Archives de catégorie : vins et vignerons

« Talents du luxe et de la création » à l’hôtel Intercontinental lundi, 15 mars 2010

Richard Geoffroy est l’homme qui crée Dom Pérignon. Nous éprouvons un grand plaisir à goûter ensemble des vins et une amitié particulière est née entre nous. Alors bien sûr, j’aimerais le voir plus souvent. Il est tellement accaparé par sa fonction que les fenêtres de tir pour se rencontrer sont étroites.

Il m’appelle et me dit : « voici une occasion de nous voir. Un dîner de gala est destiné à couronner des créateurs et acteurs des métiers du luxe. J’ai une table avec des gens sympathiques. Veux-tu en être ? ». Je dis oui.

Arrivant en avance, je m’octroie une petite folie, je commande sous la grande verrière de l’hôtel Intercontinental Opéra un whisky Macalan douze ans d’âge. Dix minutes plus tard, je ne vois rien venir. Quand je ne suis pas content, ça se remarque, même dans un espace aussi vaste que le hall de cet hôtel. Il a fallu trois rappels pour que j’obtienne enfin ce délicieux breuvage, au doucereux délicat.

Les participants du dîner arrivent, pour la cérémonie de remise des « Talents du luxe et de la création ». Plus on est créateur, plus il faut le montrer dans sa tenue. Cette extravagance est d’un grand conformisme, comme pour répondre à un code. Pendant le long apéritif je bavarde avec Sandrine Garbay, l’homologue pour la création d’Yquem de Richard Geoffroy qui crée Dom Pérignon.

Nous sommes très serrés dans la salle Opéra construite par Garnier. Je ne me suis jamais senti bien dans cette salle dont la hauteur sous plafond est de plus de dix mètres, aux colonnades chargées entourant de larges miroirs disposés en demi-cercle qui faussent la perspective de la salle à l’acoustique déplaisante.

Les tables sont à touche-touche, les coudes sont serrés contre ceux des voisins. Les remises de prix sont interminables, et l’ambiance ressemble à celle des cérémonies des Molière, des victoires de la Musique ou des Césars, car c’est la loi du genre. Une chose est amusante, c’est qu’à de rares exceptions près, les créateurs primés, étonnés de leur victoire, ne savent dire qu’un mot : « merci », ce qui nous a épargné les listes de gens remerciés, aussi longues que des génériques de films. Alors que pour chacun des treize prix il y avait quatre nominés, un prix particulier est remis sans concurrence : un prix spécial de la continuité historique est remis à Richard Geoffroy porteur de la continuité historique de Dom Pérignon.

Etant assis à côté de Jean-François Piège, je me suis amusé à voir s’il éprouvait la même tristesse que moi devant la qualité des plats. On ne peut pas dire que c’est mauvais, mais on doit dire que ce n’est pas bon. Jean-François s’est lâché au moment du dessert dont le goût évoquait trop ces liquides de lave-vaisselle bon marché. Et le vin dans tout ça ? Vincent, l’adjoint de Richard constate avec amusement que notre dîner est sobre, car les bouteilles d’eau se succèdent à notre table à un rythme soutenu, les vins dissuadant de tout effort de les comprendre. C’est pourquoi je ne les nomme pas.

Si le luxe nous environnait de toute part tant les créateurs de bijoux, de montres, d’objets de décoration, de robes et de chemise étaient nombreux, il avait complètement abandonné la partie culinaire. C’est bien dommage au pays de la gastronomie. Une grande marque d’épicerie de luxe a posé sur la table pour chaque invité des petits sacs à son logo contenant deux mignonnettes à capsules à vis, l’une de sauvignon, l’autre de syrah. France, ton luxe fout le camp !

Des discussions passionnantes ont sauvé la mise. Et j’ai partagé quelques heures avec Richard Geoffroy, toujours riche de mille projets.

Grands Crus d’Alsace sous l’égide du Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace lundi, 8 mars 2010

Après la dégustation des vins de 2007 des domaines de tradition de Bourgogne, je vais à l’hôtel Intercontinental, dans le salon Opéra magnifiquement décoré par Garnier pour la présentation de Grands Crus d’Alsace sous l’égide du Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace (CIVA).

