Archives de catégorie : vins et vignerons

la Saint-Vincent au Mesnil, c’est sérieux vendredi, 21 janvier 2005



On reconnait Didier Depond, président des champagnes Salon et Delamotte au centre de la rangée du haut. Qui dirait que les champagnes du Mesnil-sur-Oger sont verts?

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Présentation des vins Hugel à Hiramatsu vendredi, 3 décembre 2004

Devant préparer une conférence qui se tiendrait le lendemain, j’avais prévu de déjeuner avec Nicolas de Rabaudy, co-initiateur de cet événement. Nous réglons quelques sujets d’intendance et il m’annonce : je ne peux pas déjeuner avec vous. Ah, bon ! Mais que faites vous ? Je vais déjeuner avec Jean Frédéric Hugel chez Hiramatsu. Estimant que ce déjeuner ne pouvait se faire sans moi, je priai Nicolas de me prendre dans ses bagages. J’ai pu participer à un déjeuner de rêve.

Je suis accueilli chaleureusement par Hide de Hiramatsu et par Jean Frédéric Hugel qui, comme Maurice Chevalier quand il annonçait tous les mois sa retraite, fête dix fois plutôt qu’une son quatre-vingtième anniversaire. Le repas fut d’une belle conception, les saveurs inventives mettant en valeur des vins particulièrement beaux. J’aurai pu constater lors de ce repas la belle réalisation d’une cuisine intelligente, et l’ampleur imaginative des vins d’Alsace, dont les grands vins devraient plus souvent trôner sur nos tables, y compris avec des plats qu’on ne leur associerait pas spontanément.

Voici le menu raffiné offert à la fine fleur de la presse vineuse : homard breton mi-cuit, crème de noisettes caramélisées, dans son jus de corail, noix de Saint-Jacques poêlées et rhubarbe en brick, sauce champagne aux baies roses, foie gras poêlé, confiture d’oranges amères, canard de Challans fumé et pané au pain d’épice, sauce à la violette, Tatin caramélisée, glace Earl Grey et coulis exotique à l’aneth.

Le choix des vins fut éclectique et intelligent, destiné à séduire le palais le plus difficile. Le Riesling Hugel Vendange Tardive  1998 est beau, rond, expressif et jeune. Il a un beau gras en bouche. Le Riesling Hugel Vendange Tardive 1961 en magnum a un nez très prononcé. Un goût de miel aussi beau que sa couleur, des évocations légères de miel, de fumé, de pâte de fruit. Le  Riesling Hugel 2003, vin ordinaire s’il en est, a un joli nez alsacien. En bouche, c’est un bonbon acidulé. Sa caractéristique, c’est une grande pureté. Le Riesling Hugel Jubilée 1998 est d’un ascétisme rare. C’est l’expression totalement pure, sans aucune fioriture, du beau Riesling. Ce sont deux Riesling très typés qui nous sont offerts, intéressants dans leur définition authentique. Le Jubilée a un beau final. Le Pinot Gris Hugel Vendange Tardive  2001 forme avec l’endive orangée une association de rêve parce que rien ne peut normalement dompter l’endive. Belle pirouette culinaire, et belle persuasion du Pinot. Le Pinot Gris Hugel Vendange Tardive  1961 en magnum est explosif de perfection arrondie. C’est un concentré parfait de ce que doit être ce vin quand il est accompli. Le 2001 est exubérant de jeunesse pré pubère et le 1961 a la certitude de la maturité. Voilà du grand vin. Le Pinot Gris Hugel les neveux 2003 a un nez intéressant, mais ce vin est vraiment trop jeune pour moi tel qu’il est là. Je ne peux pas juger. Le Gewurztraminer Hugel Sélection de Grains Nobles 1997 « S » est magnifique de fruits confits. Il y a de l’orange, de la prune confite. Le  Gewurztraminer Hugel Sélection de Grains Nobles 1976 a un nez unique. C’est d’une noblesse rare. Il n’y a pas que les grains qui sont nobles, il y a aussi le résultat final. Si le 97 évoque le caramel, le prodigieux 76 est un beau fruit.

