Archives de catégorie : vins et vignerons

dégustation des 2009 au domaine Armand Rousseau mercredi, 12 mai 2010

Mon ami Steve, collectionneur avec qui nous partageons chaque année ses trésors et mes trésors, devait me rejoindre pour un dîner au Château de Beaune qui aurait été sans aucun doute le plus extravagant de ma vie. Pas moins de sept vins d’avant 1870 auraient été apportés par d’aussi fous que nous deux, sous l’accueillante ombrelle de la maison Bouchard. Hélas, le volcan islandais qui n’était pas invité s’est opposé à cette rencontre.

Steve n’ayant de nouvelle date possible que la veille de l’Ascension, c’est sur un format beaucoup plus modeste que nous nous sommes calés, remettant à plus tard le dîner de folie. Me rendant à Beaune, la tentation était grande de rencontrer sur ma route un vigneron ami. Par chance Eric Rousseau était libre pour déjeuner avec moi.

Je me présente à onze heures au siège du Domaine Armand Rousseau. Charles Rousseau est à son bureau et m’indique qu’il a travaillé au domaine, sous l’autorité de son père Armand, dès la récolte 1945 car il avait été démobilisé suffisamment tôt. Sa mémoire des vins du domaine couvre 65 ans, ce qui est impressionnant. La visite des caves se fait avec Frédéric Robert qui commente intelligemment les vins tout en laissant s’exprimer les visiteurs, deux hollandais et moi. C’est lui qui m’avait présenté les 2006 lors d’une précédente visite.

Le Gevrey-Chambertin Villages Domaine Armand Rousseau 2009 a un beau nez, du corps, un final un peu rêche, plein de verdeur.

Le Gevrey-Chambertin premier cru Lavaux Saint-Jacques Domaine Armand Rousseau 2009 a un nez plus fermé. En bouche il est perlant, acide. Il a une belle fraîcheur et son final donne l’impression de croquer des feuilles vertes et amères.

Le Gevrey-Chambertin premier cru les Cazetiers Domaine Armand Rousseau 2009 est très réduit. Le nez donne une impression de soufre, presque giboyeux. La bouche est marquée elle aussi et je me demande comment on peut imaginer le futur d’un vin qui n’est pas encore assemblé. Ce vin a 15% de vendange entière et l’on sent la rafle.

Le Charmes-Chambertin Domaine Armand Rousseau 2009 est un mélange fait avec 60% de Mazoyères Chambertin. Le nez est beaucoup plus avenant. S’il y a un soupçon de perlant, le vin est beaucoup plus agréable avec un final profond.

Le Mazis-Chambertin Domaine Armand Rousseau 2009 a lui aussi un léger nez de soufre. Il est très frais et glisse bien en bouche. Il n’est pas encore formé. Il est léger, au final élégant. Je trouve sa construction très belle et sans concession.

Le Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 2009 a un nez beaucoup plus agréable. La bouche est rêche, dure. Le vin est fermé. Il y a plus de puissance et de structure mais qui ne se livrent pas. Le vin est vert, très rectiligne.

Le Ruchottes Chambertin, Clos des Ruchottes Domaine Armand Rousseau 2009 a un nez extrêmement agréable de fruits neufs. C’est un vin très élégant, très lisible, avec un bouquet généreux d’épices. Un très beau vin au final très long.

Le Clos Saint-Jacques Domaine Armand Rousseau 2009 que nous buvons est soutiré par Frédéric dans deux fûts distincts. Le nez est doucereux. La bouche est amère avec un peu de perlant. Il n’est pas encore formé. Il est plus difficile à boire, avec un final amer. C’est un vin profond mais pas encore assez ouvert.

Le Chambertin Clos de Bèze Domaine Armand Rousseau 2009 bu d’un fût Rousseau a un nez presque bouchonné. Frédéric prend cette remarque très au sérieux car c’est déjà arrivé qu’un fût, dans le passé, montre un nez de bouchon. En fait, en sentant dans un autre verre, cet aspect ne se confirme pas. Le vin est frais, buvable, de belle longueur.

Le Chambertin Clos de Bèze Domaine Armand Rousseau 2009 bu d’un fût François frères a un nez plus beau. Le vin est plus rond, plus frais, plus grand. C’est un grand vin même s’il est un peu rêche. Le final est riche très frais et très long. Frédéric nous indique que les différences entre fûts s’estompent avec le temps. Le domaine Rousseau utilise 90% de fûts de François frères, et n’a pas pour stratégie de mélanger les origines des fûts.

