Archives de catégorie : dîners ou repas privés

déjeuner au Bristol pour un macaroni – les photos lundi, 22 décembre 2008

L’amuse-bouche en quatre parties dont une  bouchée ronde à l’huître, et une sucette

Royale de foie gras fumé à l’écume d’oseille,

L’oignon rosé de Roscoff, carbonara, royale de lard fumé, truffe noire et girolles

Macaronis farcis truffe noire, artichaut et foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan (un plat mythique – culte comme diraient les djeunes)

 

Lafite 1900 et Pichon Baron 1904 sur la cuisine de Patrick Pignol vendredi, 19 décembre 2008

Le « casual Friday » commence à devenir une institution. Le périmètre des présents change un peu, mais l’esprit est le même. Le retardataire institutionnel entretient sa réputation dans des limites toujours grandissantes. Comme c’est lui qui a apporté le premier vin nous avons la bouche qui s’assèche. Nous décidons d’inverser l’ordre des champagnes, pour ne pas ouvrir sa bouteille avant qu’il ne soit là.

Les vins ont été ouverts ce matin à 9 heures par Nicolas, le sommelier fidèle du restaurant de Patrick Pignol, tremblant de peur de fragiliser les vins précieux. J’ai mis au point le menu avec Patrick Pignol avant l’arrivée des convives. Un ami qui offre le champagne Dom Pérignon 1969 de la carte du restaurant a la bonne idée de demander des petits toasts à la truffe qui nous permettent d’attendre le dernier des sept de notre table. Le champagne est absolument délicieux. Il a une bulle active. Sa couleur ne montre aucun signe d’âge. Le parfum est pur, riche, envoûtant. En bouche, c’est une petite merveille de précision. Je suis sous le charme de ce champagne où le miel, la brioche voisine avec une belle trace citronnée. La longueur est extrême et la bouchée truffée est un vrai cadeau de Noël.

Une huître enveloppée dans une feuille d’épinard garde tout son iode, comme nous l’indique si bien madame Pignol. Elle se marie agréablement avec le Pavillon blanc de Château Margaux 1988 à la belle couleur, à la bouche intelligente combinant fraîcheur et délicatesse.  C’est surtout la fraîcheur finale qui me conquiert.

Une préparation d’oursins légèrement sucrés accueille un champagne Ruinart 1955. Sa couleur est nettement ambrée et le vin montre une fatigue certaine. Mais c’est un des miracles du vin, le plat réveille le champagne qui devient plaisant. Il s’endort à nouveau dès que le plat est fini. Il nous a communiqué l’espace d’un instant une belle émotion.

J’avais intercalé le blanc entre les deux champagnes pour que la bouche soit prête à accueillir le cadeau que je réservais à mes amis : Château Lafite-Rothschild 1900. J’avais annoncé que le niveau de la bouteille est bas, et que dans ces conditions, cette bouteille est une incertitude totale. Aussi ai-je prévu du secours. La bouteille est basse épaule. Le vin a une belle couleur foncée, variable selon la hauteur dans la bouteille et son sédiment est important. Le nez est extrêmement intense et un ami qui a professé l’œnologie dans une partie de sa carrière nous dit que cette odeur prenante est totalement caractéristique de Lafite. En bouche, nous sommes étonnés que le vin soit aussi présent. Son charme est intense. Je sens une légère fatigue mais cet ami dit qu’il n’y a pas l’ombre d’un défaut. Nous sommes enchantés, et le ravioli de céleri noyé sous des tranches de truffes est idéal pour faire ressortir les accents de truffe du vin. Le final est beau. Le vin est riche et velouté. Il y a même quelques soupçons de pétales de rose, « à la » bourguignonne. Nous prenons conscience que nous sommes en train de vivre un grand moment, car le vin s’épanouit et apporte la preuve de l’excellence légendaire de l’année 1900.

