Archives de catégorie : dîners ou repas privés

déjeuner chez Alain Senderens – les photos jeudi, 12 juin 2008

Je suis désolé, mais les photos sont toutes rouges. Est-ce dû à l’éclairage de la jolie salle classée du restaurant ou est-ce mon appareil ? Je ne sais pas, mais ce reportage me rend rouge de confusion.

Château de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1990, c’est une institution !

J’ai ajouté le joli texte de Jean-Pierre et François Perrin.

Hélas, la bouteille ne fut pas au rendez-vous.

voici le sédiment collé au verre, qui indique un accident de stockage.

des plats très goûteux

ce n’est pas la brandade telle que je l’imagine, même si l’interprétation est belle

le divin millefeuille est un must de cette belle maison.

(excusez le rouge que je n’ai pas su corriger de toutes ces photos)

La tante Marguerite de Dominique Loiseau mercredi, 11 juin 2008

De temps à autre, je rencontre mon frère et ma sœur. Mon frère m’invite chez La Tante Marguerite, l’une des succursales du groupe Bernard Loiseau, à un jet de pierre de l’Assemblée Nationale. J’arrive en avance et je félicite le personnel du fait que Dominique Loiseau a reçu l’insigne de la Légion d’Honneur des mains de notre président Nicolas Sarkozy. Le maître d’hôtel me signale qu’elle sera présente ce midi en cet établissement. Je flâne au soleil en attendant frère et sœur et j’entends : « François ». Dominique vient d’arriver. Nous bavardons quelques minutes. Elle va déjeuner avec des politiciens de sa région. Nous prenons place en famille. Je commande un jambon persillé et un ris de veau. Cette cuisine bourgeoise simple est bien exécutée. Il y a ici des politiciens connus de tous horizons, qui pensent plus aux idées qu’ils défendent qu’aux mets dans leurs assiettes. Il faut donc du solide et clair. C’est le cas. La carte des vins est aussi maigre que le programme du parti socialiste, mais le Pommard du château de Pommard 2004 que nous prenons est simple et de bon aloi comme le programme de la ligue communiste révolutionnaire. Dominique Loiseau est radieuse et incarne avec solidité l’avenir de son groupe. Ce fut un beau déjeuner.

déjeuner au restaurant de Guy Savoy mardi, 10 juin 2008

Avec un membre assidu de l’académie des vins anciens, je me rends chez Guy Savoy pour me ressourcer à son talent. Tout ici respire la joie de vivre et l’expression naturelle de la créativité culinaire. N’ayant pas pris de notes, je ne peux retranscrire les nuances de plats fabuleux et inventifs comme les petits pois qui évoquent ceux de mon enfance, une sole et un ris de veau aux saveurs précieuses. Le souvenir le plus présent est celui du vin, un Musigny Jacques Frédéric Mugnier 1989.

Ce vin est confondant de perfection et de précision. Ayant eu la chance de rencontrer il y a peu Frédéric Mugnier, j’ai retrouvé en buvant ce vin toute la démarche d’excellence suivie par ce brillant domaine.

(j’ai ajouté une deuxième photo, car on reconnaît Guy Savoy caché derrière la bouteille, en une posture très caractéristique).

quand on voit une forme comme celle-là, on sait qu’il y a une surprise en dessous

ce plat de petits pois est un monument. La saveur devrait être inscrite au patrimoine de l’humanité

 

quand on voit des trous trous, on se dit qu’il va se passer quelque chose. la preuve, on verse un liquide

il est clair que ça fume ! esprit El Bulli, as-tu contaminé Guy ?

comme les sondes spatiales qui s’approchent de l’astre à observer, nous commençons à voir plus clair sous les nuages galactiques

la sauce délicieuse qui accompagne le homard. On reconnaît des brioches à faire pleurer les crans de ceinture

débauche de plats magnifiques

l’esthétique des desserts est remarquable.

Grâce à ces photos, on sent l’inventivité libérée d’un chef au talent quasi infini.

restaurant l’Agapé : une belle découverte lundi, 9 juin 2008

De temps à autre, Nicolas de Rabaudy me suggère d’essayer une nouvelle table. Le restaurant Agapé est une nouveauté, créée par des transfuges de l’Arpège, formés par Alain Passard et détachés avec son assentiment, exactement comme ce fut le cas, avec le succès que l’on sait, pour l’Astrance.