Le Chambertin Domaine Armand Rousseau 2009 bu d’un fût Rousseau a de grandes similitudes de parfum avec le Clos de Bèze du même producteur de fûts. Le vin est plus riche et plus velouté que le Clos de Bèze. Il y a beaucoup d’épices et je trouve beaucoup de similitudes avec le Ruchottes. C’est un grand vin qui deviendra immense, au final très riche.

Le Chambertin Domaine Armand Rousseau 2009 bu d’un fût François frères a un nez très différent. Il est plus beau. Le vin est plus frais, un peu perlant, moins opulent que celui du fût Rousseau. Les épices sont moins marquées. Lui aussi sera très grand. Frédéric nous annonce que la surface de Chambertin a été agrandie de 0,4 hectare en 2009 par l’achat d’une parcelle, ce qui fait près de 20% d’accroissement.

Cette visite est évidemment intéressante pour apprendre, mais les vins étant dans des états différents de mûrissement, il est très difficile de prédire leur avenir quand on n’est pas un professionnel. On mesure les écarts entre les grands crus et les premiers crus, mais au-delà, l’avenir ce ces grands vins n’est envisageable que pour ceux qui les goûtent année après année.

L’entrée au domaine Rousseau, mais vue de l’intérieur

les fûts François Frères

une vue dans les caves

concours de dégustation de grandes écoles chez Bollinger samedi, 24 avril 2010

Lorsque j’avais fait une conférence avec une dégustation de vins anciens pour des élèves de Sciences Po, le dîner qui a suivi avec une poignée d’entre eux nous a fait évoquer mille pistes pour nous revoir. Les animateurs du club œnologique de Sciences Po ont créé un concours entre des grandes écoles ou des universités de France et de Grande Bretagne. Avec humour, ils ont appelé leur concours « SPIT » (Sciences Po International Tasting). Je n’allais pas cracher sur leur invitation de participer au jury qui désigne les gagnants, au côté d’Olivier Poussier. Le concours a lieu dans les celliers de la maison de Champagne Bollinger à Ay, et Jérôme Philipon, directeur général de Bollinger et Matthieu Kauffmann, chef de caves, complètent le jury avec un amateur dégustateur que l’on me présente comme « blogueur ».

Douze équipes composées de trois personnes de chaque école vont s’affronter sur des connaissances théoriques et des dégustations. La présence féminine est significative. Le premier questionnaire est sur la Champagne. Je réponds correctement à trois questions sur cinq. Pour le moment, je ne suis pas décroché des candidats. Trois groupes de vins donnent lieu à six questions théoriques et à la dégustation de trois vins, qui elle-même donne lieu à des questions. Pour les champagnes, je réponds à une question sur six, et j’ai tout faux aux questions de la dégustation car il fallait classer trois champagnes (évidemment Bollinger) du plus jeune au plus vieux et donner le millésime du plus vieux. Ce qui me console c’est qu’Olivier Poussier, incollable sur toutes les questions d’érudition, a annoncé 1997 pour le Champagne Bollinger Grande année en magnum 1990. Ce champagne très opulent s’exprime sur des saveurs de brioche, de pâtisserie et de beurre. Le final très long est brioché. C’est un champagne de grande finesse. Le Champagne Bollinger Grande année en magnum 1995 est un champagne dont Matthieu Kauffmann est très fier. Je l’ai jugé plus champagne, plus rond et plus raffiné, car le 1990 montre des signes d’évolution. Le Champagne Bollinger Grande année en magnum 1992 a un nez plus discret. Il est joyeux, élégant et Matthieu indique qu’il est un peu botrytisé. Jérôme Philipon est heureux que pratiquement tout le monde se soit trompé de dix ans sur ces champagnes, qui restent jeunes plus longtemps qu’on ne le croit.

Dans ce compte-rendu, j’indique mes performances au concours, mais évidemment les membres du jury ne sont pas là pour concourir. C’est l’envie de jouer qui nous a animés. Pour les vins blancs, j’ai 25 points sur 40, alors qu’aucun groupe n’a dépassé 26. Je ne suis pas peu fier. Sur les trois vins, on nous a demandé – non, on leur a demandé – lequel est un mono cépage et je dois à la vérité de dire que je n’ai trouvé riesling que quand quelqu’un l’a soufflé, ce qui fait que, dans ce concours fictif, je ne compte pas cette réponse. Il s’agit d’un Riesling Jubilée Hugel 2004. Pour les deux autres vins on demande les cépages et la région. Alors que la reconnaissance des cépages n’est pas du tout un objet de recherche pour moi, car pour les vins anciens, ce facteur n’a pas l’importance qu’il a pour les vins jeunes, je trouve bien sauvignon et sémillon pour le « Y » d’Yquem 2006 que je situe du côté des graves. Et je trouve bien roussanne et marsanne pour le Saint-Joseph François Villard -Mairlant 2007 que je situe plutôt dans les Châteauneuf-du-Pape. A noter qu’Olivier Poussier donne le nom du domaine avant que la réponse ne soit énoncée par le meneur de jeu. C’est assez impressionnant. Les réponses des candidats sont assez disparates, mais il y a des groupes brillants.

