Archives de catégorie : vins et vignerons

Au château Canon La Gaffelière, une débauche de très grands vins mercredi, 15 avril 2009

Quand les bordelais reçoivent, ils reçoivent ! Mon ami collectionneur américain Steve vient en France avec son fils Wesley pour une succession de visites chez des vignerons. La première semaine est bourguignonne, la seconde est bordelaise et le point final sera le dîner au cours duquel nous partagerons certaines de nos pépites. Steve est passé par Londres où il conserve une partie de sa collection de vins et je l’accueille à sa sortie d’Eurostar. La Gare du Nord est un melting-pot coloré qui laisse imaginer que la langue de Voltaire n’est pas vernaculaire. L’attente du train est ponctuée de messages répétitifs où l’on vous annonce que du fait du sabotage d’une caténaire, la voie de Paris à Compiègne n’est pas utilisable. Le ton de l’hôtesse qui serine ce message vous ôte toute envie de somnoler. Comme des passeurs de drogue – du moins je l’imagine – je prends en charge les vins de Steve pour notre futur dîner et j’accompagne mes deux amis à la Gare de Lyon, car sans tarder, ils se rendent en terre bourguignonne.

Une semaine plus tard, je rejoins mes amis à Bordeaux pour un dîner organisé par le Comte Stephan von Neipperg, propriétaire de Canon La Gaffelière. Il était prévu que je loge chez Olivier Bernard, propriétaire de Domaine de Chevalier, mais il m’est apparu plus opportun de loger à l’Hostellerie de Plaisance à Saint-Emilion. Je rassure mes lecteurs fidèles, j’ai consciencieusement évité la pomme arrosoir de ma douche au profit d’une pommette de taille minuscule au jet gérable. Au moment de partir pour aller dîner, qui vois-je ? Bernard Antony, le célèbre fromager, qui vient dîner en ce lieu avec quelqu’un qui m’est présenté comme l’empereur des jambons. Je les reverrai le lendemain pour une dégustation de vins de 2008 qui se tiendra au Domaine de Chevalier.

J’avais apporté et ouvert ma bouteille à 16 heures au domicile de Stephan von Neipperg et discuté pendant l’ouverture en cuisine avec sa charmante épouse. Le groupe qui dîne ce soir au château de Canon La Gaffelière se compose de Stephan et son épouse Sigweis, d’Olivier Bernard, de Robert Peugeot et de Xavier Planty, tous membres du conseil d’administration de Château Guiraud, le dernier cité étant celui qui dirige le domaine et fait le vin. Viennent ensuite Patrick Baseden, viticulteur qui dirige les vins de Montesquieu, Laurent Vialette que Stephan présente avec insistance et répétition comme ‘le’ spécialiste des vins anciens, Jeffrey Davies, négociant en vins à Bordeaux, d’origine américaine et mes amis Steve et Wesley. Nous sommes onze et presque tous les participants ont apporté un ou plusieurs vins, pour une débauche bachique.

Le menu préparé par un traiteur se compose de bouchées apéritives, d’un gâteau léger de Saint-Jacques au citron vert / pavé de rumsteck aux échalotes confites, clafoutis de légumes d’été / fromages / gratin de fruits exotiques au sauternes.

Nous prenons l’apéritif dans une grande salle très confortable. Le champagne Bollinger 1990 en magnum est très agréable à boire. Il renarde dit un convive, signalant ainsi les premières marques de maturité qui, comme de premières rides, donnent un supplément de charme. Pendant ce temps Stephan et Sigweis règlent par téléphone le problème d’une de leurs filles qui a perdu son passeport et n’a pu prendre un avion à Paris. La soif gagne pendant que nous attendons, étanchée par un champagne Krug 1988 à la solidité d’un roc. L’un des amis dit que c’est un vin de protestant, faisant allusion à son aspect strict. Les deux champagnes se sont mis mutuellement en valeur, le Krug dominant par sa structure impérieuse et le Bollinger  faisant briller son charme élégant.

Nous passons à table et nous commençons par une série de trois vins blancs, suivis peu après d’un quatrième, qui sont bus à l’aveugle, comme la quasi-totalité des vins de ce repas. J’ai constaté que les vignerons présents trouvent assez bien les cépages et les climats. J’ai rapidement vu mes limites dans un tel exercice, aussi ai-je adopté une prudente réserve dès qu’il m’est apparu que pour un vin, j’hésitais sur la région. Mes commentaires seront donc emprunts d’une grande humilité.

Le premier est un Chevalier-Montrachet Domaine Leflaive 1989. Je le trouve élégant par comparaison au second qui est d’une rare puissance, un Bienvenue-Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1992, d’une année particulièrement réussie. Bien évidemment, je reconnais le style Leflaive une fois qu’on a annoncé de quels vins il s’agit. Le nez du troisième est particulièrement subtil. C’est un vin que je trouve rare par sa qualité, et jamais je n’aurais pensé qu’il est si jeune : Montrachet Domaine Ramonet 1985, dont Jeffrey a trouvé le nom du domaine. Xavier trouve que le quatrième blanc est légèrement bouchonné, mais c’est infime et ne gêne pas la dégustation d’un vin de grande classe, Château Haut-Brion blanc 1949. Ce vin commence par une légère amertume mais quand il s’épanouit, on mesure la qualité d’un vin exceptionnel. Le bouchon, s’il a existé, a totalement disparu.

