Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Un Mouton 1898 compense un faux Pétrus vendredi, 13 février 2009

Un nouveau casual Friday a lieu un vendredi 13, ce qui est signe de bonheur. Les participants ne sont pas du groupe habituel. J’ai apporté mes bouteilles la veille au restaurant Laurent. Notre rendez-vous est à 12h30 mais j’arrive à midi pile pour vérifier si les ouvertures se sont bien passées et je mets au point le menu avec Philippe Bourguignon.

Daniel a très correctement ouvert les bouteilles et je vois que le Pétrus 1936 n’est pas arrivé. J’imagine que mon ami a dû l’ouvrir chez lui car il habite à proximité. Le premier des arrivants vient de Lyon. C’est la première fois que je le vois, car l’envie de déguster ensemble s’est formée par nos échanges sur la toile. Florent a 32 ans, et son pedigree dans le domaine des vins anciens est déjà impressionnant. Il a apporté un Château Latour 1918 de la cave Nicolas et un grand vin blanc de Bourgogne que je lui demande de ne pas ouvrir car nous avons assez de vins. Le troisième larron de 57 ans que je connais pour avoir partagé de rares bouteilles et lutté contre lui en salles de vente arrive avec son Pétrus 1936 ouvert et nous montre le bouchon. Le bouchon est récent. Le nez du vin ainsi que sa couleur sont récentes. Le nez est objectivement de Pétrus, mais il s’agit d’un faux. Richard en est étonné, car qui ferait un faux 1936, année qui normalement ne suscite pas la fraude ? On ne fraude généralement que sur les grandes années. Richard a apporté en compensation un Château Mouton-Rothschild 1898 dont la capsule et le verre de la bouteille indiquent l’authenticité, l’étiquette récente ne donnant que l’indication d’un habillage récent. Si Richard a pris cette bouteille, c’est parce que j’avais annoncé un Pichon Baron de 1898. Or ayant aussi bien 1898 que 1904, je pense que mon Pichon Baron est de 1904, l’année n’étant pas lisible et le bouchon incapable de confirmer.

Avant qu’ils n’arrivent, j’ai goûté le Constantia d’Afrique du Sud du début du 19ème siècle que j’avais joint. C’est une supposition faite d’après le livre de cave des vendeurs d’une cave achetée récemment. Je suis étonné de la fraîcheur et des notes citronnées qui contrastent avec le parfum capiteux que j’avais attendu d’une goutte collée au goulot lorsque j’ai pris la bouteille en cave. Ce que je goûte ne ressemble pas à un Constantia. Nous verrons. J’ouvre le Mouton et le bouchon s’émiette. Richard est anxieux quand je l’ouvre, ce que je trouve sympathique car je suis aussi anxieux quand quelqu’un ouvre mes bouteilles.

Le menu consiste en une entrée au foie gras et joue de bœuf, un ris de veau à la truffe et une côte d’agneau. Les plats sont exécutés avec une douceur qui convient parfaitement au vin.

Nous prenons l’apéritif avec le faux Pétrus 1936 qui est, supposons-le, un Pétrus 1979. C’est en tout cas un Pétrus, avec un petit défaut qui s’amplifiera avec le temps au point de ressembler plus tard à un solide goût de bouchon. Le vin est buvable si l’on a soif, mais n’apporte aucune réelle émotion. A ma demande Daniel verse maintenant les quatre rouges dans nos verres, de gauche à droite : Château Mouton-Rothschild 1898, Château Pichon Longueville Baron de Longueville 1904, Château Latour 1918, faux Pétrus 1936.

Nous sommes trois, avec nos âges, nos cultures et nos expériences qui différent. Aussi, quand Richard dit que les deux plus vieux sont au-delà de leur période de vivacité, il crée un climat. Je savais que Richard est beaucoup plus critique que moi, et je sais que je suis plutôt « bon public », tolérant avec les vins anciens, mais cette phrase crée forcément une atmosphère. Fort heureusement nous sommes là pour partager ces flacons, et nous en profiterons. Le nez le plus beau, comme le souligne Florent, c’est celui du Pichon Baron. Je lui trouve en bouche de beaux accents fruités, même si une acidité insiste un peu. C’est au fil du temps le Mouton qui me plait le plus, qui devient de plus en plus mûr et structuré au point qu’en fin de repas il atteint un équilibre qui me ravit. Le plus désagréable en début de repas c’est le Latour 1918 aux accents giboyeux beaucoup trop prononcés. Mais progressivement ce défaut disparaît, même si le vin ne devient jamais d’une pureté totale. Ces évolutions me montrent qu’il eût été crucial d’ouvrir les vins beaucoup plus tôt.

