Archives de catégorie : dîners ou repas privés

halte traditionnelle au Petit Nice vendredi, 18 août 2006

Quel contraste le lendemain ! Car au spontanéisme de la table d’hôte succédait l’une des institutions de la côte méditerranéenne : le Petit Nice à Marseille. La mer, à Marseille, a des couleurs inimitables. Les rochers dénudés, polis par le vent, remués par des cataclysmes sismiques qui ont formé les calanques, caressent l’œil de leurs couleurs de chaleur. Sur les rochers du Petit Nice, telles des otaries profitant du soleil souverain, des agrégées ès crème solaire dénudent des chairs noires comme des toasts brûlés. De minuscules bouts de ficelle, sensés représenter un code de décence dont la convention apparait fort symbolique, sont le seul moyen de différencier ces beautés héliotropes. Une coupe de Dom Pérignon 1998 bue sur la terrasse près de la piscine accompagne avec intérêt – là aussi, atmosphère, atmosphère, je le trouve plus goûteux qu’à la maison –  des entrées fort intelligentes et habiles qui sont une carte de visite de l’univers de Gérald Passédat dont j’approuve de plus en plus l’orientation de sa création.

Les amuse-bouche sont légers et goûteux comme l’ensemble de la cuisine de Passédat. La composition à base de langoustine est intelligente, même si le délicieux bouillon impose une cuisson plus soutenue de la langoustine, ce qui en exacerbe moins le goût, et  le pigeon au miel est savoureux. Je vois qu’on se régale en face de moi d’un loup, traditionnelle icône de la maison. Le ris de veau et veau est mémorable.

N’étant pas celui qui invite je n’ai pas la charge du vin. Ma fille aînée au goût plus parkérien que Parker lui-même a choisi un Crozes-Hermitage, Clos des Grives Domaine Combier 2003. En d’autres lieux je l’éreinterais sans doute, mais ici, dans ce lieu si agréable, je lui trouve quelques vertus. Ma fille l’apprécie, c’est le principal.

Gérald Passédat explore dans sa cuisine des chemins de traverse qui détournent parfois du sentier principal. C’est dans sa personnalité. Je suis de plus en plus sensible à sa cuisine, légère et de bon goût.

surprise d’une table d’hôte jeudi, 17 août 2006

Sur une colline de Carqueiranne où les maisons en surplomb encastrent bâtiments et piscines à la façon d’un puzzle, une immense maison d’une architecture épurée attire le regard. Une terrasse de 36 mètres de long sur 5,5 mètres de large offre une jolie vue sur la baie de Carqueiranne et la presqu’île de Giens. Trois immenses pièces d’un are chacune sont d’une rare beauté. Nous somme accueillis par le maître de céans de cette table d’hôtes, ancien membre de l’équipe de France de rugby qui me rappelle des personnages de bandes dessinées de ma jeunesse. Double mètre, carrure à apeurer les taureaux de combat, bras interminables comme son sourire avenant. Notre table jouxte une piscine intérieure et la vue sur mer est totale, car la terrasse n’a pas de rambarde. Notre hôte s’assied gentiment à notre table pour nous expliquer le mode d’emploi. Ni menu ni prix annoncés, cela impose un acte de foi. Il sera récompensé.

On sent que la place n’a pas le culte du vin, mais on cite deux ou trois champagnes. Je retiens Cuvée Laurent Perrier Grand Siècle dont les deux bouteilles que nous boirons avec bonheur nous rappelleront celles que nous ouvrons à moins d’un kilomètre de ce lieu. Les petits alevins de rougets absolument délicieux font briller le goûteux champagne, plus ébroué que celui de la maison. Mais c’est sans doute l’atmosphère qui veut cela. Dans ses bras puissants, le cuisinier colosse nous apporte un poisson « denti » oserais-je dire « dents de scie » qui ferait passer un mérou pour un gringalet, dont il nous suggère la dégustation, et vient à notre table trier les langoustes que nous mangerons.

Les alevins de rougets reviennent à profusion. Une assiette copieuse de calamars et seiches préparés de trois façons est sans doute la meilleure préparation de calamars et seiches que je n’aie jamais mangée. Une franchise de goûts succulente. Un Château les Valentines, Côtes de Provence 2004, qui ne prétend pas nous subjuguer, va trouver sur les chairs de ce plat un tremplin inespéré.

Les langoustes saisies au gril ont une chair irréellement blanche. La cuisson parfaite à la seconde près décuple notre plaisir. Sentant que peut-être nous aimons le vin, notre rugbyman apporte un Domaine de l’Eglise Pomerol 1998, cadeau qui lui avait été fait, dont nous saurons plus tard que ce fut aussi un cadeau de sa part. Le vin est délicieux, franc, à peine un peu moderne pour moi. Sur la langouste et sur le « dents de scie », c’est exactement ce qu’il faut.

