vin qui est le symbole du luxe le plus pur, c’est un Dom Pérignon. Mais pas un Dom Pérignon, un magnum de Dom Pérignon. Celui que j’ouvre est un Champagne Dom Pérignon magnum 1998. Mon gendre a l’idée de faire des tempuras de lavande. Il est certain qu’un écho se fera avec le champagne. Mais la lavande est trop forte et rien ne peut l’adoucir. L’amertume finale est trop prégnante. Seule la mémoire de la lavande arrive à exciter le Dom Pérignon succulent. Ce champagne est dans la ligne des Dom Pérignon historiques. Mais à ce stade de sa vie, il joue mezzo voce. Il va se réveiller quelques fois au cours de la soirée et va confirmer son excellence, mais il est dans une phase prudente.

Ma femme fait des tempuras de rondelles d’oignon, qui conviennent parfaitement au champagne. Nous poursuivons sur de la boutargue qui excite délicieusement le Dom Pérignon qui développe ses notes florales. Ce moment est romantique, entrecoupé par la nécessité de coucher les chères têtes blondes de nos petits-enfants.

Si je suis heureux d’ouvrir un Dom Pérignon en magnum, parfait symbole du bling-bling que nous assumons sans la moindre difficulté car le champagne qui en est la cause est un grand champagne, j’ai beaucoup plus d’émotion à ouvrir une bouteille que je ne pourrai jamais plus acheter sans doute, qui est un Rimauresq, Côtes de Provence 1983, d’une année probablement définitivement introuvable.

Mon gendre a pris en main l’épaule qui sortait de ce midi du barbecue et décide de la cuire à la vapeur, sur une botte de branches de romarin. Connaissant le vin, j’ai suggéré que l’on rajoute des olives noires dans la cuisson. La chair qui apparaît dans nos assiettes est d’une tendreté sans commune mesure avec celle de l’agneau de ce midi. Elle est fondante, typée, parfumée au romarin.

Ce Rimauresq est un vin exceptionnel. Il est grand, intelligent, accompli, et montre à quel point l’âge apporte des qualités incroyables aux Côtes de Provence. Je n’ai pas peur de dire qu’ayant en tête les vins que nous avons bus au Petit Nice, ce Rimauresq passe devant le Rayas de la veille. Car il y a une finesse, et une justesse de dosage qui sont exceptionnelles dans ce vin. Et les olives noires ajoutent un supplément d’âme. Le mot qui me vient en goûtant ce vin est celui d’intelligence. Il est remarquablement fait et joue sur les notes du Côtes de Provence sans la moindre faute. C’est un plaisir de boire ce vin équilibré, jouant juste, charmeur et dosé qui résonne sur les olives de façon diabolique.

Si on me demandait de quel vin suis-je le plus fier ce soir, je dirais sans hésiter que ce n’est pas le magnum de Dom Pérignon, mais ce Rimauresq 1983 à la bouteille bourguignonne et au goût qui impose le respect.

(on voit bien la forme bourguignonne de la bouteille, changée depuis)

Le Petit Nice photos samedi, 14 août 2010

Les amuse-bouches pris au bar

Les vins : Clos de la Roche domaine Dujac 2004

Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 2004

avant-goût

anémones de mer en beignets légers et onctueux iodé

bar de ligne comme l’aimait Lucie Passédat

daurade de palangre grillée, jus de tante Nia

poisson cru à la tranche, écorces de bergamote

homard breton en mauve abyssale

rouget en trois façons, ajouté au menu Passédat

les fromages affinés

l’avant douceur

chrysalide de caramel au chocolat

mignardises (avec une petite resucée de caramels !)

la vue unique de la terrasse

merveilleux repas au Petit Nice à Marseille samedi, 14 août 2010

Pour fêter les vacances prises en commun, notre gendre et notre fille nous invitent à déjeuner au restaurant le Petit Nice, sur la Corniche de Marseille. La nuit qui précède, des éclairs, une lourde pluie et des grondements de tonnerre ont zébré notre sommeil. Nous arrivons à Marseille sous la pluie, ce qui est dommage car le cadre merveilleux de l’hôtel réclame le soleil. Mais c’est un bien si nous voulons profiter de grands vins. La table étant au nom de mon gendre, réservée après des formalités dignes de l’admission aux grandes écoles, José Potier et Gérald Passédat sont surpris de nous voir et nous accueillent avec de larges sourires. Je soupçonne que le hasard a dû donner un petit coup de pouce, car nous avons la table que nous aimons, avec la plus belle vue sur la baie.