Jean Frédéric Hugel adore parler et il dispense généreusement son savoir immense, fondé sur un bon sens indestructible, doublé d’une expérience frottée aux savoirs ancestraux. On devrait noter tout ce qu’il dit, avec truculence bien sûr, mais surtout avec pertinence. Il aura réussi par ce déjeuner à nous faire aimer encore plus les beaux vins d’Alsace, si complets dans leurs expressions complexes.

Présentation de vins samedi, 27 novembre 2004

Les ventes aux enchères se succèdent à un rythme fou en cette période de fin d’année. Pour faire la différence, les sociétés de vente choisissent des lieux flatteurs et des événements connexes. Artus, accolé à Chateauonline, fait une vente à l’Hôtel Meurice suivie d’un cocktail. J’en profite pour aller dire bonjour à Yannick Alléno dans son bureau en sous-sol, irrespirable tant de magiques truffes noires et blanches (une fortune étalée comme chez un diamantaire) explosent d’odeurs enivrantes. Je croque quelques hosties noires et contemple émerveillé les toutes dernières créations de la nouvelle carte. Quelle joie de vivre se dégage de ce chef enthousiaste et convaincu. Auprès de lui je me sens bien, rassuré que la grande cuisine soit incarnée par sa belle personnalité. Je remonte dans les ors et les stucs où des vignerons présentent de bien beaux vins expliqués par Jean-Michel Deluc, l’expert sommelier attaché à Chateauonline. Ce n’est pas la première fois que je l’entends expliquer les vins, et j’avoue que j’aime ses discours toujours positifs, qui savent avec sérénité faire apparaître les beaux aspects des vins. Le savoir est discrètement saupoudré pour ne pas lasser, les descriptions sont expansives, poussant à la limite de l’imagination les analogies. Car, avouons-le, comme j’aurais du mal à reconnaître certaines épices si on me les présentait seules, on comprendra que j’hésite à les trouver dans un vin. Mais c’est avec une belle élégance que Michel Duluc élargit notre champ de vision sur de beaux breuvages. Le champagne Delamotte non millésimé est très élégant. Il est de belle stature. J’ai un peu de mal à m’habituer à Salon 1995, tant ses aînés ont du talent quand le vineux s’exprime. Il va dans peu de temps se révéler magistral (je sens déjà une évolution depuis le dernier essai d’il y a deux mois). Mais c’est encore trop dur à boire, alors que Didier Depond l’aime déjà comme cela. Ce que je peux concevoir, sur une cuisine plutôt rebelle.

Olivier Humbrecht présente un très joli Pinot Gris Windsbuhl Zind-Humbrecht 2002 au nez d’une belle personnalité. Ce vin déjà goûteux va gagner une joie de vivre resplendissante avec quelques années. Ces beaux Alsace ont des choses à dire. Je ne comprends pas bien comment Jean-Michel Deluc peut préférer Clinet 2001 à Pétrus 2001. C’est évidemment un beau Pomerol, mais Pétrus est Pétrus. Comme c’est une question de goût, je peux l’admettre, mais ce Clinet puissant n’est pas, pour l’instant, dans les goûts que je chante.

Taylor’s présente trois vins de Porto de types radicalement différents. Mon Dieu que ces vins ont des choses à dire. Quelle expression, quel charme, quelle jouissance sous-jacente. Bien sûr l’alcool aide. Mais l’impression de ces fruits noirs que l’on croque avec gourmandise, que c’est bon. Si un 20 ans d’âge est rassurant, c’est le coté canaille d’un Quinta de Vargellas vintage 2001 qui me surine de sa brutalité interlope. Antonin Rodet présentait hors programme un bourgogne ordinaire vanté par Jean-Michel Deluc. Franchement je n’ai pas compris ce choix. Un ésotérisme qui m’échappe. Ce qui ne dévalorise en rien cette grande maison.

Je quittais cette belle assemblée car un autre commissaire priseur m’attendait au Fouquet’s. Là, on avait prévu de biens bons petits fours, mais on avait sans doute oublié que l’on recevait des collectionneurs de vins (ou au contraire on le savait), car aucun breuvage ne pouvait retenir l’attention. En revanche les collectionneurs rencontrés avaient du talent. C’est peut-être ce raffinement là qui était visé.