Ici on a mis les petits plats dans les grands, car des huîtres, du foie gras et diverses autres victuailles sont servis à profusion. Mon analyse des vins d’Alsace est peu exhaustive alors qu’il y a de merveilleux domaines. A deux ou trois exceptions près, je ne m’imprègne que de rieslings. Et cette immersion est un véritable bonheur. Qu’y a-t-il de plus beau que le riesling ? Le riesling, quand il est bien fait, est d’une précision et d’une plénitude qui satisfont le plus exigeant des amateurs.

Je goûte les vins des domaines Jean Becker, Marcel Deiss, Dopf-Irion, Klipfel, Schlumberger et sans doute deux ou trois autres. Ce qui me plait, c’est d’ajouter les expériences de différentes versions du riesling, majoritairement de 2008, mais aussi de 2006 et même 1999. Et je me souviens de jean Hugel qui ne manquait pas de me dire à quel point ce cépage confine au sublime. Et c’est vrai.

Des vignerons présents m’ont parlé de la difficulté qu’ils ont à vendre leurs vins à Paris où l’Alsace souffre d’un déficit d’image, alors que ses vins sont grands. Comme pour les vins du Jura, il faut remédier à cette anomalie.

Les 2007 des Domaines familiaux de tradition de Bourgogne lundi, 8 mars 2010

Chaque année, la dégustation des vins des « Domaines familiaux de tradition » de Bourgogne est un événement extrêmement important, car on y retrouve les propriétaires des plus beaux domaines de Bourgogne présentant leurs vins. Cette année, ce sont les 2007 qui sont sur les minis stands de chaque domaine au Pavillon Ledoyen.

Je commence par serrer les mains des vignerons et des visiteurs que je connais, et mon premier contact est le Corton Charlemagne Domaine de Montille 2007. Autant dire que j’ai commencé par le meilleur, car ce Corton Charlemagne est d’une précision et d’un charme particuliers. Juste après lui, je déguste le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2007 que j’ai trouvé plus fermé et moins vibrant. Il faut dire que ces vins sont servis deux ans et quelques mois après leurs vendanges, aussi certains sont-ils encore dans des phases ingrates. Mon intention n’étant pas de délivrer des jugements définitifs, mais plutôt des flashes du moment, voici des impressions du butinage.

En blancs, j’ai beaucoup aimé le Beaune Clos des Mouches Domaine Joseph Drouhin 2007 car j’aime le style de ce terroir. Le Morey-Saint-Denis Les Monts Luisants domaine Dujac 2007 est une curiosité particulièrement intéressante, car je suis plutôt sans repère pour ce vin. Les trois vins du domaine Lafon sont bien ciselés et goûteux, sans trompette tonitruante, et j’avoue que j’ai un faible pour 2007, car cette année mezzo voce fait ressortir encore plus le talent de ceux qui font bien. Le Meursault Clos de la barre Domaine Comtes Lafon 2007 est un vin solide et élégant.

Les vins du domaine Leflaive m’ont séduit parce qu’ils jouent sur un registre calme tout en montrant l’expertise du domaine. J’ai préféré le Puligny-Montrachet Les Clavoillon Domaine Leflaive 2007 au Puligny-Montrachet les Pucelles Domaine Leflaive 2007. Mais les deux vins sont remarquables.

Les vins du domaine Raveneau sont des plaisirs qui devraient être défendus tant ils rendent dépendants comme des drogues dures. J’ai paradoxalement préféré le Chablis premier cru Butteaux domaine Raveneau 2007 au Chablis grand cru Blanchot domaine Raveneau 2007 même si le potentiel à long terme est évidemment en faveur du Grand Cru.

Les blancs que j’ai bus m’ont séduit. L’année 2007 est en demi-teinte, mais les vignerons améliorant leurs méthodes année après année ont produit des vins élégants et intéressants. Au moment où l’on peut grignoter les excellents fromages de la maison Loiseau, un Beaune Clos des Mouches Domaine Joseph Drouhin 2005, un Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2005 et un Chablis premier cru Montée de Tonnerre domaine Raveneau 2005 montrent, s’il en était besoin, que 2005 est une immense année, beaucoup plus riche, mais qui ne porte pas d’ombre aux vins subtils de 2007.

