Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Déjeuner chez des amis samedi, 27 février 2021

Je suis invité chez des amis de longue date, de plus de quarante ans. Sur de délicieuses gougères cuites à la perfection par le maître de maison nous buvons un Champagne Le Mesnil Grand Cru Prestige 2006 élaboré par l’union des propriétaires récoltants du Mesnil-sur-Oger. Mon ami me rappelle que c’est grâce à mes récits qu’il est allé se procurer ce champagne, car lors d’une invitation à la Saint-Vincent des vignerons du Mesnil, j’avais été impressionné par ce champagne de coopérative. Et c’est vrai que ce 2006 est particulièrement bon, vif, précis, cinglant. Un grand champagne de plaisir. Il faut dire que mon palais est particulièrement réceptif au charme des champagnes du Mesnil.

Le plat principal est de joue et queue de bœuf aux légumes. J’ai apporté un Château Tertre Daugay Saint-Emilion 1961. Il est particulièrement brillant, d’une grande densité et d’une cohérence impressionnante. Avec ce vin on sent que l’on boit « du grand » et cela tient aussi au millésime exceptionnel. On remarque au passage qu’un vin de soixante ans peut paraître d’une jeunesse folle. C’est la magie du vin.

De son côté, mon ami a ouvert au dernier moment un Châteauneuf-du-Pape Domaine de la Petite Gardiole 1972. Si le premier verre est un peu imprécis, je suis très impressionné par la rapidité avec laquelle ce vin s’améliore et devient d’un charme sensuel très extraverti. C’est un vin de bonheur, quand le 1961 est un vin de grandeur. Et les deux cohabitent parfaitement.

Pour le dessert sophistiqué à base de chocolat, nous aurons deux vins que tout sépare, un Banyuls Grand Cru Castell des Hospices 1982 de Domaines et Chateaux du Roussillon, agréable et souple, et un Champagne Reflet de Terre de J.M. Tissier sans année de Chavot-Courcourt qui n’apporte pas l’émotion du blanc de blancs du début.

J’ai pu profiter de la chaleureuse amitié de ces amis de longue date. Les deux rouges et le champagne du Mesnil ont été superbes.

Mon coach et sa fille samedi, 27 février 2021

J’ai la chance de bénéficier des bons services d’un coach qui me rend visite trois fois par semaine depuis l’apparition du Covid-19 car mon agenda n’est pas en surchauffe dans ces périodes de confinement. Nous avions commencé les séances il y a 22 ans à un rythme de deux par semaine. Il se trouve que le premier rendez-vous que nous avons pris pour savoir si nous travaillerions ensemble est le jour où sa fille est née. Il a abandonné femme et enfant pour me rejoindre à la terrasse du Fouquet’s. A certaines occasions, j’ai fait des petits cadeaux à sa fille, mais je ne l’avais jamais rencontrée. Père et fille sont invités dans ma cave pour déjeuner. Il y aura des sushis et autres petites choses légères.

En cave j’ai choisi un champagne de l’année de Gisèle, un Champagne William Deutz 1999. Ce champagne est agréable, simple à comprendre et franc. C’est un compagnon idéal pour un déjeuner de sushis. En faisant les courses, le dessert avait été oublié. J’ai, par hasard, un Kouign-Amann qui se trouvait là. Toute l’absence de calories excessives des sushis est plus que compensée par ce délicieux dessert breton. Le champagne a su l’adopter.

Gisèle a de beaux projets qu’elle nous a racontés. Ce déjeuner impromptu m’a ravi.

Nouveau déjeuner dans ma cave samedi, 27 février 2021

Le lendemain du déjeuner avec mon ami, je reçois à nouveau l’écrivain du vin car il nous restait des sujets à aborder. Il reste suffisamment de chaque vin pour égayer un repas simple fait d’un carpaccio de viande de bœuf, d’un délicieux foie gras de canard et d’un camembert.

Le Champagne Mumm Cordon Rouge 1937 est aussi vif que la veille, avec une belle plénitude que donne l’âge, et je pense qu’il s’est élargi par rapport à ce qu’il offrait hier.

La Roussette de Savoie Marestel Altesses Dupasquier 2002 est encore plus glorieuse qu’hier. Je n’en reviens pas de voir ce vin aussi puissant, large et conquérant. C’est un vin de force et de charme, à la longueur infinie.

