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un vin mystère à la Romanée Conti vendredi, 4 novembre 2011

La nuit fut courte après le mémorable dîner au Plaza avec Moët & Chandon 1911. Car le rendez-vous est à 9 heures à la Romanée Conti. L’histoire qui va suivre est comme un roman policier, avec ses intrigues et ses énigmes.

Vers l’an 900 a été bâtie l’abbaye de Saint-Vivant de Vergy. Sans doute trop délabrée, elle fut reconstruite sur des plans quasi identiques sur la période 1760-1790. Elle perdit sa vocation religieuse quand elle fut vendue à un particulier. Le site étant à l’abandon une association a été créée en 1996 pour essayer de le sauvegarder, y faire des fouilles archéologiques et l’ouvrir ensuite au public. Aubert de Villaine, gérant de la Romanée Conti, est président de cette association.

Au cours des fouilles des gravats de l’une des caves, on a trouvé, au point le plus éloigné de l’entrée des caves, des tessons de plusieurs bouteilles très anciennes et – miracle – une bouteille pleine.

Lorsque j’avais rendu visite à Aubert de Villaine il y a environ six mois, je lui avais raconté la bouteille datée approximativement de 1690 que j’avais goûtée. Il a immédiatement rebondi en me parlant de la bouteille découverte pendant les travaux de l’abbaye de Saint-Vivant et j’ai pu voir dans la cave du domaine cette bouteille de forme bourguignonne ancienne à l’excellent niveau. Aubert de Villaine m’avait alors invité à venir la boire lorsqu’elle serait ouverte, avec des chercheurs de l’université de Dijon, à des fins d’analyse. Le rendez-vous est ce matin.

Lorsque j’arrive, les chercheurs sont déjà là, la presse régionale aussi et l’initiateur du projet scientifique nous explique les circonstances de la découverte. La bouteille ayant été déposée au milieu de gravats et recouverte ensuite d’une grande épaisseur de gravats a été forcément déposée après la construction de la nouvelle abbaye, donc après 1790. Mais on ne peut pas dire si le vin est plus ancien ou plus jeune,. Toutefois les tessons ont déjà été examinés et des bouteilles quasi identiques trouvées en Belgique et datées ont été fabriquées sur la même période que la reconstruction de l’abbaye : 1760 – 1780. Je trouve personnellement la bouteille pleine plus fine et plus noble que ce que suggèrent les tessons. Mais l’idée qu’elle soit de cette période paraît très logique.

Lorsqu’Aubert de Villaine avait reçu cette bouteille au très beau niveau mais au bouchon rétréci, il avait demandé à ses équipes de mettre une légère couche de cire sur le haut de la bouteille, pour la protéger d’une évaporation éventuelle. Pour ouvrir la bouteille, il va falloir casser la cire et tirer le bouchon. Le scientifique voudrait faire ses prélèvements dans une atmosphère à l’argon, avec le moins possible d’air ambiant pour éviter toute oxydation. Il a apporté une sorte de housse transparente en plastique souple que l’on peut gonfler à l’argon et qui dispose de quatre inclusions étanches en forme de mains, permettant à deux personnes de travailler en manipulant ce qui est à l’intérieur de la housse. Aubert m’avait gentiment proposé d’ouvrir la bouteille, mais je me vois mal opérer de l’extérieur au sein de cette housse. Il est donc décidé que je commencerai l’ouverture à l’extérieur de la housse et que le dernier geste d’extraction se fera sous la housse. Aubert de Villaine commence à enlever la cire qui n’a pas trop durci. Je continue à enlever la cire et je fais part à tous de mon étonnement : ce bouchon paraît étonnamment jeune, car le haut du bouchon est blanc, sans aucune rognure sur son contact avec le goulot. J’enfonce mon tirebouchon et la dureté du bouchon m’étonne. Les bouchons très anciens sont souvent meubles. Je commence à tirer et le pourtour du bouchon que je vois est blanc, non imbibé, et d’une folle jeunesse. Arrivé au deux tiers, j’arrête, pour que l’extraction finale, à la main, se fasse sous argon. Nous nous regardons tous, car ce bouchon est totalement neuf. Ça devient tempête sous un crâne, car nous pouvons tout imaginer.

Le scientifique et son assistante tiennent la bouteille mise dans la housse. Le bouchon est extirpé à la main. Le bas du bouchon est presque blanc, à peine rose, et n’a même pas été imbibé. Il a donc été posé récemment. Aubert de Villaine et Jean Charles Cuvelier se regardent. Ils ont tous les deux le souvenir d’un bouchon ancien, recroquevillé. Comment est-ce possible ? L’explication la plus plausible est une mauvaise interprétation des consignes : ceux qui ont été en charge de mettre la cire, ce dont aucun des deux présents n’a été témoin, ont dû penser que mettre de la cire sur un bouchon abîmé serait stupide. Ils ont donc enlevé le bouchon et l’ont remplacé par un bouchon neuf et neutre puis ont ciré. Bien sûr, par ailleurs, on pourrait craindre qu’ils aient été malveillants, au point de remplacer le liquide, mais fort heureusement, nous voyons que l’on remplit à la pipette des petits flacons semblables à ceux utilisés pour des prises de sang, et le liquide est rose pâle. Ouf, c’est sûrement ancien.

L’opération « pipette » dure suffisamment longtemps pour que nous échafaudions toutes les hypothèses possibles. Le doute existe toujours sur l’âge du vin. Lorsque la housse est rangée, nous pouvons sentir le vin. Le nez me paraît ancien. Nous sommes servis et la couleur des premiers verres est rose pâle. Aubert remplit plusieurs verres et la couleur se fonce. Nous goûtons et beaucoup attendent mon verdict.