Pour les vins rouges, je réponds bien à quatre questions sur six et pour la dégustation, mes résultats sont moins brillants. Je découvre toutefois le cépage commun aux trois vins qui est le pinot noir. On demande quel est le vin étranger. Je le trouve et je le situe en Amérique alors que c’est un Cloudy Bay de Nouvelle Zélande, très fruité, cassis et fruits noirs, hyper riche. Je suis incapable de trouver où se situe le vin qui se révèle être un Sancerre Les Grands Champs A. Mellot 2006, vin racé, très fin au final hyper boisé. Et si je pense à la Bourgogne pour le troisième vin, je le situe à Morey-Saint-Denis alors qu’il s’agit d’un Bourgogne générique Leroy 2000.

A ce stade, les résultats sont compilés et il ne reste que trois finalistes, l’Ecole Normale Supérieure (ENS), l’ESSEC, et Cambridge, gagnant de l’an dernier. Les candidats ont dix minutes pour analyser deux vins et cinq minutes pour les présenter, l’un des trois représentants de l’école étant seul devant le jury. Fort curieusement, on demande au jury de juger leurs descriptions, sans indiquer de quels vins il s’agit. Juger de la pertinence d’une description sans savoir si elle est exacte, voici un exercice de haut vol.

Nous écoutons les trois candidats. Cambridge a demandé à la seule femme de leur groupe de présenter leur analyse, et son exposé est construit, cohérent et structuré. Tous les exposés sont bons. Nous délibérons et c’est naturellement Olivier Poussier que l’on écoute, car il a l’habitude de ces concours. Les organisateurs demandent aux membres du jury s’ils ont reconnu les vins. Je suis le seul à avoir trouvé l’année du Champagne Bollinger Grande Année 1988. Et j’ai indiqué Pauillac 2001 alors qu’il s’agit de Château Mouton-Rothschild 2004. Ne pas reconnaître Mouton, ce n’est pas bien, mais personne ne l’a trouvé. Le gagnant est une nouvelle fois Cambridge suivi de l’ESSEC et de l’ENS.

Par une splendide journée de printemps nous prenons l’apéritif dans le jardin de la demeure de la famille Bollinger avec un Champagne Bollinger Spécial Cuvée agréable à boire après ces épreuves et qui trouve sa voie gastronomique sur le menu préparé par le traiteur Philippet pour le déjeuner dans le cellier : dos de sandre en vapeur d’écrevisse, petites carottes glacées / filet mignon de porcelet braisé aux raisins, réduction de ratafia et petites grenailles au thym / blanc manger de fruits du moment, coulis de fruits et petits sablés.

Le Champagne Bollinger Grande Année 2000 est un excellent compagnon des plats réussis. Il n’a pas la longueur de certaines années, mais il est frais et précis. Le Champagne Bollinger rosé sans année mériterait un dessert moins sucré pour exprimer sa belle personnalité. Une visite de caves est prévue après le déjeuner, mais je m’éclipse car il me faut aller ouvrir les vins pour un dîner d’anthologie. L’organisation faite par Sciences Po a été exemplaire d’efficacité, la maison Bollinger a permis un bon déroulement du concours, et je crois avoir, en racontant ce que je bois, créé des envies chez des jeunes au talent de dégustation impressionnant.

concours de dégustation – photos samedi, 24 avril 2010

Les candidats sont en place dans le cellier de Bollinger

Oui, c’est bien moi qui suis inscrit au jury

Classer ces trois champagnes par ordre d’âge n’est pas simple, et les couleurs n’aident pas vraiment (90, 95 et 92 Grande Année Bollinger)

Les candidats brandissent leurs réponses sur des ardoises

Les plats du repas

champagne Joseph Perrier – photos mardi, 20 avril 2010

La maison Joseph Perrier présente à quelques journalistes et à certains de leurs clients les nouveaux habillages de leurs bouteilles.