Les deux Bordeaux rouges vers 1880 sont tout aussi brillants que la veille et ce qui m’étonne c’est que le plus fragile des deux, moins brillant hier et au niveau plus bas dans la bouteille paraît aujourd’hui plus fringant. Mon hôte prend conscience que des vins de 140 ans peuvent avoir une vivacité insoupçonnée et je me rends compte que pour des déjeuners dans ma cave je pourrais ouvrir les bouteilles la veille puisque l’effet de l’oxygénation lente perdure beaucoup plus longtemps que les quatre heures que je m’impose.

Mon nouvel ami avait apporté des pâtisseries tellement gavées de sucre qu’aucun vin ne pouvait les accompagner.

Repas d’amis dans ma cave dimanche, 21 février 2021

Pendant le semi-confinement que s’imposent les gens de mon âge, les occasions de revoir des amis sont rares. Il faut bousculer les barrières. J’invite à déjeuner un ami amateur de vin en faisant un partage des responsabilités : il prend en charge le menu et je fournis les vins.

Mon ami fait appel à Hideki Nishi, le chef étoilé du restaurant Neige d’Été. M’attendant à un repas qui ne serait pas forcément orienté vers les vins, je cherche en cave ce qui sera ouvert, en suivant mon instinct. En errant dans les allées, je vois une bouteille de champagne Mumm Cordon Rouge 1937 qui me semble un bon début. Le niveau n’étant pas parfait, une bouteille de sécurité s’impose. Ce sera un Krug.

Connaissant l’ouverture d’esprit de mon ami, j’ai envie d’ouvrir une bouteille de Roussette de Savoie, car les vins de Dupasquier m’avaient fait il y a quelques années une très forte impression. Va pour un 2002.

Il y a dans ma cave plusieurs zones de bouteilles illisibles dont une case d’une trentaine de bouteilles soufflées et de formes diverses. Je choisis quatre bouteilles dont deux ont des niveaux très bas et des couleurs de vin très pâles, comme si le vin était dépigmenté et deux bouteilles au niveau très haut et à la couleur riche et intense. J’en choisirai deux sur les quatre. Ce sera un saut dans l’inconnu.

Il se trouve qu’un grand nombre de bouteilles de cette case ont autour du goulot une écharpe de papier adhésif avec des photos de chiens d’aveugles et cette mention :  »les Amis des Aveugles ». Et ce qui m’agace, c’est que je n’arrive pas à me souvenir d’où proviennent ces bouteilles. Et la référence aux aveugles ne me dit rien non plus.

Pour les vins de dessert, nous verrons plus tard. Je reçois le menu après avoir fait ces choix : pomme Dauphine / croquemonsieur à la truffe / carpaccio de langoustine et caviar osciètre / tataki de sériole au caviar / kama de sériole / pâté en croûte de ris de veau, foie gras et canard de Challans / Menchi-katsu avec la sauce demi-glace / poulette en demi-deuil, sauce cancoillotte au vin jaune et à la truffe, légumes de saison / baba au rhum au chocolat, compotée de banane, chantilly de chocolat.

A la lecture c’est surtout le dessert qui m’a fait sursauter, mais nous nous adapterons.

Alors que d’habitude je ne rejoins mon bureau dans l’immeuble où il y a ma cave que vers 10 heures, pour éviter les heures de pointe, c’est à 7h30 que je suis déjà sur place pour ouvrir les vins. Parmi les quatre bouteilles anciennes sélectionnées j’en choisis deux opposées, une au niveau bas et au vin clairet et une au très beau niveau et au vin sombre.

La bouteille basse a un bouchon dont le haut est dur comme du béton. Le bouchon se déchire, ce qui arrive presque toujours avec les bouteilles soufflées dont le goulot n’a pas un cylindre parfait. Quel n’est pas mon étonnement de sentir que le vin est prometteur. Alors que j’étais prêt à ne pas retenir cette bouteille à risque, voilà que son parfum annonce un vin probablement intéressant. Je sens des petits fruits rouges sympathiques.

La bouteille de haut niveau a un bouchon qui vient encore plus en charpie que le premier. Le parfum est une magnifique promesse. De ce que je ressens de la forme des bouteilles, des bouchons, des odeurs, il me semble que ces deux vins de Bordeaux pourraient être de Pauillac et d’une année autour de 1880. Et il me semble que ces vins sont parmi les plus grands de l’appellation, du moins le meilleur des deux vins. La Roussette de Savoie Marestel Altesses Dupasquier 2002 a un bouchon qui vient sans problème. Son parfum est explosif de puissance et richesse aromatique tendue. Il m’impressionne.