Nous abordons les rouges par une série de trois vins. Le premier est magique, le second est un peu fermé et le troisième est adorable. Je le trouve parfait. Le premier est un Château Canon La Gaffelière 1961, suivi d’un Château Canon La Gaffelière 1959 qui, lorsqu’il s’épanouit, se montre plus racé que le 1961 très pur mais très dogmatique, et le troisième est Château Haut-Brion 1962, qui démontre que cette année est capable de miracles. Je suis conquis par ce vin d’une rare élégance. Laurent dit qu’il vaut le 1961 de la même maison. Je ne le pense quand même pas car j’en ai un souvenir marquant.

Il y a un seul plat pour les rouges, et personne ne sait combien nous en boirons. Tout le monde se moque de moi, et particulièrement mon voisin de table Olivier Bernard, car je garde résolument mon assiette de viande qui devient froide, pour pouvoir accompagner les vins qui suivent. Mon assiette sera débarrassée au moins une heure après celles des autres. Le premier de la deuxième série est Château Mouton d’Armaillac 1921, vin très intéressant, au nez superbe et à la bouche un peu sèche. Le second est un Domaine de Chevalier rouge 1918 d’une grande pureté, vin très clair et plaisant. Olivier n’en avait jamais bu. Le troisième est une curiosité absolue car l’étiquette dit : « old Burgundy 1870 to 1920 » Maison Jadot. Une fourchette de dates de cinquante ans n’est pas d’un grand secours. Le vin est très doucereux et très beau. J’ai aimé, sans pouvoir réellement le dater.

Nous passons maintenant à des vins très jeunes : La Mondotte Saint-Emilion 1999 en magnum, vin très truffé et puissant, puis le Clos des Truffiers Coteaux du Languedoc 2001, vin à 100% de syrah, dont le vignoble appartient à Jeffrey. Vient ensuite un vin qui surprend tout le monde et dont certains regrettent que Palmer utilise son étiquette caractéristique, car il s’agit d’un Palmer XXe century 2004 à 75% de syrah. D’où vient-il, je ne sais. Il n’est pas déplaisant du tout.

Le quatrième est très élégant et floral. Il est grand et encore plus grand lorsque l’on sait ce que c’est : Penfold Grange Hermitage 1982. Certains amis ont déjà rendu leur assiette de fromage quand je rends celle de la viande, plus opportune, même froide, que celle des fromages qui ne s’entendent pas avec les rouges.

Lorsque j’avais ouvert à 16 heures le « Blanc Vieux d’Arlay » Bourdy 1916, la maîtresse de maison à l’oreille fine avait entendu un petit grésillement. En écoutant plus attentivement, il apparut que la bouteille démarrait une nouvelle fermentation favorisée sans doute par un sucre résiduel. Lorsqu’on nous sert le vin, il a le léger picotement des vins effervescents qui biaise l’impression que le vin devrait donner. On peut quand même imaginer que ce vin est délicat, avec des évocations de gingembre et d’ananas. Il est un peu diminué par rapport à ce qu’il pourrait être mais pas trop.

Steve a apporté un vin de Massandra Tokay 1895 délicieux, qui évoque la mandarine et la datte. C’est un vin charmant. Nous terminons cet incroyable voyage sur Château d’Yquem 1990, très conforme à ce qu’il doit être, dans la puissance de sucre et de douceur de sa folle jeunesse.

Xavier est le plus tranché dans ses commentaires caractérisés par une grande précision. S’il manque un bouton de guêtre au vin, il le sabre. Les vignerons sont heureux de confronter leurs avis sur des vins de régions qui ne sont pas la leur. Laurent est vraiment l’expert que Stephan proclame. Robert et moi écoutons les supputations et jugements. Ce petit groupe empathique et enflammé a hélas omis de parler anglais, ce qui a mis un peu sur la touche Wesley et Steve alors qu’ils ont apporté des vins splendides. Nous nous rattraperons sans doute en bavardages lors de notre dîner dans trois jours à Paris.

Beaucoup de vins étant servis en magnums, la quantité absorbée par chacun fut importante. Les esprits n’étaient plus assez clairs pour que l’on détermine les gagnants de cette soirée. De ce qui perce le nuage de ma mémoire, je ferais le classement suivant, sachant combien c’est difficile :

1 – Château Haut-Brion blanc 1949, 2 – Château Haut-Brion rouge 1962, 3 – Montrachet Ramonet 1985, 4 – Canon La Gaffelière 1959, 5 – Domaine de Chevalier 1918. Les deux champagnes pourraient s’intercaler dans ce classement, mais où, ce ne serait pas facile à trancher.

Richebourg DRC 1933 et Romanée Conti 1983 avec un hôte illustre mercredi, 8 avril 2009

Il est des moments où il ne faut pas bouder son plaisir, surtout lorsqu’il s’agit de plaisir ultime. Plantons le décor. J’écris des bulletins quasi hebdomadaires. Aubert de Villaine, gérant propriétaire de la Romanée Conti me fait l’honneur de me lire, et si je l’en crois, d’aimer ce qu’il lit. Pamela, son épouse, me lit et aime me dire qu’elle aime ce qu’elle lit. Dans le bulletin 279, je parle d’un Richebourg 1933 du domaine de la Romanée Conti, mis en bouteille par un négociant inconnu, avec une étiquette inconnue, et qui mentionne « propriété du Comte de Vilaine » alors qu’il n’existe pas de Comte de Villaine et qu’il a deux « l » à son nom. J’en parle de façon positive, ce qui excite la curiosité d’Aubert.