Le ris de veau juste saisi et légèrement caramélisé est absolument délicieux. Le Château Pichon-Longueville Baron 1904 que j’ai apporté en secours, dont le niveau est presque dans le goulot est d’une couleur irréellement jeune, car le rouge est d’un beau rubis. Le nez est un peu moins noble que celui du Lafite, mais on sent le cousinage des deux Pauillac. Le vin a de la personnalité, se montre jeune malgré ses 104 ans, et ce qui me plait énormément c’est cette vivacité de jeunesse. On sent bien que la race n’est pas aussi grande que celle du Lafite. Mais elle est grande et le vin me séduit.

La chair de l’agneau de lait est tendre comme un bonbon. Elle cohabite d’abord avec un Château Pibran 1928 apporté par mon fils, qui a la joie d’un 1928 mais manque un peu de coffre. Vient ensuite un Vega Sicilia Unico 1964 que j’ai apporté pour le cas où le 1900 et le 1904 eussent été tous les deux souffrants. Le vin est presque noir. Il est lourd comme le plomb et l’on pense à un vin de Porto qui serait sec. Il est torréfié, avec des traces de café. Son charme est rare et sa présence envahit nos palais. Il est fort mais séduisant et se boit goulûment. Il évoque de lourds vins du Rhône.

Le comté affiné de nombreux mois mais qui a gardé sa fraîcheur est merveilleux pour mettre en valeur le Jurançon 1929 des caves Nicolas. Ce vin est de la joie de vivre. Sa couleur est d’or, son nez est excitant d’agrumes poivrés et en bouche il court dans toutes les directions, mêlant les grains de raisins bien mûrs et bien ronds à de fines traces d’agrumes. Un vin de pur plaisir.

Un soufflé à la mandarine et une clémentine légèrement confite donnent la stricte représentation du Château Suduiraut 1944, bel exemple de ce vin qui est attachant quasiment à tous les millésimes. Le vin est serein, bien dessiné et récite ses agrumes orangés avec un bel entrain.

Nous votons, et sept vins sur neuf ont des votes. Le Lafite 1900 recueille trois votes de premier, le Dom Pérignon 1969 en recueille deux et le Pichon 1904 ainsi que le Jurançon 1929 en recueillent chacun un. Quatre vins premiers pour sept votants, c’est d’un bel éclectisme. Nous sommes deux à avoir dans le désordre le même vote que le vote de synthèse, celui que j’appelle le vote du consensus, qui est :

1 – Château Lafite-Rothschild 1900, 2 – Château Pichon Longueville baron 1904, 3 – champagne Dom Pérignon 1969, 4 – Vega Sicilia Unico 1964.

Mon vote : 1 – champagne Dom Pérignon 1969, 2 – Château Pichon Longueville baron 1904, 3 – Château Lafite-Rothschild 1900, 4 – Vega Sicilia Unico 1964.

Manifestement le Lafite 1900 a impressionné toute la table. Patrick Pignol, intéressé par notre expérience, qui me blague souvent en disant que mes reliques ont un ticket qui n’est plus valable a été enthousiasmé par le Lafite 1900. Si je ne l’ai mis que troisième, c’est que j’espère secrètement que les autres Lafite 1900 qui sont dans ma cave, de meilleurs niveaux, seront des premiers récurrents. Le 1900 et le 1904 proviennent d’un lot important que j’ai acheté récemment, d’une cave qui avait été murée pendant des décennies. La prestation des vins de ce jour confirme l’intérêt de ce lot, ce qui me satisfait au plus haut point.

Dans une ambiance joyeuse de collégiens en école buissonnière, sur une cuisine faite par un chef talentueux travaillant de beaux produits, sur des vins dont certains sont des témoignages extrêmement rares, nous avons lu une émouvante page d’histoire.

casual Friday – les photos vendredi, 19 décembre 2008

Le Chateau Lafite-Rothschild 1900 était le prétexte de ce déjeuner. L’intitulé gravé dans le verre est pour moi un sujet de fierté. Cette présentation est la même que pour Lafite 1945 que j’ai bu deux fois avec Alexandre de Lur Saluces en provenance de sa cave.