A mon avis, le vin est très ancien, parce que le côté vinaigré est accompagné d’un léger goût de glycérine que l’on rencontre avec de très vieux vins. Le plus vieux vin rouge de Bourgogne que j’ai bu étant de 1811, je hasarde que ce vin est de la première moitié du 19ème siècle. Peut-il être plus vieux, par exemple de l’année de la fin de la construction, autour de 1790 ? Ce n’est pas à écarter.

Le vin s’épanouissant dans le verre on sent qu’il a gardé du fruit. Il n’est ni déplaisant ni plaisant, témoignage d’il y a un siècle et demi. Est-il bourguignon ? Nous sommes plusieurs à répondre assurément oui. Lorsque la bouteille est vide, on voit que le verre est très foncé, d’un vert brun. Un défaut dans le verre, comme une bulle, dépasse trois centimètres de long et c’est étonnant que la bouteille n’ait pas été détruite par le verrier. Il serait bon de vérifier auprès de verriers ou de musées quelles périodes correspondent à des verres si fumés.

J’avais apporté à toutes fins utiles la bouteille de 1690 dont il reste la moitié, pour soumettre le vin aux mêmes analyses par l’université. Le scientifique en est absolument ravi et fait les mêmes prélèvements à la pipette mais cette fois à l’air libre, puisque la bouteille avait déjà été ouverte. J’ai versé un verre pour que des curieux puissent y goûter. A l’évidence ce vin a cessé de vivre. Je l’ai seulement humé et son odeur de vinaigre est très proche de celle de l’autre bouteille.

Pendant ce temps, le vin de Saint-Vivant est envahi par le goût de vinaigre. Il se meurt. Mais les scientifiques ont filtré le fond de bouteille pour en recueillir la lie et ce qui reste, d’un rose beaucoup plus rouge, a gardé une vivacité suffisante pour que j’y trouve du plaisir. Rêvons un peu car ça ne coûte rien. C’est une bouteille de Romanée Saint-Vivant 1790 mise au fond de la cave en souvenir de l’achèvement des travaux de la reconstruction de l’abbaye de Saint-Vivant. Il y a 99% de chances que ce ne soit pas ça. Cette dénomination ne sera pas la part des anges, car il n’y en avait pas, la bouteille étant d’une niveau presque parfait, mais la part du rêve.

Aubert de Villaine ayant anticipé l’éventualité d’un vin peu plaisant nous présente une jolie bouteille de Romanée Saint-Vivant Gaudemet-Chanut 1915. Je n’ai aucune difficulté à l’ouvrir, car le vin a été rebouché sous vide au domaine de la Romanée Conti en 2009. La couleur est d’un rouge cerise assez soutenu. Le nez est magnifique de grâce. En bouche, le vin est romantique. Il pianote des notes délicates et élégantes. Ce qui est étonnant, c’est son parcours en bouche qui ajoute par petites touches des notes différentes. Le vin est très long avec un fruité remarquable, de la rose et surtout des variations incessantes pendant son parcours en bouche. Tous, nous sommes frappés par la jeunesse de ce vin. Si on disait que c’est un 1969, personne ne contredirait. La réussite de ce vin est extrême et son plaisir est grand. De plus, il conforte l’estimation d’âge de la bouteille objet de notre réunion, car il y a au minimum 70 ans et pourquoi pas plus d’un siècle d’écart entre les goûts de ces deux vins.

Quelle aventure ! Les scientifiques ont pris aussi des échantillons du vin de 1915. La suite du roman sera l’analyse de tous ces échantillons. Y aura-t-il des rebondissements ? Nous nous sommes promis de nous revoir.

Photo Le Bien Public

(photo journal Le Bien Public)

(photo journal Le Bien Public)

dîner au Plaza avec un mythe : Moët 1911 jeudi, 3 novembre 2011

Dans chaque région il y a des millésimes de légende dont on parle encore plus d’un siècle après. 1865 est légendaire pour les blancs du Jura, d’Alsace et de Bourgogne. 1911 est une année légendaire pour les champagnes. Lorsqu’il y a sept ou huit ans j’avais visité les caves de Moët & Chandon dont les alvéoles voûtées abritent de véritables trésors. J’avais noté l’abondance de bouteilles de 1911. Immédiatement un rêve m’a habité : boire l’une de ces bouteilles.

Daniel Lalonde, le nouveau président de Moët & Chandon a décidé de faire fort, très fort, peut-être trop fort, je ne suis pas juge. Profitant de l’année 2011, qui donne un siècle au fameux millésime, il a fait faire par Benoît Gouez le chef de cave une ponction majeure qui me chavire. Sur les probablement mille cinq cent bouteilles du stock de 1911, ce sont près de mille qui ont été ouvertes pour faire environ cent cinquante bouteilles de condition parfaite. L’idée que l’on a rejeté ou écarté tant de 1911 qui feraient les bonheurs de collectionneurs comme moi, qui savent lire entre les lignes les messages de ces témoignages légendaires de l’histoire du vin, me donne froid dans le dos. Mais l’heure n’est pas à se poser ce type de problème mais plutôt à se réjouir du privilège qui nous est fait. Car c’est un privilège.

Combinant communication et caritatif, Moët & Chandon a fait réaliser onze luxueux coffrets de six bouteilles de 1911 qui seront vendus aux enchères à la date du 11 novembre 2011 (en France le 10 novembre) aux quatre coins de la planète au profit de l’institut du cerveau et de la moelle épinière.