J’élargis la table à d’autres journalistes car c’est l’occasion d’en revoir certains que j’apprécie. J’arrive en avance et découvre une salle aimablement décorée, avec des tons ocre et sable apaisants. L’équipe est jeune et souriante. Je fais un tour rapide du lieu et qui vois-je ? Christian Le Squer, le talentueux chef de Ledoyen déjeune avec deux « jeunes » hommes, l’un né en 1927 et l’autre en 1912 qu’il présente comme les inspirateurs de sa cuisine notamment à l’ETC qu’il vient d’ouvrir, ETC signifiant : Epicure Traditionnelle Cuisine. J’ai le temps de discuter longtemps avec les trois compères enjoués et malins comme des gamins sûrs de leur fait.

Mes invités arrivent et je commande, sur les suggestions de Laurent, le compétent maître d’hôtel directeur que j’avais côtoyé à l’Arpège un Champagne Jacques Lassaigne à Montgueux 2003. Le nez est très plaisant, engageant et racé, et l’attaque en bouche est très prometteuse. Il y a la brioche, le caramel et le beurre que j’aime. Mais le champagne fait pschitt, car il ne tient pas la longueur. Il y a une belle ouverture, et puis rien. Il se réveille un peu sur la nourriture, mais cette absence de longueur est un handicap.

Nous goûtons une émulsion au fenouil goûteuse mais presque un peu trop. Je commande un veau cru-fumé de Corrèze d’Hugo Desnoyer, citron vert vanille et herbes fines qui est absolument délicieux, tant la qualité de la viande est extrême, et un foie gras de canard de la ferme de Puntoum, radis et rhubarbe, dont la cuisson est d’une précision parfaite. Sur les conseils de Laurent, nous goûtons un Pouilly-Fuissé Le Moulin, Terroir de Vergisson de Jean Manciat 2006. Je suis dix fois plus favorable à cette suggestion d’un vin fruité, joyeux, équilibré et d’une justesse de ton remarquable. Sur le veau, c’est un véritable bonheur, car le veau cru rend le vin sucré, avec une douceur extrême. L’accord est intéressant avec le foie gras, mais beaucoup moins vibrant.

Comme il en a l’habitude, Nicolas a dans sa musette un vin. Il s’agit d’un Bourgogne Vézelay Le Clos du Duc de Marc Meneau. Il a reçu une médaille d’argent à Macon en 2006. Les médailles, c’est bien, mais même décoré, ce vin de Vézelay est un peu faible. Il n’aura que le mérite de l’anecdote. Le pigeonneau de Sologne, endive carmine, orange amère est très bien exécuté et dosé. Sur le Pouilly-Fuissé décidément délicieux, l’accord se trouve aussi. Un dessert mêlant cerises et fraises se mange avec gourmandise.

Que dire de ce lieu ? On sent que l’on démarre, donc tout n’est pas encore huilé. Mais la cuisine est d’une belle orientation et le moment venu, la première étoile devrait encourager les efforts. La carte des vins est un peu maigre, mais va s’étoffer. Tous les ingrédients sont là pour que l’Agapé devienne une belle table parisienne.

déjeuner au restaurant Agapé – les photos lundi, 9 juin 2008

Champagne Jacques Lassaigne brut nature blanc de blancs 2003

Pouilly Fuissé Terroir de Vergisson Jean Manciat 2006 et Le Clos du Duc Bourgogne de Vézelay (médaille d’argent 2006 à Macon)

de beaux plats à la présentation élégnate

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c’est appétissant

un très beau dessert.

Ces photos montrent que ce restaurant sera vite étoilé.

Beau Pomerol un lendemain d’Astrance samedi, 7 juin 2008

Le lendemain, mon fils annonce sa venue avec son fils. Je vais vite faire des courses, et sur un filet de bœuf aux pommes de terre de Noirmoutier, j’ouvre un vin que j’aime, Château Nénin Pomerol 1990. A la première gorgée, l’écart de structure par rapport aux vins de la veille paraît spectaculaire, même si le vin est bon. Mais la goûteuse viande rouge emmène le Nénin dans son sillage et le vin devient grand. Il est définitivement bordelais, avec cette envie de bien faire fort polie. Il est agréable, très pomerol, et nous satisfait car le niveau fut au plus bas avant que nous n’ayons fini la viande. La mémoire des vins du Rhône et du Latour était trop vivace. Mais ce vin doit faire partie du paysage de l’amateur de grands vins.