Continuons de planter le décor. Dans un bulletin récent, j’évoque La Tâche 1983 d’une année peu considérée par le domaine, et Aubert me signale son intérêt pour mon commentaire et ce d’autant plus que le domaine n’a plus aucun vin de 1983 en cave. Je possède un autre Richebourg 1933 et Aubert a la curiosité de le goûter. Il est prévu par ailleurs que nous dinions ensemble à l’académie du vin de France. Rendez-vous est pris pour partager le Richebourg 1933 qui me reste. Il se pourrait que la bouteille soit morte, aussi me semble-t-il prudent de prévoir un autre vin. Je prends en cave une Romanée Conti 1983, année qui manque au domaine et un vin diamétralement opposé, un Château Chalon 1934, de l’année la plus brillante du 20ème siècle.

A l’académie du vin de France je rencontre Aubert de Villaine et Pamela et je soumets à Aubert le choix du vin à faire ouvrir le lendemain matin. Il me répond Château Chalon, car les occasions de boire ces vins sont rares, mais un infime mouvement de sourcil me fait penser que l’autre branche de l’alternative ne lui serait pas indifférente. L’académie se tient au restaurant Laurent et notre déjeuner doit se tenir au même endroit. Mes trois bouteilles sont déjà là. Pendant la soirée de l’académie, Aubert et moi essayons de convaincre Pamela d’être du déjeuner. Elle doit rejoindre une amie que nous ajoutons à notre groupe. Pamela dit oui. Je dis à Ghislain d’ouvrir demain aux aurores les trois bouteilles.

Souvent femme varie. A mes aurores à moi, Aubert me laisse un message m’annonçant qu’au lieu de quatre nous ne serons que deux. J’appelle en urgence le restaurant Laurent en demandant que seuls les bourgognes soient ouverts.

Lorsque j’arrive à midi, le 1933 montre une fatigue certaine. Il faudra donc le boire en premier, pour finir sur le meilleur des deux. J’informe Philippe Bourguignon de mes constatations et nous bâtissons le menu. Le choix de Philippe est parfait. Il suggère des morilles farcies, écume d’une sauce poulette au savagnin pour compenser la fatigue du 1933 et une pièce de bœuf rôtie servie en aiguillettes, macaroni gratinés au parmesan, jus aux herbes et moelle pour la Romanée Conti 1983.

Aubert arrive et j’ai évidemment un peu peur de sa réaction sur le Richebourg 1933 fatigué. Il faut dire que 95% des amateurs diraient de ce vin : « circulez, y a rien à voir ». Nous sommes, fort heureusement, d’une autre école. La première approche est fatiguée,  voire giboyeuse. Le message est limité. Mais Aubert constate que le vin n’a pas été hermitagé ce qui est important pour lui et vérifie que son squelette est bien celui du domaine. La légitimité et l’absence d’ajouts sont acquises. Mais le plaisir est-il là ? Fort intelligemment, on nous sert les morilles pures, avec une émulsion au vin jaune et avec un jus de viande assez lourd étalés sur les côtés du plat. Avec la morille pure, le pari est déjà gagné. Le 1933 au contact de la morille prend de la structure. Et l’on se rend compte que c’est avec l’émulsion que le mariage est le plus percutant. Le vin revit et ce n’est pas de l’auto-persuasion, car Aubert a autre chose à faire que maquiller la vérité.

Nous sommes l’un et l’autre amoureux des fonds de bouteilles aussi sera-t-il décidé, à l’initiative d’Aubert, que nous partagerons le dernier verre à la lourde lie. Alors que dans nos premiers verres le vin devient de plus en plus torréfié et caramel, le fond de verre partagé devient velours et révèle l’ADN pur de ce qu’aurait dû être ce Richebourg, un vin généreux.

J’avais affirmé à Aubert que 1933 est une grande année. Il confirme qu’à son analyse, la fin de bouteille corrobore mon affirmation. A aucun moment aucun de nous n’a refusé le message du vin et ne l’a sublimé.

C’est avec une approche sincère que nous avons donné une chance à un vin objectivement fatigué, qui nous a donné en retour le message clair de ce que peut être un Richebourg 1933 du domaine de la Romanée Conti.

(morilles avant et après sauce)

Nous passons maintenant à la Romanée Conti 1983, vin dont le domaine n’a plus une seule bouteille. Boire ce vin aux côtés d’Aubert de Villaine est évidemment émouvant pour moi. La chair du bœuf est divine pour mettre en valeur ce vin. Bavard comme je suis, je donne ma première impression à Aubert. L’important pour moi est que ce vin ouvre une porte sur le domaine. J’entre, et je retrouve ce que j’aime dans le monde bien spécifique de la Romanée Conti. Ce qui impressionne Aubert, c’est la longueur du vin. Le message est un peu faible, mais Aubert a confiance en son épanouissement à venir. La viande est un soigneur zélé. Le vin s’étend dans le verre et j’y retrouve la salinité que j’adore. Aubert continue de vanter sa longueur. Le plaisir s’accroît. Quelques minutes plus tard, nous pouvons vérifier que cette Romanée Conti est une grande Romanée Conti, sans que puisse jouer l’autosuggestion.