Une semaine avant la vente, Moët & Chandon organise un dîner d’une vingtaine de personnes au Plaza Athénée Alain Ducasse, qui regroupe des gens de presse, l’équipe de direction de Moët & Chandon, les représentants de la maison Artcurial qui fera la vente aux enchères en France et quelques collectionneurs de France ou d’ailleurs. Un jeune écossais est venu en kilt avec sa charmante épouse. Il collectionne surtout les champagnes. Daniel Lalonde venait de faire le même diner promotionnel il y a peu à Shanghai en la présence de Scarlett Johansson, l’égérie de la marque. Son sourire gourmand quand il l’évoque est compréhensible.

Etant arrivé en avance, je rencontre au seuil de l’hôtel Michel Chasseuil, le célèbre collectionneur de vins. Nous sommes entraînés par Julie, de l’équipe Moët, au bar du Plaza où elle nous suggère un cocktail champagne framboise fort rafraîchissant. Il faut mettre tous les dogmes et purismes au vestiaire quand c’est une jolie femme, de surcroît d’une maison de champagne, qui vous le suggère. Je goûte une barrette de caviar fort bon, dont le Plaza fait par voie de presse la promotion. L’idée est astucieuse.

Gérard Mangeon le chef des sommeliers et des caves du groupe Ducasse nous accueille dans la cave de l’hôtel Plaza qui compte trente cinq mille bouteilles impeccablement rangées. Il a fait aménager une petite plateforme qui fait bar et qui se remonte lorsque les sommeliers doivent travailler en cave. Nous trinquons sur un Champagne Moët & Chandon 2002 que je trouve de plus en plus plaisant. Il a vieilli sept ans en cave, ce qui est la durée la plus longue pour un millésime depuis les années 30. Daniel Lalonde nous explique les objectifs de la vente et le directeur de l’hôtel nous signale que l’hôtel a été ouvert en 1911. Il nous montre un coffre fort qui imite celui d’une banque où figurent quelques flacons de ce millésime. Une bouteille de Moët 1911 y est déposée devant nous pour rejoindre et compléter ce trésor.

Nous rejoignons le salon Marie-Antoinette où une longue table regroupe tous les invités. Le menu réalisé par l’équipe d’ Alain Ducasse est : langoustine rafraîchie, caviar / légumes et fruits / Saint-Jacques, céleri / homard, pommes de mer / volaille Albufera, tartufi di Alba / brioche, fruits confits. Le minimalisme des intitulés ne permet pas d’appréhender les complexités de plats absolument pertinents et délicieux. Plusieurs plats ont été sublimes.

Le Champagne Moët & Chandon Grand Vintage 2002 est idéalement associé au bouillon de langoustine tiède qui accompagne la langoustine. La combinaison, étudiée avec Benoît Gouez, qui nous trace pour chaque champagne l’histoire du millésime, est absolument parfaite. Le 2002 a des aptitudes gastronomiques certaines.

Le Champagne Moët & Chandon Grand Vintage Collection 1992 est nettement meilleur que celui bu récemment à Epernay pour le dîner des Grandes Tables du Monde. Il est cohérent, goûteux, mais ne crée pas d’émotion comparable à celle des autres.

Le Champagne Moët & Chandon Grand Vintage Collection magnum 1985 est d’une autre trempe. C’est un très grand champagne. Celui-ci est un peu moins bon que le 1985 que j’ai bu il y a peu au château de Saran qui devait être d’un dégorgement nettement antérieur. Mais c’est un grand champagne qui profite de sa maturité décontractée. Les langoustines crues, plus que les cuites, créent un accord langoureux.

Le Champagne Moët & Chandon Grand Vintage Collection magnum 1975 est magnifique et nous allons crescendo. Son parfum est enchanteur et en bouche, sa tension et sa rectitude qui n’exclut pas le charme en font un champagne de grand niveau. Le homard est délicieux et c’est la sauce qui propulse le 1975 à des hauteurs himalayennes.

Le Champagne Moët & Chandon Grand Vintage Collection magnum 1964 fait changer de monde. Après ces champagnes très jeunes encore, le 1964 décline des subtilités et des complexités que seuls les champagnes anciens peuvent avoir. J’adore ce monde de saveurs où tous les fruits peuvent se retrouver. La volaille est absolument exquise et la truffe blanche embaume la pièce.

Nous nous levons de table pour aller goûter le Champagne Moët & Chandon Grand Vintage Collection 1911. La bulle a quasiment disparu mais le pétillant est là. Et mon rêve s’accomplit et se réalise au-delà de mes espérances. Ce champagne est parfait et joue avec une insolente facilité. Tout en lui est intégré, dosé, sans que la moindre composante ne donne l’impression d’une exagération. C’est Fred Astaire quand il danse, Pavarotti quand il chante, Cézanne quand il peint. On est bien avec ce champagne là, discret, policé, et extrêmement présent, iodlant ses complexités.

Nous retournons à table pour le dessert accompagné du Champagne Moët & Chandon Grand Vintage Collection dry 1952. Ne le dites à personne, c’est celui-ci que j’ai préféré. Car il a sa bulle altière et vivace, et la complexité du 1911 avec un son plus fort. Doucereux il est subtil et gai.

Je quitte rapidement cette sympathique assemblée car demain je dois être à 9 heures à la Romanée Conti. On ne peut que remercier Moët & Chandon de l’honneur qui nous est fait de nous associer par ce dîner à l’événement dont les 1911 seront le cœur. Moët & Chandon fera une bonne œuvre et fera plaisir à onze collectionneurs. L’avenir dira si j’en serai.