Dîner à l’Astrance avec des vins que je chéris vendredi, 6 juin 2008

Dîner à l’Astrance avec des vins que je chéris

Avant cette rencontre, j’étais passé au restaurant l’Astrance pour livrer les vins d’un dîner rassemblant famille et amis avec ma femme, ma fille cadette et son mari, mon fils et deux amis partenaires de mes plus grands repas. Pascal Barbot est en jogging, souriant comme à l’habitude. Je choisis le champagne du soir sur la carte et donne à Alexandre les consignes d’ouverture de mes vins.

Lorsque tout le monde arrive nous prenons place à la belle table où les assiettes de présentation sont de gros disques de verre multicolores comme des bonbons acidulés. Le Champagne Salon 1988 est absolument extraordinaire. Il progresse à chaque expérience que j’en fais ce qui indique qu’il est en train de franchir une étape majeure de sa vie. Fort comme un coup de poing, il s’impose en bouche sans possibilité de discussion. Quelles saveurs dominent ? Les citer serait réducteur, car si le miel, le caramel, la brioche sont présents, ce qui s’impose, c’est la longueur et la présence. Sur le champignon de Paris et sa petite goutte de crème citronnée, c’est un régal absolu.

Le plat suivant rassemble un bouquet de verdure de légumes croquants et du homard. Ceux qui ont encore du Salon peuvent le boire sur les petits légumes aux goûts très forts. Et le homard est accompagné par Château Latour 1989 pour un accord d’une émotion infinie. Pour que l’on puisse lire ce compte-rendu en saisissant l’absence totale de nuances et d’objectivité qui est la mienne, je suis vis-à-vis de Pascal Barbot dans la position du juge des championnats du monde de patinage artistique qui ne donne de bonnes notes qu’aux sportifs de son pays. Pascal Barbot est du mien. Qu’on se le dise. La chair d’une délicatesse infinie épouse le Latour velouté dans une union qui serait floutée sur Canal + aux heures où les enfants sont théoriquement endormis. Ce velouté doucereux du Latour permet de comprendre la pureté d’une trame de vin qui est un exemple assez unique. Le vin est grand, noble, structuré et dégage une impression de solidité à toute épreuve. C’est un grand vin.

Chez le caviste que j’avais visité ce midi, je n’avais pas été attentif à l’étiquette. Car le vin est un Vega Sicilia bien sûr, mais c’est le Valbuena et non l’Unico, ce qui explique son prix plus cohérent. Je ne regrette pas cette erreur, car le Vega Sicilia Valbuena 1980 est un vin splendide. Presque fumé, typé comme un vin espagnol fier, il nous charme par sa personnalité. Il y a des fruits noirs qui subsistent encore. Sur le rouget, l’accord se trouve naturellement. Les asperges ne réagissent pas sur le vin qu’il ne faut boire que sur le poisson. La surprise de ce bel hidalgo nous donne des sourires de plaisir.

Christophe Rohat a l’habitude de nous faire des niches. Il dépose devant moi deux ébauches de pizzas très fines sans autre forme de procès. Alors, comme le prêtre à l’église, je romps le pain et le partage, pour le plus grand bonheur du Vega Sicilia.

Sur un paleron aux petits pois, l’Hermitage Jean-Louis Chave 1989 nous fait gravir une nouvelle marche de plaisir. Ce vin est généreux, joyeux, riche, et s’accorde au gras intense de la viande de la plus belle façon. Cette joie simple est spectaculaire. Il y a à côté de la viande une petite crème à l’olive noire et à la réglisse qui est une vraie bombe. Je pense évidemment qu’un vin de Chypre 1845 dompterait cette saveur explosive, mais le Chave s’en tire très bien, la réglisse tirant de nouvelles nuances de sa solide trame.

Le canard croisé, spécialité du lieu à l’instar du champignon de Paris, est doté d’une sauce diabolique. Et de petites pommes de terre fondent dans la bouche comme d’impérieux bonbons. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1992 me met en transes. Ma fille cadette me regarde comme si j’étais possédé par un vil démon. Je glousse, je me tortille sur ma chaise. Je fonds de plaisir. Car ce vin, c’est le nirvana, c’est l’arrivée d’un marathon quand on coupe le fil du vainqueur, c’est le rire de Ninotchka ou le premier pied posé sur la lune, c’est divin. Comment caractériser cette émotion ? C’est en fait le goût que je souhaite. Et je le tiens en bouche. D’une année qui n’est pas la plus lyrique, ce vin a attrapé un équilibre qui lui permet de libérer tout son charme voluptueux. Je suis aux anges, et c’est la sauce qui vibre amoureusement avec le vin immense. On ne peut pas imaginer le plaisir que ce vin me donne quand il m’inspire cette phrase : « c’est ça », comme un eurêka.