Les vins bus lors de ce déjeuner

Le goût de l’huître est merveilleusement préservé dans cette feuille; délicieux calamar

les plats principaux, ris de veau et agneau de lait

soufflé à la mandarine et clémentine légèrement confite pour le Suduiraut 1944

On croit que c’est facile de boire des vins anciens. Mais ça se mérite ! Ici, les sédiments du Lafite 1900 et du Pichon Baron 1904

Mon carnet de notes pour enregistrer les votes des amis. Quelques verres aux couleurs sympathiques

un ami tel Cartier-Bresson a voulu tirer mon portrait. Le temps qu’il trouve comment un appareil de photo se prend en main, et il réussissait.

dîner au Crillon avec Salon 1988 mardi, 16 décembre 2008

J’invite mon épouse pour un dîner à deux au restaurant « Les Ambassadeurs » de l’hôtel de Crillon. La décoration de Noël dans le hall d’entrée est magnifique avec de beaux sapins teints d’or et de rouge sang. Dans le salon que l’on traverse avant l’entrée du restaurant, une phrase gravée dans la pierre me laisse chaque fois songeur : « pends-toi brave Crillon, nous avons combattu à Arques et tu n’y étais pas ». Cette lettre du roi Henri IV au lieutenant colonel général duc de Crillon de 1589 est à double sens et d’une cruauté accrue par l’amitié que l’on ressent. La mettre en évidence n’est pas si flatteur pour Crillon.

Nous sommes accueillis avec des sourires. Ma femme n’aimant pas trop le temps que je passe à étudier les cartes des vins, j’avais choisi avant qu’elle n’arrive un Champagne Salon 1988.

La salle est imposante, richement décorée et le service est imprégné par la solennité du lieu. On sent les réminiscences du passé du chef car les emprunts au style Ducasse sont nombreux. Le Salon 1988 que David Biraud me fait sentir est d’un parfum intense où l’on reconnait le miel et les fruits jaunes.

Les hors d’œuvres sont intitulés « sur l’idée d’un plateau télé… » Et se composent d’une salade de carottes râpées en limonade, d’un gâteau de foie blond selon Lucien Tendret version 2007, d’un cromesquis de brandade de morue, d’une variation croustillante d’un jambon/cornichon et d’un bonbon de beurre de truffe noire à tartiner. C’est joliment préparé, les goûts sont purs sans être agressifs. On sent la dextérité du chef qui s’expose sans ostentation. C’est sur la brandade de morue que le Salon s’excite le plus, lourd champagne vineux évoquant la mirabelle et le miel, avec un soupçon de brioche. Sa longueur est extrême.

David étant un sommelier que j’apprécie particulièrement, nous parlons des infimes différences de température qui changent le goût du champagne. Car la sensibilité du Salon à cette variable est extrême.

C’est amusant comme le subconscient travaille, car je commence à sentir dans le Salon de la truffe blanche alors que mon entrée n’est pas encore servie. Il s’agit de noix de Saint-Jacques  en « casse-croûte », potiron et truffe blanche d’Alba. La sauce est divine, et épouse le Salon. La truffe blanche fait un lien avec le champagne. Les goûts sont délicieux, et si l’on veut entrer dans le détail, on eût pu oublier la fine gaufrette qui fait casse-croûte.

On nous apporte en surprise un homard bleu, pommes de terre au sel fumé et d’autres crispy. Ce plat est divin, la chair du homard extrêmement typée étant accompagnée d’une sauce précise. Cette gastronomie de tradition est vraiment parfaite. Le Salon est à l’aise sur la chair du homard.

J’ai choisi le lièvre de Sologne à la Royale et les pâtes à la châtaigne. C’est un lièvre à la Royale d’un beau classicisme et d’un goût rassurant : on se sent bien. Je constate avec plaisir que le Salon 1988 sait s’adapter à cette forte préparation. Sa flexibilité est définitivement prouvée. C’est un grand 1988, qui s’épanouit encore dans sa maturité.