Ici, le brut blanc de blancs 2002 et le brut rosé 2002

Les jolis verres à champagne sont gravés aux initiales de la maison

L’iun des plats du repas du Yacht club de France

Le très original habillage de la cuvée Joséphine de Joseph Perrier

présentation des champagnes Joseph Perrier mardi, 20 avril 2010

Depuis des années, au salon des grands vins puis au Grand Tasting, je retrouvais les sympathiques propriétaires du champagne Joseph Perrier, Jean-Claude Fourmon et son épouse Marie Caroline. Nous tenions des propos aimables, mais je n’avais jamais réellement cherché à approfondir ce domaine. Tout récemment, je reçois une invitation à goûter les nouveaux millésimes et voir le nouvel habillage des vins de cette maison de champagne fondée en 1825 par un des membres de la famille Perrier dont trois branches se sont illustrées dans le champagne, les Perrier Jouët, les Laurent Perrier, Laurent n’étant pas un prénom mais une famille, et Joseph Perrier.

Nous sommes invités au Yacht Club de France ce qui me plait. L’apéritif est arrosé par le Champagne Joseph Perrier brut sans année qui est un vrai champagne de soif. Assez dosé, ce qui donne soif, il est simple, facile, sans grande longueur mais se boit bien. Le mot d’introduction du président du Yacht Club est court et très amical. Celui de Jean-Claude quand nous passons à table est pétillant comme son champagne et plein d’humour. Jean-Claude représente la quatrième génération de la famille.

Le menu du club est très élégant : le saumon dans tous ses états / carré d’agneau rôti au thym, sauce forestière, gratin dauphinois / fromages / médaillon de clafoutis aux framboises, jus de fraise et sorbet griotte.

Le Champagne Joseph Perrier blanc de blancs 2002 est très pur, droit, strict, peu dosé. Ce beau champagne a lui aussi un profil de vin de soif. Il a une assez belle persistance aromatique et c’est surtout le pétillant qui reste en bouche.

La divine surprise c’est le Champagne Joseph Perrier rosé 2002. Alors que je n’ai pas un palais fait pour les champagnes rosés, celui-ci me surprend par son extrême précision. Il est beau, riche, imprégnant, et il dégage une sérénité où toute mièvrerie est absente. Il est riche, et je l’aime. Il n’est pas forcément gastronome, et je l’aurais volontiers vu sur le dessert, mais je me dois de signaler sa grande persuasion.

Et, tout d’un coup, arrive quelque chose d’inconnu pour moi. Le Champagne Joseph Perrier Joséphine 2002 est une énigme. Un peu sec, un peu rêche, il a de la richesse. Astringent, on sent qu’il est fait pour la gastronomie la plus agressive. Donnez lui une pièce de bœuf, il en fera son affaire. Ce champagne fort, mais aussi délicat et subtil, c’est Sarah Bernhardt dans l’Aiglon. Car il dérange mais use de son charme. C’est un sommet de délicatesse.

Comme j’aime ce qui me surprend, je profite de ce champagne de grande finesse. Jean-Claude Fourmon venant bavarder à notre table fait remplacer pour ce champagne les jolis verres tulipe gravés du blason de la maison de champagne par des verres à vin. Je lui dis que je ne suis pas d’accord, car le verre à vin lui donne de l’ampleur alors que le verre tulipe préserve sa délicatesse et son romantisme. Mais bien sûr, cela dépend de ce qu’on recherche et attend de ce champagne aux grandes qualités gastronomiques.

Autour des tables, il y a des gens de presse et des clients de Joseph Perrier. Les discussions vont bon train. Dans une ambiance joyeuse, créée par ce couple éminemment sympathique, j’ai pu découvrir deux beaux champagnes, le rosé 2002 et surtout cette Joséphine 2002 au talent d’impératrice.

une journée champenoise de folie grâce à P. E. Taittinger samedi, 27 mars 2010

On excusera, je l’espère, un rappel peu romantique, mais il est le point de départ de cette grande journée. C’est dans les toilettes d’un endroit public que je me trouve par hasard en même temps que Pierre-Emmanuel Taittinger. Après avoir satisfait les besoins que commande notre mère Nature, nous nous mettons à papoter. Pierre-Emmanuel Taittinger m’annonce qu’il reçoit prochainement un groupe d’américains et d’anglais qui sont de grands amateurs. Il m’indique que le déjeuner sera suivi du dîner de l’Ordre des Coteaux de Champagne. Pierre-Emmanuel Taittinger en est le président aussi me propose-t-il de me joindre au groupe anglophone au déjeuner, puis de m’introniser. Comme je le suis déjà, il me suggère que je monte d’un grade. Je donne mon accord, la chose est emballée et qu’on n’aille pas chercher dans cette expression une allusion quelconque à ce que nous faisions.