Le gorgonzola avec une fleur de courgette fourrée de framboises fraîches est une pause dans mon rêve, car cet exercice de style n’apporte pas grand-chose à nos palais. On retrouve l’inventivité du chef sur les trois desserts qui accompagnent Château d’Yquem 1988. D’une couleur pâle pour son âge, cet Yquem est le meilleur des 1988 que j’aie bus depuis longtemps, car je craignais un certain passage à vide pour ce vin depuis une dizaine de mois. Or ici, c’est un bijou. C’est de l’horlogerie de compétition, car tout en lui est d’une précision absolue. Il est, pour un sauternes de vingt ans, la perfection de ce qu’un tel vin peut devenir. Bien sûr, des décennies de plus vont lui faire gravir l’échelle de Richter des plaisirs terrestres. Mais à ce stade il est grand. Ce n’est pas la compote d’abricots et mangues qui se marie le mieux, alors que la couleur le suggère, c’est le blanc-manger délicieux qui excite le mieux les saveurs que l’Yquem peut révéler. Une préparation de fruits secs convainc un peu moins.

Ce repas me plait à plus d’un titre. On dit assez souvent que les vins ressemblent aux vignerons qui les font. Si j’osais, je dirais que les vins de ce soir me ressemblent, car j’ai voulu que ce soient eux et parce que je les aime. Ayant quitté pour un soir le monde des vins anciens, ce sont ces vins que je veux. Salon 1988 au sommet de son art, quatre rouges qui ont formé une progression gustative éblouissante avec Latour qui a sans doute la trame la plus noble et la Mouline au charme infini, puis l’Yquem à la juvénile perfection. Ces vins, je les aime, même celui dont j’ai acheté ce midi le second vin croyant avoir acquis le premier. Emotion familiale quand j’ai raconté la rencontre d’un amour de mon père d’il y a 74 ans, amitié et sensibilité du plus talentueux des chefs que j’aime. Ce bouquet de motifs de joie est plus que garni. L’ami fidèle demande si nous votons. Ce sera un vote informel dans lequel je mettrai : 1 – La Mouline 1992, 2 – Salon 1988, 3 – Latour 1989, 4 – Yquem 1988. Pour les saveurs pures, c’est la chair du homard qui m’a conquis et l’accord de la sauce du canard avec la Mouline fut enthousiasmant. Que d’émotions dans un jour béni où amour, amitié, talent culinaire et vins parfaits ont illuminé mon ciel.

Dîner à l’Astrance – photos des plats vendredi, 6 juin 2008

champignons de Paris et foie gras, vaisseau amiral de l’Astrance, homard et légumes croquants

Christophe Rohat a mis ces tartes fines devant moi. A moi de me débrouiller !

rouget sur asperges, paleron sur petits pois, avec une crème à la réglisse

canard croisé, puis gorgonzola avec une fleur de courgette fourrée de framboises

ce sont vraiment des framboises !

malgré l’harmonie de couleurs avec l’Yquem, ce n’est pas le premier dessert mais le second, un blanc-manger, qui a le plus fait briller l’Yquem

 Autre dessert délicieux mais moins adapté à l’Yquem.

déjeuner et dîner au restaurant Laurent – onze heures à table !!! vendredi, 30 mai 2008

De temps à autre, avec deux des plus fidèles de mes dîners, présents au centième, ce qui signifie beaucoup, et avec deux membres de l’académie des vins anciens, nous nous retrouvons pour un « casual Friday lunch », afin de partager des bouteilles apportées par certains d’entre nous. L’un des académiciens ayant cinq vins espagnols qu’il veut ouvrir, un des fidèles apportant un champagne et l’autre se chargeant des liquoreux, je trouve opportun de ne rien apporter, une fois n’est pas coutume, afin que le déjeuner ne finisse pas dans la débauche.