L’heure est aux mignardises. Ma femme me regarde et me dit : « je ne t’ai jamais vu faire une bouche pareille ». Je suis en effet tétanisé, car au sein de ces petites gâteries, il y a des Chamonix à l’orange amère, sortes de madeleines au sucre glacé en trace et au goût d’orange amère, qui forment avec le Salon qui a perdu un peu de sa bulle et s’est réchauffé dans le verre un accord inimaginable. C’est tellement diabolique que cet accord a déformé mon visage. David en sourit.

Nous avons passé une agréable soirée, dans un lieu prestigieux, avec un service parfait qu’on aimerait bien débrider un peu pour secouer la solennité. Mais est-ce opportun ? David aura été un compagnon de route parfait, le chef a montré la maturité de son talent sur des recettes solides et sereines. Ce fut une soirée harmonieuse.

dîner au Crillon – les photos mardi, 16 décembre 2008

Dans un tel cadre, on ne peut que se sentir bien !

hors d’œuvres « sur l’idée d’un plateau télé… » : salade de carottes râpées en limonade, gâteau de foie blond selon Lucien Tendret version 2007, cromesquis de brandade de morue, variation croustillante d’un jambon/cornichon et bonbon de beurre de truffe noire à tartiner.

noix de Saint-Jacques  en « casse-croûte », potiron et truffe blanche d’Alba

homard bleu, pommes de terre au sel fumé et d’autres crispy

lièvre de Sologne à la Royale et les pâtes à la châtaigne (avant la sauce et après la sauce)

 

dîner chez des amis amateurs de vins vendredi, 28 novembre 2008

Chez des amis dont la femme est une excellente cuisinière, l’apéritif est un Champagne Louis Roederer à l’agréable goût de revenez-y. Le Muscat Herrenweg de Turckheim Zind-Humbrecht 1998 accompagne une délicieuse entrée aux écrevisses. Un Pommard Hospices de Beaune élevé par Pierre André 2003 est troublant pour un pommard mais fort plaisant sur un beau canard bien dodu. Le Château Giscours 1982 est un margaux assez méthodique qui suit bien l’excellence des fromages du plateau. Un Ramos Pinto Porto de 30 ans conclut le repas sur de belles notes fumées.

 

Muscat Herrenweg de Turckheim Zind-Humbrecht 1998

Château Giscours 1982

Pommard Hospices de Beaune élevé par Pierre André 2003

Ramos Pinto Porto de 30 ans

déjeuner au restaurant de Jacques Le Divellec mercredi, 26 novembre 2008

Une coutume s’est créée : je vais déjeuner avec Jacques Le Divellec en son restaurant quand il me faut préparer un dîner de vins qu’il réalisera, le 107ème. Le restaurant est en effervescence, car c’est ici que les hommes politiques viennent lustrer leurs alliances, dans des temps où le tangage des uns ne signifie pas que les autres soient en mer calme. Aussi Jacques se lèvera souvent de table pour surveiller le ballet des intrigues pesées au trébuchet des alliances et des compromissions. L’amuse- bouche est délicieux et Olivier, le sympathique sommelier veut me faire goûter un  Bordeaux Supérieur dont je n’ai pas mémorisé le nom. Nous nous regardons avec Jacques, car ce vin n’a rien. Pas la moindre petite esquisse d’une personnalité. Le vin est vite remplacé par un Château Grand Corbin 2000, un beau saint-émilion chaleureux. Il accompagne avec bonheur des petites huîtres de Marennes aux évocations marines délicates. Les impressionnantes coquilles Saint-Jacques – Jacques me dit qu’il y en a trois par kilo – servies entières, c’est-à-dire non émasculées, ce que j’aime, sont délicieuses et les petits légumes sont croquants. Le chariot de dessert comprend une majorité de compotes, ce qui est une belle idée. Le talent de Jacques s’est joyeusement exprimé pour ce déjeuner de travail.