Les fromages profitent au 1933 et pas du tout au 1983. Le 1933 ne chute pas du tout et maintient son goût un peu caramélisé. Le 1983 atteint un plateau de grand plaisir. Alors que dire ? Sans tomber dans le culte de la personnalité – même si… – déjeuner seul à seul avec Aubert de Villaine, pour le petit amateur de vin que je suis, c’est comme si, du temps où je faisais des mathématiques, j’avais pu déjeuner avec Pierre de Fermat, ou si, du temps où j’étudiais la physique, j’avais pu déjeuner avec Louis de Broglie. Aubert dirige le plus grand vin du monde et garde un sens du devoir, d’une mission, qui inspire le respect. Savoir que nous pouvons partager des émotions communes, et une approche fondée sur le même respect du vin, c’est pour moi un plaisir ultime.

Mes vins étaient-ils bons ? Certains les noteraient, et sans doute pas aux sommets, du moins pour le plus âgé. Ce qui compte, c’est qu’ils nous ont émus.

 

académie du vin de France – photos mardi, 7 avril 2009

A un moment, je regarde mon couteau, et cela m’a inspiré cette photo

La photo de gauche montre que j’étais à la table 3, et que j’y étais ! (voir mon nom). L’araignée, institution du restaurant Laurent est traitée pour mettre en valeur le champignon. Pour chacun des présents, le vol-au-vent a rappelé des souvenirs d’enfance.

Le meilleur plat, c’est ce carré d’agneau de lait et le traitement de la rhubarbe est parfait.

Académie du Vin de France – Paulée et dîner de gala mardi, 7 avril 2009

L’Académie du Vin de France tient sa « paulée » annuelle dans les salons du restaurant Laurent, qui est le siège de l’académie. La paulée signifie que les membres de l’académie font goûter leurs vins les plus récents. J’ai bu de nombreux vins, tous excellents, dont je citerai certains. En blanc, le Riesling Clos Windsbuhl domaine Zind-Humbrecht 2007 est de belle prestance et le Château de Beaucastel Chateauneuf-du-Pape Vieilles Vignes blanc 2007 m’a fait forte impression. Je l’ai fait goûter à des amis avec des dés de foie gras en gelée et l’accord est saisissant. En rouge un Macon Milly Lamartine Clos du Four domaine Héritiers du Comte Lafon 2007 est fort sympathique et un Côtes de Brouilly Cuvée La Chapelle Château Thivin  2007 a allumé des souvenirs de mon séjour à Lyon il y a plus de quarante ans où une visite des vignobles et des caves du Beaujolais a sans doute été ma première visite à des vignerons, et l’une des très rares de ma vie professionnelle. Ce beaujolais est fort gouleyant. Dans la salle dédiée aux bourgognes, c’est la Romanée Saint Vivant Domaine de la Romanée Conti 2006 qui est impressionnante de perfection. Lors de la présentation des vins de 2005 du domaine de la Romanée Conti, c’est parmi les rouges la Romanée Saint-Vivant qui était la plus délicieuse à boire à ce stade de sa vie. Sa puinée d’un an récidive avec brio. Ce vin au fort parfum annonçant la puissance se montre romantique en bouche.

Dans une autre salle, le Château Simone rouge 2006 m’impressionne par sa pureté. C’est un vin magnifiquement fait et son propriétaire est content que je lui en fasse compliment. Le Château Gazin 2006 me plait beaucoup il a aussi une grande pureté de définition. Un Gewurztraminer Clos Zisser Vendanges Tardives domaine Klipfel 2005, avec 57 grammes de sucre résiduel est d’une légèreté étonnante pour les papilles. Le Château de Fargues 2006 présenté par Alexandre de Lur Saluces est brillant et montre tout le travail accompli par François Amirault, car son final a un panache rare. L’intérêt de cette paulée, de ce cocktail apéritif, c’est aussi de parler avec des vignerons parmi les plus prestigieux de France.

Nous redescendons au rez-de-jardin pour le dîner de gala de l’Académie du Vin de France. Jean-Pierre Perrin, président de l’académie décide d’évoquer avec humour la diabolisation du vin par les pouvoirs publics en traitant ses amis de dangereux dealers (si ce n’est pas en ces termes, cela y ressemble), et l’aimable ironie a un grand pouvoir de persuasion.

Le menu mis au point par Philippe Bourguignon, Alain Pégouret avec Jacques Puisais et Benoît France, secrétaire de l’académie est le suivant : araignée de mer dans ses sucs en gelée / vol-au-vent aux morilles et asperges de printemps / carré d’agneau de lait des Pyrénées grilloté, « frigola-sarda » aux dernières truffes noires / gruyère d’été 2008, reblochon et abbaye de Cîteaux / rhubarbe laquée à la fleur d’hibiscus, sorbet gariguette / palmiers.

Je suis à la table du président et son épouse, d’un médecin de ses amis et son épouse, de Jacques Puisais et je suis à la droite de son épouse, truculente presque octogénaire d’une diabolique jeunesse, de Jean-Robert Pitte et son épouse en ravissant kimono, de Bernard Pivot, sa fille et le mari d’icelle.

Nous commençons par un Champagne cuvée Nicolas-François Billecart Billecart-Salmon 2000. Le champagne est incroyablement lourd, puissant, dominant. L’araignée, véritable institution de ce lieu, a changé de recette et la gelée est très marquée. C’est une variation intéressante qui n’atteint pas la perfection de l’icône du restaurant Laurent dans sa recette à figer dans le marbre. L’accord est difficile du fait de la personnalité tyrannique du champagne très typé.