Dans une architecture simple mais immédiatement sympathique, face à un panorama grandiose, un cuisinier sportif de haut niveau à la chaleur communicative rayonnante, approvisionné de ce qui se fait de mieux en produits de la mer, pratiquant des cuissons justes, nous a fait passer une mémorable soirée de plaisir.

D’immenses vins à l’hôtel des Roches (à nouveau !) mercredi, 9 août 2006

Aller de nouveau à l’hôtel des Roches à Aiguebelle pourrait paraître obsessionnel. Ça l’est. Je voulais que Jean-Philippe Durand, notre ami cuisinier amateur, connaisse la cuisine de Mathias Dandine. Occasion de rassembler nos enfants. Le chasseur à l’entrée est constant : il est hors sujet. Commençant par dire qu’il n’y a plus de place et voyant de nouveau mon œil courroucé, il prend les clés de la voiture, l’air las. Dès qu’on a pénétré dans l’enceinte de l’hôtel, c’est un ravissement. Notre table regarde les îles du Levant et de Port-Cros, et la lune apparait dans toute sa plénitude, rose comme un homard amoureux. Reflets de lune argentés sur une mer légèrement agitée, vins délicats, cuisine rassurante, tout ici est bonheur.

Le champagne Moët & Chandon 1999 m’avait déjà séduit par une belle personnalité, et celui-ci n’y faillit pas. L’amuse-bouche est une crème de fenouil qui chatouille le Moët. La tartine de truffe d’été appelle un champagne Krug Grande Cuvée. La tartine est croquante et goûteuse. Le champagne fait un flop, car il n’a absolument pas le charme qu’on peut attendre d’un Krug. Il faut sans doute lui laisser quelques années pour qu’il s’arrondisse, mais je n’en suis pas sûr. Par contraste, le Moët brille.

La brandade de morue à la truffe d’été en deuxième amuse-bouche est plaisante. Mais comme au précédent essai, je préférerais une version plus virile, plus villageoise de ce plat.

Des langoustes juste grillées à la sauce vierge arrivent en peloton serré pour faire la haie d’honneur au Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 2002. La cuisson de la langouste est superbe, la chair prodigieuse. Il faut bien cette expressivité pour balancer l’immense persuasion de ce blanc que j’adore. Quel beau vin, puissant, vaste, opulent, remplissant le palais de joie pure. Ce vin est grandiose. Il lui faut des chairs typées comme celle-ci pour qu’il y ait jeu égal. Un beau moment de plaisir culinaire.

A notre arrivée, on nous avait présenté une montagne de sel dont la couleur et la taille faisaient penser à un bébé phoque. On me demande si le fait de manger un loup de plus de trois kilos nous tente. C’est le type de question qui n’a qu’une seule réponse. Car devant ses invités, comment dire non, si en plus on désire ce poisson ? J’avais trouvé dans la carte des vins la réponse à ce gros gabarit de poisson : Vieux Château Certan, Pomerol, 1990. L’accord avec le loup en croûte de sel est divin. Le vin s’exprime totalement. Toutes ses subtilités de Pomerol sont magnifiées par la chair du loup. Vin immense, chair goûteuse. Une précision extrême.

C’est sur les girolles que l’on peut vérifier la magnitude du talent de Jean-Philippe Durand. Car les girolles de Mathias Dandine sont bonnes. Mais la même poêlée réalisée la veille avait un goût transcendant par rapport à celle-là. Ce n’est pas une critique du talent de ce sympathique et généreux chef qui va progresser lorsqu’il aura cette maison bien en mains. C’est uniquement la reconnaissance d’un don de Jean-Philippe qui le place très près du niveau des restaurateurs trois étoiles que j’aime. Les cuissons des langoustes et du loup ont été brillantes. Cette remarque n’entache pas mon jugement sur ce chef chez qui je reviendrai avec plaisir.

Les girolles appelaient un vin. Ce fut Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée-Conti 1997. Un immense bonheur. Un vin direct, franc, généreux, subtil, bien assis dans cette année qui ne commet pas l’erreur d’éblouir. Un grand moment avec les girolles.

L’excès de mignardises aux parfums trop variés est passé comme une lettre à la poste avec un joli Comtes de Champagne Taittinger 1997 à la bonne humeur communicative de pure soif qui conclut ce repas splendide et montra que le Krug que nous avons eu a un problème.

C’est difficile de classer des vins aussi dissemblables. Malgré l’amour immodéré que j’ai pour le Bâtard-Montrachet, je donnerai ce soir la palme au Vieux Château Certan 1990 éblouissant, complice d’un loup idéal pour le révéler. Ensuite le Bâtard et le Romanée Saint-Vivant. Tant de bons vins sur de belles chairs merveilleusement traitées, c’est de la joie pure.