Cette affirmation est encore plus vraie pour les rouges, car c’est un festival de finesse, de délicatesse et d’élégance, malgré le jeune âge. J’ai été très intéressé par un Latricière-Chambertin domaine Simon Bize 2007, d’une maison que je ne connaissais pas. Le Chambertin Grand Cru domaine Trapet 2007 est très convaincant. Le Corton rouge Bonneau du Martray 2007, vin que j’adore habituellement m’a laissé un peu dubitatif, alors que le Corton Domaine Méo-Camuzet 2007 est absolument splendide.

C’est amusant de voir le poids de la mémoire. Car j’ai eu la chance d’acheter de vieux Pommard Epenots Michel Gaunoux. Et le Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 2007 a allumé mille bougies de réminiscence qui m’ont fait adorer ce vin, alors que le Corton renardes Michel Gaunoux 2007 le vaut au moins.

Le Clos de la Roche domaine Dujac 2007 est solide et dans la logique de son terroir, le Volnay Taillepieds domaine de Montille 2007 est charmant et romantique, et le cousinage est évident avec la remarquable subtilité des vins de Jacques-Frédéric Mugnier, sachant que j’ai préféré à ce stade de leurs vies le Clos de la Maréchale au célèbre Musigny domaine Jacques-Frédéric Mugnier 2007 qui est dans une phase refermée.

J’ai eu une particulière surprise. Car c’est la première fois que je goûtais un rouge du domaine de Bouzeron d’Aubert et Paméla de Villaine. Le Mercurey les Montots domaine A et P de Villaine 2007 est absolument charmant et structuré. C’est un vin de plaisir.

Je ne suis pas un familier des vins de Georges Roumier, que je n’achète jamais car l’occasion ne s’est pas présentée. Mais c’est une grande leçon de rigueur que donnent ses vins, le Bonnes-Mares Grand Cru domaine Georges Mounier étant une réussite certaine.

La grande interrogation a été pour moi le domaine Rousseau dont j’ai bu les quatre vins présentés, Gevrey-Chambertin villages, Ruchottes-Chambertin Clos des Ruchottes, Clos Saint-Jacques et Chambertin. Alors que tous les autres domaines jouent sur un registre délicat, j’ai trouvé une affirmation qui dépasse celle de l’année. Je m’en suis ouvert à Eric Rousseau qui a souri et qui m’a dit qu’il préfère les vins qu’il a faits en 2007 à ceux de 2006, pourtant plus encensés par la critique. Je les ai donc goûtés à nouveau quelques heures plus tard, après m’être rendu à un autre rendez-vous, et si j’ai toujours la surprise de la puissance de ces vins pour l’année, force m’est de constater que les vins d’Armand Rousseau font partie de mes chéris, et le Chambertin Armand Rousseau 2007, quand il aura grandi, sera un vin de belle élégance.

Ayant le palais attiré par les vins anciens il est certain que je me sens à l’aise avec les vins de 2007 qui jouent sur la délicatesse et l’élégance.

Si je devais citer les chouchous de ce jour, il y a le Corton Charlemagne de Montille, le Chablis Butteaux Raveneau, le Corton Méo-Camuzet, le Pommard Michel Gaunoux, le Clos de la Maréchale JF Mugnier, le Bonnes Mares Roumier, le Chambertin Rousseau et la belle surprise du Mercurey de Villaine. Comme disait Jean Gabin en s’adressant (je pense) à la Bourgogne : « t’as de beaux vins, tu sais ».

Percée du vin Jaune, la vente aux enchères samedi, 6 février 2010

Les vins qui attendent les enchérisseurs

La bouteille qui est à droite et pourrait fermer le carré est la plus vieille : 1868. Malgré mon enchère, la plus haute, le vin n’a pas été vendu du fait d’un prix de réserve que personne n’a atteint.

La vente aura un côté très théâtral. Bernard Pujol, responsable de la vente, révise ses dossiers avant l’arrivée du commissaire priseur.

la salle, encore vide, sera noire de monde dans quelques minutes, avec un flot incessant de curieux.

Percée du Vin Jaune le concours de cuisine samedi, 6 février 2010

Sous la pluie, sous un chapiteau, les candidats se préparent à entrer en scène : deux heures pour préparer les plats.