Mes remarques sur ces quatre rouges seront les suivantes : il est certain que les deux plus vieux auraient été plus fringants il y a trente ans. Mais ils sont là, personne ne les a bus avant nous. Ils trouvent aujourd’hui l’issue pour laquelle ils ont été créés. Le Mouton 1898 me donne un réel plaisir. J’adore sa subtilité, sa délicatesse et sa finesse, et furtivement, j’ai pu retrouver ce que j’aime en Mouton, car comme pour chacun des vins, ce n’est pas facile de reconnaître son ADN sur ce que nous buvons. Le Pichon Baron 1904 est à la fois plus acide et plus velouté. Son fruit me séduit. Le Latour 1918 serait revenu à la vie quelques heures plus tard et ne nous a pas donné le plaisir escompté. Le faux Pétrus 1936 n’offre rien de bon,  même si c’est un 1979, car il a une absence de longueur et un gros défaut. Est-ce que le bilan est positif ? Pour moi il l’est, car l’important, c’est d’ouvrir ces témoignages qui ne demandent qu’à être bus. Florent est de mon avis. Est-ce que Richard, qui a bu tellement de vins extraordinaires est satisfait ? Malgré son regard critique sur les vins, je le crois volontiers. Nous n’avons pas laissé la moindre goutte des deux plus anciens. C’est la preuve que nous avons aimé.

Le supposé Constantia d’Afrique du Sud du début du 19ème siècle avait offert un nez de noix à l’ouverture, aussi ai-je demandé que l’on nous serve un Comté. Le nez est doux, fin et racé. La trace de noix existe. En bouche, c’est le citronné qui domine, puis un gras doucereux, avec une infime trace de glycérine. Ce vin est un objet vineux non identifié. Richard scrute la bouteille, d’une rare beauté, et confirme qu’elle a près de deux cents ans. Il confirme que le goût est bien de la première moitié du 19ème siècle. Les supputations ne vont pas beaucoup plus loin, car c’est un vin doux, dont la région pourrait être l’Afrique du Sud, mais sans certitude autre que le livre de cave là où je l’ai acheté. Le vin est-il bon ? Florent l’adore, Richard et moi l’apprécions plus pour la curiosité que pour une véritable valeur gustative. Nous sommes loin de la douceur captivante de mes vins de Chypre de la même période et des souvenirs de vins de Constance que j’ai déjà bus de cette période.

L’ambiance était amicale. Richard a une expérience unique au monde, ayant bu des vins rouges du 18ème siècle par exemple. Quand il nous raconte Lafite 1804 ou Lafite 1848 nous buvons ses paroles comme si nous buvions le vin. Florent pour son jeune âge a une expérience qui impose le respect. Cela me tente de l’aider, si je peux, à élargir le champ de ses connaissances déjà impressionnantes par certaines de mes pépites qui attendent en cave.

Nous avons bu des vins qui objectivement auraient dû être bus depuis longtemps. Mais nous les avons ouverts, et c’est cela qui compte. Et la délicatesse du Mouton 1898, le velouté du Pichon 1904 suffisent à mon bonheur. Aucun vin ne brillera à mon Panthéon mais nous pouvons être fiers d’avoir fait ce déjeuner où l’amitié n’est pas la moindre des richesses.

déjeuner au restaurant Laurent – photos vendredi, 13 février 2009

Cette bouteille de Pichon Longueville Baron 1904 est mise ici pour montrer le millésime. Celle qui sera bue, montrée après, n’en a pas.

La bouteille de Pichon Longueville 1904 Baron qui a été bue à ce déjeuner, de niveau presque dans le goulot.

La très belle capsule, très nette malgré 104 ans, indication des conditions de stockage dans la cave où elle a reposé.