Le jour dit, je pars de chez moi pour me rendre à Reims. Peu de temps après mon départ, je prends conscience de l’absence de mon appareil photo. Je fais vite demi-tour, car il serait triste de ne pas avoir des souvenirs de cette grande journée. Cet oubli explique que lorsque j’arrive aux caves Taittinger, le groupe est déjà en cave. Une élégante hôtesse me conduit sous terre dans une salle carrée qui m’évoque un antique haut-fourneau, car la pièce est comme la partie vide d’une pyramide qui serait très haute et très étroite de la base au sommet. La salle est cernée sur ses bords par des alignements denses de bouteilles, presque jusqu’à hauteur d’homme, aux couleurs sombres, qui donne à l’aréopage présent l’image de comploteurs clandestins cachés dans un réduit obscur. Sur une table en bois, de grandes assiettes de jambon espagnol, de saucissons français et de boudin blanc sont une invitation pour un mâchon convivial. Il y a autour de la table Pierre-Emmanuel Taittinger, les six amateurs américains et anglais, un français ami de notre hôte, le chef des caves et des œnologues. Pierre-Emmanuel Taittinger nous annonce que nous allons goûter des Comtes de Champagne, que les américains appellent C.D.C., des années 1970, 1976, 1985, 1990 et le 2000, champagne qui n’est pas encore commercialisé. Les bouteilles sont dégorgées sur place, à la volée, et n’ont aucun dosage.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1970 est le premier que nous buvons, puisque Pierre-Emmanuel Taittinger aime que l’on goûte du plus vieux au plus jeune. Ce champagne est superbe de construction, de grande jeunesse du fait qu’il n’a jamais été dégorgé. Il est très strict, ne jouant en aucun cas sur le charme, et sa longueur est remarquable.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1976 est beaucoup plus flatteur et plus facile à comprendre. Il est généreux. Je demande à Pierre-Emmanuel Taittinger lequel des deux il préfère, et Pierre-Emmanuel Taittinger, pensant sans doute au consommateur final, dit qu’il préfère le 1976 alors que je préfère le 1970, beaucoup moins charmeur, mais plus racé et plus interpellant.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1985 est un très grand champagne. Son parfum est superbe. Nous sommes au niveau des très grands champagnes, et le saucisson est le faire-valoir idéal.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1990 est encore plus grand, d’une race extrême et d’un nez spectaculaire. Tom Black, restaurateur à New York ayant un amour particulier pour le 1996, ce champagne est ouvert. Une discussion s’instaure sur les millésimes les plus réussis de ces Taittinger et je suis impressionné par l’érudition gustative des membres de ce groupe, collectionneurs, restaurateurs, bistrotiers ou vendeurs du champagne qu’ils consomment à rythme soutenu. Bruce Fingeret affirme que ce champagne est, sur une période de cinquante ans, le plus consistant de tous les champagnes d’assemblage. Nous dissertons longtemps sur ce concept, en évoquant des concurrents possibles en termes de régularité. Les anglophones convaincus persistent et signent en faveur du champagne de notre hôte.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1996 est manifestement trop jeune dans cette présentation sans dosage. Il est un peu acide. Mais dès qu’il s’élargit dans le verre, on sent qu’il sera très grand, voire magnifique, même s’il est un peu raide maintenant. Si l’on ouvre le 1996, pourquoi ne pas comparer avec le 1995 ?

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1995 est moins grand que le 1996, mais c’est un grand champagne. Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2000 qui est une première pour Pierre-Emmanuel Taittinger qui ne l’a encore jamais bu, est manifestement « non fini ». Son nez est superbe, et sa bouche est encore dans les limbes. Pierre-Emmanuel Taittinger dit qu’il sera commercialisé probablement en 2011.

Nous remontons à l’étage des bureaux et Pierre-Emmanuel Taittinger dit à des hôtesses que le groupe qu’il accueille représente les plus grands acheteurs de ses champagnes à Londres et à New York. Nous nous rendons dans le grand bureau de Pierre-Emmanuel Taittinger riche de souvenirs de sa famille qui a compté dans l’histoire du pays. Devant la porte d’entrée de l’immeuble, une automobile Renault 1914 attend ses invités. Deux jeunes cadres de direction, qui nous avaient rejoints en cave et représentent le futur de la société, font démarrer l’antique moteur, et nous nous rendons en convoi vers un petit immeuble implanté au milieu des vignes.