L’Académie du Vin de France mercredi, 17 novembre 2004

L’Académie du Vin de France se réunit pour son dîner de Gala au restaurant Laurent. C’est l’occasion de goûter les vins des membres de l’Académie dans leurs productions récentes de 2003, 2002 ou 2001 selon les vins. Où pourrait-on en quelques pas seulement passer de Zind-Humbrecht à Cauhapé, de Château Simone à la Maison Huet, de la Romanée Conti à Haut-brion, du Domaine Leflaive à Fargues ? Nulle part ailleurs. De plus, on trinque avec les propriétaires. Ce que j’ai fait pour La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2002 dont j’ai apprécié le nez d’une belle élégance et le goût qui commence à se structurer. Hubert de Montille, la star de cinéma (Mondovino) était tout sourire ainsi que de nombreux propriétaires  satisfaits de leur année comme le sont les élèves au bon carnet scolaire. Ici, toutes vendanges étaient faites. Je suis placé à une table prestigieuse puisque s’y trouvent les propriétaires ou gérants de la Romanée Conti, de Haut-Brion, de Bonneau du Martray, de Château Simone, de la Commanderie de Peyrassol. Les discussions passionnantes furent précédées par de sobres mais denses discours du président sortant, Jean Noël Boidron justement acclamé et du nouveau président Jean Pierre Perrin au dynamisme connu.

Jacques Puisais fut le Monsieur Loyal du beau dîner conçu par un Alain Pégouret particulièrement brillant. Jacques commenta les vins et les mets avec un langage qui n’appartient qu’à lui, où la science des goûts le dispute au brio. Les blancs étaient de 1997 et les rouges de 1989. Voici ce qu’il en fut.

Des coquilles Saint Jacques avec des copeaux de noix et des traces de moutarde accompagnaient un délicieux Côtes de Jura du Château d’Arlay 1997. La virilité de ce blanc avec les noix me plait, quand ma voisine Madame Delmas (Haut-Brion) a du mal à entrer dans sa logique. Sur une autre préparation de coquilles Saint-Jacques présentée dans la même assiette, mêlant l’amer au sucré le Palette Château Simone 1997 fut particulièrement brillant sur le sucré naturel de la coquille, lui associant sa typicité poivrée. Belle profondeur de goût et l’occasion de tester deux accords très différents.

Une pince de homard (voire deux), aux haricots coco et coquillages, émulsion de fleurette citronnée est un plat qui m’a enchanté. Et le Puligny Montrachet « les Pucelles » Domaine Leflaive 1997 a trouvé une densité marquée, soulignée par la légèreté de l’émulsion et l’expressivité des haricots. La queue du homard, facile prétexte à l’humour Puisaissien gentiment gaulois, au beurre demi-sel sur une farce au corail avait la force qui convenait pour soutenir le puissant et alcoolique Hermitage blanc 1997 de Chave. Quelle force ! Ce plat puissant aurait d’ailleurs pu aussi s’accommoder d’un vin rouge.

Sur un magnifique exercice de style sur le thème du lièvre, intitulé par Philippe Bourguignon en toute sobriété : « lièvre dans tous ses états, pâtes fraîches » trois vins que des régions et des personnalités séparent allaient nous raconter de bien belles histoires. Les trois acceptions du lièvre étaient primitivement prévues chacune pour un vin, mais on s’amusa à brouiller les cartes, pour la plus grande joie de nos papilles en éveil. Le Beaucastel rouge 1989 a une générosité naturelle rare. Il emplit la bouche, s’y sent à l’aise, et décoche du fruité de pur plaisir. Le Bandol « Cuvée Cabassaou » 1989 Château Tempier de M. Peyraud, voisin de table, me plut particulièrement, car il tenait bien sa place à coté de ses illustres voisins de verre. Une belle trame, une joyeuse densité et une longueur respectable. Un beau vin. Et La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1989 au nez d’une particulière intelligence compléta le trio avec des variations de saveurs généreuses. Sur le râble, La Tâche s’amuse à faire des gammes de goûts, variant sa force et sa finesse avec un talent consommé. Cette dégustation était cependant assez difficile car les verres avaient une odeur désagréable que mes voisins vignerons attribuaient au carton d’emballage mais que je reliais plus volontiers à la méthode de séchage. Plusieurs milliers de verres posent des problèmes logistiques. Ils posèrent des problèmes d’odeurs et de saveurs. Et Patrick Lair, pour des raisons que je comprenais parfaitement, faisait servir les vins très frais. C’est justifié si le vin reste en verre, mais quand on est gourmand comme à notre table, le vin n’a même pas le temps de se réchauffer. Et La Tâche trop frais, ça limite assez le plaisir. Fort heureusement, en y mettant du sien, c’est-à-dire en « vinant » les verres et en attendant que le vin se réchauffe, tout alla bien. La maison « Laurent » fut parfaite à son habitude et la sommelière de notre table, Christèle, fit un travail de grand professionnalisme. Sur un délicieux Saint Nectaire fermier, le Corbin-Michotte, Saint-Emilion 1989 prouva à quel point Jean Noël Boidron avait mérité d’être président. Ce vin de couleur beaucoup plus foncée que les autres rouges, dense mais charmeur à la fois, d’une trame d’une légèreté séductrice me causa une forte émotion. Je l’ai particulièrement apprécié.