Château Monuton-Rothschild 1898

La très jolie capsule du Chateau Latour 1918, qui, hélas, ne fut pas très brillant

L’étiquette du faux Pétrus

Le bouchon et la magnifique bouteille de ce qui est peut-être un Constantia Afrique du Sud 1ère moitié du 19ème siècle

deux potos des vins du repas

L’entrée au foie gras fourré, le ris de veau surmonté de copeaux de truffes

La côte d’agneau

Demain je vais atteindre mon cœur de cible jeudi, 12 février 2009

Demain je vais atteindre mon cœur de cible si l’on veut prendre une locution à connotation marketing. En quoi consiste mon cœur de cible ? Je voudrais pouvoir ouvrir certaines de mes bouteilles rares avec des amateurs qui désirent partager des bouteilles de même calibre. Et demain ce sera le cas avec deux personnes dont les parcours d’amoureux du vin excitent mon intérêt. L’un est un grand amateur, qui est relativement peu éloigné de ma génération, qui a bu certains vins que je pense ne jamais pouvoir boire. C’est un chasseur de trophées. Certains pourraient penser que c’est un buveur d’étiquette, ce qui serait un contresens absolu. Il est le contraire de cela : amoureux de certains grands vins comme Pétrus ou Lafite, il veut avoir bu toutes les années dont les bouteilles existent encore et il a bu un nombre de millésimes du 19ème siècle à côté duquel ce que j’ai eu l’occasion de goûter ressemble à un poids coq voulant faire trébucher un sumo. Il a décidé de ne plus avoir une cave étendue et se concentre sur les achats de pièces rarissimes dont il est informé. Le troisième de notre table sera un jeune amateur qui est beaucoup plus dans la ligne de ce que je fais. Il boit des trophées mais ne boit pas que cela. Et son blog abonde de dégustations qui ressemblent à celles que j’organise avec mon ami collectionneur américain. Je ne le connais que par le web, et nous nous rencontrerons demain pour la première fois. Le jeune apporte Château Latour 1918. Son aîné apporte Pétrus 1936, d’une année incertaine, mais que la curiosité impose de goûter. J’apporterai un Château Pichon Longueville Baron 1904 et une bouteille qui est mon Graal, un Constantia d’Afrique du Sud du début du 19ème siècle, vin qui fut pendant plusieurs siècles considéré comme le plus prestigieux de la planète. Quand je l’ai pris ce matin en cave, j’ai constaté une goutte qui fuit du haut de la bouteille. Je l’ai touchée et ma peau est imprégnée d’un parfum indélébile. Les Chanel, Jicky et autres Mitsouko sont de l’eau de rose à côté de l’explosion de poivre et d’épices de cette petite goutte, prometteuse d’un nirvana demain.

J’arrive au restaurant Laurent pour apporter mes deux bouteilles et donner les consignes pour que ces précieux flacons soient ouverts selon mes désirs. Daniel qui m’a assisté pour de nombreux repas se chargera de cette opération à 9h30 demain. Je demande, car je suis gourmand : « auriez-vous un plat que je puisse grignoter rapidement, car j’ai un rendez-vous dans peu de temps ». Patrick Lair qui me connait bien suggère un pied de porc. J’acquiesce. Pendant que la transmission de consignes se fait avec Daniel dans une grande salle, je jette un œil sur des myriades de verres. On m’explique que le Grand Jury Européen de François Mauss avait tenu séance en ce lieu.

Je vais pour m’asseoir en salle et je reconnais deux grands amateurs de vins. Il est hautement probable qu’ils boivent du bon. Qu’y a-t-il devant leurs places ? Un Richebourg et un Grands Echézeaux tous deux du Domaine de la Romanée Conti et tous deux de 2005. Pour eux la vie est belle. Etant placé trop près d’eux, je change de table pour les laisser bavarder sans que je n’aie la tentation de les écouter. Ils seront plus libres. Et, quand je m’assieds, je vois du coin de l’œil que deux hommes déjeunent avec La Tâche du Domaine de la Romanée Conti dont le sommelier me dira qu’elle est aussi de 2005. Où est-elle la crise ? Je fais remarquer à Patrick Lair la folie de boire maintenant les 2005, purs monuments des vins de Bourgogne. Que le monde a changé !

J’avais demandé à Patrick Lair de ne boire que de la Chateldon, mais voici que Daniel me pose un verre de blanc. Je reconnais assez facilement qu’il s’agit d’un riesling. C’est un Riesling trocken Leitz 2005 qui titre 13,5°. Ce riesling allemand est un rescapé de la dégustation du Grand Jury Européen. Je le trouve goûteux, gouleyant et joyeux. C’est un vin d’une grande précision.