L’élève au premier plan sera le vainqueur

En plein travail

les amuse-bouche du premier candidat : on voit qu’il y a déjà de la maîtrise

Ames sensible faites attention : voici ce que j’ai dû absorber pour juger (il n’y a en photos que six des sept vol-au-vent

Pour faire passer tout cela : Vin jaune de l’Etoile Montbourgeau 2002 et Chateau Chalon Macle 2002

Je n’ai pas osé photographier la charcuterie et la tarte au sucre qui ont ajouté au poids de cet exercice.

Percée du vin jaune, cuisine et enchères samedi, 6 février 2010

Je me réveille aux aurores car j’ai accepté d’être membre d’honneur du jury du concours des jeunes élèves d’écoles de cuisine. Ils doivent réaliser trois amuse-bouche, jugés par un jury et un vol au vent qui sera jugé par mon jury. Les élèves disposent de deux heures pour faire les plats. Ils ont apporté les ingrédients et tout leur matériel. Des fabricants sponsors ont équipé le lieu d’un luxe d’équipements qui ferait pâlir d’envie beaucoup de chefs couronnés. C’est impressionnant de voir ces jeunes gens sous la pression du concours organiser le temps et l’espace pour leurs créations.

Je suis assis à côté de chefs chenus et le juge que je suis, quand il rend ses copies, n’est pas le même que celui qui a accepté cette lourde fonction. Car entre-temps, j’ai ingurgité sept vol-au-vent ! Même si je n’ai pas tout mangé, je ne vole plus au vent, je suis plombé sur ma chaise. Et voici qu’on nous apporte un mâchon, avec force cochonnailles. La nausée n’est pas loin. Même les vins jaunes et Château Chalon que l’on nous verse généreusement n’apaisent pas cette sensation de lourdeur. Un Vin de l’Etoile jaune domaine Montbourgeau 2002 combine puissance précision et charme. Un nouveau Château Chalon Macle 2002 est le bienvenu pour équilibrer le poids des victuailles. Sur sept plats conçus par les candidats, un est brillant, deux très convenables et quatre ne respectent pas le goût traditionnel, avec une faiblesse certaine dans l’interprétation. J’ai été impressionné par le sérieux et l’engagement de ces jeunes futurs chefs ou commis. En les regardant opérer, je cherchais s’il y a une graine de grand chef. Le plus consciencieux, appliqué et concentré comme un sportif a gagné.

Dans la froidure je me rends à la salle où va se dérouler la vente aux enchères traditionnelle de vins du Jura. Le bâtiment est une ancienne église du 17ème siècle, désaffectée à la Révolution, transformée en théâtre sous l’Empire, et devenue cinéma à l’initiative d’un locataire du lieu qui a tout d’un gardien de musée. Le décor de théâtre est délicieusement anachronique. Mais le lieu est dix fois trop petit, car une foule immense traverse l’endroit par curiosité, pour voir à quoi ressemble une vente aux enchères. Un tel brouhaha me pousse à aller me promener au début de la séance, pendant que l’on vend les millésimes les plus jeunes. Dans les rues, une foule immense et très jeune avance aux sons d’orchestres de rue, de fanfares colorées, ou de la sono puissante qui couvre toute la ville. L’atmosphère de liesse populaire est absolument unique. Elle explique en partie mon attachement à cette manifestation spontanément chaleureuse.

Lorsque je reviens dans la salle de vente, le ballet des entrants et sortants est toujours important. Je peux quand même enchérir sur quelques lots, dont des vins de l’Etoile que j’apprécie particulièrement. A la fin de la vente, l’organisateur a prévu de la charcuterie et nous buvons quelques invendus, un blanc de 1987, un jaune de 1966, un jaune de 1959 et un autre vin de mélange de 1982. Rien parmi ces vins n’est franchement convaincant. C’est surtout l’ambiance d’après match où l’on commente la vente qui est à retenir.

Je retourne à ma voiture dans le froid, que le corps n’apprécie pas trop quand il porte encore les souvenirs des vol-au-vent. Aussi est-ce sur un dîner fort léger et à l’eau à mon hôtel que s’est terminée cette journée animée de la Percée du Vin Jaune. La quatorzième Percée est une belle fête populaire, marquée encore, du fait de sa jeune existence, par la fraîcheur et la spontanéité.

Nouvel ambassadeur des vins du Jura vendredi, 5 février 2010

La Percée du Vin Jaune est un rendez-vous annuel que j’aime honorer quand je le peux. Au début février, on perce les tonneaux du millésime qui est séparé de sept chiffres, soit 2003 pour le vin qui va naître à cette occasion. Il a passé six ans et trois mois dans des fûts auxquels nul ne touche. Le vin de voile est un des plus originaux qui soient.

