Archives de catégorie : dîners ou repas privés

dîner au restaurant Le Gaigne jeudi, 13 juin 2019

Tim est un des plus fidèles de l’académie des vins anciens. Il me propose de dîner avec la fondatrice d’une société d’authentification des vins et de recherche des fraudes que j’ai déjà plusieurs fois rencontrée. Elle connait tous les acteurs (ou presque) du marché des faux, qui ne cesse de s’étendre. Elle est basée à San Francisco mais donne des cours à travers le monde pour former des amateurs à la reconnaissance des principaux pièges à éviter. Nous serons cinq à dîner au restaurant Le Gaigne dont le chef et son équipe sont des amoureux du vin et acceptent nos apports. Régis m’accueille avec un grand sourire. Je lui avais demandé d’ouvrir à 17 heures mon vin, apporté ce matin, et quand j’arrive à 17h30, je vois que le bouchon du Trottevieille 1943 est sorti entier et le parfum me paraît hautement sympathique.

Tim et les trois autres convives de la société de Maureen arrivent ensemble juste avant 20 heures et Tim me montre que tous autres vins ont été ouverts à 18 heures et rebouchés avec des bouchons de verre. On ne peut pas à proprement parler d’oxygénation lente lorsque l’on utilise cette méthode qui me fait un peu peur, avec les agitations des vins pendant le transport. J’ouvre le seul vin non encore ouvert, un Corton-Charlemagne 1990 au parfum tonitruant.

Nous choisissons le menu qui est présenté sur des tablettes électroniques et je n’ai pas eu le réflexe de noter les intitulés des plats. Nous aurons des gambas aux carottes râpées, des cuisses de grenouilles, un merlan à l’artichaut, une belle tranche de veau et une boule fondante au chocolat à laquelle je n’ai pas touché.

Le premier champagne pris sur la carte du restaurant est un Champagne Joseph Perrier Blanc de Noirs Cuvée Royale 2008 qui n’est pas encore très expressif. Nous décidons de le reporter à la fin du repas et nous aurons raison.

Le Champagne Dom Pérignon 1969 que j’ai ouvert une bonne demi-heure avant qu’il ne soit servi, a une superbe couleur d’un or clair et une bulle active. Il avait fait un sympathique pschitt à l’ouverture. Ce champagne racé est un vrai bonheur. Il a une belle tension, une grande vivacité et une palette aromatique infinie. Les Dom Pérignon de la décennie 60 sont de véritables réussites.

Le Puligny-Montrachet 1er Cru Leroy négociant 1978 est une bombe olfactive et en bouche c’est un Etna de puissance. Il est riche incisif, avec une acidité conquérante. C’est un grand vin.

Il est beaucoup plus puissant que le Corton Charlemagne Bouchard Père et Fils 1990 que j’avais pourtant jugé tonitruant à l’ouverture. Le vin de Bouchard est noble, gouleyant et de grande longueur. On sent le Grand Cru.

Ce qui est étonnant, c’est que le Puligny est plus grand lorsqu’il n’y a pas de plat, et lorsque les cuisses de grenouilles sont servies, c’est le Corton-Charlemagne qui devient le plus brillant. Il crée un accord superbe.

On servira les rouges en deux séries, les deux bordeaux et les deux bourgognes. Le Château Trottevieille Saint-Emilion 1943 est tout en velours. Son parfum est de truffe, et sa bouche est velours, avec une belle intensité.

Le bordeaux apporté par Tom a une étiquette très peu lisible mais on peut lire Château Laroze. La bouteille est ancienne, probablement de la fin du 19ème siècle. Lorsque je goûte, j’ai une intuition : 1923. Pourquoi ? Parce que ce vin est plus que certainement de la décennie 20, mais il n’a pas l’ampleur d’un 1928 ou d’un 1929. Il est un peu en dessous d’un 1926 aussi 1923 me paraît le plus conforme à ce que je bois. Le vin a plus souffert que l’autre Saint-Emilion, mais il y a un charme dans ce vin moins précis que j’adore. Car ce vin « respire » les années 20. Et j’adore ce Château Laroze
Saint-Emilion 1923
. J’aime son émotion et son discours subtil, tout en suggestion. C’est un rêve de 96 ans.

Les bourgognes sont moins racés que les bordeaux. Le Nuits Saint Georges Les Didiers Saint-Georges Cuvée Cabet des Hospices de Nuits A. Bichot 1978 a un petit côté brûlé, qui me dérange car il suggère un stockage dans une cave trop chaude. Il a de l’étoffe, mais la torréfaction limite le plaisir.

Par contraste le Corton Grancey Louis Latour 1979 à la couleur claire fait fringuant et primesautier. Il n’a pas l’assise terrienne de certains de ses glorieux ancêtres des années 40, mais il se boit bien, franc et généreux.

Le Champagne Joseph Perrier Blanc de Noirs Cuvée Royale 2008 a profité d’une longue aération et il se montre très agréable et large, ce qu’il n’était pas à l’ouverture. Il permet de poursuivre les discussions dans une ambiance agréable.

Nous nous amusons à voter. Nous sommes cinq à voter pour nos cinq préférés de huit vins. Tous les vins ont des votes sauf le Joseph Perrier, ce qui est normal car c’est le seul vin jeune. Le Dom Pérignon 1969 recueille trois votes de premier, le Puligny 1978 un vote de premier comme le Laroze supposé 1923.