Les vins étant ouverts, je dresse la table pour le déjeuner et vers midi trente, j’ouvre le champagne. Le haut du bouchon se cisaille à la torsion et le bas du bouchon est sorti au tirebouchon. Le champagne est âgé évidemment, mais ses fragrances sont encourageantes.

Mon ami arrive chargé de nombreux paquets, car tous les plats sont intelligemment présentés, prêts à être dressés. Je verse le champagne pour que nous trinquions. La couleur est ambrée et le parfum est intense et puissant. Il annonce de belles complexités. Le Champagne Mumm Cordon Rouge 1937 montre à la première gorgée une forte amertume mais je préviens mon ami : dès que l’on aura mangé un amuse-bouche cette amertume disparaîtra. Les amuse-bouches de l’apéritif sont d’un grand raffinement. On sent que le chef a du talent. Et comme par miracle, il n’y a plus de traces d’amertume. Le champagne ne peut trahir son âge mais il est très agréable et surtout d’une belle complexité. C’est un beau champagne âgé, joliment ambré, c’est-à-dire peu. Et il montre ses qualités gastronomiques sur les saveurs délicieuses et variées des premières bouchées d’apéritif. Le carpaccio de langoustine est superbe.

Sur la sériole crue, j’ai envie que nous passions à la Roussette de Savoie Marestel Altesses Dupasquier 2002. Quelle divine surprise. Le vin est impérial. Il est vif, cinglant, avec des notes minérales et citronnées et il pourrait jouer dans la cour de plus grands rieslings. Je suis sous le charme de ce vin à l’empreinte forte. Son amplitude mérite le respect. Ce qui est intéressant, c’est que le caviar ne s’impose pas dans le duo avec la sériole. Il apporte son sel mais ne vole pas la vedette au délicieux poisson. Et le vin est idéal.

Nous l’essayons aussi sur la tête de sériole présentée cuite, à la chair gourmande. L’accord est là aussi parfait.

Pour le pâté en croûte, le moment est venu de boire les rouges. Le premier Bordeaux rouge vers 1880 est clairet et sa couleur est plus jolie que ce que je redoutais. Le nez est agréable, discret et finit pas une belle évocation de fruits rouges. En bouche, il ne montre aucun défaut. Il n’est pas très expressif mais il se boit bien, avec un joli finale de fruits rouges. Jamais je n’aurais imaginé qu’il se présenterait aussi bien et c’est celui des deux qui s’accordera le mieux au pâté en croûte.

Le second Bordeaux rouge probablement Pauillac vers 1880 a une couleur nettement plus foncée, sans aucun tuilé. Il y a même un beau rouge sang sur le bord du disque. Le parfum intense est noble. On sent un grand vin et l’hypothèse Pauillac est plausible. Le vin est riche, d’un grand équilibre. Il est serein et noble. Et ce vin n’a pas d’âge. Si on disait qu’il est de 1961, personne ne pourrait le contredire. Cela prouve une fois de plus le pouvoir de l’oxygénation lente pour régénérer des vins très anciens. Les deux vins rouges se comportent avec une belle flexibilité pour accompagner les saveurs pertinentes de tous les plats et des fromages ajoutés par mon ami. Il y a un fort écart entre les deux rouges mais ils sont adaptés tous les deux.

Pour les dessert au chocolat, le vin qui s’impose est le Madère vers 1740 toujours aussi magistral et d’une rare richesse. Et je fais goûter à mon ami le calvados distillé par le père d’un des chauffeurs de camion de ma société, qui bénéficiait du privilège de bouilleur de crus. Il est à se damner.

Nous votons et mon ami classe ainsi : 1 – le plus sombre des Bordeaux vers 1880, 2 – Madère vers 1740, 3 – Marestel Dupasquier 2002.

Mon vote est : 1 – le calvados qui me rend fou, 2 – Marestel Dupasquier 2002, 3 – le plus sombre des Bordeaux vers 1880.

Bien que le menu ait été connu après mon choix de vins, nous avons réussi à ce que tous les accords soient superbes. Les plus beaux sont pour moi le Marestel 2002 avec la sériole crue au caviar et le carpaccio de langoustine avec le Mumm 1937.