Ma femme aime que nous logions au Château de Germigney à Port-Lesney, élégante gentilhommière à la décoration raffinée. Mais devant satisfaire les devoirs de sa charge de grand-mère, elle me laisse aller seul à l’appel du Jura.

En arrivant à l’hôtel ce ne sont que des « bonjour Monsieur Audouze » et de larges sourires qui font que je me sens chez moi. Comme chaque année, je retrouve la même chambre spacieuse où j’ai mes repères. Pour certains vins que j’aime, je ne vois que ce qui est beau. J’ai un peu la même attitude pour cet hôtel au service attentionné. Je mets un costume pour me rendre à une soirée officielle précédant la Percée, car on m’a prévenu que je serai nommé « Ambassadeur des vins du Jura ». Quelle sera la forme de cette soirée, petit comité ou grand-messe, je ne pose aucune question. On m’a donné un plan bien dessiné mais aux noms en caractères microscopiques. Malgré ma demande on ne m’a pas donné d’adresse qui s’inscrirait sur le GPS de ma voiture, aussi trouver le lieu de l’événement ressemble à un jeu de pistes.

Dans un stade multisports couvert, près de 70 tables de dix personnes ont été dressées. La grande majorité des présents sont des vignerons et leur famille. Les officiels sont légion, ce qui fait que si l’on dit « bonjour monsieur le président » à n’importe quelle table, tous les hommes se retournent. Un secrétaire d’Etat est présent, ainsi que des officiels de la région, des communes, des instances professionnelles diverses concernées de près ou de moins par le vin du Jura. A part les tables officielles qui ont du vin gratuit, il faut payer en espèces sonnantes et trébuchantes à un guichet pour obtenir quelques clavelins. Le vin jaune est à 25 €, le crémant, le blanc ou le rouge à 10 € et l’eau à 2 €. Les espèces ont dû sonner et trébucher si l’on se fie à l’expansion des décibels dans la salle.

Une région viticole sans grands maîtres et sans habits d’apparat, ça n’existe pas. Et quand le vin phare de la région est jaune, de quelle couleur sont les habits ? Jaunes. Après force discours et congratulations, vient le moment de l’intronisation. Nous sommes quatre à être promus, le maire de la commune de Poligny, ville qui accueille la Percée, un vigneron du pays parti tenter sa chance dans les vignobles russes, le plus gros producteur de fromages de Comté de la région abondamment titré, et moi. On me fait le plaisir de me laisser dire deux mots pour clamer mon amour des vins de cette belle région.

Pendant ce temps, le repas est une heureuse surprise compte tenu du nombre de couverts servis. Les vins se succèdent à notre table, des crémants, des rouges, des blancs et des jaunes. Un crémant 2004 vieilli sur lattes pendant quatre ans est une heureuse découverte, un blanc « Fleurs » 2008 d’Henri Maire est plus difficile, comme un vin rouge fluet. Le Vin Jaune Sylvie et Luc Boilley 1999 est fort, lourd en alcool, mais incarne le plaisir des vins durs du Jura. L’Arbois jaune Jacques Tissot 2000 est encore un gamin. Le Château Chalon Macle 2002 est bien fait. Il apporte la preuve de ce qui est écrit sur son étiquette « vin de garde » : il eût fallu attendre quelques années avant de l’ouvrir. Comme aucun seau n’a été mis sur table, pour boire le vin que l’on veut vous servir, il faut finir son verre. Et quand on renâcle, un : « allez, ça ne fait pas de mal » vient vous rappeler que l’amour de la région doit se prouver verre en main. Comme sur l’estrade le nouvel ambassadeur que je suis devenu doit boire cul sec son verre de vin jaune, tout cela commence à faire son effet. Je quitte le banquet un peu plus tôt que les autres pour retrouver la froidure d’un ciel étoilé, qui dans cette belle contrée, ne veut pas dire qu’il ne pleuvra pas le lendemain matin.