L’association « Les Grandes Tables du Monde » à Moët & Chandon mardi, 25 octobre 2011

L’association « Les Grandes Tables du Monde » tient son congrès annuel à Epernay. Les grands chefs se retrouvent pendant trois jours et visitent de grandes maisons de champagne. Le dîner de gala a lieu dans les caves de Moët & Chandon. Avant de s’y rendre, l’apéritif debout permet de parler avec beaucoup de personnes et je salue Michel Troisgros et son épouse, Eric Briffard, Philippe Etchebest, Philippe Bourguignon, et beaucoup d’autres, puis plus tard Eric Fréchon et Dominique Loiseau. Sur les amuse-bouche préparés par Bernard Dance avec qui j’avais déjeuné il y a quelques jours au château de Saran, nous buvons un Champagne Moët & Chandon impérial magnum sans année qui se boit avec une facilité déconcertante. C’est un champagne de soif, facile à vivre, qui a en permanence un goût de revenez-y.

Dans la belle salle voûtée aux multiples arches, nous sommes environ deux cent cinquante répartis en tables de dix aux noms évocateurs de qualités d’un champagne. Ma table s’appelle « élégant ». Mes convives sont Marie-Pierre et Michel Troisgros, Marie-Christine Clément du Lion d’Or à Romorantin, Jean Cousseau, le restaurateur aux foies gras réputés à Magescq et son épouse, Marie-Laure et Arnaud de l’équipe marketing de Moët & Chandon, Thierry Gardinier qui préside avec son frère aux destinées des Crayères, de Taillevent et de Phélan-Ségur entre autres et le chef du restaurant French Laundry de la Napa Valley, avec lequel je n’ai pas pu échanger un mot du fait de l’éloignement de nos sièges et du brouhaha ambiant.

Avant le dîner, Stanislas Rocoffort m’a proposé d’aller visiter la cuisine. Nul n’imaginerait qu’elle puisse être aussi immense au niveau des caves. Une brigade est alignée en rang comme pour rendre les honneurs et je salue Arnaud Lallement tout sourire qui partage avec trois autres chefs la lourde responsabilité de ce dîner pour un parterre qui compte tant de grands chefs.

Voici le menu : Homard bleu – bœuf de Coutancie (Arnaud Lallement de l’Assiette Champenoise) / dos de cabillaud de M. Doucet en habit noir, endives farcies de cèpes et jambon des Ardennes, jus à la moutarde de Reims ( Philippe Mille des Crayères) / foie gras de canard poché dans un bortsch, betteraves en croûte de sel, daïkon et enoki crus, chou Pack Choï étuvés au champagne, croûtons en beurre noisette ( Philippe Mille des Crayères) / pigeonneau, épinard, tomate, en tourte (Arnaud Lallement de l’Assiette Champenoise) / glace tutti frutti accompagnée de Panettone (Pascal Tingaud et la brigade Moët & Chandon).

Nous buvons le Champagne Moët & Chandon Grand Vintage 2002 qui commence à prendre une belle ampleur. Il se boit bien et connaîtra encore sur plusieurs années une belle évolution.

Je suis un peu heurté par le Champagne Moët & Chandon Grand Vintage Collection 1992, dégorgé en 2004, car son nez doucereux est fortement marqué par la liqueur d’expédition et en bouche, le vin manque de cohésion. La forte trace de la liqueur d’expédition et l’amertume du champagne ne se sont pas intégrées. Je soupçonne un problème de bouteille.

Le Champagne Moët & Chandon Grand Vintage rosé 2002 est d’une couleur d’un rose intense. Le nez est assez discret et ce rosé d’une belle justesse crée avec la sauce du foie gras le plus bel accord de la soirée. La sauce est rouge et l’accord couleur sur couleur fonctionne magnifiquement.

Quand je sens le Champagne Moët & Chandon Grand Vintage Collection magnum 1975, dégorgé en 2002, je me dis : « ça y est, on tient du grand ». Car le parfum de ce vin combine richesse, profondeur et élégance. La bouche confirme la promesse du nez et le vin est grand, très grand. Et il démontre que le 1992 avait un problème, tant l’écart gustatif est sensible.

Le Champagne Moët & Chandon Grand Vintage Collection Dry 1952 dégorgé en 2011 fait entrer dans le monde des « vieux » Moët que j’adore. Il a toutes les qualités du 1975 légèrement plus burinées. Il est très agréable avec une belle longueur, mais mon cœur ira vers le 1975, à la fraîcheur exceptionnelle.

Le repas mérite tous les éloges. Le homard a une chair de grande qualité. La cuisson originale du cabillaud est signalée avec enthousiasme par Michel Troisgros. Le foie gras poché se déguste comme un bonbon et la sauce épouse le champagne rosé. La tourte de pigeon est exquise et chose curieuse, le 1975 est dix fois plus à l’aise sur la tourte seule, vibrante pertinence, que lorsque la sauce est ajoutée. Une mention spéciale ira au panettone, qui est une brioche fourrée de raisins secs, de fruits confits et de zestes d’agrumes, de dimension gargantuesque, et dont la mâche est d’un plaisir rare. Il rappelle des souvenirs d’enfance. Les quatre chefs associés à cette belle fête ont créé un repas remarquable, approuvé par les professionnels de notre table, avec des recherches d’accords très subtiles.