Le classement du groupe serait : 1 – Dom Pérignon 1969, 2 – Puligny-Montrachet Leroy 1978, 3 – Corton Charlemagne Bouchard Père et Fils 1990, 4 – Château Trottevieille 1943, 5 – Château Laroze 1923.

Mon vote est : 1 – Château Laroze 1923, 2 – Puligny-Montrachet Leroy 1978, 3 – Dom Pérignon 1969, 4 – Corton Charlemagne Bouchard Père et Fils 1990, 5 – Château Trottevieille 1943.

Le chef Mickaël Gaignon a fort opportunément adapté ses recettes pour que les plats soient harmonieux pour les vins. Les cuisses de grenouilles désossées et le poisson sont deux plats remarquables.

Régis et toute l’équipe ont fait un service joyeux et convivial. Ce repas impromptu, organisé sans savoir qui apporte quoi, grâce à la générosité de Tim, fut un très grand repas.

Dîner avec mon fils et un surprenant champagne mardi, 11 juin 2019

Je suis revenu du sud ce matin pour déjeuner avec le journaliste ami dans un restaurant italien et le soir qui suit, je retrouve mon fils pour dîner. Ayant imaginé que le réfrigérateur serait vide j’ai demandé à ma collaboratrice de faire des emplettes et mon fils a eu la même idée ce qui fait que c’est une montagne de victuailles qui nous tend les bras.

Pour l’apéritif, j’ai choisi en cave par un pur hasard une bouteille extrêmement rare d’un Champagne Krug Private Cuvée dont le surtitre est KRUG LIGHT. Cette bouteille doit être des années 40. Le niveau est bas, la couleur est assez grise, vue à travers le verre de la bouteille, et le bouchon semble avoir souffert. Par précaution je l’ouvre une heure avant le dîner et le fil de fer du muselet est si vieux qu’en cherchant à dévisser l’oreille pour élargir le treillis du muselet, l’acier se casse en petits morceaux. N’ayant plus rien à tourner, je suis obligé d’élargir comme je peux le bas du muselet et pendant que je bouge le métal, le bouchon bouge aussi. Ce qui fait que je lève ensemble le muselet et le bouchon qui ne résiste pas. La première odeur est rebutante, un peu viandeuse.

Une heure plus tard au service, le parfum est beaucoup plus sociable. Il n’y a pas de bulle, et la couleur me surprend car elle est beaucoup plus claire et plus dorée que je ne l’attendais. En bouche le champagne se boit bien, ce dont je doutais. Je cherche ce qu’il pourrait avoir de « light » et je ne trouve rien car il a une belle énergie et son finale est riche et extrêmement long. Ce n’est pas un champagne parfait, mais c’est un champagne qui dégage de l’émotion. Avec un foie gras, il se comporte élégamment.

En cours de route, au milieu de bouteille l’acidité augmente mais le champagne donne toujours du plaisir.

Pour un Parmentier de canard cuit au four j’avais ouvert il y a deux heures un vin dont la capsule indique M. Chevillot à Beaune. La bouteille est très ancienne et certainement du 19ème siècle. L’étiquette est quasiment illisible mais je reconnais le mot Chambertin déporté très à droite. Au vu de la typographie et de l’occupation de l’espace, ce pourrait être un Mazoyères-Chambertin ou un Latricières-Chambertin. Pour l’année, je me souviens d’avoir acheté des 1928 de ce négociant mais la bouteille et le bouchon très sec et noirci sur le haut me font privilégier un millésime que je crois pouvoir lire : 1911. Si ce n’est pas ce chiffre je n’exclus pas un vin du 19ème siècle. Nommons-le donc Mazoyères-Chambertin M. Chevillot 1911.

A l’ouverture, le vin exhalait des senteurs peu accueillantes. De l’animal, du vieux. Mais j’avais envie de croire en lui et j’ai pu sentir qu’il se développait bien. La couleur au service est d’un noir intense. Le vin est une bonne surprise car il est bon. On sent un grand vin, noble, qui est comme un athlète sur le banc de touche. Il a toute les capacités, mais il ne joue pas dans l’équipe. Comme mon fils et moi, nous aimons le côté positif des vins, nous percevons son message. En milieu de bouteille on verra même apparaître des fruits rouges, timides, mais ils sont là. C’est sur la fin de bouteille qu’un saint-nectaire va jouer le rôle de docteur miracle, car d’un coup, le vin prend une tension qu’il cachait jusqu’alors. La lie m’a donné un beau plaisir. Il nous a suffi que fugacement il ait des fulgurances pour que nous soyons contents.

Une délicieuse tarte aux pommes a été accompagnée pour mon fils par un Tokaji Eszencia 1988, que je n’ai pas bu. Nous avons conclu ce beau repas par un verre de : Une Tarragone Liqueur des Pères Chartreux des années 20. C’est un élixir, mais en fin de bouteille comme c’est le cas, l’alcool est un peu éventé, tout en donnant, malgré tout une douceur inégalable.

Déjeuner au restaurant Penati Al Baretto mardi, 11 juin 2019

Un journaliste gastronomique qui connait tout de toutes les grandes tables de France et d’ailleurs m’invite au restaurant Penati Al Baretto où le chef italien est l’un des rares italiens de France à être étoilé par le guide Michelin. La raison de son invitation est que pendant quelques jours la carte du restaurant a été composée à quatre mains par le chef du lieu Alberico Penati et par le chef italien Sergio Mei lui-même étoilé en Italie.

Le lieu est joliment décoré dans une ambiance cosy. La jeune et jolie femme qui nous accueille est souriante et professionnelle ce qui est très plaisant.