Bollinger RD 90, Mouton 87, Beaucastel 82 … mardi, 8 août 2006

Jean-Philippe Durand, invité à passer quelques jours dans notre maison du Sud, décide de prendre en mains le dîner de ce soir. Ma femme a dû regarnir la maison d’une tonne de nouveaux matériels sophistiqués pour mixer, mélanger, hacher, concasser. Entre deux séances de tennis, Jean Philippe prépare ses sauces, hume les évolutions. La cuisine d’été est envahie d’assiettes diverses garnies d’ingrédients qui auront, à l’heure prévue, leur utilité. Mon gendre prépare le barbecue qu’il va faire fonctionner au petit bois, sans autre apport.

Le champagne Bollinger R.D. 1990 accueille deux préparations :

        velouté de patate douce au basilic

        véritable capuccino de moules au café

Il est assez évident que des amuse-bouche aussi contrastés vont révéler des facettes résolument distinctes de cet immense champagne. Sa distinction, son élégance frappent instantanément. Très typé, très fort, il impressionne. Sa longueur est remarquable.

La joue de lotte, zeste de citron au gingembre, coulis de pêche blanche au curry est un bonheur gustatif de première grandeur. L’Ermitage Ex Voto Guigal 2001  est un vin très puissant alors qu’il ne déclare « que » 13°. Je le trouve très brut, très anguleux, car les myriades de saveurs complexes qu’il étale sont relativement peu intégrées, signe que l’âge lui est nécessaire. Je pressens que ce grand blanc sera magnifique avec dix ans de plus. Sa fougue se dompte par le zeste et par le coulis passionnant. Comme on pouvait s’y attendre, le plat est d’une délicatesse rare.

Quand Jean-Philippe m’a donné l’intitulé du plat qui suit, ma réponse fut immédiate : Château Mouton-Rothschild 1987. Et ce fut de l’immense gastronomie, celle qui vous donne un coup de poing dans le cœur. Les allumettes d’espadon, oignons doux et poêlée de girolles ont eu une compréhension du Mouton que Jean-Philippe avait humé à l’avance (comme le rouge qui va suivre). Et ce Mouton, d’une année légère et élégante a dévoilé une élégance, une maîtrise d’un talent rare qui nous ont laissés pantois. Le vin est immense sur le poisson. C’est dans ces rares moments que l’on se rend compte que la cuisine faite par un amoureux du vin connaisseur prend une autre dimension. Des Senderens, Guy Savoy, Patrick Pignol sont de ce modèle là.

Transpercé d’une sonde thermique, la côte de bœuf n’avait qu’à bien se tenir pour arriver à la température voulue. La côte de bœuf au feu de bois, sauce cacao et fruits noirs, figues rôties est un plat simple et goûteux pour accueillir à la perfection Château de Beaucastel rouge 1982 d’un confort parfait. Très Beaucastel serein, calme, ce vin de 12° seulement, assez velouté a une séduction naturelle fondée sur sa franchise. Alors, sur une viande qui l’excite, ça fonctionne tranquillement. On est en 1982 plus décontracté que des versions plus récentes de ce grand vin qui a évolué comme la demande gustative d’aujourd’hui.

Dans des grands dîners, j’aime toujours ajouter des vins inconnus. Plus inconnu que celui là, je ne vois pas, car imaginez ce nom : Alrokan grand vin moelleux, Bordeaux 1964, Mr Bossetti à La Rochelle. La bouteille est belle, avec une étiquette sobre passe-partout. Le liquide est joliment doré d’un jaune discret. Le nez est calme. La bouche est prudente. Je ne m’attendais évidemment pas à trouver un goût d’Yquem. Mais sur un roquefort artisanal, le vin s’ébroue avec intelligence, et sur une poêlée de mangues au gingembre, le vin devient charmant. Mission accomplie.

Ma femme étant championne du monde de la mousse au chocolat, c’est elle qui intervint, ma fille ajoutant une glace au poivron rouge pour mettre en valeur un Maury 1928 Domaine et Terroirs du Sud de plaisir premier : on ne lui demande pas de faire le saut périlleux. C’est bon, cela suffit au plaisir.

Ce soir, c’est de loin le Mouton 1987 qui a dominé les autres vins par une subtilité inégalable. Et l’accord de ce vin avec l’espadon est d’une émotion gastronomique de grande magnitude.

Discussions, rires, décontraction dans l’approche des vins. Une magnifique soirée.