Les palmiers (en pâtisserie) du restaurant Laurent n’auront jamais le temps de nous faire de l’ombre, car on les dévore avec une voracité coupable au masochisme pondéral assumé. Avec le Tokay Pinot Gris « Clos Jebsal » sélection de grains nobles Zind-Humbrecht 1997, on est en plein péché, car les saveurs de grains de raisin délicieusement brûlés par le soleil, les arômes de pain d’épices, de thé et de caramel se bousculent sous les palmiers avec une volupté rare. L’équipe d’Alain Pégouret, toute toquée est venue au moment du Tokay se faire applaudir à juste titre tant la cuisine fut exacte et sensible. Une belle leçon.

Quels vins retenir ? Difficile exercice tant les vins différent. Je mettrais en premier le Corbin Michotte 1989 pour la pureté de son image, en deux le Tokay Zind Humbrecht pour sa volupté, en trois La Tâche DRC pour son élégance et sa complexité et en quatre l’Hermitage blanc de Chave pour son assurance et sa sérénité. Mais le Bandol, le Puligny, le Chateauneuf et tous les autres eurent aussi beaucoup de charme.

L’Ecole de cuisine du Ritz et vin d’Arlay lundi, 15 novembre 2004

L’Ecole de cuisine du Ritz (Ritz Escoffier) accueille les vins du Château d’Arlay.  Des élèves studieux suivent un chef talentueux au verbe fécond, Philippe Moreau, qui déroule devant eux toutes les phases de la préparation des plats qui seront dégustés. Beaucoup d’élèves prennent des notes, commentent, interviennent et ce qui me fascine, ignorant que je suis, c’est la valse des cuissons. Il y a tellement de composants des plats qui nécessitent des cuissons spécifiques et adaptées que je vois ce chef virevolter comme l’un de ces jongleurs chinois qui font tournoyer sur des joncs un nombre incalculable d’assiettes, qui ne restent en équilibre que par la vitesse de rotation, quasiment impossible à maintenir sans les cris d’alerte d’un public enthousiaste. La surveillance des cuissons procède de la même complicité entre maître et élèves : « le lait, le lait ! Il va se sauver !». C’est beau de voir un chef qui se fait le chorégraphe de sa propre prestation. Je vois autour de moi des élèves captivés. Alain de Laguiche parle avec pédagogie et passion des vins de sa région peu connus de beaucoup. Sur un crémeux de pousses d’épinards, langoustines et comté doux, le blanc d’Arlay Côtes du Jura 1998 est à son aise. Il a l’intelligence de s’exprimer, avec une persistance aromatique rare, sans jamais écraser le plat de son empreinte. Une association extrêmement élégante. Et ce vin reste en bouche de façon durable, ce qui me pousse à vous parler de lapin. Sur un lapin fermier au vin jaune, polenta de légumes et palets de céleri braisés, le vin jaune d’Arlay 1994 au nez de noix fraîche mais civilisée, à l’attaque lourde, se montre brillant. Bien sûr, comme en champagne à propos de Salon, j’ai perdu toute objectivité vis-à-vis des vins du Jura. Demandez à un fan de Cloclo si Alexandrie Alexandra est toujours actuel ! Des figues rôties, aux parfums de fruits rouges, huile d’olive et glace au citron accompagnent trois vins.  Le vin de paille d’Arlay 1998 a pour moi trop le goût de raisins frais. Ce vin que je bois avec délectation quand il a des décennies de plus n’existe qu’avec l’âge. Trop jeune il est trop fou, indompté. Deux Macvin, un blanc et un rouge sont de redoutables épreuves gustatives. La trace du marc est trop forte pour mon palais qui n’en peut mais. Le rouge mériterait sans doute un nouvel examen, car c’est une vraie curiosité. Ce que je recherche du Jura, c’est parfois les vins rouges, souvent les vins blancs, mais c’est surtout les vins jaunes, ces magnifiques expressions du Savagnin de charme qui est le beau message de cette région. Le vin jaune est par excellence le vin de toutes les audaces culinaires.