Nous choisissons nos plats dans cette carte à quatre mains dont le thème est « la Sardaigne à table ». Mon menu sera : pain Ziccu avec herbes amères, sardine, pecorino et poutargue / langouste comme à Castelsardo avec tomates cœur de bœuf, oignons rouges, huile d’olive et citron / Fregula Sarde au safran avec gambas, asperges de mer et pecorino / seadas avec miel d’arbousier et crème glacée au touron de Tonnara.

Le sommelier nous sert les vins prévus pour ce menu, d’origine sarde. Le Villa Solais Vermentino de Sardegna Cantina Santadi 2018 est le premier vin de 2018 que je bois. Au nez, le vin est incroyablement vert. En bouche il est perlant, ce qui limite le plaisir. C’est quand il est plus chaud que ce vin commence à exprimer quelque chose et il se montre rond et joyeux. La sardine est délicieuse et le vin devient presque civilisé.

La langouste est superbe et goûteuse. On sait bien que le plat est italien, mais la tomate n’a aucune faculté pour féconder la langouste qui se porterait mieux sans elle.

J’ai connu des Fregula sardes meilleures que celle-ci qui est toutefois très bien accompagnée d’une gamba à peine cuite délicieuse. Le vin associé est un Grotta Rossa Carignano del Sulcis Cantina Santadi 2017 qui a beaucoup plus de choses à dire que le blanc. Il est riche, encore en formation mais trouve sa voie pour exciter mon palais.

Le sommelier ayant trouvé que je m’intéressais à ces vins décide de me faire goûter un Terre Brune Carignano del Sulcis Cantina Santadi Superiore 2014 qui marque un saut qualitatif certain. Il est riche, de belle râpe et au finale de grand plaisir.

Cette visite de la Sardaigne par des plats locaux exécutés par deux chefs de talent et par des vins très jeunes mais qui ’causent’ est une visite sympathique. Le plat qui a illuminé le repas est le dessert au miel, d’une intelligence et d’un charme rares. Si on veut faire le tour de la Sardaigne sans prendre un bateau, il faut le faire en ce sympathique restaurant.

Déjeuner de famille jeudi, 6 juin 2019

Trois fois par an nous nous réunissons à déjeuner ma sœur, mon frère et moi et l’invitant est tournant. C’est le tour de mon frère. Je me présente chez lui car il avait envisagé un court apéritif en son appartement avant d’aller au restaurant. Mon frère est surpris quand je sonne et il s’avère que je me suis trompé d’un jour. Nous téléphonons à notre sœur qui ne peut pas changer la date. Après une bière bue à son domicile, nous nous rendons au restaurant l’Escudella. C’est un petit restaurant dont internet donne de bonnes notations et dont le chef a travaillé avec Yannick Alléno.

La fille aînée de mon frère remplace au pied levé ma sœur. Nos commandes sont distinctes. Mon menu sera : tourteau au naturel, gelée de pamplemousse rose, mayonnaise à l’estragon / ris de veau cuit au sautoir, asperges blanches rôties aux agrumes, sésame croustillant / brie de Meaux / miel de thym, gelée à l’orange, ganache dulce de leche, glace au miel de garrigue.

Tout est intelligemment exécuté, je me régale. Dans la carte des vins assez limitée il y a une pépite : Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 2006. Il fallait voir les yeux gourmands de la serveuse lorsque mon frère a annoncé son choix de vin ! Elle nous a demandé de pouvoir sentir le vin. Elle a pu en boire, elle s’en est pâmée. Nous aussi car ce vin riche bien sûr, trop jeune bien sûr, est d’une délicatesse subtile et d’un charme diabolique. Que ce vin est racé. Il est d’une noblesse remarquable.

Voilà une table très simple, sans chichi, que l’on peut recommander.

Déjeuner entre conscrits de la même école mercredi, 5 juin 2019

La promotion de Polytechnique à laquelle j’appartiens a été punie d’un séjour en corps de troupe pour avoir fait un chahut qui n’a pas du tout été apprécié par la plus haute hiérarchie de l’armée. Des amis ont envie de regrouper tous les souvenirs de ce qui a entouré ce chahut qui a failli faire exclure tous les élèves de la promotion. Nous nous réunissons à cinq plus une journaliste chez l’un des initiateurs de ce travail de mémoire. Lorsqu’il m’a invité, l’ami m’a dit : « tu pourrais apporter une bouteille de 1961, année de notre promotion ».

J’ai cherché dans ma cave et il se trouve que l’un des deux adjudants qui encadraient notre vie militaire s’appelait Loupiac. Quelle belle occasion d’ouvrir un Loupiac 1961, double clin d’œil, l’un à notre année d’entrée à l’X et l’autre à ce militaire pour lequel j’avais de l’admiration –pour son parcours dans l’armée – et de la sympathie.

L’ami Pierre qui nous reçoit a prévu des langoustines à la mangue, des saucisses de Morteau avec une fricassée de champignons et des fromages. Sur mes suggestions il a ajouté un Stilton et des mangues pour la fin du repas.

Pour l’apéritif nous buvons un Château Haut-Marbuzet 2009 qui est d’une richesse et d’une spontanéité qui sont agréables à vivre. On se sent bien avec ce vin dans cette année splendide.

Pierre m’avait dit qu’il n’a qu’une bouteille de 1961 mais qu’elle est sûrement morte. Je descends en cave avec lui et je vois une bouteille dont la couleur m’inspire. Je lui dis : « ce vin sera bon ». Il ne veut pas me croire. J’ai ouvert la bouteille avant l’arrivée des autres amis et le parfum du vin m’a plu.