Le Cognac Hennessy Paradis Impérial toujours aussi bon a marqué le point final d’un dîner très sympathique, avec des chefs heureux de se retrouver. Les discussions furent ouvertes, sympathiques car l’ambiance était à la joie de profiter d’une gastronomie raffinée.

notre table enjouée

le panettone, de taille impressionnante

dégustation de 18 vins du domaine de Montille au Taillevent mardi, 13 septembre 2011

Bipin Desai, chercheur et professeur en physique nucléaire d’une des plus grandes universités américaines organise aussi des dîners thématiques spectaculaires. Il « promène » avec lui chaque année un groupe d’amateurs américains pour des festivités dans les plus grands restaurants de France et d’Espagne. Et selon la tradition, un dîner au restaurant Taillevent se tient avec pour invité d’honneur un vigneron qui présente ses vins. Ce soir Hubert de Montille et son fils Etienne sont venus avec leurs vins. C’est Etienne qui va présenter les vins faits sous sa responsabilité.

Dans le petit salon japonais du premier étage, nous devisons debout avec une coupe de Champagne Taillevent qui est un Deutz, et sur lequel je n’accroche pas beaucoup au premier abord, puis je m’habitue. En plus du groupe d’américains il y a des grands experts comme Michel Bettane, Raoul Salama, Neil Martin et quelques autres. J’ai fait connaissance d’un nouvel américain, à la tête d’une collection de vins exceptionnelle qui m’a impressionné.

Nous allons goûter 18 vins en quatre séries de quatre ou cinq vins, sur un menu préparé par Alain Solivérès qui est de grand talent : velouté rafraichi de homard à la citronnelle, fleur de bourrache et caviar / bar de ligne cuit à l’unilatérale, artichauts poivrade, cébettes et cèpes / mignon de veau de lait de Corrèze rôti aux girolles / canard de Challans rôti aux figues de Solliès / fromages de nos provinces / douceur de mangue aux parfums de pain d’épices et de safran. Nous sommes dans le salon lambrissé où j’avais organisé une verticale de vins d’Armand Rousseau il y a seulement quatre jours.

Les séquelles de mon rhume ne rendraient pas mes avis très pertinents. Les vins seront juste listés avec deux ou trois commentaires.

Première série : Meursault Les Narvaux Dessous domaine de Montille 2008 / Meursault Poruzot Deux Montille Sœur Frère 2008 / Puligny-Montrachet Le Cailleret domaine de Montille magnum 2007 /Corton Charlemagne domaine de Montille magnum 2007 / Chevalier Montrachet Château de Puligny Montrachet domaine de Montille 2007.

C’est le Cailleret qui est généralement le plus apprécié, mais tous les vins sont de remarquable qualité, mes voisins signalant l’avenir brillant que connaîtra 2008 contrairement à ce qui se dit parfois. Si j’aime les grands crus, Corton Charlemagne et Chevalier Montrachet, j’ai un petit faible pour le Meursault Narvaux. C’est une très belle série.

Deuxième série : Puligny-Montrachet Le Cailleret domaine de Montille magnum 2005 / Puligny-Montrachet Le Cailleret domaine de Montille magnum 2002 / Puligny-Montrachet Le Cailleret domaine de Montille 1998 / Puligny-Montrachet Le Cailleret domaine de Montille magnum 1996.

Cette mini-verticale du Cailleret est intéressante. Au début, l’opulence du 2005 me séduit. Le 2002 est plus lent à s’étoffer, et au final mon classement est 2002, 1998, 2005, 1996. Mais j’ai constaté autour de moi que les avis sont partagés. J’aime la pureté de ces vins.

Troisème série : Volnay les Taillepieds domaine de Montille magnum 2009 / Volnay les Taillepieds domaine de Montille magnum 2007 / Volnay les Taillepieds domaine de Montille magnum 2005 / Volnay les Taillepieds domaine de Montille magnum 2002 / Volnay les Taillepieds domaine de Montille magnum 1999.

Là aussi, une mini-verticale de vins jeunes. Etienne nous dit que le Taillepieds est comme le Code Civil. Je suppose que cela fait référence à sa rectitude. Influencé sans doute par les propos de Michel Bettane qui a complimenté Etienne pour le travail de précision fait sur ce vin sur les dernières années, mais aussi par ce que je bois, je classe ainsi : 2009, 2007, 1999, 2005 et 2002, le 2002 comme pour les blancs voulant me faire mentir, car il a trouvé son épanouissement beaucoup plus tard.

Quatrième série : Vosne-Romanée Les Malconsorts domaine de Montille 2008 / Vosne-Romanée Les Malconsorts, Christiane domaine de Montille 2008 / Vosne-Romanée Les Malconsorts domaine de Montille magnum 2006 / Vosne-Romanée Les Malconsorts, Christiane domaine de Montille magnum 2006.

Les deux parcelles sont entourées par La Tâche et Michel Bettane dit que ces deux parcelles sont plus proches du cœur historique de la parcelle de la Tâche que certains parcelles périphériques de La Tâche. La parcelle Christiane, du nom de la mère d’Etienne et femme d’Hubert donne, à mon goût, un vin nettement meilleur. Les avis sont partagés, mais Hubert de Montille est catégorique : le vin le meilleur, c’est celui de l’assemblage des vins des deux parcelles. De ce fait, Etienne fait les trois, ceux des deux parcelles et l’assemblage. C’est cette série que j’ai particulièrement appréciée pour la pertinence et l’équilibre des vins et aussi un « je ne sais quoi » qui les rapproche de vins anciens. La supériorité du « Christiane » est plus marquée pour moi que pour mes voisins de table.