Rhône et Provence dans le Sud lundi, 7 août 2006

Mon ami Jean-Philippe Durand, grand cuisinier amateur devant l’éternel, vient passer quelques jours dans notre maison du Sud. Un champagne Laurent Perrier Grand Siècle sert de bienvenue, et un très grand saumon d’une cuisson parfaite au barbecue accueille trois vins. Le Gigondas vignoble Gleize 1973 a un nez canaille, un goût râpeux de bourgogne, et se marie agréablement avec la chair délicieuse du saumon. Le Macon Champy père & fils 1966 promettait beaucoup au nez à l’ouverture, mais il semble bloqué, limité, et ne dégage pas beaucoup de personnalité. Le Châteauneuf du Pape domaine de la petite Gardiole 1965 prend lui aussi un goût de bourgogne, et la juxtaposition des trois vins montre que la cave qui les a vus vieillir, puisque les trois bouteilles ont la même provenance, a connu un coup de chaleur.

Le lendemain, je pars en jet ski avec Jean-Philippe pour amerrir au ponton de la maison de pêcheur de mon fils. Notre passeport est un rosé Mas Cal Demoura Qu’es Aquo 2003 du Languedoc, à l’intérêt certain et de belle densité. Nous grignotons des crevettes roses, jetant en mer les coquilles que les mouettes viennent picorer avec une précision de voltigeur. Un Château de Galoupet Côtes de Provence blanc 2005 n’a pas grand intérêt. Imiter le Chili n’est pas une voie à suivre en Côtes de Provence.

Nous sommes assis à grignoter quand le bruit d’une lutte de mouettes nous fait tourner la tête. Une mouette courageuse a subtilisé une des brochettes qui cuisait sur un barbecue planté dans le sable de la plage. A l’apéritif du soir, le reste d’une bouteille de Cuvée Grand Siècle est d’une rare élégance. La bulle s’est estompée, et la qualité intrinsèque du vin se découvre de façon remarquable. Sur des olives noires, c’est un rare plaisir. Des crevettes roses sont maintenant présentées avec de l’avocat et un goûteux jus de pamplemousse. Le champagne Dom Pérignon 1998 chante avec cette amusante préparation. Mais c’est surtout sur l’association avocat et jus de pamplemousse que le Dom Pérignon prend une trace d’agrume d’une longueur infinie et découvre son charme avec talent.

Sur l’agneau de Sisteron, le Châteauneuf du Pape domaine de la petite Gardiole 1965 d’un jour de plus brille comme on ne l’aurait pas soupçonné. Il s’est épanoui, a gommé ses petits défauts, et sur la lie, où se concentrent les arômes, je fais un rêve, celui de reconnaître un Chambertin 1929, tant le vin a pris de la noblesse.

Un Côtes de Provence Rimauresq rouge 1985, en s’ouvrant, montre comme les vins de cette région vieillissent bien. Ces vins prendront un jour la renommée qu’ils méritent, partageant avec les vins du Sud du Rhône une tranquillité et une sérénité gustative de grand confort. La maison fourmille, car ce soir, Jean-Philippe cuisine. A suivre…

ce soir j’aurais aimé une cuisine plus minimaliste jeudi, 3 août 2006

Nous récidivons à l’hôtel des Roches, ce qui indique que nous nous y plaisons. Cette soirée m’aura montré que dans le jugement que l’on fait sur un restaurant, pour autant que l’on éprouve le besoin de juger, il y a l’observé et l’observant. En ce qui me concerne, l’influence de l’humeur de l’observant compte beaucoup.

J’étais heureux d’avoir conclu un investissement qui m’intéresse par les perspectives de développement que j’entrevois, et il fallait que cela se fête avec des amis. D’humeur joyeuse, je commande Krug Grande Cuvée qui doit avoir un peu moins de cinq ans de bouteille. Une immense personnalité. Ce champagne est vivant comme pas deux. Il est expressif, typé et ne laisse pas indifférent. Il aurait fallu ne pas nous donner la première mini-entrée standard à base de crème de tomate, qui stérilise le Krug, alors que l’autre mini-entrée créée juste pour nous faire plaisir, à base de chair de rascasse, purée discrète de fenouil et jus «roquette » est un démarrage gustatif de vraie gastronomie. Cette remarque, que je fais souvent, je vais la faire encore : quand le sommelier ou le maître d’hôtel repère une table où les vins vont être de gros calibre, il ne faut pas faire servir l’amuse-bouche standard, mais en adapter un au choix des vins, s’il est déjà fait.