Nous buvons le Côte de Beaune ‘Villages’ 1961 dont le négociant embouteilleur est illisible. La couleur est légèrement ambrée, d’un rose gris qui est engageant. Le vin a de l’âge bien sûr mais avec les langoustines à la mangue, le vin est parfaitement adapté et se montre vif et réactif. Il est plaisant à boire et Pierre n’arrive pas à comprendre que cela soit possible.

La saucisse de Morteau aurait pu être accompagnée par le vin blanc mais il est vite fini, aussi est-ce le tour d’un Château Léoville Poyferré 2009 de prendre le relais. Quel grand vin ! Il est dans une forme jeune totalement aboutie. Il est riche, généreux, plein en bouche et d’une cohérence rare. Le mot qui convient le mieux est : abouti. Le 1959 de ce château est un vin parfait. Le 2009 l’est aussi, dans sa belle jeunesse.

Le Saint-Julien est à l’aise avec les beaux fromages. C’est maintenant au tour de mon vin d’apparaitre. Le Clos Champon-Ségur Loupiac 1961 a une couleur d’un bel or encore clair. Le nez annonce un beau liquoreux. Avec du stilton, ce Loupiac crée un bel accord. Si l’on n’a pas la puissance d’un sauternes, on a l’élégance d’un beau liquoreux délicatement gras. Il est aussi à l’aise avec des dés de mangue.

Pierre ayant prévu à manger pour satisfaire de gros appétits nous sommes repus. Nous travaillons sur le livre bien sûr, mais le plaisir de nous rencontrer nous conduit à évoquer mille anecdotes des années passées pendant et depuis nos études. Dans une ambiance amicale riante et chaleureuse, nous allons peut-être construire un best-seller. Visons plutôt de nous faire plaisir.

Deuxième journée à Fontjoncouse à l’Auberge du Vieux Puits samedi, 1 juin 2019

Après une nuit de repos bien nécessaire, tant nous avions festoyé hier, nous prenons le petit déjeuner dans une salle proche de la piscine de l’Auberge du Vieux Puits. Le personnel officie dans une cuisine ouverte. On les voit préparer des œufs brouillés au bacon absolument délicieux et, oh surprise, c’est la première fois de ma longue vie que je mange du cassoulet au petit déjeuner. Il est magiquement fait. Elsa qui nous sert est charmante et tentatrice, au point que l’on mange plus que de raison. Tout est bon et nous met de bonne humeur. Les croissants et les confitures sont de niveau trois étoiles. Une belle journée s’annonce.

A Fontjoncouse il fait beau. Nous avons pris un petit-déjeuner copieux dont le point culminant est un diabolique cassoulet, ce qui nous permettra de sauter le déjeuner, car ce soir, nous allons à nouveau dîner à l’Auberge du Vieux Puits de Gilles Goujon. Pendant la journée nous alternons des promenades dans les environs de la ville où la nature est sauvage et belle avec des promenades en ville où des vestiges du passé montrent que cette petite ville a dû être riche dans le passé. Cela se mesure à l’importance des caveaux dans le cimetière. De courtes siestes sont des points de suspension entre les balades.

Nous sommes fins prêts pour dîner, accueillis par Gilles Goujon tout souriant. Pour l’apéritif je voulais commander un Comtes de Champagne 2006 de Taittinger mais il ne reste plus que du 2007. Mon regard sur tourne alors vers le Champagne Cuvée des Caudalies de Sousa et Fils 2006. Les amuse-bouches sont les mêmes qu’hier et nous sommes capables de citer ce qu’ils sont à la charmante personne qui nous les présente. Le champagne a un nez puissant et ce qui frappe tout de suite, c’est la force de ce champagne plein et généreux, très pénétrant. Ce blanc de blancs est dominant.

D’emblée nous ressentons que le service est beaucoup plus attentif et souriant que la veille. La jeune et charmante Louise-Anne fait un service plaisant.

A table, nous choisissons le menu « quelques pas dans la garrigue » avec quelques ajoutes du chef, qui est ainsi composé : vrai faux couteau de Charly le pêcheur en coquille comme un sandwich / courgette fleur fourrée d’une mousseline en coquillage en crème légère d’oursin / très belle queue de Langoustine, noix de Saint –Jacques et morille fourrée en mousseline de crustacée, purée d’artichaut à la truffe, un bouillon de Poule à la réglisse et polypode / aiguillettes de filet de barbue de Petit Bateau aux artichauts de « Mijo » en baréjade de légumes du printemps au Fetge sec, à l’huile d’olive et « pain con tomate » / tous les morceaux du chevreau de l’ami Jean-Ba, l’épaule en longue cuisson, le gigot simplement rôti, côtelette à la plancha, brochette de béatilles, risotto aux morilles en blanquette printanière, jus à la fleur de thym / chariot de fromages, affinés des Corbières surtout… mais aussi d’ailleurs / sorbet de clémentine en peau semi-confite, suprêmes en tartare, feuillantine de chocolat et crème pralinée pistache / les mignardises du Vieux Puits.

Je bavarde avec Gianni le sommelier sur les vins de Peyre Rose qui pourraient se marier au chevreau et nous décidons que ce sera le Marlène n° 3 Coteaux du Languedoc Peyre Rose de Marlène Soria 2003. Gianni suggère de le carafer mais j’ai envie qu’il soit ouvert au dernier moment pour que l’on profite de son éclosion.