Les étapes de comparaisons élaborées par Etienne sont très pertinentes. Cela donne une belle vision de différents vins du domaine, tous marqués par l’élégance, la finesse et la précision. Etienne est un passionné, entreprenant, obsédé par la perfection. J’avoue avoir été un peu perdu devant la profusion des vins d’abord du fait de mon rhume insistant mais aussi du fait de la jeunesse des vins. Discuter avec Etienne, Michel Bettane est un régal. Mais ce soir la grande découverte, c’est celle d’un collectionneur d’un niveau hors du commun. Nous sommes appelés à nous revoir. Taillevent a fait comme toujours une belle performance. Voilà une soirée d’une belle richesse de découvertes.

dîner Dom Pérignon de folie aux Crayères mardi, 13 septembre 2011

Dom Pérignon a organisé aux Crayères à Reims un dîner complètement fou, où le marketing côtoie la grande sincérité. Sur le carton d’invitation, noir calligraphié d’argent comme les étiquettes des Dom Pérignon Œnothèque, un libellé sibyllin « avant-première de l’expérience IV.VIII.XVI » et une annonce intrigante : « accueil 21h15, dîner 22h00 précises ». Dom Pérignon serait passé à l’heure espagnole ?

Lorsque j’avais demandé à Richard Geoffroy, chef de cave de Dom Pérignon, de quoi il retourne, j’ai compris que c’était secret. Lorsque j’ai croisé Philippe Jamesse le brillantissime sommelier des Crayères, je lui ai demandé de voir la salle du dîner. A ses sauts en l’air j’ai compris que c’était « Secret Défense ».

Nous sommes plusieurs logés sur place et ma chambre « Impératrice Eugénie » m’a rappelé l’hôtel du Palais à Biarritz où j’ai passé en famille tant d’étés. La chambre est superbe avec sa belle terrasse donnant sur le parc et le service est irréprochable.

Un peu avant l’heure prévue, tout le monde se retrouve au bar et, chose étrange, seule l’eau minérale est admise. Il y a la fine fleur de ceux qui écrivent sur le vin, plus quelques amis de Richard Geoffroy. Hervé Fort, directeur général du domaine les Crayères nous fait un speech de bienvenue très long, et qui sent la communication à plein nez. Mais c’est son rôle. A ses côtés Richard Geoffroy et Philippe Jamesse sont comme deux gamins enthousiastes à qui on donne enfin l’occasion de réaliser leur projet. Ils sont amusants, car d’un côté, ils veulent garder le mystère, mais de l’autre, ils ont tellement envie de tout dire.

En fait l’idée est née des constatations de Philippe Jamesse. Le champagne Dom Pérignon a des saveurs et des arômes qui évoluent grandement en fonction de la température, et chaque degré de plus change le goût. Or un champagne dans le verre va passer de 8° à 16° en une demi-heure. Comment arrêter le temps ? L’idée est que ce gain de 8° se fasse en deux heures au lieu d’une demi-heure, et qu’un repas soit organisé avec des plats qui correspondent exactement aux saveurs de chaque degré gagné. Le principe était né. Il s’en est ouvert à Richard Geoffroy qui a l’âme d’un chercheur et qui a mordu à l’idée. Pendant dix-huit mois, Philippe, avec son chronomètre et son thermomètre a mesuré les évolutions et les saveurs, et avec Philippe Mille le jeune chef des Crayères, ils ont élaboré un menu spécifiquement calé sur chaque degré de réchauffement du Dom Pérignon.

Le principe est donné, passons à table. Dans la grande salle du restaurant, une longue table accueille les 25 participants. Devant chaque place, un pupitre comme une demie boîte accueille quatre grands verres conçus par Philippe Jamesse. Les panneaux de la boîte sont réfrigérants, et le support sur lequel sont posés les verres est éclairé pour mettre en valeur la beauté de la couleur du champagne. Sur chaque verre deux chiffres romains sont inscrits. On va de gauche à droite de un à quatre, puis de droite à gauche de cinq à huit. Un sommelier verse dans chacun des verres 18 cl de Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1996 dégorgé en 2008, dont Richard dit que ce millésime est « fait par le vent », et nous devrons boire 9 cl, c’est-à-dire la moitié de chaque verre, de un à quatre puis au retour de cinq à huit, ce qui fait que nous commencerons à boire dans le verre de gauche et finirons par celui-ci. Un petit cahier qui nous est remis explique de façon remarquable le processus, ainsi que les plats qui accompagnent chaque degré du vin.

Par curiosité, nous nous sommes prêtés de bonne grâce à cette expérience, illuminée par la démarche brillante de Philippe Jamesse initiateur de l’idée, par l’imagination de Richard Geoffroy et par le talent exceptionnel de Philippe Mille. Et nous avons pu constater que la température du champagne monte extrêmement lentement, d’un degré par quart d’heure, que le goût du champagne évolue à chaque degré et que les accords prévus pour chaque phase sont d’une pertinence et d’une élégance absolues.

Quand ma voisine a demandé à Philippe Jamesse le pourquoi de la référence aux quartiers de la lune pour chaque phase de dégustation et pourquoi ces dîners ne se feraient que les jours de pleine lune, il m’a semblé que cela tenait un peu de la poudre de perlimpinpin médiatique, mais je suis prêt à admettre que je suis un hérétique.

Voici les plats aux titres interminables qui accompagnent chaque degré de température du champagne que j’indique en tête de plat avec l’amusante phase de lune qui lui est associée, avec un petit commentaire entre parenthèses.

8° nouvelle lune : tartare d’huîtres de chez David Hervé, salicornes Cress juste concassées, granité d’eau de mer filtrée, feuilles d’huîtres végétales et fleur de bourrache (plat délicieux, accord parfait, car le Dom Pérignon froid et l’iode, ça fonctionne).