« Rencontres Vinicoles » mercredi, 10 novembre 2004

Je me rends à l’une des nombreuses présentations de vins, qui s’intitule sobrement « Rencontres Vinicoles ». C’est modeste de nom, mais il y a de gros calibres dans la salle de l’Espace Cardin. Je salue des têtes connues et je remarque le Champagne Diebolt Vallois 1999 d’une belle élégance (j’ai raté le 1976 qu’on m’a dit fameux). Des vins comme Carbonnieux, Léoville Poyferré, Larrivet Haut-Brion, Corbin Michotte me ravissent toujours par l’élégance du travail respectueux du sol. Je me livre à une intéressante comparaison du Clos des Lambrays dans ses expressions de 2000, 2001 et 2002. Trois années très différentes : le 2000 est déjà assis, le 2001 promet une belle élégance moins ronde et le 2002 va affirmer une particulière subtilité. Il y aura un Clos des Lambrays pour chaque palais. Je ne résiste pas à goûter un vin du Jura du Domaine de la Pinte dont le propriétaire ami abrite ses vins sous une impressionnante moustache. Le petit cadeau de ma visite, c’est quand je goûte un Banyuls de l’Etoile 1986. C’est un apaisement de l’âme comme une pâte de fruit. Il faut vite que je choisisse pour mes repas des Banyuls comme ceux de la photo du bulletin 121. C’est un plaisir total. Un ami expert en vins me signalait que dans mes repas on ne voit pas de vieux Portos. C’est vrai, car j’hésite à ouvrir ces nectars qui impriment tant de traces en bouche. Peut-être pour le cigare ? Mais avant il me faut célébrer les Banyuls, ces récompenses gustatives d’une des régions les plus belles de France : vendanger face à la mer, sur ces pentes dangereuses battues par le vent, ce doit être d’une excitation extrême.

Aux Caves Legrand le Beaujolais nouveau se boit sur des notes de jazz. Il faut bien cela pour un vin qui n’a rien de déraisonnable, qui habille gentiment le palais l’espace d’un instant, et dont la mémoire va se remiser jusqu’à l’année prochaine.

Rhône en Seine dimanche, 7 novembre 2004

Je cours me rendre à Rhône en Seine dans les sous-sols du George V où des producteurs renommés apportent leur soleil. Des amis que je retrouve ici et là me tirent par la manche pour que je goûte des splendeurs qu’ils ont détectées. Un sublime Côte-Rôtie Pierre Gaillard 2003 promet d’être grandiose. Beaucastel rouge 1999 que je connais bien est toujours un modèle de justesse. André Roméro, ce joyeux vigneron de Rasteau me fait goûter un vin doux naturel qui a passé 36 mois en fût de chêne américain. George Clooney fait séducteur de patronage à coté de l’invraisemblable charme de ce miel là.

Dégustation et repas chez Bouchard samedi, 6 novembre 2004

Je pars le lendemain à Beaune où l’équipe de France 2 doit terminer son reportage sur les vins anciens par un dîner de légende au château de Beaune. De grands experts, de solides amateurs de tous pays se retrouvent pour un grand moment de dégustation. Le rendez-vous est donné sous le perron de la maison Bouchard Père & Fils. Arrivé en avance, je salue un homme jeune ostensiblement asiatique et nous commençons l’exercice classique de deux amateurs qui se rencontrent : « j’ai bu ça, j’ai bu ça et encore ça ». Il a une solide expérience et prend conscience de la mienne et un déclic se fait. Il prend son appareil photo et fait défiler des images et en montre une : c’est la couverture de mon livre. Il me dit : « je veux absolument distribuer ce livre à Taiwan ». Nous avons ensuite bavardé en complices qui se comprennent plus qu’en jeunes paons qui montrent les yeux bleus de leur plumage.