Sur le pied de porc à la crémeuse purée, c’est un verre de rouge qui est déposé sur ma table. C’est pour moi un bordeaux, plutôt jeune, dont aucune aspérité particulière ne me permet de situer le climat. Lorsque Daniel me dit qu’il s’agit du Château Haut-Marbuzet 2004, j’ai la réaction de l’inspecteur Bourrel : « bon sang, mais c’est bien sûr ! », car ce vin a fait mon ordinaire pendant plusieurs années au restaurant proche de mon entreprise où j’avais mon rond de serviette. A l’époque, il y a vingt ans de cela, le Haut-Marbuzet était souvent considéré comme le plus méridional des bordeaux. Aujourd’hui, du fait de la montée en alcool de tous les vins, il est dans la norme. J’aime son caractère velouté et bien construit, le tannin étant discret. J’aime un peu moins une simplification du message, qui en fait un vin trop policé.

Si un ami avait déjeuné tout seul, je serais allé lui porter un verre de mon vin. Sœur Anne ne voyant rien venir, je suis allé saluer mes amis pour goûter leurs vins. Il y a deux mois, j’ai bu les sept vins de 2005 du Domaine de la Romanée Conti. Si le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2005 de ce jour ne m’étonne pas, conforme à l’image que j’avais gardée, le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2005 est le contraire de ce que j’avais ressenti. Il est maintenant d’un épanouissement spectaculaire, d’un charme généreux et d’une rondeur qui m’étonne même d’un vin de la Romanée Conti.

Demain est un grand jour, astiquons nos papilles et faisons-nous beau !

Une Turque 1999 partagée à table avec François Simon mardi, 10 février 2009

Je m’en veux. Depuis quelques années, je correspondais avec François Simon, et une occasion s’est présentée il y a deux ans de passer plus d’une journée ensemble. Pendant six heures, entre des repas partagés,  nous avons fait nos petits « états généraux » de la gastronomie française. De nombreux points de convergence nous unissaient, et les points de divergence ne nous séparaient pas, permettant de brosser un panorama où nous pouvions additionner nos visions. L’envie de faire ensemble des travaux pratiques existait, mais les emplois du temps phagocytent nos libertés. La conjonction de nos deux planètes se fait enfin, par un jour de pleine lune. C’est François qui a le choix du lieu. Il me propose de découvrir le restaurant Villaret près de la République.

Etant en avance, je constate que le menu et la carte des vins sont déjà posés sur notre table. Beaucoup de tables se remplissent alors que le carillon de vingt heures n’a pas encore sonné. La carte des vins est intelligente. Certains producteurs de talent sont plus que dignement représentés. Les prix sont normaux, mais ici où là figurent de bonnes pioches. Lecteur assidu des aventures de François Simon, j’envisage de le faire changer de type de vins. Lorsqu’il arrive, il se doute que j’ai déjà étudié la carte des vins et me demande si j’ai une suggestion. Je lui réponds que oui. Il me demande si j’ai des idées de plats et décide de suivre les miennes.

Le vin retenu est une Côte Rôtie La Turque Guigal 1999. Nous demandons qu’elle soit ouverte au plus vite et elle est carafée sans qu’on nous l’ait demandé. Le vin est une explosion de fruits noirs, sorte de jus de mûre ou de coulis de cerise noire. Il dégage une puissance et une jeunesse qui sont spectaculaires. On nous apporte un amuse-bouche en forme de crème de châtaigne et j’observe François connaissant son aversion pour les amuse-bouche mais il ne pipe mot. Cette entrée en matière me semble nécessaire car elle prépare le palais à recevoir le vin.

Je m’en veux, parce que François, tel le crotale jaugeant les dimensions de la mangouste qu’il envisage d’avaler, a réussi à me faire parler beaucoup plus que je ne l’ai fait parler. Goûter des plats en ayant ses commentaires eut été enrichissant et voilà qu’il me lâche – perfide – « vous en savez plus que moi ». Rien n’est plus inhibant pour lui demander un avis motivé.

L’entrée est une terrine de campagne maison et sa confiture d’oignon, accompagnée de mâche. Il faut éviter la confiture pour goûter la terrine aux accents fermiers. Son amertume trouve un écho dans le vin qui devient d’autant plus doucereux et trouve une belle longueur. Le mariage se fait bien, comme celui du jambon persillé et du Corton Charlemagne Coche Dury de ce midi.