Là, un repas a été préparé pour notre petit groupe par M. Lange, traiteur des « Saveurs du Sablon ». Avant de passer à table, nous buvons un Champagne Comtes de Champagne Taittinger magnum 1971. Je suis complètement estomaqué par ce champagne. Sa couleur est d’un jaune citron prononcé, qui indique bien qu’il n’y a aucune évolution vers des teintes dont l’or et l’acajou seraient des signes de mûrissement. Il n’y a plus aucune bulle et plus de sensation pétillante. C’est donc un vin que nous buvons, dont la qualité est incommensurable. Il est rare qu’un champagne ancien me fasse autant d’effet. Je suis conquis, ravi, anesthésié par cette perfection.

Nous passons à table et le menu élégamment composé est : la terrine de sandre aux asperges vertes / le grenadin de veau aux truffes / le gratin de poires en crumble. J’ai dans ma besace un Château Chalon Jean Bourdy 1947 que je souhaite partager avec le sympathique et enjoué groupe d’amateurs. La seule possibilité me semble être avec l’entrée. Je demande à mes nouveaux amis de croquer un peu d’asperge pour goûter ce vin jaune. Pour certains, c’est une découverte et pour d’autres une confirmation. Ce vin au parfum envoûtant est d’une force rare. Il est délicieux. Sur l’entrée, le vin du Jura est associé avec le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1973 qui est une vraie merveille de champagne. Contrairement au 1971, celui-ci, dont la couleur est plus claire, a toute sa bulle. Il est merveilleux et d’une longueur infinie. Alors que pour d’autres champagnes une osmose s’était créée avec le Château Chalon ici, le champagne et le vin suivent des trajectoires qui ne se rencontrent pas. C’est intéressant mais pas fusionnel. Sur le grenadin de veau, nous goûtons deux vins. Un Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1975 qui est bon, mais un peu léger après l’éblouissant 1973, et un Château Cheval Blanc magnum 2004 dont la qualité m’étonne, car il est bien plus riche que l’image que j’en avais. Est-ce que la succession des champagnes prépare le palais à lui conférer de l’ampleur ? Ce n’est pas impossible. Sur le dessert, nous buvons un Champagne Comtes de Champagne Taittinger rosé 1999 qui est sans doute très bon, mais je ne suis pas un fan des champagnes rosés.

Après ce repas ponctué de rires et de complicité, nous repartons dans nos hôtels pour une sieste réparatrice. Il faut ensuite s’habiller, puisque le smoking est de rigueur. Le rendez-vous est au Palais de Tau, ancienne demeure qui jouxte la cathédrale, dans la salle où les rois se préparaient avant leurs couronnements. Cette haute salle aux statues royales de hauteurs impressionnantes, et aux lourdes tapisseries racontant des épisodes de l’histoire, Pierre-Emmanuel Taittinger, dans ses habits de commandeur de l’Ordre des Coteaux de Champagne, intronise, avec les dignitaires, une bonne vingtaine de nouveaux gradés. Je monte d’un grade dans la hiérarchie de l’Ordre et Pierre-Emmanuel Taittinger a la gentillesse d’un mot aimable en me présentant comme un égal de Robert Parker ! Jusqu’où va l’amitié !

Nous nous rendons ensuite dans une salle en sous-sol, qui est le cellier de l’évêché, situé en dessous de la salle d’apparat des réceptions de l’évêque. La salle est d’une beauté rare, avec des colonnes et des chapiteaux de grande élégance. L’apéritif est debout, avec des stands des champagnes de plusieurs dignitaires. Je goûte un Champagne Beauchamp Carte d’Or non millésimé qui est un peu dosé. Le Champagne Blanc de Blancs Delamotte non millésimé est plus dans la tendance de mes goûts, habitués aux subtilités de Mesnil-sur-Oger. J’ai devisé avec Didier Depond, président de Salon-Delamotte, et dignitaire de l’Ordre.