Le Puligny-Montrachet Les Pucelles domaine Leflaive 2000 a un parfum d’une rare puissance, tonitruant. Il sent le domaine Leflaive à plein nez ! Il est un peu plus mesuré en bouche, fumé, à peine amer, sur un vol-au-vent qui allume mille souvenirs de ma jeunesse. Je le dis à mes voisins de table et ce qui est amusant c’est que Jacques Puisais, dans son traditionnel speech de fin de repas, fera le même rappel à son enfance. On me dira le lendemain qu’à toutes les tables, tout le monde évoquait ses souvenirs d’enfance, tant le vol-au-vent est une institution. Le vin s’adapte très bien au plat délicieux. Il montre un peu d’alcool, mais il est très expressif.

J’ai un peu plus de mal que mes voisins avec le Château Branaire 1998 que je trouve assez monolithique face à un plat goûteux, le plus beau de la soirée. J’en dirai deux mots en fin de repas à Patrick Maroteaux  qui convient que le 1998 est un peu ingrat en ce moment et nous échangeons nos idées sur les plus brillants Branaire anciens sur lesquels il a plus d’expérience que moi : 1899, 1900, 1928, 1934,  1945, 1949. Mes voisins de table apprécient l’accord de la belle chair de l’agneau avec ce beau bordeaux.

Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2000 est, on s’en doute, le clou de la soirée. Si je devais donner un mot qui caractérise ce vin, ce serait « fraîcheur ». C’est assez paradoxal pour l’un des vins blancs les plus puissants qui soient. Mais ce vin réussit le tour de force de combiner puissance, expression et cette incomparable fraîcheur. Le vin est merveilleux et c’est presque une punition de le marier à des fromages, tant son talent mérite de la gastronomie complexe. C’est avec le reblochon qu’il est le plus à l’aise. Jacques Puisais pense que c’est avec le gruyère, mais ce n’est pas mon impression.stronomie complexe. déric les acturesrence entre Acipar, Kadéthe et les autres SCI.
oment et nous échangeo

Le Jurançon « Quintessence du petit manseng » domaine Cauhapé 2000 est un vin direct, naturel, au message intelligent. La rhubarbe a un effet spectaculaire sur lui. Car le vin assez carré se trouve multiplié par l’excitante aigreur des jeunes branches. L’accord me ravit car il est gourmand. Le sorbet n’est pas nécessaire pour le vin mais pour l’équilibre du dessert réussi. Le jurançon est très abricot confit et poivre. Le mariage est le plus excitant de ce repas.

Jacques Puisais est lyrique sur les vins et les accords, quand il prend la parole, choisissant de discourir sur le thème du printemps. Il finit son speech en s’adressant aux vignerons : « vous êtes des croisés du printemps au service du vin ».

Le repas se ponctue avec des palmiers qui sont une autre icône du restaurant. Chacun en recevra un petit paquet au moment du départ. Certains partent, tandis que des vignerons s’installent dans les fauteuils profonds avec la mâle intention de continuer à célébrer Bacchus. Il n’est pas encore interdit par la loi de faire des grands vins et d’être bon vivant. 

Les Domaines Familiaux de Tradition lundi, 30 mars 2009

Chaque année, des vignerons de Bourgogne regroupés sous la bannière de « Les Domaines Familiaux de Tradition » organisent une dégustation à Paris au Pavillon Ledoyen. Cette année est consacrée aux vins de 2006 et autour de plateaux de fromages du fromager Loiseau, on peut boire non pas des 2006 mais des 1989 apportés par de nombreuses maisons.

Il y a toujours une assistance nombreuse, mais cette année il y a foule. Sommeliers, cavistes, restaurateurs, journalistes sont présents en nombre. Il y a les studieux qui font une approche systématique et les papillons, qui ne vont que sur les stands des plus grands. Et des grands vignerons, il y en a. On pourrait même dire qu’ils sont la majorité.

Imagine-t-on une autre occasion de comparer Rousseau, Mugnier, Roumier, Dujac, Méo-Camuzet, Comtes Lafon, Faiveley et tant d’autres… C’est un luxe inouï. N’ayant aucune obligation, j’ai butiné en appréciant particulièrement quelques vins.

Le Chablis Valmur domaine Raveneau 2006 est un merveilleux Chablis. Le Meursault Clos de la Barre domaine Comte Lafon 2006 a un nez d’une rare noblesse, et en bouche, c’est un festival. Le Corton Charlemagne Beonneau du Martray 2006 est conforme à sa réputation.

En ce qui concerne les rouges, le Chambertin Clos de Bèze Armand Rousseau 2006 est merveilleux, et le Clos Saint-Jacques Armand Rousseau 2006 a un charme subtil qui me ravit. Le Bonnes-Mares Georges Roumier 2006 est une leçon de perfection. Le Musigny J.F. Mugnier 2006 a une subtilité qui correspond à ma sensibilité. Le Clos-de-la-Roche domaine Dujac 2006 est généreux et joyeux.

Le fait de pouvoir passer de l’un à l’autre de ces vins immenses est un grand plaisir auquel s’ajoute celui de discuter avec des vignerons de talent.