En l’occurrence, la rascasse appelait le premier vin que j’avais commandé à mon arrivée, Château Rayas, Châteauneuf du Pape blanc 1998. Le mariage avec ce blanc étonnant est idéal, la chair expressive du poisson mettant en valeur le blanc merveilleux. Ce qui frappe d’abord, c’est la longueur du vin. On dirait un tapis qui se déroule, qui découvre à chaque pli des couleurs et des dessins nouveaux. L’exposé des motifs est quasi interminable. Ce blanc étonne car il change d’aspect à chaque mouvement de langue. C’est sans doute moins complexe qu’un bourgogne blanc, mais c’est terriblement envoûtant. J’avais commandé sur ce vin une brandade de morue aux truffes d’été, émulsion au thym des collines, car je sentais que l’accord serait parfait entre l’ail et le fumé du Rayas. Or je suis un peu resté au milieu du gué, car je voulais de la brandade, de la pure, de la virile et je trouvais en fait une interprétation de la brandade intellectualisée, qui aseptisait le choc gustatif que j’attendais. C’était bon, bien sûr, mais n’avait pas la pureté brute que j’avais imaginée. A ce vin typé, affirmé, il fallait une brandade claire, directe, franche comme le « jus de pomme » des Tontons Flingueurs.

Ayant adoré les cigales de mer sur l’Yquem 1987 lors du dernier dîner, il était tentant de les revisiter sur un rouge, et pourquoi pas l’un des plus grands : Château de Beaucastel, Châteauneuf du Pape, Hommage à Jacques Perrin 1995. Matthias Dandine a fort intelligemment adapté l’accompagnement en changeant la préparation du menu pour des légumes du potager discrets et des girolles d’été, mais n’a pas remis en cause la sauce trop prononcée qui masque la pureté de la chair. L’accord ne s’est fait que lorsque j’ai cureté de la chair non imprégnée dans la tête de la cigale. Là, le vin rouge s’est mis à chanter. Avec une cigale en plein été, n’est-ce pas ce qu’il doit faire ? Cet « Hommage » est trop jeune, c’est évident. Mais le bambin a déjà une morphologie d’athlète. Pur, simple, direct, s’exprimant dans une langue claire, ce vin rassure par la précision de sa construction. Le Rayas blanc miroitait de mille facettes. Et ce futur sumo pousse toute fioriture en dehors du cercle de combat. Le vin est affirmé, puissant, sûr de lui, et il est bon. Que demander d’autre, quand on a tant de plaisir en bouche.

Là où l’observant joue son rôle, c’est que je voulais ce soir m’installer dans les arts culinaires premiers. Je voulais une brandade qui joue la brandade et une chair de cigale dans sa pureté intrinsèque. Ce soir les variations sur des thèmes ont occulté les accords purs que je souhaitais. Il est sûr qu’un autre soir, je serais satisfait de ces recettes. Je rêverais de refaire le même repas, avec les mêmes vins, car je suis très satisfait de mon choix de vins, et avec les mêmes plats, car je crois en eux, mais minimalisés au profit de saveurs franches et pures. Je crois que ce serait grandiose, et le chef le réussirait avec élégance.

Me méfiant autant de mon rôle d’observant que de ce que j’observe, j’ai réservé une nouvelle table pour dans huit jours …

un dîner de canicule au Lavandou jeudi, 20 juillet 2006

Sur la route de Saint-Tropez, en ayant dépassé le Lavandou, le restaurant « Le Sud » est sur le bord de la route. D’amples plantes tropicales marquent la façade. A l’entrée une belle femme brune accueille d’un sourire composé. Sa beauté évite de s’attarder sur une décoration qui n’existe pas. Christophe Petra, chef auteur de « Ma Provence Gourmande », affiche un large sourire heureux et satisfait. On nous propose du champagne en prononçant deux noms qui ciblent l’endroit. Nous choisissons champagne Besserat de Bellefon rosé NM de bien agréable fraîcheur expressive. Ce champagne fait partie du tout petit groupe des bons rosés. Le maître des lieux vient nous réciter son menu, excluant que nous perdions notre temps à lire une carte. C’est une pratique que je n’apprécie pas. La carte des vins en revanche est fort intelligente, car elle a eu la sagesse de ne pas actualiser les prix fous de l’époque présente. J’y détecte des bonnes pioches qu’il faudrait venir exploiter. Comme je suis invité avec mon épouse, je fais un choix mesuré, car le choix pour compte d’autrui est un exercice délicat.

Nous allons être submergés par une cuisine multiforme, où les amuse-bouche s’ajoutent aux pré-entrées, entrées et autres plats, sans que l’impression d’excès n’apparaisse. C’est goûteux, fort goûteux parfois, au point que l’on se demande comment les goûts si prononcés ne sont pas dopés comme cela existe dans un sport qui visite la France sur une selle. Le toast aux truffes d’été ressemble à un toast aux truffes d’hiver, la crème de cèpes et truffes a une intensité rare, le bar est délicieux. Le seul plat qui a joué un peu en dedans c’est le lapin confit de quatre heures, plat fort difficile à exécuter que j’avais pris pour jauger sur un exercice de voltige le talent de Christophe Petra dont nous ne pouvons que nous féliciter.