Le dîner est conçu et réalisé par le traiteur Franck Philippet et sa brigade : foie gras de canard, chutney de fruits aux raisins blonds / blanc de turbot, julienne de céleri et courgettes / filet d’agneau en croûte, cannelloni de champignons / moelleux au chocolat Guanaja, mirepoix de poires tièdes. Je l’ai trouvé d’une qualité rare pour un dîner de cette nature.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1999 est extrêmement plaisant et agréable sur table. Sa finesse est sensible et réconfortante. Le Champagne Femme Duval-Leroy 1996 m’apparaît moins structuré mais Pierre-Emmanuel Taittinger le juge meilleur que ce que j’exprime. Et lorsque le champagne s’épanouit, c’es vrai qu’il devient plus plaisant, sans avoir la grâce du vin du commandeur. Une très belle surprise est celle du Champagne Mumm Cuvée rené Lalou 1998 qui est un champagne racé et de grand plaisir. J’aime retrouver ce champagne dont j’ai adoré le 1979, qui avait disparu pendant peut-être une vingtaine d’années et revit aujourd’hui. C’est une belle idée que de l’avoir ressuscité. Le filet d’agneau est très goûteux, trouvant dans le Mumm un écho convaincant. Le Champagne Brochet-Hervieux brut rosé non millésimé attire de ma part le même commentaire que ce midi : il est peut-être bon, mais ce n’est pas dans les goûts que je cherche, car l’acidité du rosé occupe le palais.

Il était l’heure pour moi de rentrer au logis, à la fin d’une journée d’une grande densité. Des onze millésimes de C.D.C. bus aujourd’hui, je retiens, dans l’ordre : 1971 pour son côté extraterrestre et unique, 1973 pour sa pure définition, 1990 pour sa race, 1985 pour sa plénitude, 1996 pour sa promesse de perfection et 1970 pour son absence de concession.

Merci à Pierre-Emmanuel Taittinger pour sa générosité et son amitié qui m’a offert de grands moments et de grands vins.

dégustation du champagne Taittinger – photos samedi, 27 mars 2010

Dans la cave, règne une atmosphère de conspiration

Conspirer ne veut pas dire que l’on s’impose le jeûne

dans cette impressionnante cave, tout le millésime 2000 du Comtes de Champagne

le pain et le vin

j’aurais préféré goûter un champagne de 1914 que de suivre cette automobile Renault 1914, qui roule !

le merveilleux Comtes de Champagne Taittinger 1971

le château Chalon 1947 fait presque rose sur la photo

magnum de Cheval Blanc 2004

Chateau Chalon Jean Bourdy 1947

chamapgne rosé de fin de repas après les blancs de blancs

Ordre des Coteaux de Champagne samedi, 27 mars 2010

La cathédrale de Reims est royale !

Le Grand Conseil de l’Ordre des Coteaux de Champagne dont le président au centre est Pierre Emmanuel Taittinger

L’assistance est attentive dans la salle aux souvenirs royaux

Le magnifique cellier où se tient le dîner

brasserie Cantillon – les photos jeudi, 18 mars 2010

la brasserie fait aussi musée et accueille 30.000 visiteurs par an

cuves et canalisations en cuivre de 1900 environ

le bassin de refroidissement en cuivre, de 7.000 litres de capacité

les fûts de vieillissement du lambic

une étrange machine et une pancarte à lire

le lambic de 1983 "grand cru" et le Château Chalon Fruitière Viticole de Voiteur 1962

bouchons du vin jaune à droite du bouchon de la gueuze d’avant 1980

de gauche à droite : les trois bières de 2006, 1983 et # 1975, puis le Chateau Chalon 1962. Les couleurs sont magnifiques.

Accord fusionnel entre des bières de trente ans et un Château Chalon jeudi, 18 mars 2010

Un journaliste m’avait contacté pour un reportage sur la Percée du Vin Jaune qu’il devait réaliser pour France Culture. Ce reportage passera sur l’antenne en mai 2010. Pour préparer notre rencontre à Poligny, siège de la Percée, nous avions bavardé autour d’un Côtes du Jura 1934. Au hasard des discussions, nous avons évoqué les bières et Olivier m’a demandé si j’ai bu des bières anciennes. J’ai dit non.

Deux mois plus tard, nous nous retrouvons à Anderlecht au siège de la brasserie Cantillon qui est en même temps un musée de la Gueuze. Jean Cantillon, dirigeant de la quatrième génération nous fait visiter la brasserie. Les équipements sont bien ceux d’un musée, car les cuves et les machineries datent de 1900. Jean nous explique les phases du processus de fabrication de ses bières. Le lambic est le produit de base, qui peut vieillir en fût pendant trois ans. Et la gueuze est un assemblage de lambics de trois années différentes. Jean n’utilise jamais de fûts neufs et le goût de ses lambics est influencé par la provenance des fûts. Il a tout essayé, fûts de vins rouges, de vins blancs, de cognacs et de vins espagnols. Son rêve serait d’essayer des fûts de vins jaunes, car le lambic est une bière dont le mode de maturation est oxydatif.