Pour le début du repas, nous aurons le champagne et des restes du chablis et du Winston Churchill.

Gilles Goujon adore recomposer, recréer la nature. Ainsi le couteau ressemble à s’y méprendre à un couteau de mer, mais tout est du vrai faux comme le dit le titre de ce plat. La composition du couteau est superbe mais la mâche croquante de la fausse coquille me gêne un peu, car j’aurais préféré avoir une mâche douce de la chair de ce coquillage si intense. Le goût est évidemment excellent et le champagne de Sousa est le plus adapté.

La courgette est un plat magistral et le Chablis Grand Cru Moutonne Long-Dépaquit Albert Bichot 2015, qui a profité d’un jour d’aération est un partenaire du plat hautement sensuel. Le plat est gourmand.

La langoustine est impressionnante de taille et sa cuisson est idéale. L’imagination du chef est sans limite car le plat est orné d’une coquille de coquille Saint-Jacques qui semble peinte comme un éventail. Et lorsque le maître d’hôtel verse avec force une soupe, la coquille fond et se mêle à la soupe. C’est de la magie et en plus, c’est bon. La morille fourrée est divine. Le Chablis convient mais le Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 2008 de la veille est encore meilleur car il a perdu sa bulle et se présente comme un vin vif et délicat.

Le poisson est accompagné d’une myriade de légumes dont chacun se présente à la perfection. J’aurais aimé qu’ils soient un peu plus découpés pour qu’on les croque plus facilement. Le poisson appelle le chablis et les légumes le champagne de Sousa.

Le plat de chevreau est comme un plat de concours. Tous les morceaux sont cuits à la perfection. Le foie est irréellement bon. C’est le moment de goûter le Marlène n° 3 Coteaux du Languedoc Peyre Rose de Marlène Soria 2003 qui titre 14,5°. Le parfum est riche et engageant. En bouche il est évidemment puissant, mais il a une belle tenue, une belle mâche et sait se montrer presque aérien. J’aime l’éclosion d’un vin qui se réveille mais un des amis le préfèrera lorsqu’il sera plus épanoui et plus doucereux. Le risotto est tellement suave que le Winston Churchill l’accueille aussi bien que le vin rouge, plus à l’aise avec les viandes plus marquées.

Ce soir je vais prendre du fromage et je les choisis à la vue, m’étant levé pour regarder cette immense présentation de beaux fromages affinés. Le maître d’hôtel qui les présente a un talent fou. Le vin rouge est le plus souvent le plus à l’aise puisque j’ai choisi les fromages pour lui convenir, mais le de Sousa bien épanoui dans le verre trouve sa place auprès de certains fromages.

Je suis opposé à toute ajoute aux fromages qui doivent se manger seuls, sans rien. Mais ma femme ayant goûté des cerises accompagnées d’un jus de cerise confituré m’ayant dit qu’elle n’a jamais mangé d’aussi bonnes cerises je me suis laissé tenter et j’en ai goûté trois, diaboliques, en respectant ma règle de ne pas prendre en même temps du fromage.

La reconstruction d’une mandarine doit représenter un travail fou à celui qui prélève la peau toute fine pour qu’elle enrobe le sorbet. Ce plat est majeur, et c’est à mon goût le plus beau plat du repas. Quel talent. Faire une sauce au chocolat qui au lieu de l’alourdir rafraîchit le sorbet, c’est du grand art.

Le Peyre Rose s’est montré brillant et bien construit. De temps à autre il a des accents qui rappellent les belles Côtes Rôties de Guigal. Il n’a pas la même complexité mais le vin est joyeux et de bel accomplissement, avec une douceur toute féminine, comme dit Gianni, lorsqu’il s’est épanoui.

En ayant profité de la cuisine de ce grand chef en deux repas, on voit des constantes dans sa cuisine. D’abord l’amour du produit dont la recherche d’excellence est l’attention première du chef. Faire revivre des recettes ancestrales de cette région mérite le respect.  Le talent dans les cuissons est exceptionnel. Et ce qui m’a frappé le plus ce deuxième soir, c’est le génie des sauces.

J’ai personnellement plus d’attirance vers les plats les plus cohérents que vers les plats marqués par une abondance de produits. La diversité des champignons, des légumes ou des morceaux du chevreau me marquent moins que les plats comme le rouget, la courgette ou la langoustine. Mais dans chaque cas, on est au sommet de la création. La coquille Saint-Jacques qui fond, ce sera un souvenir unique. Les desserts ont été légers et parfaits.

Ce soir le service a été chaleureux et attentif. Voilà deux repas d’anthologie.


Notre logis avec des balustrades en ferronerie :

le cassoulet magique du petit-déjeuner

le dîner

peut-on imaginer que la coquille Saint-Jacques va fondre dans le plat ?

magique!

spectaculaire plateau de fromages ou plutôt meuble de fromages

j’ai voulu goûter les cerises seules et le maître d’hôtel a dessiné comme une grappe. Très jolie attention

les vins des deux jours

le lendemain, jour de départ, encore le prodigieux cassoulet du petit-déjeuner

Dîner féérique à l’Auberge du Vieux Puits de Gilles Goujon vendredi, 31 mai 2019

Nous prenons la route vers Fontjoncouse, petit patelin de 150 habitants peut-être, que l’on atteint par des routes étroites et sinueuses, dans un paysage sauvage de toute beauté. L’hôtel de l’Auberge du Vieux Puits étant complet quand nous avions réservé, nous sommes logés à deux minutes à pied dans le « Logis », où les chambres ont les noms de grands chefs que Gilles Goujon a rejoints dans le Panthéon de la cuisine française. Nous avons la chambre Jacques Maximin et nos amis la chambre Alain Chapel. Les chambres sont minuscules. On est loin du standard des hôtels qui sont associés à des restaurants trois étoiles.