Parmi les 1989 que l’on se disputait de haute lutte, j’ai eu la chance que mon bras se tende au bon moment pour le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1989 d’une maturité convaincante, sur l’extraordinaire Meursault Clos de la Barre Comte Lafon 1989 que j’ai fait sentir à Eric Rousseau qui était tout proche, tant ce parfum est d’une totale perfection. Et j’ai saisi quelques gouttes du Musigny Domaine Mugnier 1989 d’une belle harmonie.

J’ai raté le Clos-de-la-Roche domaine Dujac 1989 que j’aurais aimé comparer au 1990 que je venais de boire à La Tour d’Argent. Mais il faut savoir en laisser aux autres ! Cette manifestation de grands vignerons est toujours un bonheur car ils sont accessibles et discutent avec tous les professionnels présents. L’année 2006 est d’une très grande qualité. Après 2005 qui est une hyperbole, le 2006 sera un millésime qui met en valeur toutes les qualités de subtilité de la Bourgogne. Ce fut un grand moment.

Dégustation annuelle des vins Henriot, Bouchard et W. Fèvre mercredi, 25 mars 2009

Chaque année le groupe de Joseph Henriot présente les vins les plus récents. En ce début 2009, ce sont les vins de 2007 qui forment l’essentiel de la dégustation. L’hôtel Intercontinental offre de plus belles surfaces que le Plaza Athénée pour contenir une foule nombreuse, car cette invitation est certainement celle qui fait le plus recette de toutes les invitations de vignerons. Même en période de crise, tout le monde est là. Il faut dire que Joseph Henriot sait y faire, car au rayon des champagnes, un Jéroboam du Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1988 est une occasion à ne pas rater. Racé, fin, de belle personnalité, ce champagne est charmeur. Les Chablis de William Fèvre sont toujours excellents et le Chablis les Clos William Fèvre 2007 a mes faveurs. Au rayon des blancs, l’attrape-cœur, c’est un Corton-Charlemagne  Bouchard Père & Fils 1955 en magnum. C’est évidemment un grand vin, avec un fumé de belle structure, mais j’avoue que je préfère le Corton-Charlemagne  Bouchard Père & Fils 2007 d’une rare expressivité, plus épanoui que deux vins immenses, le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 2007 et le Montrachet Bouchard Père & Fils 2007. Ces deux vins promettent énormément, mais c’est le Corton-Charlemagne qui, à ce moment, est d’un charme fou.

Du côté des rouges, Le Corton Bouchard Père & Fils 2007 est un vin plein de charme et de structure rassurante. Le Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 2007 est un péché tant il est vénéneusement tentateur. Mais le Corton Bouchard Père & Fils 1966 montre que l’âge remet toutes les pendules à l’heure. Ce vin est grand. Je venais surtout pour rencontrer des personnalités du monde du vin, car il est agréable de deviser lorsque l’on tient en main un grand vin, mais céder à la tentation de vins délicieux généreusement partagés n’est pas un péché mais une reconnaissance de l’élégance des donateurs.

Musique et vin, avec un petit crochet par l’Italie mercredi, 11 février 2009

Une société ou association « musique-et-vin » organise des soirées musicales accompagnées de dégustations de vins. Les animateurs me contactent pour voir si mes dîners pourraient s’inscrire dans leur activité. Mes repas se tiennent dans les salles de restaurants des grands chefs parisiens. Je vois mal comment on pourrait créer un lien avec la musique classique. J’apprends que l’animateur de leurs soirées est Georges Lepré, sommelier et expert en vins que j’apprécie beaucoup, brillant chanteur de bel canto de surcroît. L’idée de le voir dans ce rôle nouveau me chatouille. Je suis donc invité à participer à leur prochaine soirée musicale « Bach & Bacchus ». Ayant reçu entre temps une invitation à goûter des vins siciliens dont un rouge de l’Etna, je peux combiner les deux. La curiosité pour ce vin provient d’un fait précis : le plus vieux vin que j’aie bu est un vin de la colline de Naples de 1780. Boire un vin de l’Etna pourrait raviver des souvenirs.

Le restaurant italien « Samesa » reçoit des amis, des journalistes et des amateurs pour goûter les vins du domaine Gulfi situé en plusieurs endroits de la Sicile, dont les bords de mer de la pointe ouest et l’Etna, présentés par le propriétaire, Vito Catania et son fils.

Les vins sont sympathiques que l’on goûte en croquant un fromage local à mi-chemin entre le Salers et le Comté et sur des tranches de pain artisanal ointes d’une huile sicilienne aux parfums profonds. Les vins sont tanniques et plaisants. L’un d’entre eux me plait beaucoup par son joyeux fruité, c’est le Nerosanilore Gulfi 2004. Le vin rouge de l’Etna, le Reseca Gulfi 2004 est une curiosité fortement tannique. J’imagine que ce vin deviendra passionnant quand il aura vingt ans de plus.

Quittant cette réunion, j’arrive en un rez-de-jardin privé où une salle haute de plafond accueille une bonne cinquantaine de personnes de toutes générations. Les physionomies sont celles de mélomanes que l’on peut croiser au grand foyer de l’Opéra Garnier. Ici c’est à la bonne franquette, puisque nous dînerons de tranches de pains que l’on peut couvrir de fine viande des Grisons, d’aiguillettes de canard fumé et de fromages. Le repas se conclura sur des cannelés. On comprend que l’intérêt est ailleurs. Il est évidemment à la musique car l’animatrice est Elsa Fortin, professeur de piano au Conservatoire qui interprétera plus d’une dizaine de pièces de Jean-Sébastien Bach ou de ses enfants, écrites pour le piano ou transcrites pour le piano, notamment par Liszt. Un intermède tout-à-fait étonnant sera offert par une autre jeune femme, Marjolaine Cambon, professeur du Conservatoire qui jouera quelques morceaux traduits pour sa viole de Gambe. La fraîcheur des interprétations crée une atmosphère de communion.