9° premier croissant : langoustines de Guilvinec mi-cuites marinées à la menthe blanche, faisselle de la forêt d’Argonne au thym citron, melba de pain de mie croquant, copeaux de champignons de Paris (l’écart de 1° transforme le champagne. L’accord est pertinent. C’est le plat pour lequel j’ai le moins vibré, même si très bon).

10° premier quartier : saumon sauvage d’Ecosse confit, beurre de mandarine au malt iodé, chapelure d’oranges et bâton de réglisse, sabayon d’agrume de chez Bachès légèrement tourbé (saumon superbe, champagne qui prend de l’ampleur, accord pertinent).

11° gibbeuse croissante : soupe de moules du Mont Saint-Michel, carottes des sables et céleris au safran du Gâtinais, crème fouettée au jus de palourdes et coques de la baie de Somme, moules mi-séchées et pistils de crocus (plat sublime qui vaut trois étoiles, le safran crée un accord magistral. Rien que ce plat et cet accord sur un champagne encore plus ample vaut le voyage). A cette étape nous avons bu des verres de un à quatre, et nous continuons sur le même verre pour revenir au premier.

12° pleine lune : riz basmati d’Inde « la Reine du Parfum », sauté dans un wok fumé au thé Marco Polo, mélange des sous-bois au beurre demi-sel et « tabac » de champignon noir (le champagne est de plus en plus épanoui. L’accord est justifié).

13° gibbeuse décroissante : tajine d’agneau de Lozère à l’amande, côte première grillée au feu de sarments de vigne, caillette d’épaule confite et ses légumes braisés, jus de cuisson infusé à la grappa « Invecchiate » (plat sublime, d’une dextérité infinie et d’une justesse de goût exceptionnelle. Accord parfait. C’est la plénitude du champagne).

14° dernier quartier : caillé frais de chez Mr Laluc, vinaigre à la pulpe de mangue et huile d’olive « bio » Tripodi, feuilles de brick toastées à l’essence de basilic, mouron des oiseaux, jeunes pousses de salade (plat délicieux à la présentation romantique, accord pertinent, mais le champagne a moins de tension).

15/16° dernier croissant : tarte Tatin aux éclats de violette de Toulouse cristallisée, cerneaux de noix à lafleur de sel de Guérande, crème fraîche de chez Vieillard mi-fouettée, zestes de citron de Menton confits (très beau dessert et accord pertinent, mais le champagne a un peu perdu de sa vivacité puisqu’il est dans le verre depuis presque deux heures).

Nous avons applaudi Philippe Mille et son équipe qui a fait un repas trois étoiles. Son talent s’est exprimé de façon remarquable, mes chouchous étant la moule, l’agneau et l’huître. Le champagne m’a plu énormément dans toute la phase montante, jusqu’à 13°. Mais je me suis fait cette réflexion : en se concentrant comme on le fait sur les températures et leurs évolutions, on passe un peu à côté du message du magnifique Dom Pérignon 1996, car on a toujours l’impression de boire un « autre » vin en passant de verre en verre. C’est moins décontracté que lorsqu’on en profite pour lui-même.

La passion de Richard Geoffroy et de Philippe Jamesse est certainement ce qui illumine cette expérience. Je suppose qu’Hervé Fort va commercialiser ces dîners où il est impossible de parler aux convives de l’autre côté de la table, tant les pupitres font barrière. Mais au-delà du markéting, au-delà de la communication et de l’éventuelle exploitation commerciale, il reste une expérience unique, folle, qui a réuni deux passionnés dans une recherche de mise en valeur de la complexité d’un grand champagne en fonction de sa température maîtrisée en arrêtant le temps. Rien que pour cela, c’est un événement inoubliable.

Chapeau Richard et chapeau les deux Philippe.

dîner Dom Pérignon – photos mardi, 13 septembre 2011

Ma chambre « impératrice Eugénie » aux Crayères

un espadon dans le parc !

apéritif à l’eau au bar pendant que Richard Geoffroy, Philippe Jamesse et le directeur de l’hôtel présentent la soirée

la table dressée pour 25 personnes

les champagnes et le fameux système pour garder froid le Dom Pérignon dans les verres

on voit les n°s sur les verres, correspondant aux huit étapes de dégustation avec les plats adapatés à chaque tempéraure du Dom Pérignon 1996

les plats composés par Philippe Mille sur des idées de Philippe Jamesse

Philippe Mille

le chef avec Richard Geoffroy chef de cave de Dom Pérignon

visite au champagne Selosse et déjeuner à l’hôtel les Avisés lundi, 12 septembre 2011

Dom Pérignon organise un dîner surprise aux Crayères à Reims. Que faire pendant la journée ? J’appelle Richard Geoffroy, le chef de cave de Dom Pérignon, pour que nous déjeunions ensemble. L’affaire semble engagée, mais il est pris au dernier moment. J’aurais aimé que nous allions ensemble rencontrer Anselme Selosse. J’irai donc seul.

Vers 11 heures, je rejoins un petit groupe de visite formé d’un couple d’amis d’Anselme Selosse et Corinne, d’une journaliste française et d’un journaliste allemand. Ils ont déjà visité les chais et nous faisons une visite sommaire de l’hôtel « Les Avisés » que j’avais vu en travaux et qui est maintenant décoré avec un goût exquis. La demeure respire la convivialité, voire l’esprit familial. Les couleurs sans agressivité invitent au partage et à l’éveil des sens. Dans le salon très cosy, Anselme dirige notre dégustation.