Des repas d’amitié comme celui-ci sont de véritables trésors.


les vins sont choisis dans ces cases non inventoriées

le beau repas

les belles couleurs

Saint-Valentin par procuration mercredi, 17 février 2021

Les hasards du calendrier font que ma femme et moi ne serons pas ensemble pour la Saint-Valentin. Nous utiliserons les liaisons téléphoniques ou internet pour nous souhaiter tout le bonheur possible. Seul pour respecter ce rite, je choisis un champagne que je considère promis au plus grand avenir, Dom Pérignon 2008. Et rien ne pourrait mieux l’accompagner que du caviar osciètre prestige Kaviari, associé à deux éléments essentiels, une baguette croustillante et du beurre. Ensuite il y aura le sacrosaint gâteau en forme de cœur, aux tons de fruits rouges comme le sang du cœur.

Le Champagne Dom Pérignon 2008 est absolument fantastique. L’image qui me vient est celle de d’Artagnan impulsif et courageux. Car ce champagne est vif et entraînant. Il a une énergie farouche. Mais comme d’Artagnan à la Cour, le champagne sait aussi être raffiné et galant.

La deuxième image qui me vient est celle de Gérard Philippe dans Fanfan la Tulipe, qui est sauvage et séducteur. Ce champagne qui deviendra une référence absolue est déjà un champagne accompli, comme l’a été le Château d’Yquem 2001, merveilleux dès les premiers jours.

Le sel bien dosé du caviar excite le champagne qui pétille de joie. Le gâteau est très conventionnel, mais il faut jouer le jeu. Il me semble que nous aurons à faire un dîner d’amoureux pour rattraper cet éloignement inopportun.

Déjeuner dans mon petit musée vendredi, 12 février 2021

Un ami journaliste m’a suggéré de rencontrer une personne qui a écrit sur le vin dans une perspective historique. L’idée me vient de l’inviter à déjeuner dans le local où se trouve ma cave principale et la grande salle où reposent les plus belles bouteilles que j’ai bues. Il y a de quoi parler d’histoire.

En consultant sa fiche Wikipédia, je peux lire qu’il est né en 1948. Ayant envie de faire un repas avec des sushis, car mes capacités culinaires voisinent le zéro absolu, je cherche un vin de 1948 qui pourrait s’accorder avec les mets prévus. Un Vin Jaune d’Arbois 1948 pourrait faire l’affaire. Pour avoir une autre solution, je cherche dans mes fichiers un champagne de 1948 mais il n’y en a pas. Ce doit être une année difficile à trouver et je n’ai bu que deux champagnes de ce millésime. Je me porte vers l’année 1949 et je choisis un Champagne Pommery 1949.

Mon invité arrive vers midi et nous commençons par une visite de cave. Nous allons ensuite dans la salle musée si on peut l’appeler comme cela, où nous allons déjeuner. Le menu sera : tarama à la poutargue / dos de saumon fumé / sashimi de thon / sashimi de thon épicé / riz / camembert / tarte aux pommes. Je propose de choisir le vin et nous concluons rapidement que ce sera le champagne.

Le Champagne Pommery 1949 est ouvert au dernier moment. A mon grand étonnement le bouchon en s’extirpant délivre un joli pschitt montrant que le vin a du gaz. La couleur est joliment ambrée d’un ambre clair. Le parfum est pur. En bouche, il y a une légère amertume, ce qui est normal, qui va disparaître avec le temps mais surtout avec les mets.

L’accord avec le tarama est superbe, car mets et vin se complètent, l’insistance de la poutargue rendant le champagne très vif. Le champagne n’est pas le meilleur ami du saumon qui aurait mieux profité du vin d’Arbois. L’accord avec le thon est entraînant. Le champagne est un peu strict, droit et il nous séduit par ses complexités. On voit que le champagne ancien développe une palette gustative infinie et plus riche qu’un champagne jeune.

Nous parlons, nous parlons et il faut se rendre à l’évidence, il faut ouvrir autre chose. Comme la suite est un camembert, il faut un champagne plus jeune. Je vais chercher en cave un Champagne Dom Pérignon 1985. Ce qui m’étonne c’est que le 1985 est d’un ambre presque aussi prononcé que celui du 1949. Je ne m’y attendais pas. La bulle est belle et le Dom Pérignon est manifestement plus expressif que le Pommery. Il est aussi beaucoup plus ensoleillé et joyeux. Masculin et affirmé, il rayonne. Avec le camembert qu’il faut prendre sans pain, l’accord est idéal.