Aussi bien au logis qu’à l’hôtel la décoration est majoritairement réalisée en ferronnerie, avec des thèmes de clous et pour le portail de l’hôtel des boîtes de conserve ouvertes de sardines où trône le logo du chef qui est une arête de sardine stylisée.

L’apéritif se prend à l’extérieur sur une petite terrasse où la décoration est faite de tonneaux de vins et de douelles comme dossiers. Pour l’apéritif nous commandons un Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 2008. Il est déjà très affirmé, solide, et se montre plaisant par son équilibre. La puissance qu’il développe est spectaculaire. Il va nous suivre pour les amuse-bouches de l’apéritif mais aussi pendant tout le repas.

Sur un chevalet lui aussi en ferronnerie il y a quatre petites portions pour chacun, un carré de pain à la crème de truffe, un rond de pain soufflé d’une autre crème, une patate de mer au violet et une tartelette avec asperge, agrume bille de mozzarella di buffala et une gelée à l’ail des ours. C’est délicieux et cela plante bien le décor.

Nous choisissons le menu « Air de fête en Corbières, confiance et plaisirs canailles » dont le détail n’est pas donné. Dans ce contexte le choix des vins n’est pas facile, mais le sommelier m’a intelligemment suggéré de ne prendre que du blanc. Il a eu raison. Il voulait que je choisisse un blanc de la région, ce que j’aurais fait volontiers, mais j’ai vu sur la liste des vins un Chablis Grand Cru Moutonne Long-Dépaquit Albert Bichot 2015 que je ne pouvais pas laisser passer. Le sommelier m’a dit qu’il l’avait entré en cave le matin même. Coïncidence.

Sur la table il y a deux pains d’un artisan boulanger de Perpignan et divers beurres à la betterave, à l’algue ou au jus d’huitre et au piment d’Espelette.

Le menu que l’on ne connait pas est ainsi rédigé sur le document que l’on m’enverra le lendemain : Huître Tarbouriech perlée, légèrement fumée au bois de hêtre, en gelée de son eau / L’œuf poule Carrus « pourri » de truffe melanosporum, sur une purée de champignons, briochine tiède et cappuccino à boire / Des Petits Pois ?… des Petits Pois ! Quels Petits Pois ?… Ceux de William Saury bien sûr ! / Mitonnée aux jeunes pousses de salade, première cèbe de printemps en croûte de sel et cardamome, quelques fraises acidulées / Laitue celtuce, farcie en mousseline de champignon premiers cèpes, saint Georges, giroles et mousserons en salade et vinaigrette à l’huile de noix / Filet de rouget barbet, pomme bonne bouche fourrée d’une brandade à la cébette en « bullinada », écume de rouille au safran / Pomme de ris de veau, morille fourrée en mousseline de foie gras et ris de veau, pointes d’asperges / Chariot de fromages, affinés des Corbières surtout… mais aussi d’ailleurs / Vrai faux citron de Menton délicatement cassant, sorbet citrus bergamote et kumquat du Japon du Mas Bachès crème thym citron, meringue croustillante / Les mignardises du Vieux Puits

L’huître de l’étang de Thau est surmontée par une petite boule de sucre transparente. Avec un marteau en métal on doit doucement casser la sphère et sentir l’effluve qui évoque la fumée de cheminée. C’est amusant et l’huître avec sa gelée est délicieuse. Le champagne Pol Roger s’accorde à merveille avec l’huître délicieuse à l’iode calme. Le maître d’hôtel ramasse rapidement les marteaux que nous avons utilisés. On n’est jamais trop prudent !

L’œuf est un des plats incontournables de Gilles Goujon. Quand on perce le blanc on a l’impression que le jaune est « pourri » comme le dit le titre du plat mais c’est gourmand au possible. Le Chablis Grand Cru Moutonne Long-Dépaquit Albert Bichot 2015 a un nez époustouflant combinant richesse et noblesse. En bouche il est brillant et sa majesté fait un peu d’ombre au champagne pourtant incisif. La petite crème laiteuse que l’on boit à la pipette fait un peu fade à côté de l’œuf si brillant.

Un maître d’hôtel vient découper devant nous deux croûtes d’argile qui renferment des oignons dont il ne prend que les cœurs. Et ces cœurs accompagnent des petits pois à se damner. Ce plat est irréellement bon. On pourrait croquer les jeunes petits pois sans s’arrêter ad vitam aeternam. Le champagne est plus adapté sur ce plat.

Le plat de laitue et de champignon est d’une exécution inimaginable. Comment peut-on mettre tant de talent et de brio dans un plat aux composants si simples ? Il faut un talent fou. Nous nous régalons et tout particulièrement de la racine de la laitue qui est fourrée. Douceur et merveille. Le chablis est joyeux sur ce plat.

Le miracle arrive maintenant. Une cuiller est en surplomb de l’assiette du rouget. On vient asperger d’un jet fort la rouille qui est dans la cuiller et elle inonde le rouget et le cube de pomme de terre qui renferme le foie du rouget. La richesse épicée de la rouille fondue est une merveille absolue. Elle propulse le chablis à des hauteurs incroyables. Le vin est vif et étincelant tant les épices l’excitent. Des plats de ce niveau sont rares. Modestement Gilles Goujon nous dira plus tard que ce n’est pas le plus difficile à faire. Je n’en crois rien car ce niveau de perfection est quasi inatteignable.