Nous commençons par le Champagne Jacques Selosse Initial dégorgé le 23 décembre 2010, fait de vins de 2004, 2003 et 2002. L’attaque est très douce. Le vin est doucereux, à la bulle confortable. Il y a un beau fruit citronné et doré et un final très frais. Il me plait par son caractère très doux, qui ne veut rien imposer. Léger, aérien, fluide, il est fait d’écorces de citron confit et de fruit confit. Dans le final, on voit apparaitre de la craie et de la coquille d’huître. Anselme nous dit qu’il est plus dosé que celui qui est fait des vins de 2003, 2002 et 2001. Il est issu de parcelles de bas de coteaux, qui ont plus d’argile.

Anselme a créé les « Lieux Dits », vins qui sont de six parcelles différentes, de six communes différentes. Il veut faire six champagnes différents, pour montrer l’expression de chaque parcelle. Sa démarche est proche de celle des « Clos », qui font des vins d’une seule parcelle. Tous les vins s’appellent « Lieux-Dits », et la liste des six parcelles est inscrite sur toutes les étiquettes, et ce qui les différencie, c’est le nom de la parcelle du vin qui est inscrit en gras et coloré.

Nous goûtons le Champagne Jacques Selosse Lieux Dits Les Carelles de Mesnil-sur-Oger dégorgé en janvier 2010. Le principe sera pour ces vins d’être une solera, mais comme on démarre, c’est une solera réduite aux vins de 2004 et 2003. Le vin est d’un bel or, avec peu de bulles. Il est très fruits bruns avec une amertume marquée. Il est un peu rêche mais a une jolie persistance en bouche. Il est beaucoup plus viril que le premier. Sa finale est très crayeuse, avec beaucoup de personnalité. Les carelles sont un lieu où l’on extrayait des carreaux de craie, ce qui explique le final.

Nous goûtons ensuite un champagne qui n’a pas encore été diffusé, un Champagne Jacques Selosse Lieux Dits La Côte Faron d’Ay. Comme le champagne est chaud, la bulle est très agressive au premier contact. Le vin est plus difficile à cerner et plus neutre que le précédent. Il a un joli fruit et évoque l’amande.

Le troisième Lieux Dits est le Champagne Jacques Selosse Lieux Dits Le bout du Clos à Ambonnay. Comme les deux précédents, il est fait de vins de 2004 et 2003. Ici, c’est une majorité de pinot noir. Un peu fumé, je lui trouve une tendance tabac, feuille séchée. On peut aussi lui trouver du pain d’épices et du coing. Il est très élégant sur des petits pains à l’olive et sur du parmesan. Sur le fromage, on peut ressentir son côté floral.

Nous passons à table avec le Champagne Jacques Selosse 1999. La couleur est bien ambrée. En bouche il est fumé, tendance armagnac. Il y a des fruits bruns. Il est imposant et me fait penser au Cardinal de Richelieu. La force est imposante.

J’ai apporté un Vin de l’Etoile de la Coopérative vinicole de l’Etoile 1973. Etant un adorateur de ces vins du Jura, je voulais créer un pont entre celui-ci et le Substance de Selosse. Comme on nous apporte une cassolette de cèpes légèrement aillés, j’anticipe l’apparition de mon vin pour profiter de l’accord. Ce vin n’a pas d’âge. Il a forte acidité, un grande minéralité, et il s’épanouit sur la sardine crue qui nous est servie maintenant. Il devient ample, presque voluptueux, et le lien avec le 1999, un peu amer, assez fumé, se fait très bien.

Les deux vins s’étoffent dans leurs verres. Le 1999 devient opulent, et l’Etoile se civilise, devenant charmant. Quand arrive le Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en octobre 2010, on sent de l’orange et des fruits frais, avec un final oriental que crée le navarin d’agneau aux épices légères. Le vin est puissant et c’est lui qui – comme je le souhaitais – crée la résonance avec le vin de l’Etoile.

L’Initial de l’apéritif offre maintenant des aspects de feuilles anisées.

Sur une poêlée de quetsche, je goûte le « Il était une fois » de Jacques Selosse, fait de moûts de raisin et alcool, qui titre 15°. Il est dans des tons de prune, de pruneau, de figue et de miel.

J’avais appelé Didier Depond président de Salon avant le déjeuner qui m’a dit que des visiteurs américains de son domaine déjeuneraient à l’hôtel Les Avisés, que l’on écrit HôteLes Avisés. Ils arrivent, avec des restes de dégustation, et on me propose un verre de Champagne Salon 1997 qui arrive à point nommé pour une autre vague de sensations.

L’atmosphère étant très conviviale, j’ai pu bavarder avec d’autres tables, dont les américains visiteurs de Salon et un œnologue local. Mais c’est surtout avec Corinne et Anselme Selosse que j’ai eu des échanges féconds. On sent leur fébrilité pour savoir si leur hôtel va connaître le succès. Je n’ai aucun doute là-dessus, car le bouche à oreille va très rapidement couronner leurs efforts. Stéphane le chef fait une cuisine bourgeoise classique et sans chichis. Nathalie son épouse est en salle. Les tables se parlent entre elles, car ici, c’est de vin que l’on parle.

Les champagnes Selosse sont marqués par un désir permanent de perfection du geste. Le verre le confirme. Ce fut un beau déjeuner.

déjeuner à l’hôtel les Avisés – photos lundi, 12 septembre 2011

Par un hasard inexpliqué, les photos sont anormalement bleues.

Anselme Selosse et son hôtel

à droite, une des chambres

Anselme expliquant ses vins et, après le repas, Corinne Selosse, Anselme et leur fils, caché derrière ses cheveux.

les champagnes dégustés

J’ai apporté ce vin de l’Etoile Jura 1973 pour faire un pont avec le goût du champagne Substance. Ce fut réussi

le « ratafia » maison

les plats