Le 1985 cohabite bien avec la tarte aux pommes. Et j’ai envie que mon hôte goûte un peu du Madère vers 1740 que j’ai déjà ouvert il y a quelques mois. La couleur est magique, si vive et brillante avec des notes de pierres précieuses marron comme l’agate. En bouche ce vin est un miracle, porteur d’éternité. Complexe, joyeux, solide et indestructible, c’est un moment de pur bonheur.

Ce repas fut un moment précieux et pour moi une libération. Depuis un an j’ai vécu une sorte de confinement avec bien sûr des moments de joie et de partage, mais aussi le sentiment du danger. Il doit être possible d’utiliser cet endroit pour organiser des repas aussi joyeux et gratifiants. Un détail amusant. J’ai publié des photos des vins sur Instagram et un lecteur attentif a constaté que la bouteille de Pommery 1949 a été habillée d’une couronne princière pour célébrer le mariage du Prince Rainier et de Grace Kelly le 19 avril 1956. Je ne l’avais même pas remarqué !

Vins de 1913 et de 1919 dimanche, 7 février 2021

Les mesures gouvernementales ont été prises pour limiter les possibilités de se rencontrer entre amis ou en famille, virus oblige. J’envisageais de dîner seul avec une belle bouteille. Mais en cours de route il m’est apparu que rien ne vaudrait le plaisir de partager. J’ai appelé ma fille cadette pour un déjeuner dominical à trois. Ce qui fut convenu.

Deux jours avant, en me promenant dans ma cave, je vois une bouteille que je reconnais immédiatement malgré des inscriptions difficiles à lire : c’est un Grand Chambertin Sosthène de Grésigny Jules Régnier. J’en ai bu onze fois, dont cinq 1913, trois 1929, deux 1919 et un 1918. L’année étant difficile à voir, je suis allé sur mon blog pour voir les photos des capsules. Sans hésitation la réponse est 1913.

Le niveau est assez bas, mais j’ai entièrement confiance dans ce vin qui a toujours brillé lorsque je l’ai ouvert. C’est d’ailleurs dans ce climat de confiance que j’avais ouvert un 1913 au restaurant Laurent avec un de mes Nuits Cailles Morin 1915 que je chéris, pour essayer de convaincre Mark Squires, le manager du forum de Robert Parker, que les vins anciens sont des trésors de goûts. Les deux bouteilles avaient brillé, Mark en était convenu, ce qui n’a pas changé son désamour pour les vins anciens.

Toujours en cave, je vois un lot de très vieux Krug Private Cuvée des années 50 que j’avais achetés à petit prix car les niveaux étaient bas.

De retour à la maison et rangeant les deux bouteilles en cave en prévision du repas, je vois une bouteille d’un sauternes dont le nom est illisible, y compris sur la capsule, dont l’année est clairement lisible sur le bouchon, 1919. L’idée de boire au même repas un vin de l’année précédant la grande guerre et un vin de l’année qui a suivi la fin de la grande guerre me plait.

Flânant dans la cave du domicile, je vois une bouteille de vin blanc dont le bouchon flotte dans le vin. C’est un Montrachet du Château de Beaune 1971 qui avait été posée verticale il y a longtemps. Le vin est sûrement mort. Autant l’ouvrir avant de l’écarter.

Ma femme étant dans le sud je fais des courses en vue du repas, et le jour venu, je prépare la table, les verres et les mets. Le Chambertin a été ouvert à 9h du matin, le champagne est ouvert à 11 heures, le vin blanc carafé et le liquoreux ouvert à la même heure.

Le bouchon du chambertin est noir sur son pourtour et sort en mille morceaux car le cylindre du goulot n’est pas régulier. Le pincement du bouchon le brise à la montée. Il faudrait qu’un huissier soit présent quand de telles bouteilles sont ouvertes, car l’odeur est peu engageante, ce qui pourrait conduire à écarter ce vin. Mais on sait que l’oxygénation lente fait des miracles. J’ai donc bon espoir.

Le bouchon du Krug Private Cuvée année 50 est tellement recroquevillé qu’il vient sans aucun effort. Et ce que je vois n’est pas beau. Haut du goulot très sale, bouchon noirci et sale et le goulot lui-même est très poussiéreux. Ce champagne ne sera pas gardé si l’essai n’est pas convaincant au moment où il sera servi.