Nous prenons l’apéritif au bar, avec un Champagne Krug 1995. Le champagne est étrangement acide sur la première gorgée, mais tout s’assemble lorsque le champagne a trouvé sa température idéale, bien frappé, et lorsque nous goûtons les délicieux petits accompagnements d’apéritif. François Simon n’aime pas ces chemins de traverse et préfère commencer directement le repas, mais je trouve que ces amuse-bouches plantent le décor, et affirment le talent du chef. Ici, la petite friture est goûteuse, la bisque de homard sur une cuiller est intense, le ravioli fait d’une fine lamelle de concombre est délicat et les petits dés de légumes sont croquants à souhait. Nous entrons de plain-pied dans le talent de Gérald Passédat, qui sait domestiquer les saveurs avec grâce. Ce passage au bar est l’occasion de choisir le « menu Passédat », que nous prendrons tous les quatre, et d’examiner la carte des vins pour le repas. C’est mon gendre qui invite, mais nous lisons chacun le livre de cave, au même rythme.

La carte des vins est copieuse, mais il manque énormément de choses. Ce n’est pas la carte des vins d’un trois étoiles. Le sommelier serait bien inspiré d’étudier la carte des vins de Patrick Pignol, qui est un modèle du genre. Même si la clientèle de grands vins se raréfie, notamment à cause des prix, le seul trois étoiles de la région se doit d’avoir une carte plus étoffée. Nous trouvons malgré cela de bonnes pioches, et l’envie nous prend de comparer deux grands vins sur le même millésime, un bourguignon et un rhodanien. Le menu étant difficile pour les vins, nous savons qu’avec deux rouges nous ne serons pas toujours au diapason, mais le champagne sera là pour servir la cause du plat quand il le faudra. Car le Krug est un champagne intelligent. Riche fruité, goûteux, il est didactique. Il ne batifole pas sur des sentiers canailles. Il est grand, dogmatique, serein. Il manque quand même un petit peu de brio par comparaison à celui récemment bu au domaine.

Le menu de Gérald Passédat est aisni rédigé : avant-goût / anémones de mer en beignets légers et onctueux iodé / bar de ligne comme l’aimait Lucie Passédat / daurade de palangre grillée, jus de tante Nia / poisson cru à la tranche, écorces de bergamote / homard breton en mauve abyssale / les fromages affinés / l’avant douceur / chrysalide de caramel au chocolat / mignardises.

Deux rouges, c’est évidemment osé, mais nous avons envie. Ils sont servis ensemble pour la comparaison. Le Clos de la Roche domaine Dujac 2004 arrive comme son compère dans une bouteille recouverte de buée, tant elle est froide. Je tâte le verre, et c’est très froid. Nous ne ferons pas carafer, pour suivre l’éclosion des vins dans nos verres. Malgré la froideur, le nez du Clos de la Roche est riche et joyeux. En bouche, c’est un véritable bonheur. Ce vin est fruité, joyeux, plein, et son expression bourguignonne est magistrale. Quel grand vin ! Le Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 2004 a un nez extrêmement plaisant, très nettement plus plaisant que la bouche. Alors que je considère Rayas comme le plus bourguignon des Châteauneuf et alors que j’en suis amoureux, force est de constater que la cohabitation avec un vin bourguignon montre que Rayas est tout sauf bourguignon. Il est résolument Châteauneuf. La joie de vivre du Châteauneuf et ce côté spontané qui ne cherche pas la complexité, mettent en valeur encore plus la précision, le raffinement et l’élégance du Clos de la Roche. Nous percevons instantanément qu’il n’y aura pas de compétition : le vin de Dujac domine le vin du Rhône. Est-ce à dire qu’il est meilleur ? Je n’aime pas ces problématiques. J’adore ces deux vins différents, chacun pour lui et je continuerai de vouer à Rayas l’amour qu’il mérite. Mais force est de constater que le Rayas met en valeur le Dujac et pas l’inverse. Aujourd’hui, c’est le Dujac qui fait le rapt de nos cœurs.