Nous nous retrouvons au restaurant Laurent qui, pour les fauves que nous sommes, est notre point d’eau favori. Le champagne apporté par l’un des amis est un champagne Crémant brut blanc de blancs Abel Lepitre 1979. C’est une curiosité, car la dénomination de « Crémant » a été abandonnée par la Champagne au profit d’autres régions mousseuses en 1974. Le vin a perdu toute sa bulle mais pétille en bouche, et plus d’un amateur dirait qu’il est madérisé. Lorsque l’on a accepté une certaine amertume, on voit apparaître des fruits bruns comme des prunes, et, avec un peu d’imagination, on trouverait un cousinage avec un sauternes qui aurait mangé son sucre. Le champagne un peu rebutant au début se domestique sur les petits amuse-bouche délicats.

Nous commençons la série espagnole par un Rioja Marqués de Riscal 1959 qui est un peu fatigué au premier abord mais va ordonner progressivement ses composantes. Il sert de faire-valoir à un Rioja Vina Real Reserva Especial des caves viticoles du nord de l’Espagne 1952 absolument charmant. Ce qui fascine, c’est l’équilibre qu’il a atteint. Sa plénitude est convaincante, et avec un peu d’imagination encore, on trouverait quelques accents de chambertin, mais un cran en dessous.

Sur ces vins nous goûtons une nouveauté, un thon fumé associé à du foie gras, d’un « graphisme » plutôt inhabituel pour Alain Pégouret. Le manque de délié gustatif me laisse un peu au bord de cette expérience.

Le pigeon est fort goûteux sur un  Rioja Reserva Especial Martinez Lacuesta 1964 à la personnalité plus virile que celle du 1952, mais avec moins de charme et de complexité. Sur les feuilles de branches de fenouil qui accompagnent le pigeon, l’accord est vibrant car le vin s’excite. J’aime un peu moins l’accompagnement à base de maïs qui représente un vagabondage gustatif quand on aimerait rester sur la tendreté de la chair du pigeon.

C’est maintenant qu’arrivent les deux vedettes espagnoles de ce déjeuner. Le Vega Sicilia Unico 1965 est spectaculairement bon, car il a l’équilibre et la sérénité du 1952, mais sur une structure beaucoup plus noble. C’est un vin riche, joyeux, facile à vivre, sans complication inutile mais une belle palette aromatique. Il est tellement rassurant ! Le Vega Sicilia Unico 1968 est complètement différent. Il a plus de fruit, plus de jeunesse, et sans doute plus de potentiel à terme. Il est un peu plus complexe, mais c’est quand même le 1965 qui gagne, du fait de sa sérénité assumée. Sur le pied de porc, traditionnel succès de la maison, les papilles et les vins se régalent.

Un classement provisoire de ces cinq espagnols serait : 1965, 1968, 1952, 1964 et 1959. Les deux Vega se finissent sur des fromages improvisés.

Lorsqu’on nous sert à l’aveugle les liquoreux, sans boire une goutte, juste au nez, je trouve le vin et l’année. C’est suffisamment rare pour que je m’en vante. Il s’agit d’un Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1981. Il faut dire que je connais ce vin par cœur, ce qui a été compris par mes amis comme un jeu de mots. Mais si l’on comptait le nombre de vins que je connais par cœur et que je ne retrouve pas, ni au nez ni en bouche, on comprendra mon plaisir, auquel s’ajoute le plaisir d’un vin divinement accompli. Tout le monde se moque de mes gloussements de bonheur qu’ils attribuent à mon amitié avec le truculent Jean Hugel, l’un de piliers de l’académie des vins anciens. Mais force est de reconnaître que ce vin a un équilibre, une justesse de ton, une séduction délicate à la Fragonard qui en font un très grand vin.

Le Château Sigalas Rabaud 1967 est résolument opposé. C’est une explosion de fruits tendant vers la mangue teintée de thé. La force est du côté du sauternes alors que la finesse est alsacienne. Ce qui est assez intéressant – et je l’ai pressenti – c’est que le stilton que l’on proposait sur le Sigalas Rabaud, fait un rejet de ce fromage, alors que le Hugel l’épouse. Cette différence de comportement des deux vins est intéressante à constater. Sur un soufflé à la fleur d’oranger les deux liquoreux sont à l’aise.

Mon quarté de ce déjeuner serait : 1 – Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1981, 2 – Vega Sicilia Unico 1965, 3 – Vega Sicilia Unico 1968, 4 – Rioja Vina Real Reserva Especial des caves viticoles du nord de l’Espagne 1952.