Le Montrachet Bouchard 1971 est carafé seulement à moitié car des poussières en suspension apparaissent. L’essai de ce vin sera court car il faut éviter de nous empoisonner.

La bouteille du sauternes 1919 est très ancienne et soufflée, d’un verre totalement transparent et sans couleur. Le nom écrit sur la capsule est illisible. C’est le bouchon qui donne le nom très lisible : Château Rieussec 1919. Le bouchon est tellement rétréci que deux ou trois millimètres seulement collent au verre. Ayant enlevé la capsule, le bouchon perd ce qui le retenait. Va-t-il tomber ? Il me faut une patience d’ange pour que je trouve un coin du bouchon dans lequel la pointe de mon tirebouchon puisse s’accrocher sans pousser le bouchon vers le bas. Heureusement j’en trouve un et le bouchon remonte entier, tout fripé. Le parfum est divin.

Mes invités arrivent. J’ai mis la table et préparé les éléments du repas. Ma fille n’en revient pas, car je ne suis pas connu pour être addictif aux tâches ménagères. Nous aurons pour l’apéritif du fromage de tête, des chips à la truffe et des quiches au jambon.

Le Champagne Krug Private Cuvée années 50 a une couleur beaucoup moins ambrée dans le verre qu’elle ne paraissait dans la bouteille. La bulle est absente mais le pétillant est sympathique. L’attaque est belle, l’amertume est charmante, mais l’acidité est extrêmement prononcée. Le champagne n’a pas souffert de la défaillance du bouchon car rien de poussiéreux n’apparaît au palais. Il n’est pas besoin de le remplacer par un autre et le plaisir serait parfait, car le champagne est généreux et fruité, s’il n’y avait cette acidité trop présente.

Le Montrachet Bouchard Domaines du Château de Beaune 1971 a lui aussi une couleur beaucoup plus claire dans le verre que dans la bouteille. Le nez est précis et fort étonnamment, le vin est buvable. On sent évidemment qu’il a souffert, qu’il est imprécis dans son message, mais il pourrait être bu. Nous ne continuons pas, par précaution, mais il n’y aucun pourrissement du goût résultant du bouchon flottant. Curieuse constatation.

A l’apéritif, l’envie m’est venue d’essayer les quiches avec le sauternes. Le Château Rieussec 1919 a une belle couleur ambrée et un parfum très joyeux et ensorceleur. Ce n’est pas le parfum des sauternes les plus riches et complexes, mais il est charmant. En bouche, quand un sauternes est grand, il est parfait et ce sauternes est abouti. On y reviendra au dessert.

A table il y aura un pâté en croûte au foie gras puis un époisses. Le Grand Chambertin Domaine Sosthène de Grésigny Jules Régnier 1913 a une superbe couleur au rouge vif, sans trace tuilée. Le nez est parfait et je regrette l’absence d’un huissier qui attesterait que l’oxygénation lente fait des miracles.

Le vin est sublime, noble, riche avec une pointe de truffe dans sa structure, et sa longueur est extrême. L’idée qui me vient est qu’il s’agit d’un chambertin archétypal, qui a beaucoup de points communs avec les chambertins Armand Rousseau. Et cette idée me plait. Car le vin très long est parfait. Il n’a pas d’âge. J’ai mis dans mes dîners huit des onze chambertins Sosthène de Grésigny que j’ai bus et ils ont été classés cinq fois premiers, deux fois deuxièmes et une fois quatrième par moi et six fois premiers et une fois quatrième par le consensus. C’est donc une chance inouïe que d’avoir acquis des vins d’une telle constance dans la perfection.

Ma fille a poêlé des tranches de mangue pour le Château Rieussec 1919. Elle a ensuite poêlé des suprêmes de pomelos. Avec la mangue le Rieussec paraît avoir mangé son sucre et se présente presque sec alors qu’avec les pomelos il paraît beaucoup plus large et liquoreux, tout en perdant un peu de longueur. Globalement ce sauternes n’a pas d’âge, est très équilibré et joyeux.