(le programme sur le pupitre du piano)

J’apprends que Georges Lepré a fait le Conservatoire de musique ce qui revêt de l’importance, car il explique, mieux que quiconque, le lien entre la musique et les vins que nous buvons.

Le premier est un Château Le Crock 2004. Assez strict, rêche, d’une structure rigide laissant assez peu de place au badinage, il est plaisant parce que sa définition est précise, mais il ne pousse pas à la rêverie. Le Château Moulin Riche 2006 qui est un second vin de Léoville-Poyferré a beaucoup plus de charme. Il batifole volontiers et donne du plaisir à boire. S’il manque de coffre et de longueur, il n’en est pas moins agréable. Le vin qui est au cœur de la dégustation, c’est le Château Léoville-Poyferré 2004 qui est remarquablement fait par Michel Rolland, le « flying winemaker » connu de la terre entière du vin. On glose beaucoup sur le style Michel Rolland, mais je suis très satisfait de ce vin. Il se trouve que j’ai bu le millésime 1943 il y a peu de temps et je trouve une similitude frappante en ce qui concerne la délicatesse et le velouté. On est à plein dans le style Léoville-Poyferré, ce qui est à l’honneur de Michel dont les mauvaises langues, souvent jalouses, disent qu’il fait le même vin partout.

Pendant que nous buvons et grignotons, chacun cherche le lien qui existe entre la musique et les vins. Et bien sûr, chacun réagit en fonction de son histoire, de son vécu et de sa perception de la musique et du vin. Cela fait tellement de paramètres que l’émotion est totalement personnelle, sans que l’on puisse imaginer que deux personnes puissent ressentir la même chose. Et je me suis mis à imaginer le vin que je mettrais sur chacun des morceaux que nous avons écoutés. L’un des morceaux, le premier, prélude et fugue en do mineur allait vraiment avec Le Crock 2004, de même que le premier morceau qui accueillait le Léoville-Poyferré, une chaconne en ré mineur lui collait avec exactitude. Mais Bach est multiforme aussi ai-je pu imaginer un vin de Loire sur un prélude pour orgue, un sauternes sur un Vivace d’un fils de Bach, un Montrachet sur l’andante du concerto italien en ré mineur cependant que l’étrangeté du son de la viole de Gambe m’a irrésistiblement fait penser aux vins du Jura, aux mêmes ésotérismes. Georges eut la gentillesse de me passer la parole pour que j’évoque les vins anciens. L’intérêt d’un public de mélomanes, c’est qu’ils ont une ouverture d’esprit et une écoute admirables.

Mêler, comme nous le fîmes ce soir, l’émotion de la musique et l’émotion du vin est un plaisir d’esthète.

visite à Dom Pérignon, dégustation et repas jeudi, 29 janvier 2009

Etienne de Montille qui participait au dîner de vignerons que j’avais organisé en décembre me demande les coordonnées de Richard Geoffroy, l’âme de Dom Pérignon. Dans mon message de réponse est glissée cette invite : « si tu vas lui rendre visite, j’aimerais venir avec toi ». Peu de temps après le jour est choisi. J’arrive un peu en avance à l’abbaye d’Hautvillers par un temps froid et ensoleillé. La grande salle de dégustation est déjà préparée, avec les verres de dégustation alignés. Etienne de Montille est accompagné de Jeremy Seysses, du domaine Dujac et trois américains, épouse de l’un, amie de l’autre et un ami journaliste du vin. J’étreins Richard tout souriant de nous voir.

Nous commençons à goûter Champagne Dom Pérignon 2000. Son nez est envoûtant. La bulle est ultra fine. La noix, la noisette, le toasté envahissent les narines et le palais. La longueur est belle. Ce champagne s’améliore à chaque fois que je le bois, comme c’est souvent le cas pour Dom Pérignon. Comme nous sommes avec des vignerons, les questions techniques abondent mais elles sont toujours abordées avec subtilité et poésie. Richard Geoffroy parle de vision esthétique dans sa façon de composer Dom Pérignon et de « paradoxe ». Dom Pérignon est une sorte de « benchmark » dans le monde du champagne, mais il n’est pas typique du champagne. Richard Geoffroy dit que son style est singulier, idiosyncratique. Il sait cultiver la différence, quitte parfois à user de provocation. Il parle de sa philosophie de l’intensité, qui est évidemment très différente de la recherche de la force et de la puissance. Richard Geoffroy parle de « complétude », combinaison de recherche d’un vin complet et complexe. Pendant cet échange de propos le vin s’épanouit, gagnant en minéralité et en iode. Sa bulle est forte.

Nous goûtons ensuite le Champagne Dom Pérignon rosé 2000 qui ne sera commercialisé qu’en septembre 2009. Le nez est discret et doux. La couleur est d’un rose délicat, sans aucune trace d’orange. La bulle est très fine. Je le trouve très vineux, plus vin que champagne, assez strict, un peu sec, ne jouant pas sur la suavité et le charme. Richard Geoffroy dit que ce Champagne Dom Pérignon rosé est glorieux, ce qui me surprend. Mais lorsque le vin s’ouvre dans le verre, on comprend mieux la remarque de Richard Geoffroy car le vin s’adoucit et l’on sent même du fruit confit.