Sur ce festin, le Corton Charlemagne Louis Latour 2000 est extrêmement agréable. On est loin de la puissance de certains Corton Charlemagne, mais en ce temps de canicule, c’est plutôt un avantage. Les évocations sont discrètes mais subtiles. Ce vin demande qu’on aille chercher en lui toutes les subtilités qu’il recèle. Et le plaisir vient de cette découverte attentive.

L’Hermitage La Sizeranne Chapoutier 2002 est confortable. C’est un vin rassurant, sans complication excessive, à la trame juste qui n’en fait pas trop. C’est le vin que l’on est content de boire, mais qui ne suscite aucune énigme. Mes amis l’aimèrent pour sa franchise et son confort. Le temps lui donnera sans doute plus de complexité.

Parler du réchauffement de la planète, ça donne soif. Le champagne Louis Roederer, manifestement recommandé par la maison, apaise une dernière soif sans entraîner de bravos d’une foule peu conquise par ce champagne trop gentil et trop bien élevé.

Cette table mérite qu’on s’y intéresse car il y a de l’intelligence et du savoir faire dans cette cuisine généreuse. Le service est un peu conventionnel, la sommellerie plus que discrète, mais c’est un endroit où nous ne sommes pas connus, ce qui change l’atmosphère. La carte des vins vaut le détour. En vacances, n’est-ce pas ce qui convient ?

Yquem en hommage à ma mère mardi, 27 juin 2006

Funérarium, messe, enterrement. Pleurs, embrassades, cohésion familiale. Grands sentiments. Ma mère s’est éteinte à 93 ans. Elle n’a ni souffert ni décliné. Voulait-elle partir sur une mort "idéale", nous prenant par surprise alors qu’on la croyait taillée pour l’éternité ? L’esprit était donc à positiver l’événement et à dégager un bonheur familial.

J’avais prévu champagne petits fours. J’ai senti qu’un repas plairait à tous. A l’Ecu de France, à Chènevières, les tables se préparent sur l’instant pour 26 personnes, parents ou amis proches.

Le menu : cassolette de champignons, bar, fromage et tarte abricot. Délicatement préparé, goûteux.

Le champagne Pommery 1998 est facile à boire, expressif sans l’être trop. Un champagne qui se boit bien pour effacer les larmes.

Le Châteauneuf du Pape Vieux Télégraphe 1998 est un vin facile à comprendre par tous, car il y a dans la famille beaucoup de cousins pour qui le vin n’est pas un sujet de réflexion. Magnifique vin généreux, très agréable, ressenti par tous comme un cadeau.

Le Châteauneuf du Pape Beaucastel rouge 1990 partagé avec quelques amateurs est d’une grande perfection. Comme c’est une découverte, j’ai profité de l’occasion pour montrer à mes nièces comment on profite de ces vins rares.

Le Château d’Yquem 1981 est déjà d’un or brun, fort en bouche, très révélé par l’abricot. Une immense longueur d’un Yquem que je n’attendais pas à ce niveau là. Une cousine de 84 ans vint me voir et me dit : "tu sais, c’est mon premier Yquem".

Rires, joies, anecdotes. Ma mère a vécu en positivant toutes choses. Faire un repas de joie, c’était l’honorer.

DRC les pieds dans l’eau vendredi, 23 juin 2006

Nous avons pris nos quartiers d’été avec l’apparente intention de faire diète. Mais il faut se ménager des espaces de liberté, excuses à la gourmandise.

Mathias Dandine avait obtenu une étoile dans un joli petit restaurant coincé dans une étroite et escarpée rue piétonne de Bormes-les-Mimosas. Ambition, goût du challenge, voici qu’il décide en décembre dernier de reprendre la restauration de l’hôtel des Roches au Lavandou. Il devenait indispensable que nous allions vérifier si la greffe avait pris.

L’hôtel des Roches jouit d’une implantation unique sur l’eau, un peu comme Eden Roc, et l’on a une jolie vue sur les îles du Levant et Port Cros. Voulant jouer tropézien, le lieu accueille façon plutôt branchée. C’est plus Dior Haute Couture que Raimu accoudé à son comptoir. La décoration s’améliore, et le site incite au farniente. A l’étage du restaurant, on est tout sourire. Mathias et son frère sont prévenants. Sébastien, l’agréable et facétieux sommelier se souvient de nos habitudes ou manies.

Nous commençons par un champagne Amour de Deutz 1995 de belle couleur dans son flacon transparent. Assez expressif, à la bulle forte, il est plutôt joli en bouche, mais je trouve qu’il joue un peu en dedans, comme l’équipe de France de football, qui à l’heure où j’écris ces lignes, juste après les matches du premier tour, n’est pas encore éliminée, sans un but de trop. Plus le temps passe, plus le champagne s’ouvre et devient joyeux. Comme je suis marqué par des champagnes très expressifs, je ne mords pas trop, mais cet Amour mérite de l’intérêt.