La vedette du repas est cet extraordinaire chambertin dont la solidité semble inébranlable. On mesure à quel point sont nécessaires les repas de famille, dont nous sommes hélas privés.

un bouchon comme celui-ci, ça fait peur

l’ouverture pas à pas du 1913

le haut du goulot a été nettoyé

couleur de ce vin magnifique

La Tâche 1957 mardi, 2 février 2021

De retour à Paris l’horizon semble bouché pour partager des vins avec des amis. Je suis seul à la maison, confiné de fait, même s’il n’y a qu’un couvre-feu. Qui aurait cru il y a un an que je puisse évoquer une telle situation. Mais les hasards se produisent. En rangeant des vins en cave j’ai vu une bouteille au niveau très bas. Voilà une bonne occasion de tromper ma solitude.

Je rapporte la bouteille à la maison et le lendemain, vers 15h30, j’ouvre la bouteille de La Tâche 1957. La capsule collée au bouchon se déchire lorsque je veux la retirer. Le haut du bouchon est dur comme du béton et il est très difficile de planter la mèche du tirebouchon. Cela me surprend toujours que des bouchons qui paraissent hermétiques comme celui-ci aient donné lieu à une évaporation importante, puisque le niveau est à environ 13 centimètres sous le bouchon, alors que des bouchons qui tournent facilement dans le goulot n’ont donné lieu à aucune perte.

Le bouchon vient en mille morceaux car le goulot est resserré tout en haut, ce qui déchire le liège à la traction. J’avais humé le haut du bouchon si dur et ce n’était pas très engageant alors que parfum qui se dégage du vin est magnifique. Riche, dense, très fruité, il est prometteur. Il évoque pour moi le parfum de très vieux Lafite, très concentrés. Alors je mets un bouchon neutre pour couvrir le haut, pour ne pas perdre cette belle odeur, tout en laissant au vin le temps de s’élargir.

Vers 19h30, c’est l’heure de l’apéritif. J’ouvre une demi-bouteille de Champagne Léon Camuset Blanc de Blancs sans année de Vertus. Ce champagne était le champagne de famille de mon grand-père. La demi-bouteille doit avoir environ trente ans. L’ambre est assez prononcé et le champagne n’a plus de bulles. Il a un pétillant encore présent et j’aime son côté un peu suranné, vieillot, mais qui raconte de belles choses. Sa légère amertume lui donne du caractère. Je coupe des tranches de saucisson qui sont le compagnon idéal pour ce champagne.

Je suis un bien piètre cuisinier, limitant mes compétences à cuire des œufs à la coque. Au-delà, je ne m’aventure pas. Aussi la dégustation de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1957 se fera avec deux morceaux de saint-nectaires différents, ce qui se révèlera idéal. Le nez du vin n’a plus le caractère fruité que j’avais senti il y a presque cinq heures. C’est le sel, marqueur des vins du domaine qui s’impose. Au premier contact, je sens l’âge. Mais l’âge n’est pas un problème pour moi car il y a la noblesse. Ce que je ressens c’est le terroir de La Tâche aux pentes et courbes si harmonieuses. Il se trouve que j’ai bu 129 fois La Tâche sur 56 millésimes et je ressens ici l’âme de La Tâche. Le vin est plus fatigué que d’autres mais l’âme est là. Le message est de sel, de terre, janséniste, simplifié tout en étant subtil, et le vin me dit : je suis La Tâche. Et j’adore cette période où les vins furent difficiles. Et ce que je retiens le plus, c’est l’émotion qu’il dégage. Et cette émotion est encore plus forte parce que je suis tout seul, puisque je n’ai que ce vin sur lequel me concentrer. Chaque gorgée me lance un message et je le reçois avec émotion.

Ce qui me surprend, c’est la longueur extrême de ce vin, qui n’est pas puissant mais long. Il y a des similitudes avec des années discrètes mais expressives de la décennie 70. La lie que je verse dans mon verre est un concentré de puissance et d’expression du vin. C’est un bouquet final magistral. Je suis ému au point que les larmes ne sont pas loin de poindre.