Les discussions étant animés, riantes, avec humour, et le jardin du restaurant Laurent nous poussant au farniente, il fut facilement six heures de l’après-midi quand nous levâmes le siège. Chacun des présents, actif le reste de la semaine, a eu sa dose d’appels urgents, mais nous avons profité d’un bel après-midi. Traversant le couloir, nous croisons Philippe Bourguignon qui, perfide, nous lance : « il ne vous reste plus qu’à dîner de soir ». Nous nous regardons, nous sourions avec la folie des écoles buissonnières et nous lançons : « chiche ». Il ne reste plus à cette heure que les fidèles des dîners, les centièmes rugissants. Appels aux épouses, aux baby-sitters, tout s’organise. Je rentre chez moi changer de chemise, et nous revoilà pour dîner. Nous sommes à la même table et une autre à côté accueille quatre enfants des deux couples qui m’ont rejoint. J’ai eu le temps de commander les rouges en attendant les deux familles.

Philippe Bourguignon nous offre un champagne Charles Heidsieck blanc des millénaires brut 1995 qui est fort agréable dans sa simplicité. J’adore les amuse-bouche. L’un des amis a apporté Château Laville Haut-Brion 1951 à la couleur fort ambrée, dont les premières gorgées sont fatiguées. Mon ami sourit et me dit : « si c’était ton vin, tu dirais qu’il est merveilleux, alors qu’ici, tu le trouves fatigué ». Le vin se marie avec bonheur aux morilles et surtout au cappuccino de morilles qui les accompagne. Car ce goût très pur et doucereux ravive et rajeunit le vin. Notre maître d’hôtel, par un zèle assassin m’apporte une deuxième entrée car j’avais hésité avec le foie gras poêlé. Ces deux entrées sont merveilleuses et sont la représentation de tout ce que j’aime dans ce restaurant, fait de goûts purs, de pleine maturité.

Le premier rouge est un Clos de la Roche Cuvée Vieilles Vignes Domaine Ponsot 1983. Je n’ai quasiment jamais bu des vins du domaine Ponsot. Ce qui m’a poussé à le choisir, c’est qu’il existe en ce moment un gros scandale qui agite le monde des vins rares, car monsieur Ponsot a fait retirer d’une vente aux enchères renommée plus de cent bouteilles de son domaine en déclarant que les millésimes mis en vente n’ont jamais existé. Comme le 1983 existe, c’est l’occasion d’essayer. Le nez est spectaculaire. Il est terriblement bourguignon, et avec l’un des amis, nous ferons la constatation d’une similitude assez frappante avec les vins du domaine de la Romanée Conti, par la salinité et l’exacerbation du caractère bourguignon. En bouche, c’est un festival de complexité. La personnalité est sauvage. C’est un cheval fougueux, indomptable. Et l’on se rend compte à quel point un tel vin transcende les espagnols que pourtant j’adore. Il y a une sensibilité, une émotion dans ce Clos de la Roche que seule la belle Bourgogne est capable de susciter. Sur la chair puissante du turbot, le vin réagit avec finesse.

J’avais aussi fait préparer une Côte Rôtie La Turque Guigal 1999. Ce vin est insolent. Il agace tellement tout en lui est facile. C’est Alain Delon quand il avait vingt ans ou George Clooney quand il ne prend pas de café. Le vin a un nez pur, puissant, que confirme la bouche. Il est jeune, pétulant, dans le fruit, au boisé très maîtrisé. Ce qui est insolent, c’est cette fraîcheur incroyable qui le rend désirable comme une boisson désaltérante, et c’est la facilité de lecture qui le montre presque simple alors que le travail est immense. Tel qu’il est, dans sa folle jeunesse, ce vin est parfait. Les fromages ne sont pas vraiment ses amis, mais cela n’a aucune importance. 

Mon quarté de la journée serait celui-ci : 1 – Côte Rôtie La Turque Guigal 1999, 2 – Clos de la Roche Cuvée Vieilles Vignes Domaine Ponsot 1983, 3 – Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1981, 4 – Vega Sicilia Unico 1965.

Dans le jardin toujours aussi agréable de nuit même si les femmes sont obligées de se lover sous des châles, les discussions nous entraînent jusqu’à une heure du matin, tandis que les enfants, accrochés à leurs consoles de jeu, rient de bon cœur. En quittant ce lieu, un rapide calcul m’apprend que je viens d’y passer onze heures dans la même journée. Le Guinness Book of Records n’est pas loin. Ce qui prouve qu’avec de bons amis et des grands vins, le temps suspend son vol.