Le ris de veau avec ses morilles et ses asperges vertes est un plat beaucoup plus classique mais son exécution est parfaite. Le chablis devient quasiment doux à côté de ces saveurs viriles. Le ris de veau à peine cuit est tellement bon sous cette forme !

Le plateau de fromage est gigantesque et présenté avec élégance. J’ai passé mon tour.

Le dessert au citron, véritable prouesse technique, est aussi un incontournable du lieu. La meringue est fondante et l’acidité citronnée est rafraîchissante. Le champagne reprend le leadership sur le dessert et les mignardises.

Les salles sont immenses. Le service virevolte mais manque un peu de coordination au point que l’on attend parfois longtemps avant que quelqu’un ne s’aperçoive que notre table exprime un désir. Le service de notre sommelier a été appréciable. Il y a parmi les maîtres d’hôtel des personnalités de grand talent. C’est la première fois que je vois dans un restaurant que des lampes implantées dans le plafond s’allument au moment où l’on est servi et s’éteignent quand on a fini le plat. Ça a le mérite de permettre de prendre de belles photos des plats, même si ces variations de luminosité sont parfois surprenantes.

Le chef est un passionné. Nous avons bavardé à la fin du repas et l’on sent à quel point sa cuisine est fondée sur la pertinence des produits. Il suit avec un soin jaloux tous ses fournisseurs et avec quelques chefs étoilés du pourtour méditerranéen ils mettent ensemble leurs expériences et leurs approvisionnements. Il y a dans la cuisine de Gilles Goujon un talent dans l’exécution et une générosité qui sont exceptionnels. Ce repas est un très grand repas.

Classer les plats serait très difficile tant ils sont différents. Je mettrais en premier le rouget, en second les petits pois et le troisième laitue et champignon. Bravo à ce grand chef qui nous a régalés.

le logis où nous avons nos chambres, annexe de l’hôtel

porte serviette et couteau avec le sigle maison en arête de poisson

encore le sigle

Déjeuner à Narbonne à La Table Saint-Crescent vendredi, 31 mai 2019

En 2013, je m’étais rendu à l’hôtel Les Crayères à Reims pour un dîner à quatre mains avec en cuisine Philippe Mille le chef du lieu et Gilles Goujon, le chef de l’Auberge du Vieux Puits à Fontjoncouse. Les deux sont MOF et avaient réalisé un repas qui m’avait donné envie de me rendre à cette auberge.

De bon matin nous prenons à quatre l’avion pour Montpellier. Ranger les bagages de cabine de tous les passagers dans des espaces restreints nous a retardé d’un quart d’heure de plus que le retard annoncé du départ. L’espace vital dans les avions devient de plus en plus petit, ce qui est assez désagréable. A Montpellier il fait beau et un ami de notre petit groupe recherche un restaurant sur notre trajet. Il trouve sur internet à Narbonne La Table Saint-Crescent dont le chef Lionel Giraud a obtenu une étoile au guide Michelin.

Le chef a orienté sa cuisine sur les produits locaux et c’est une volonté affirmée. Nous prenons tous des plats différents. Les miens son : naturalité d’artichauts violets de l’amie Jo, cuits en coque d’argile dans son écosystème de la racine à la feuille, hollandaise au beurre / fagottinis d’agneau Allaiton de Yohann de la ferme de Mejtac confit à l’ail fermenté, jus de cuisson à l’olive / le miel de garrigue du rucher narbonnais en glace, sur un gâteau moelleux à la cerise de Céret et au thym de la Clape.

La grande salle est une ancienne orangerie avec des poutres centenaires. Nous déjeunons sur la terrasse couverte ouvrant sur un joli petit jardin. Le service est attentif et souriant et présente les plats d’une façon un peu appuyée mais pertinente. La carte des vins est assez limitée mais le chef nous dira après le repas qu’il vient d’acheter le caviste voisin ce qui lui permettra d’offrir une plus grande diversité.

Je choisis sur la carte des vins un Vin des Côtes Catalanes Vieilles Vignes Domaine Gauby 2015. Avant cela nous goûtons l’huile d’olive Lionel Giraud au café Lavazza qui est bio. L’huile est bonne et le pain aussi mais le café est un peu trop marqué.

Le Gauby est un vin jeune au nez riche et ouvert, l’attaque en bouche est belle mais le vin se resserre en milieu de bouche pour finir assez court. On peut comprendre pourquoi ce vin est célèbre et en fait il a besoin d’un plat. Il va se montrer très large, de l’attaque au finale, sur l’agneau.

La vraie surprise, c’est la cuisine du chef. Elle est cohérente, goûteuse et brillante. De nombreuses fois en cours de route je me suis dit que les plats tutoyaient la deuxième étoile. Je suis bien tenté d’écrire au Guide pour que cela devienne réalité. L’artichaut cuit en croûte d’argile est fondant et rend sublime le goût de ce légume, l’agneau est aussi fondant et superbe et propulse le vin. Le miel est un amour de dessert.

Ce restaurant n’est pas sur nos routes habituelles, mais il mérite le détour. On ne peut que le recommander.

déjeuner dominical en famille mercredi, 29 mai 2019

La conjonction de planètes est forte : élections européennes, fête des mères, anniversaire de ma fille aînée. Voilà un beau prétexte pour un déjeuner dominical en famille. Ma femme a mis au centre de la table de salle à manger un nid avec trois oiseaux très colorés qui symbolisent nos trois enfants.