J’aurais aimé ne pas être seul à boire ce vin émouvant, mais j’ai eu une belle bouffée de bonheur.

curieuse marque sur la bouteille

Sublime Hermitage samedi, 23 janvier 2021

L’amie que nous devions recevoir nous rend visite deux jours plus tard. Il n’est plus question d’épaule d’agneau. Ce sera un poulet. J’ai l’humeur à ouvrir de grands vins. L’apéritif se prendra avec un Champagne Krug Grande Cuvée étiquette crème sans année, qui a été commercialisé, si ma mémoire est bonne, dans les années 90, avec des vins sur des années des décennies 90 et 80. Il y aura des olives de Kalamata, des chips à la truffe, du fromage Jort, une rillette parfaitement adaptée au champagne, mais le meilleur accord, surprenant, sera de petits toasts à la confiture de fraise et des copeaux de stilton. Le champagne avait été ouvert une heure avant le repas et son bouchon très court était venu sans problème, délivrant un pschitt discret. Dans le verre la bulle est active et la couleur légèrement ambrée est jolie.

Ce champagne est un voyage sur une autre planète car aucun champagne récent ne pourrait offrir de telles subtilités. Ce champagne complexe est insaisissable comme un félin. Quand on croit avoir compris son message, il en change, délivrant une nouvelle palette de complexités. Il est d’un charme raffiné. C’est un grand champagne que j’adore.

Il se trouve que sur Instagram un grand amateur avait raconté sa dégustation d’un Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1990 et il l’avait trouvé parfait au point de lui accorder une note de 100 points sur 100. Ça m’a donné l’envie d’en goûter un que j’ai ouvert ce matin vers 9h30. J’ai cru pouvoir utiliser le tirebouchon limonadier pour remonter le bouchon mais le bas du bouchon, imbibé, n’est pas remonté. Je l’ai doucement levé avec la mèche que j’aurais dû utiliser avant la levée complète du bouchon. A l’ouverture la complexité du parfum annonçait un vin très riche. Au moment du service, dès le premier nez, je me suis senti comme le héros d’un film de cambriolage de banque, au moment où la combinaison du coffre, enfin découverte, libère une lourde porte et laisse montrer un trésor incommensurable. Car ce vin est une expression de la perfection du vin.

L’émotion n’est pas aussi vive que celle que j’avais eue en buvant l’Hermitage La Chapelle 1961, qui trône en haut de mon Panthéon, mais je ressens l’émotion que me donnent les vins parfaits, ceux dont on sait qu’ils ont atteint une forme totalement aboutie. Alors, je jouis de ce vin merveilleux, plein, riche, velouté, à l’amertume magiquement dosée. C’est du bonheur pur. J’imagine très bien que 1990 est le grand successeur de 1961 parmi les plus grands vins de ce domaine. Sa cohérence et sa longueur sont de vrais bijoux.

Le repas s’est conclu sur une galette des rois qui comportait une fève et un santon. Ce devait être un jour particulier pour moi, car j’ai eu la chance de trouver sur mon assiette à la fois le santon et la fève. Tout en ce jour était bonheur.

mes fèves

Rimauresq 1983 vendredi, 22 janvier 2021

Nous devions recevoir une amie. Une épaule d’agneau avait été mise au four pour une cuisson préparatoire à basse température la veille du déjeuner. Mais il a fallu reporter le rendez-vous. La viande ne pouvait pas attendre. Nous l’avons mise au programme du dîner. Un vin s’impose. Je choisis en cave un Côtes de Provence Rimauresq 1983.

Le niveau dans la bouteille est à un centimètre sous le bouchon, ce qui est parfait. En tournant le tirebouchon, je m’aperçois que le bouchon peut tourner dans le goulot sans effort, car il n’est pas comprimé. Je vérifie une fois de plus un phénomène curieux : un bouchon extrêmement serré peut accompagner une baisse de volume et un bouchon peu serré peut avoir mieux empêché l’évaporation. Le nez à l’ouverture trois heures avant le repas est magnifique et prometteur, j’entrevois la garrigue.

La viande d’agneau est superbe et typée, forte. La souris est d’une grande intensité tout en étant fondante. Le vin est velours. Il évoque le sud, la garrigue, le romarin et le genêt. Son amertume est très sensible, atténuée heureusement par ce goût velouté. Le finale n’est pas très long.

Il n’a pas l’énergie d’un vin jeune mais compense par sa cohérence. La viande et la sauce mettent en valeur ce vin qui a un peu perdu de sa vivacité. J’adore les vins du sud et l’image qui me vient est d’aimer ce Rimauresq comme j’aime les vins du domaine du Pégau en Châteauneuf-du-Pape. Ce vin était nécessaire pour profiter d’un agneau de grande intensité. Un Mont-d’or s’est montré plus pertinent sur le vin de 1983 qu’un saint-nectaire.