J’ai suggéré à notre table que l’on commence par un risotto de truffes d’été pour accompagner le vin que j’ai choisi : Corton-Charlemagne Bonneau du Martray 1987. Le plat est délicieux, le toast de truffe étant d’une justesse absolue. Et avec ces saveurs, le Corton-Charlemagne chante. C’est un vin immense. Et mes amis comprennent pourquoi je disais que le champagne était un peu coincé, car ce vin blanc est totalement débridé. Une exubérance rare, qui renvoie toute réserve sur l’année 1987 dans ses dix-huit mètres. Des notes citronnées mêlées de miel, des évocations d’amandes et de noix, et cette élégance propre à ce domaine délicat. Un vin résolument grand, où la subtilité se dévoile d’autant plus que la puissance est retenue.

Le homard thermidor est goûteux mais doit pouvoir encore se travailler. J’ai décidé de lui associer un Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1997. Là aussi, c’est la délicatesse qui prime sur la force. Toutes les caractéristiques d’un grand vin expressif sont réunies. Un léger voile qui écorne une partie du message ne gênera pas suffisamment pour qu’on éprouve moins de plaisir. Ce vin joyeusement juteux est d’un plaisir franc et sincère. Et le homard lui va bien. Le cochon de lait d’une autre partie de la table fut jugé fort approprié à ce grand bourgogne.

On nous offrit un Comtes de Champagne Taittinger 1997 fort agréable en fin de repas, après des mignardises qui demanderont au moins un marathon pour retrouver le tour de taille que l’on avait en entrant. Ce champagne n’est pas très compliqué, mais de belle soif.

Matthias Dandine a un magnifique outil de travail pour développer son élégante cuisine. Sébastien est souriant, le service est attentionné. C’est une adresse dont on reparlera.

de grands vins pour des fiançailles dimanche, 18 juin 2006

Ma fille cadette se fiance. Occasion de se rencontrer pour deux familles, et occasion de sortir de bons vins. Mon futur gendre et ma fille reçoivent le premier soir. Nous recevons le lendemain midi. La motivation de Guillaume et Agathe est assez visible, car nous serons reçus de façon royale.

Voici le menu : Toasts au foie gras / Foie de lotte et coulis d’orange / Carpaccio de gambas, gelée de riesling pamplemousse / Ravioli langoustine ricotta et épinard / Crumble d’agneau aux fèves / Comté et gruyère de Savoie / Macarons Pierre Hermé rose, pamplemousse américano, chocolat passion / 2000 feuilles Pierre Hermé. Les services d’un chef ont été loués pour la circonstance.

Le champagne Laurent-Perrier en magnum est très agréable. Très équilibré, joyeux, il me surprend positivement, car je n’attendais pas le non millésimé à ce niveau. Le champagne Krug 1990 en magnum se présente en un flacon d’une rare beauté. Cet écrin renferme un champagne qui est un vrai bijou. Je l’avais goûté dans des dégustations comparatives où il avait montré son talent. En situation de repas, avec le foie de lotte, ce champagne est éblouissant. Il est tellement complexe que je suis obligé de choisir parmi toutes les images qui me viennent. Je retiens les fleurs blanches et roses, les fruits délicats comme des cerises jaunes. Ce champagne floral et fruité est romantique. Il forme un vrai contraste avec le champagne Salon 1985 que nous avions bu aussi en famille il y a moins d’une semaine. Le Salon me semble plus viril, plus conquérant, quand le Krug me paraît plus féminin, charmeur. Ces deux champagnes sont deux expressions assez opposées qui me plaisent tout autant. Je suis sûr que demain, le Krug pourrait me montrer un autre visage, tant il a de facettes à sa séduction.

Le Riesling "Hengst" Josmeyer cuvée de la St martin 1998 est extrêmement agréable et bien construit. Vin facile à boire. Mais le Chablis Grand Cru les Clos de René et Vincent Dauvissat 1998 a trop d’intelligence. Ce Chablis est magique. Il a tous les bons côtés du Chablis, sans n’en avoir aucun qui soit mauvais. Toute la table de onze parents de deux familles a été émerveillée par la qualité de ce grand Chablis. C’est son expressivité tranquille qui m’a marqué.

Le Château Ausone 1975 est un grand Ausone. Etions-nous de bonne humeur pour juger autant de vins à de tels niveaux ? Non, je crois que cet Ausone est particulièrement réussi. Subtilité, charme, distinction. Il fallait avoir le palais disposé à analyser les détails pour aimer l’Ausone, car à côté de lui, c’est un empereur qui entre en scène. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 2000 est spectaculaire. Que c’est bon, que c’est simple, que c’est naturellement délicieux. On dirait Jean Marais à vingt ans quand il sourit : c’est un ange si naturellement beau. La Mouline, c’est ça : il lui suffit de sourire, et l’on dit : c’est beau.