Vient ensuite une belle tranche de faux-filet saignant à l’échalote, purée de champignons. La viande est goûteuse, bien ferme, mais je lui trouve un manque de mûrissement. J’ai pris soin d’éviter les échalotes et l’accord de la viande et du vin est saisissant. Je fais remarquer à François comme le vin face à la viande, devient « sang », offrant une continuité animale à son goût. Je suis aux anges car le vin plaît à François. Il sourit de plusieurs de mes remarques et je me rends compte qu’il m’entraîne à parler, prenant des notes, déjouant chaque tentative de le laisser s’exprimer.

Une fois le plat fini, le vin prend une sérénité remarquable, le fruit s’estompant au profit d’une structure un peu rêche et domestiquée. Le vin se présente maintenant avec une maturité confondante, très différente de la fougue du début de repas. J’aime ses deux formes d’expression.

François n’a pas fui le dialogue, bien sûr, ce qui a rendu nos échanges féconds, mais il était dans l’humeur de m’écouter. Lorsque nous avons commenté le lieu et les mets, nous étions d’accord. Lorsque l’on a abordé certaines pratiques des sites les plus huppés de notre capitale, nos avis tendaient à diverger sur les cérémoniaux, plus que sur les cuisines et les chefs. Nous avons réussi un petit fou-rire quand j’ai transformé une de ses phrases en la moulinant à la sauce Audiard : « l’intérêt d’être critique gastronomique, c’est qu’on travaille généralement pendant les heures de repas ». Cette Lapalissade façon Tontons Flingueurs nous a réjouis.

L’ambiance du restaurant Villaret est sympathique car l’on sent une implication de toute l’équipe qui est rassurante. Le décor est neutre, les tables petites. Les vins valent qu’on leur porte intérêt et la cuisine est très convenable, solide et sans chichi. Mais c’est surtout la joie d’être ensemble qui a fait la valeur de cette belle soirée. 

Corton Charlemagne Jean-François Coche-Dury 1996 au Coq de la Maison Blanche mardi, 10 février 2009

Une relation ancienne renoue avec moi. Nous convenons de nous retrouver à Saint-Ouen où il compte m’inviter et le mot de Saint-Ouen allume une petite lumière. Des souvenirs du restaurant Le Coq de la Maison Blanche où Alain François m’a accueilli naguère avec des vins que j’adore. Je suggère cette adresse à mon ami en prenant soin d’indiquer que la boisson sera pour moi. Quand mon ami arrive, tout est déjà organisé.

Alain François nous offre au comptoir un Chablis Maureau Naudet 2006 que je trouve particulièrement joyeux et goûteux. Ayant jeté un œil sur un énorme pot de jambon persillé, j’imagine que ce sera divin sur le vin que j’ai commandé. Quand nous nous plaçons à table, une intense odeur d’ail nous assaille. La jeune serveuse nous indique que ce sont des couteaux ; va pour les couteaux. J’ajoute à cela des coquilles Saint-Jacques nature, sans un gramme d’assaisonnement et nous voilà partis. Alain François est allé chercher la bouteille chez lui et demande au serveur de la manier avec précaution. Il s’agit d’un Corton Charlemagne Jean-François Coche-Dury 1996. Ce vin est une merveille. Le côté citronné est très marqué et ce qui est sensible, c’est le passage en bouche, qui décline une succession de saveurs comme en un toboggan. Richesse, longueur, précision, finesse s’appliquent parfaitement à ce vin de grand plaisir qui n’est ni opulent ni charmeur. C’est un vin d’esthète. Sur le jambon persillé vraiment réussi, le vin est à son aise, mais il déploiera l’étendue complète de ses qualités quand l’expansion se fera avec quelques degrés de température de plus. Les couteaux sont copieux mais un peu monotones, l’ail n’arrivant pas à réveiller une fadeur trop constante. Le vin accepte ce plat sans en tirer grand-chose.

Les coquilles Saint-Jacques, dans leur pureté, sont superbes. Et le Corton Charlemagne épanoui chante en bouche, citron, écorce d’orange, fruits frais roses et rouges, compotes de prunes avec très peu d’épices et beaucoup de sincérité. C’est un grand vin blanc de grande complexité. Un très grand moment de plaisir.