Les amuse-bouche

Les huîtres et le Grand Corbin 2000

Les coquilles et les légumes

dîner d’amis avec Romanée Conti 1981 à Taillevent vendredi, 21 novembre 2008

Quittant le Grand Tasting je rejoins mon épouse et nous arrivons au restaurant Taillevent pour un dîner de huit pour fêter un ami grand amateur de vins qui franchit la barre symbolique des cinquante ans. Il a fourni tous les vins sauf le premier et le dernier. Beaucoup seront bus à l’aveugle car il y a autour de la table de solides spécialistes des vins. Le menu a été mis au point par Jean-Marie Ancher, le directeur du restaurant, le chef Alain Solivérès bien sûr, et Jean-Philippe Durand, amateur et esthète, cuisinier de talent de surcroît.

Le menu : amuse-bouche / carpaccio de coquilles Saint-Jacques marinées aux agrumes / épeautre du pays de Sault en risotto, cuisses de grenouilles dorées / homard et châtaignes cuisinés en cocotte lutée / noix de ris de veau braisée aux légumes d’automne / perdreau patte-grise rôti salsifis et girolles / noisettes de chevreuil dorées sauce poivrade / stilton / mandarine en fraîcheur acidulée.

Le premier vin a été apporté par Jean-Philippe Durand, un Champagne Selosse millésimé 1998. Le miel est très imprégnant ainsi que le caramel. La longueur est belle et l’ampleur de ce champagne lui donne un goût plus évolué que ce que son âge supposerait. Quelques amis ont trouvé à l’aveugle ce champagne.

Le Bordeaux Supérieur «  G » de Château Gilette 1958, vin sec de cette propriété emblématique du Sauternes a une sucrosité forte associée à une  grande amertume. Après avoir erré dans mes supputations dans une autre région, j’ai imaginé qu’il s’agissait du vin sec d’un sauternes. C’est une chance, car la complexité incroyable de ce vin brouillait toutes les pistes. C’est vin déroutant mais excitant du fait de son originalité extrême. Le sucré de la coquille exquise rebondit sur le vin.

Le Chablis Grand Cru Les Clos Domaine François Raveneau 1978 est un vin magistral. Il combine des notes doucereuses à du litchi. Je pense à deux pistes : un Vouvray ou bien un chablis très ancien. Luc, l’ami qui nous reçoit, me pousse dans mes retranchements pour que j’accouche de Chablis alors que j’hésite. La minéralité et les agrumes m’y poussent. Ce vin délicieux, rareté historique, fait plus vieux que son âge, comme plusieurs ce soir, sans que cela nuise à son charme. L’épeautre est divin en risotto et c’est la sauce très réduite qui cajole le mieux le chablis.

Le Montrachet Grand Cru Baron Thénard 1988 est suffisamment lisible pour que nous trouvions tous sa région et sa sous-région. Mais le manque de puissance ne pousse aucun de nous à simplifier le nom de l’appellation pour ne garder que le mot le plus noble que nous attachions à d’autres : Montrachet. C’est un grand vin très subtil qui accompagne le homard époustouflant. Ce beau vin est déjà évolué.

Deux vins nous sont servis ensemble et beaucoup d’amis répondent presque instantanément « rive gauche – rive droite ». Manuel Peyrondet qui vient d’être sacré meilleur sommelier de France s’amuse de nos recherches mais vit avec respect l’expérience passionnante qui se déroule. Le Château Haut-Brion rouge 1958 a une trame très serrée et un goût fumé et de truffe intense. Comme un ami insistait sur Pauillac, je n’osais répondre Haut-Brion alors que je venais d’en goûter trois au Grand Tasting il y a quelques heures. Je m’en suis voulu d’avoir cette prudence. En revanche, je n’aurais pas trouvé le Château Ausone 1958, vin plus doux, arrondi dont j’entends mes amis parler de puissance à mon étonnement. J’ai préféré le Haut-Brion alors que beaucoup ont préféré Ausone. Ces deux vins de 1958 ont brillé sur la noix de ris de veau croquante à souhait, aux légumes à se damner.