Richard Geoffroy insiste beaucoup sur le caractère réducteur des vins, qui explique notamment que la couleur des champagnes reste d’une jeunesse étonnante comme on le verra plus tard. Le Champagne  Dom Pérignon Œnothèque 1995 dégorgé en 2006 a une couleur d’un jaune discret, encore vert. La bulle est très fine. Le nez est minéral, d’ardoise humide. L’attaque est acide, le champagne est très vert, mais tout cela s’assemble dès que quelques degrés de plus réchauffent le vin dont la minéralité demeure.

Le Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1996 dégorgé en 2008 ne sortira sur le marché que dans plus d’un an. Si Richard Geoffroy l’a inclus dans le programme, c’est qu’il avait envie de suivre son évolution. Le nez est très champagne, sans doute le plus pur des trois à ce stade. Il représente pour moi la pureté absolue du champagne, celle d’un « vrai » Dom Pérignon. Sa longueur est extrême. Etienne et Jeremy signalent sa présence tannique alors que le vin n’a jamais connu de bois, à l’exception du bouchon lorsqu’on lui en a mis un. Quand la température augmente, je ressens les fleurs blanches que j’aime tant dans Dom Pérignon.

Les deux derniers champagnes nous sont servis ensemble, le Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1975 dégorgé en 2007 et le Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1966 dégorgé en 2004, servi en magnum. Les deux vins ont des couleurs très claires, que l’on n’imaginerait jamais de vins de ces âges. Le 1975 a un nez acide mais profond. En bouche, il est complexe, très subtil, tout en suggestion calme. On devine le fruit. Le 1966 a un nez minéral. Je le trouve éblouissant, phénoménal et d’une profondeur énorme. Quand Richard Geoffroy remarque un léger défaut, cela n’altère pas mon jugement, car comme le signale Richard Geoffroy, la « matrice » du champagne est intacte. Etienne qui est conquis par les deux vins, dit que le 1975 a l’esprit Meursault et que le 1966, c’est l’esprit Chevalier-Montrachet. Le 1966 continue de m’émouvoir même si progressivement son défaut qui n’est pas que de bouchon grandit avec le temps.

Comme je l’avais déjà fait en ce lieu, je fais servir un vin du Jura, car je trouve que la continuité gustative va jusqu’à l’osmose. J’ai choisi un Château Chalon Vichot-Girod de Névy-sur-Seille 1959 que j’ai pris ce matin dans ma cave. La couleur est d’un bel or et le vin est légèrement trouble du fait du voyage. Patrick, le sommelier, a brisé le bouchon qui est tombé dans la bouteille. Je sers les verres et extirpe un à un les morceaux tombés dans le liquide. Mon intuition est que le vin du Jura ira avec le 2000 qui avait offert des évocations de noix très nettes.  Et l’osmose est incroyable. Le Château Chalon se place d’emblée en chevalier-servant  du 2000 qui prend une ampleur rare et domine le vin jaune. J’essaie ensuite avec le 1966 et le Château Chalon continue de jouer le rôle de Monsieur Loyal, épanouissant le champagne en lui apportant plus de joie.

Nous nous dirigeons ensuite au restaurant « Les Grains d’argent » à Dizy que Richard visite pour la première fois. Le décor est agréable, le service est attentionné, mais on sent une atmosphère guindée qui veut se pousser du col. La jeune fille qui annonce les plats impose le silence pour délivrer son message. Quand j’ai suggéré que l’on apporte des verres pour finir le Château Chalon la patronne m’a regardé avec effroi, comme si je lui faisais des propositions que la morale réprouve. Elle a refusé. Je n’ai pas insisté. Tout ceci est assez poussiéreux, mais la cuisine est bonne. Le marbré de foie de canard aux truffes est extrêmement goûteux, la matelote d’anguille en cocotte est vraiment de première grandeur et la volaille de Bresse en demi-deuil, risotto crémeux aux truffes est bien exécutée. L’absence du Château Chalon se fait cruellement sentir sur ce plat. Le repas s’est agrémenté de Champagne Dom Pérignon 1999 qui est d’un épanouissement croissant. Richard aime son enfant mais ce n’est pas celui que je préfère de la série 96, 98, 99, 00. Comme on le sait, ces Champagne Dom Pérignon sont tous différents et trouvent leurs amoureux.

La joyeuse bande continuait son chemin en champagne, dont Salon. La tentation était forte de les suivre, mais demain, c’est l’académie des vins anciens. Il faut être raisonnable, même si le monde du champagne m’enflamme. J’ai donné le reste du Château Chalon à cette jeune bande d’amis. Cette visite à Dom Pérignon fut un grand bonheur.

visite à Dom Pérignon et déjeuner aux « Grains d’Argent » jeudi, 29 janvier 2009

Etant arrivé en avance à Hautvillers, je peux photographier les serviettes délicatement brodées, préparées pour la dégustation.

Le Chateau Chalon Vichot-Girod 1959 que j’ai apporté pour créer des ponts gustatifs avec Dom Pérignon

Le restaurant "Les Grains d’Argent"

foie gras et matelote d’anguille

goûter une volaille de Bresse sans pouvoir finir le Chateau Chalon, parce que le restaurant ne le veut pas, c’est particulièrement fâcheux.