La Tâche 1989 à l’hôtel des Roches samedi, 7 février 2009

Nous allons déjeuner au restaurant de l’hôtel des Roches à Aiguebelle au Lavandou. La pluie s’est arrêtée, la mer de ce côté de la côte est plus calme. Nous sommes en avance et j’ai le temps d’étudier la carte des vins. Dans un recoin secret, je repère La Tâche 1989. Mathias Dandine qui vient nous saluer avec un large sourire est immédiatement informé de ce choix pour qu’il compose un menu adapté. Ayant eu le réflexe conditionné de prendre une pastille rafraîchissante en voiture, il me faut une coupe de champagne pour reformater mon palais, comme on fait « reset » sur son ordinateur. C’est un champagne Taittinger millésime 2003 qui fait office de logiciel de redémarrage. Un peu dosé à mon goût, il joue parfaitement son rôle sur des amuse-bouche aux goûts appréciés. Le jeune sommelier ouvre La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1989 d’un niveau très haut dans le goulot. Il se sert généreusement du vin dans son verre de contrôle, sorte de prélèvement à la source dont j’aimerais bien être non-imposable.

Le vin a un parfum envoûtant. Il y a comme un concentré de fruits noirs mais aussi un fumé qui évoque tous les trésors de la Romanée Conti. L’approche en bouche joue comme une douche froide, car le nez annonçait les trompettes de la renommée et voici qu’un vin un peu fatigué se découvre. Ceci est dû à l’ouverture trop récente. L’intérêt que je vais montrer à son retour à la vie est directement lié au fait que c’est La Tâche. Car pour un autre vin, j’aurais fustigé son évolution certaine. Mais j’ai raison d’insister, car lentement mais sûrement, La Tâche va déployer tout ce que j’aime dans ce vin.

Nous commençons par une petite entrée non annoncée, composée de langoustine et de coquille Saint-Jacques crues ou quasi-crues, et de caviar d’Aquitaine. Le sucré de la coquille et le salé du caviar ont un effet réanimateur spectaculaire sur La Tâche qui prend une salinité que j’adore.

L’épanouissement va devenir définitif avec la brandade de morue généreusement noircie de tranches de truffes noires excellentes. La chair de la morue a une astringence qui épouse totalement celle de La Tâche. Et ce moment est un délice rare. Le sommelier me demande quelle est l’influence de la truffe dans l’accord. Mon avis est que la truffe qui apporte son parfum entêtant au goût du plat n’apporte rien à l’accord, car c’est la chair rêche de la morue qui sort de La Tâche toute son âme. Le vin gagne en longueur, gagne en race, et je retrouve vraiment tout ce que j’aime.

Le plat qui suit est un cochon noir en cocotte, piperade de poivrons confits, crème de haricots blancs, jus infusé au thym. Le plat est délicieux et la chair du cochon est chaleureuse, surtout dans ses parties grasses. Je n’ai pas touché à la piperade qui ne convient pas au vin. La Tâche est évidemment à l’aise, mais comme je l’ai expliqué à Matthias Dandine, je préfère les accords plus provocants comme celui créé par la brandade que ceux qui rendent la situation trop confortable pour le vin.

La fin de La Tâche s’est bue sur un saint-nectaire et le dernier verre, dont la consistance est entre nectar et marc, est un bonheur incommensurable. Après une entrée en matière sur un vin un peu fatigué, le final en fanfare m’a comblé.

Nous avons pris rendez-vous avec Matthias pour aller communier aux festivités rugbystiques prochaines. L’atmosphère de l’hôtel des Roches est amicale et motivée. Ce fut un grand repas.

Hôtel des Roches – les photos samedi, 7 février 2009

Champagne Taittinger millésimé 2003

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1989, pointée comme une canonnière pour protéger notre table !

Le bouchon est d’une exceptionnelle qualité

La petite entrée ajoutée par Matthias Dandine qui se trouve à ma droite quand je lui fais cette remarque : "est-ce le "N" de Nicolas Sarkozy ?". Du tac-au-tac il me répond : "c’est le "Z" de Zorro !"