Il est bien nécessaire de ne plus boire « à l’aveugle » pour se recueillir sur le vin qui suit. La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1981 est le rêve absolu. Et le fait de savoir ce que l’on boit permet d’en jouir encore plus. La robe est d’un rose pâle. Le vin n’est pas tonitruant. Son nez évoque les fleurs et fruits roses. En bouche, ce sont les pétales de rose, et les fruits roses, qui sont exposés avec la puissance du son mise à son maximum. Ce vin est horizontal. C’est-à-dire qu’à chaque seconde ou dixième de seconde de son passage en bouche, chaque élément chromatique est étiré à l’infini. La plénitude en bouche est invraisemblable et la complexité infinie elle aussi. La longueur est extrême. La salinité est une signature du domaine, mais ici exposée avec la justesse d’un stradivarius. En fermant les yeux, on comprend ce qui fait la magie de ce vin et une preuve supplémentaire en sera donnée par le vin qui suit, pourtant parmi les plus grands, mais qui montre un écart spectaculaire avec ce génie. Cette remarque ne diminue en rien la beauté du vin qui va suivre, mais confirme pourquoi Romanée Conti est cette légende vivante. Le perdreau n’a pas servi de tremplin au vin qui trônait seul au firmament.

Le Musigny Vieilles Vignes Comtes de Voguë 1988 est assurément un grand vin. Riche, tout en plaisir, il a une force de persuasion extrême. Beaucoup plus puissant que son prédécesseur, il est à l’aise avec les merveilleuses noisettes de chevreuil. Dans un autre repas, c’est lui qui serait la vedette.

Le Château Rieussec 1978 est bu à l’aveugle. Sa force, sa présence, son or profond sont particulièrement brillants. Il a une densité de trame et une intensité de fruit confit qui ravissent. Le stilton est trop affiné pour que le mariage soit consommé avec le beau sauternes.

Le Château Rieussec 1958 est délicieux et la mandarine le met en valeur de parfaite façon. Nous sommes aux anges avec ce subtil sauternes à la trace éternelle dans le palais.

Manuel nous offre maintenant un Porto Quinta do Noval Colheta 1968, de l’année qui manquait dans les séries de « 8 ». Ce porto est un véritable bonbon qui se déguste comme une mignardise qu’il accompagne parfaitement.

Luc a soufflé la bougie symbolique. Nous lui donnons nos cadeaux. Tiens, comme c’est curieux, nous offrons tous des vins ! La générosité de Luc est incroyable. Son choix de vins dans une poésie numérique est d’une subtilité que seule permet sa connaissance des vins. La cuisine fut splendide et délicate, dans la lignée de l’image de Taillevent. Le service chaleureux et amical ainsi que les commentaires éclairés de Manuel nous ont permis de vivre un de ces moments de gastronomie dont on se souvient toute une vie. Une Romanée Conti 1981  et la chaleureuse générosité de notre ami impriment à jamais leurs traces dans nos mémoires.

dîner au Taillevent – photos des plats vendredi, 21 novembre 2008

amuse-bouche

carpaccio de coquilles Saint-Jacques marinées aux agrumes / épeautre du pays de Sault en risotto, cuisses de grenouilles dorées

homard et châtaignes cuisinés en cocotte lutée (avant ouverture et après)

le homard servi

noix de ris de veau braisée aux légumes d’automne (avant et après le service de sauce)

perdreau patte-grise rôti salsifis et girolles / noisettes de chevreuil dorées sauce poivrade

Luc souffle la bougie de ses 50 ans. On dirait un tableau de Georges de La Tour (j’ai doublé la bougie ici)