A l’apéritif nous aurons des petits cubes de mimolette, des copeaux de chou-fleur que l’on trempe dans une crème à la noisette, des radis et champignons crus, du saucisson en fines tranches et des crackers pimentés. Le Champagne Salon 1996 m’oblige à prendre un casse-noix pour faire tourner le bouchon, tant il colle à la paroi. Le pschitt est vif et la couleur du champagne est étonnamment claire alors qu’il a déjà 23 ans. La bulle est active. Ce qui frappe dès la première gorgée, c’est la noblesse de ce champagne. Il est frais, aérien, plein de grâce. Et il est extrêmement raffiné. Il est encore d’une jeunesse folle et l’on sent qu’il sera grandiose dans vingt ans.

Le repas consiste en des pintades cuites avec des abricots secs et du couscous en graines de chia et citron. J’ai choisi un Château Haut-Brion 1967 au niveau très haut dans le goulot. A l’ouverture, le parfum indiquait clairement que le vin serait grand. Je le sers sans que mes filles ne voient la bouteille et si le nez leur suggère bordeaux, la puissance du vin évoque pour elles les riches Côtes Rôties de Guigal. C’est un indice intéressant qui montre que dans cette année peu tonitruante, Haut-Brion a réussi un vin riche et puissant. Il est remarquable d’aisance. C’est James Bond, interprété par nul autre que Roger Moore. Il a une jolie évocation de truffe et le mariage est parfait, même si un vin blanc eut aussi été plausible.

Le camembert bien fait est agréable avec le champagne et pour le dessert qui est une mousse au chocolat servie en même temps que des mangues fraîches mélangées à un sorbet à la mangue, j’ai choisi un Rivesaltes Henry Sauvy 1914 d’une bouteille d’un litre marquée ‘L’an 1914’ et ‘Puerta del Sol’. Ce Rivesaltes n’a pas d’âge car il est d’une vivacité extrême. Il est doux mais aérien. Il a de beaux fruits bruns comme en une marmelade, une présence alcoolique très fluide. L’accord naturel est avec la mousse au chocolat car ce sont deux complices évidents, mais en fait la mangue donne un coup de fouet de fraîcheur au vin qui devient encore plus jeune et aérien.

Un champagne Salon d’une rare noblesse et d’une belle jeunesse, un Haut-Brion au sommet de son art et un Rivesaltes de 105 ans follement frais, que demander de mieux pour un beau repas de famille ?

centre de table

la couleur du Haut-Brion

déjeuner et dîner à l’hôtel Royal Champagne vendredi, 24 mai 2019

Je suis invité à un déjeuner à l’hôtel Royal Champagne pour mieux connaître un champagne d’exception dont le projet a été lancé il y a dix ans. Je connaissais le Royal Champagne. Il est complètement transformé, façon blockhaus. L’immeuble fait très froid et le lieu est réchauffé par l’incroyable vue sur les vignes en pente et sur la vallée d’Epernay. La terrasse est spectaculaire.

La salle à manger est d’une même froideur qu’un couloir d’aéroport. La table est agréable et le service est pertinent. La carte des menus ne me semble pas à la hauteur des ambitions qu’un tel hôtel pourrait avoir. Je choisis de prendre des huîtres spéciales Gillardeau n° 3 / asperges rôties, œuf parfait, copeaux de magret, crémeux chaource / dos de cabillaud doré, lentillons bio de la Champagne / cheesecake framboise, sablé pistache et framboises fraîches. La cuisine est bonne.

Ne sachant pas si le plan de communication de cette maison permet que j’en parle. Mais je signalerai que leur volonté de perfection est certaine. Ils visent d’être présents dans les endroits les plus prestigieux du monde, car leur production est limitée. Ils font tout pour correspondre aux envies d’une clientèle exigeante. Je leur souhaite de réussir.

Le 236ème dîner était hier, le 237ème dîner est demain. J’ai prévu de rester dans cet hôtel pour la nuit. J’ai un après-midi pour me reposer. Ma chambre est spacieuse et très belle. Les alentours intérieurs sont très beaux. Le spa est gigantesque et je profite du hammam, du sauna et d’un massage très vivifiant. Je me présente au restaurant pour dîner et qui vois-je ? Daniel le sommelier du restaurant Laurent qui m’avait accompagné dans de très nombreux dîners. Il me sourit et me dit : ce midi je faisais le service dans une autre partie de l’hôtel et tout-à-coup j’ai entendu un rire qui ne pouvait être que le vôtre. Daniel est heureux. Il me fait porter un verre de Champagne Lenoble Brut Grand Cru Blanc de Blancs fait sur une base de 2014. Il ne savait pas que j’avais encore les restes des quatre champagnes du déjeuner ! Ce Lenoble est un beau blanc de blancs qui manque peut-être un peu de vivacité. Il est transcendé par le meilleur des quatre champagnes de cette maison que je ne cite pas.

Faute de plats qui me tenteraient, je reprends strictement le même menu que ce midi et c’est curieux de constater les très grandes différences dans l’exécution des plats entre le midi et le soir. L’œuf était parfait ce midi et il est plutôt mollet ce soir. Les asperges sont plus croquantes et vivantes ce soir. Le cabillaud est beaucoup plus épais ce soir et mieux cuit, c’est-à-dire peu. Seul le cheesecake est aussi parfait et constant.

La nuit fut bonne. Direction les Crayères, pour le 237ème dîner.

la merveilleuse vue