La brandade de morue avec son ajoute de tranches de morue pures, sous une avalanche de truffes

Le cochon noir et sa crème de haricots blancs, jus infusé au thym

C’est cette partie du plat, piperade de poivrons confits, que je n’ai pas mangée en pensant au vin

Selosse et Picasso à Antibes mercredi, 4 février 2009

Dans le sud, la pluie, toujours la pluie, c’est un peu comme les cheveux d’Eléonore. Nous décidons d’aller au musée Picasso d’Antibes, sans doute pour compenser notre regrettable absence à l’exposition parisienne. Nous demandons à un policier municipal de nous indiquer un bon restaurant. Il nous suggère le restaurant « les Vieux Murs ». Le restaurant fait face à la mer. La salle à manger est voûtée, avec des pierres apparentes en forme de pointes, comme dans une maison troglodyte. Les murs sont peints d’une couleur rouge ocre suggérant la terre de l’Esterel. La décoration est excessive, comme ces cuisines de chefs inquiets de montrer qu’ils ont du talent : il y a toujours le petit ingrédient de trop. Nous sommes les premiers arrivés dans ce restaurant. On nous apporte les cartes et je demande la carte des vins. Ma femme a choisi ses plats, et le fait que je ne réponde pas tout de suite car j’étudie la carte des vins semble ne pas être approuvé par les mimiques du serveur.

La carte des vins est assez ordinaire, mais on trouve quelques producteurs ou domaines qui ont de l’intérêt. Les prix correspondent à ce type d’endroit. Il y a un Pétrus à un prix himalayen, et quand plus tard, nous discuterons de cette carte, la maîtresse des lieux avouera sans aucune gêne que le prix est conçu pour la clientèle de Dubaï et de Russie. Il faut dire que les bateaux que nous avons vus dans le port suggèrent qu’une clientèle existe, qui ne bat pas pavillon français. Comme il arrive souvent, il y a une bonne pioche : un champagne « Substance » de Jacques Selosse. Je le commande et définis ensuite mon menu. Lorsque le jeune serveur apporte le vin, je lui demande la date de dégorgement. Cette question agit comme un déclic, car on se rend compte que mon choix de vin n’est pas le fruit du hasard. Le champagne a été dégorgé le 25 novembre 2003. Rien ne peut me faire plus plaisir, car les dégorgements anciens ont laissé du temps à la maturité.

On nous offre un amuse-bouche qui est une chiffonnade de saumon fumé. C’est une récompense pour avoir commandé un vin rare. Le champagne arrive à bonne température. La bulle est lourde et très présente. Le nez a des traces de caramel et de confiture de rose, que l’on retrouve aussi en bouche, avec du miel, et des fruits confits fumés. Le bouchon du champagne est déjà resserré comme celui d’un champagne ancien, et le vin affiche une maturité déjà forte. En buvant le champagne d’un plaisir fort, j’imagine qu’un client non averti aurait beaucoup de mal à trouver des repères dans ce champagne typé hors du commun.

Le foie gras frais est très agréable et le pain artisanal est bon. Le champagne commence à s’adoucir, à se civiliser. Le cabillaud est cuit avec une belle précision. J’adore la chair du cabillaud, dont l’amertume trouve un écho subtil avec le Selosse. L’osmose est d’une justesse rare. Je suis en plein bonheur. Le champagne se finit sur quelques fromages, qui calment encore plus les ardeurs du vin pour lui donner une sérénité sympathique. Je laisse une partie de la bouteille – peu en fait – pour la maîtresse des lieux dont l’abord un peu abrupt s’est adouci comme le champagne. Nous avons vraiment bien mangé, et ce champagne fut le centre d’un beau repas.

Le château Grimaldi domine la mer. Picasso en a utilisé quelques pièces comme atelier autour de 1946. De nombreuses œuvres de cette période féconde me plaisent particulièrement. Ce qui me fascine, c’est la mise en page de tout tableau ou tout dessin de Picasso. C’est toujours d’une justesse folle. Dans la faculté qu’a Picasso de capter le trait, la ligne directrice qui commande un portrait, je reconnais d’une certaine façon le sens de la synthèse qu’a la cuisine de Guy Savoy. Guy a un don pour définir une ligne directrice synthétique. Pablo fait de même par un trait d’une pureté simplifiée à l’extrême.

Par un temps de cap-hornier, nous avons su mêler le plaisir de la chère, avec un champagne que je chéris, et l’émotion artistique, avec un génie créateur que j’admire.

Antibes, restaurant les Vieux Murs et Selosse mercredi, 4 février 2009

Notez l’adresse, si vous voulez aller dans ce joli restaurant surplombant la mer

Le champagne "Substance" de Jacques Selosse

le foie gras et le cabillaud

l’assiette de fromages

je ne peux pas ne pas signaler ce triomphe du mauvais goût : le présentoir d’huile et de vinaigre, avec ses magnifiques représentations suggestives

c’était une bonne préparation à la visite du musée Picasso, pour se persuader que l’art n’est pas que dans les musées !!!