Jean est passionnant à écouter. Je suis impressionné par ce qui s’appelle « la chapelle », un grenier où une cuve, plutôt un bac, en cuivre peut contenir 7.000 litres de jus, pour son refroidissement nocturne et son ensemencement.

Nous commençons à boire un lambic sur fût, qui doit avoir environ un an. C’est une grande surprise, car le nez est expressif, l’acidité est intense, et le goût évoque le foin doré de fin d’été. Nous remontons et Jean nous fait goûter une gueuze d’un an, qui comprend des lambics de deux à quatre ans. Je jubile, car nous mettons un pied dans l’inconnu. Cette bière ne ressemble à rien d’habituel. L’acidité est forte, mais l’étrangeté me ravit. J’adore pénétrer dans des mondes inconnus. Nous goûtons ensuite un lambic de trois ans. Ce qui me frappe, c’est le caractère vineux de cette bière sans bulle. Je m’imagine que si on glissait ce lambic dans une dégustation à l’aveugle de vins à forte tendance acide, j’hésiterais avant de dire que ce n’est pas du vin. Toutes les bières Cantillon titrent 5°, mais elles paraissent en avoir plus. Vient ensuite une gueuze de 1996, qui renferme des jus dont l’année moyenne est 1994. Je lui trouve un petit défaut dont nous discutons avec Jean, qui est impressionné que je puisse mettre le doigt sur un écart dont je ne suis normalement pas spécialiste. Mettons cela sur le compte de la chance du néophyte. Le petit défaut s’estompe au réchauffement du verre et cette bière se révèle très intéressante, avec toujours une grande acidité, et un charme qui naît de saveurs inhabituelles. L’étrangeté me séduit et je pense immanquablement aux champagnes Jacques Selosse qui ont une approche tout aussi originale.

Nous allons déjeuner au restaurant le Bistro de la Poste sur la chaussée Waterloo. Jean nous ouvre trois bières : une gueuze 2006, un lambic 1983, mis en bouteille en 1986, et une gueuze d’avant 1980, qu’il situe entre 1975 et 1978. De mon côté, j’ouvre un Château Chalon Fruitière Viticole de Voiteur 1962. Le repas est simple : rillettes, velouté de carottes, poulet aux pommes de terre et gruyère. C’est parfait pour ce que nous allons faire. J’avais demandé qu’il y ait une jeune gueuze pour le cas où le pont entre bière et Jura ne se ferait pas avec les anciens. C’est à titre de sécurité. Or en fait, l’intérêt se porte sur les deux bières anciennes qui offrent une continuité spectaculaire avec le vin jaune. Jean est impressionné par le prolongement qui se crée, quel que soit l’ordre dans lequel on boit les deux bières et le Château Chalon. Et Jean me demande : comment saviez-vous que ça marcherait alors que vous ne saviez pas que mes bières sont oxydatives ? J’ai répondu que j’avais l’intuition qu’une bière ancienne et un Château Chalon plutôt calme comme celui-ci s’accorderaient bien.

Les lambics perdent normalement leur sucre après peu d’années, et n’ont plus de bulles. Or le lambic 1983 a pété à l’ouverture, signe d’un sucre résiduel qui a produit une nouvelle fermentation. Dans cet état, le lambic me plait beaucoup, car l’âge assagit l’acidité, et la gueuze des années 70 est délicieuse, explorant des saveurs d’aficionados. Car entrer dans ce monde de goûts en rebuterait plus d’un. Aux côtés des bières, le Château Chalon fait presque doucereux, tant l’acidité des bières est prégnante. Max, l’un des associés du bistrot qui partageait nos boissons, buvait du petit lait en écoutant nos discussions qui montrent combien cette association d’un jour entre bière et vin jaune est un grand moment d’émotion.

Alors que bière et jaune faisaient jeu égal, sur le gruyère la suprématie écrasante du Château Chalon nous offre un accord divin sur un vin calmement joyeux, presque doucereux sur sa pointe de noix. Jean, Olivier et moi, nous nous souviendrons à jamais d’un grand moment de communion. Jean fait une bière atypique, exceptionnelle et passionnante, en parle divinement bien.

J’ai ajouté un pont avec un vin qui exprime une recherche d’excellence identique. Jean va rêver plus que jamais de fûts de vins jaunes pour créer de nouvelles bières !