Yquem, Banyuls et Maury à Sciences Po lundi, 25 janvier 2010

David, l’animateur du groupe d’œnologie de Sciences Po m’avait contacté il y a de nombreux mois pour que je vienne parler de vins anciens devant une quarantaine d’élèves et anciens élèves. Ayant fait à Normale Sup’ une présentation en compagnie d’un vigneron ami, j’ai suggéré de recommencer cet exercice en binôme. Ce soir, je serai aux côtés de Pierre Lurton qui présentera Yquem.

Quand je me présente, deux élèves rangent les tables et les chaises, n’ont pas encore ouvert les bouteilles, n’ont pas les verres, mais comme par miracle, tout s’assemble au bon moment. C’est plutôt du « last minute » que du « just in time », mais si ça marche, bravo les jeunes.

(la salle avant le début de la réunion)

Pierre Lurton arrive tout sourire et présente le prestigieux domaine du Château d’Yquem. Nous commençons par déguster « Y » d’Yquem 2006. Le nez est de citron vert très raffiné. La bouche est élégante, avec des écorces d’agrumes. Il n’a pas tellement de longueur, mais il promet. Il a du gras, de la charpente, et ce que l’on retient surtout c’est qu’il offre déjà une belle maturité en ne montrant aucun signe des déséquilibres habituels des vins blancs jeunes de Bordeaux.

Le Château d’Yquem 1999 a un nez assez fermé. Et quand il s’ouvre, il offre de belles fleurs blanches. La bouche est très agrumes, et lorsque l’on revient au « Y », le cousinage entre les deux vins est saisissant. Il n’est pas très long, n’a pas beaucoup de richesse, mais il compense par une ravissante fraîcheur. Il a un peu de pâtes de fruits qui donnent de la consistance. Sa caractéristique est d’être élégant.

Avec le Château d’Yquem 1996 on entre de plain-pied dans le monde d’Yquem. Car voilà un vrai Yquem. Le nez est beaucoup plus riche et l’on y trouve du coing. Le goût est beaucoup plus épanoui. La trace finale est la signature d’Yquem. La pâte de fruit est construite, le poivre est agréable, le pamplemousse et l’orange ajoutent la note d’agrumes indispensable. La longueur est là avec une fraîcheur remarquable.

Le Château d’Yquem 1989 est un des membres actifs d’une trilogie légendaire pour Yquem : 88, 89 et 90. Le nez est superbe, épanoui à souhait. Fruits confits et agrumes sont richement développés. Le goût est puissant, concentré, très droit. Il joue plus sur la puissance et un léger goût de camphre me gêne un peu. Son sucre est un peu fort. On sent le sucre caramélisé. Le final n’a pas l’affirmation que j’aurais attendue.

J’interviens auprès de Pierre Lurton pour parler de vieux Yquem dont l’évocation fait briller les yeux des élèves, aux remarques pertinentes. J’ai apporté deux vins que nous allons goûter sur deux chocolats achetés par les élèves, un chocolat résolument noir et l’autre plus doux. Le Maury La Coume du Roy, domaine de Volontat 1925 est extrêmement doux et ne fait pas son âge. Son attaque est toute en rondeur, puis l’alcool s’installe en bouche et son final d’une grande finesse apporte une fraîcheur particulièrement élégante.

Le Banyuls de coopérative 1929 ne montre aussi aucun signe d’âge. Son fruit est plus riche et plus expressif que celui du Maury. Il est plus fort en alcool et bénéficie lui aussi d’une belle fraîcheur. Je préfère le banyuls. Mais sur le chocolat, c’est le Maury qui emporte la mise, car la continuité gustative est nettement plus évidente, marquée par la douceur. Et c’est le chocolat le plus rêche, le plus noir, qui fait vibrer le Maury pour l’enrichir encore.

Il faut rendre la salle à 21h15, ce qui met un terme à mille questions d’élèves passionnés. Un ancien me dit qu’une tradition est de poursuivre les discussions dans un restaurant voisin.

(avec de telles munitions, tout est sourire)

Dans un restaurant italien proche, nous sommes huit, dont trois anciens ont déjà entamé une carrière dans le monde du vin. Il reste du « Y » et suffisamment d’Yquem pour que nos échanges se poursuivent au-delà de minuit. Ces jeunes, enthousiastes, montrent que l’amour du bon vin n’est pas près de s’éteindre. Des mordus participent aux concours inter-écoles. Il est prévu de se revoir soit à l’académie des vins anciens, soit lors d’un de leurs concours. Ça bouge à Sciences Po.