Ce qui me fait plaisir, c’est qu’en quittant un instant la Mouline pour revenir à Ausone, le bordeaux n’est pas écrasé. Il montre toute sa fragile beauté, fragile étant ici comme la beauté d’Anne, l’héroïne des Visiteurs du soir, qui brûle d’amour pour Gilles. La Mouline, c’est plutôt Jean-Paul Belmondo et sa gouaille de chouchou des dames. Deux grands vins, La Mouline immédiatement porteur de plaisir pur, et Ausone, conteur de madrigal, d’une séduction raffinée.

Le Vin jaune Château d’Arlay 1987 vit son bonheur avec le Comté. Découverte pour certains membres de « l’autre » famille. Le Château d’Yquem 1991 est assez effacé. Mais il le devient encore plus avec les desserts de Pierre Hermé qui sont des concentrés de plomb fondu. De ses macarons, ce qui impressionne le plus, c’est la texture. Elle est divine. Les parfums sont assez forts, ce qui gêne un peu. Le 2000 feuilles est « immangeable » tant il est riche. Personne n’a pu finir sa portion prédécoupée. Il a fallu prendre un rhum pour balancer la lourdeur de ce dessert, pendant que l’Yquem 1991 se taisait.

Mon futur gendre a manifestement mis la barre très haut en ce qui concerne les vins, dont émergent pour moi d’abord le Krug 1990, ensuite la Mouline 2000 et le Chablis Dauvissat. Mais j’hésite entre les deux vins, la position du Krug n’étant pas discutable.

Le lendemain midi, nous remettons le couvert, cette fois-ci chez nous. Certains veulent éviter de boire, car il fait une chaleur de milieu d’été, alors que nous n’y sommes pas. Le menu de mon épouse est le suivant : Toasts au foie gras / Crème de foie gras en pot / Joue de porc confite et sa sauce au thé, pomme de terre duchesse / Stilton / Tarte Tatin.

Le champagne Dom Pérignon 1996 servi sous le catalpa est absolument brillant. Participant à un jury de champagnes pour un magazine connu, j’avais, comme mes collègues, classé ce Dom Pérignon en premier des 1996. Il est magique. Beaucoup moins complexe que le Krug 1990, il étonne par sa générosité, sa facilité de langage. C’est un champagne qui a un goût de revenez-y.

Ma fille aînée ayant un fort penchant pour les vins faciles, boudant les Pétrus pour leur préférer le Languedoc, nous avons commencé, pour qu’elle ait à boire, par un double magnum de Saint-Chinian, les vignerons de Roueïre 1998. La bouteille dissymétrique, pour faire antique, est décorée d’une étiquette en étain, ceinte de rubans rouges. Et, pour qu’il n’y ait aucune méprise, il est inscrit « étain véritable », sur une contre-étiquette elle-même en étain. J’avais ouvert le vin 20 heures à l’avance, et carafé plus de quatre heures. Le résultat est un vin extrêmement agréable qui a plu au clan qui s’est créé autour de ma fille aînée des adorateurs des vins de pays. C’est un vin très agréable, auquel il manque bien sûr un vrai final. Mais ça se boit avec plaisir.

Le magnum de Château Margaux 1970 est évidemment d’une autre trempe et mon fils aura apprécié son extrême personnalité. Il a du charme, et l’âge lui va bien. Très élégant, subtil, assez flatteur, il plait à ceux qui ne sont pas de la secte de Saint-Chinian, mais je sens des transfuges, qui apparaissent, sans même que je sois obligé de donner des primes de match. J’avais choisi 1970 pour mon futur gendre. Au tour de l’année de ma fille.

Le choc que me fait Pétrus 1974 est fort. Je savais que Pétrus avait réussi cette année difficile, mais j’ai l’impression que c’est le plus grand Pétrus 1974 de tous ceux que j’ai bus. Et quelle structure ! Il est intense. Quand Margaux est galant, poussant l’escarpolette d’une demoiselle délurée de Fragonard, Pétrus occupe le terrain du palais, selon une stratégie à la Masséna, l’enfant chéri de la victoire. Mon fils adore la subtilité du Margaux. J’adore la franchise gavée de complexité du Pétrus. Deux grands vins très complémentaires.

Rien ne volera la vedette à Château d’Yquem 1988, car la tarte Tatin a décidé de l’épouser, de le mettre en valeur. C’est un grand Yquem, comme je le vérifie à chaque fois.

Bagues, cadeaux, anecdotes enfantines, rien ne manquait à la réussite d’une fête familiale ponctuée de vins exemplaires.