Est-ce à dire que ce sera le cas sur tous les plats ? Pas du tout, car selon les saveurs, c’est tantôt l’un, tantôt l’autre qui se marie au plat, et ce qui est intéressant, c’est que les saveurs, le plus souvent, ne s’accordent qu’à un seul vin, les plus capiteuses avec le Rayas, et les plus subtiles et raffinées avec le Dujac. Il y a eu parfois la possibilité d’un mariage à trois. Inutile de dire que nous nous régalons de ces essais

L’avant-goût commence par une tomate délicieuse associée à un velouté de légumes verts. C’est absolument délicieux. A côté un poisson cru nous permet de goûter le Clos de la Roche qui convient bien. Il faut juste écarter les tronçons de rhubarbe.

Le second plat est très attendu, à base d’anémone de mer. Il est en trois parties. Une émulsion d’anémone au caviar d’Aquitaine, qui est une petite merveille. Une petite coupe avec une moule et deux coques sur une légère émulsion. C’est d’une rare dextérité. Enfin le beignet d’anémone qui se marie très bien au Rayas, avec toutefois un léger manque d’anémone dans le beignet.

La sauce du bar exclut le vin rouge, mais une délicieuse hostie noire, fine tranche de truffe, appelle le Dujac. La daurade est parfaite, et cohabite avec les deux rouges, le Clos de la Roche brillant particulièrement. Le poisson cru est d’une rare expression. Quelle tendreté ! Il est possible d’essayer les deux rouges, le Clos de la Roche réagissant mieux.

A ce moment, pour une raison inconnue, mon gendre a envie de rouget, alors que nous sommes loin d’avoir fini le repas. Il appelle le directeur qui réagit bien en suggérant de demander au chef si cela est cohérent avec le menu, car les deux plats ont des gelées qui pourraient s’opposer. Le chef confirme la cohérence et le rouget viendra après le homard.

Manger un homard dans une sauce bleue, c’est original. La chair est excellente, et la pince servie à part est d’une profondeur de goût rare. Le rouget est servi en trois préparations, deux d’abord, puis une ensuite, particulièrement copieuses et mettant en valeur cette chair de poisson unique. Les vins sont à leur aise, le Rayas réagissant à celui qui est traité avec les entrailles, et le Clos de la Roche se mariant avec les deux préparations plus délicates.

Nous avons encore suffisamment d’appétit pour honorer le plateau de fromages. Pour les desserts, Florian le sommelier qui a fait un service remarquable propose de nous donner des verres de Banyuls et de Rivesaltes. Trouvant que j’ai déjà assez bu, je préfère demander une coupe de Champagne Veuve Clicquot la Grande Dame 1998, délicieuse sur les desserts, mais à ma grande surprise, je suis comme mon gendre servi des deux autres liquoreux.

Les desserts sont remarquables et la cohérence des saveurs dosées par le pâtissier est spectaculaire. Le Banyuls Domaine de la Rectorie 2004 est bien jeune et ne crée pas d’émotion particulière. Il joue son rôle, sans surprise. En revanche, le Rivesaltes ambré domaine Rossignol 2004 est définitivement désarçonnant. Ce vin est immense. L’émotion qu’il crée est rare. Quel grand vin avec ses fruits jaunes, ses épices, et une longueur qui défie tout. Avec le dessert au chocolat et au caramel, c’est un plaisir défendu.

Le ciel s’étant éclairci, nous goûtons les mignardises sur la terrasse surplombant la mer, avec une redite du dessert au caramel et chocolat et de délicieux petits péchés sucrés.

Que dire de ce repas ? Le niveau est incontestablement trois étoiles, sans l’ombre d’une discussion. Le service est impeccable, attentionné tout au long du repas, ce qui est rare. Le service du pain et le service du vin sont à signaler. Une chose est agréable, c’est que le plat ajouté et les boissons ajoutées n’ont pas été facturés. La carte des vins est à parfaire, mais il y a quand même de bonnes pioches. La cuisine de Gérald Passédat combine le sens de l’histoire, en souvenir de ses prédécesseurs, avec une modernité très orientale, à la recherche des goûts purs. C’est une cuisine légère qui ignore le vin, puisque des saveurs qui sont cohérentes pour le plat condamnent beaucoup de possibilités d’accords. Nous avons rusé pour les rendre possibles, et nous avons joué à les susciter. Sur le chemin du retour, nous avions le doux sentiment d’avoir passé un moment de grande gastronomie.