Nous entrons dans cette belle cave bâtie il y a plus de cinq cents ans pour nous asseoir devant douze verres de grand volume. Le premier thème est le Volnay Caillerets « ancienne cuvée Carnot » et je ne peux pas m’empêcher de croire en un signe du destin puisque c’est le vin que j’avais offert hier aux grands sommeliers pour leur dire ma quête des vrais vins. Ce vin est là, décliné en six millésimes. Comme vous en avez l’habitude (voir bulletins 92 et 116) mes notes sont prises d’instinct, à la volée. Les redites sont compréhensibles.

Le 2003 a une couleur rouge d’un intense grenat qui ne peut pas être d’un Volnay. Le nez est très imposant avec du fruit fort et de l’alcool. En bouche il y a de la prune. C’est déjà rond et étonnamment buvable. Ce vin aura plus de bois que les autres. Le 2002 a une couleur très différente, plus acajou. Le nez est plus discret, le goût est beaucoup plus austère. C’est un bourgogne très subtil mais qui ne peut rien dire quand le 2003 parle. Plus tard, quand le verre s’oxygène, le vin gagne en saveur.

Le 1999 a une couleur intermédiaire. Il a une approche assez aqueuse. Mais on découvre sa rondeur. C’est absolument passionnant d’équilibre. C’est beau car très équilibré. Le 1995 a une couleur typique de Volnay. Le nez est de viande. On a un beau goût de bourgogne avec une belle astringence. Le 1990 a une très belle couleur et un beau nez C’est assez austère, mais on sent un potentiel immense. Ce vin appelle un plat. Un convive signale la cerise à l’eau de vie, à peine suggérée. C’est un vin bien accompli.

Le 1964 a une couleur magique de vin ancien. Le nez est sublime. Il y a un charme immense dans sa texture. Une jeunesse extrême combinée à une palette aromatique large que seuls les vins anciens possèdent.

Mon classement des Volnay Caillerets « ancienne cuvée Carnot » : 1964 – 1999 – 2003 – 1990 – 2002 – 1995.

Il convient de remarquer que ce classement correspond à ma grille de lecture. Il est évident que d’autres amateurs auront des réponses différentes. Joseph Henriot, l’homme qui nous invite à ces agapes, a l’ardente recherche de la perfection mais dans une optique très précise : dans le respect du terroir, dans le sens de l’histoire, et avec la créativité des hommes. La maison Bouchard est passée par une période de moindre performance et on sent cette vibrante envie de retrouver une qualité que les terroirs splendides méritent et appellent. Cette quête exigeante me plait beaucoup. Joseph Henriot juge les vins à cet aune là. Bernard Hervet, directeur général de Bouchard a une autre optique : il tient à vérifier que le futur de chaque vin est bien à la hauteur des espérances de l’année. Il ne juge pas le 2003 dans son verre, mais dans la vision que lui inspire le vin immédiat pour les vingt ans à venir. Mon approche est toute autre : même si la perspective historique ne me quitte pas, je juge mon verre, car je n’ai avec lui que la conversation de l’instant. Et le 1964 me parle avec son accent chantant quand des sopranos qui seront peut-être plus brillants à long terme ont encore des vocalises timides. Nous aurons vérifié, sur cet échantillon, la justesse d’un terroir de grande personnalité.

On passe au deuxième thème de l’exercice en cave : Corton Charlemagne.

Le 2003 a la couleur très verte des statues d’Empire. C’est beau. Le nez est très poivré. En bouche, quelle beauté ! C’est un blanc magique. On est incapable de donner un âge à un vin riche qui devrait être encore au berceau et parle comme un grand. Le 2002 a une jolie couleur. Le nez est plus discret, plus austère, très poivré. Il est encore fermé, mais évoque déjà un beau Corton Charlemagne. Il y a du floral dans ces deux vins.

Le 2000 a un nez minéral fort. En bouche des agrumes et du poivre, du melon vert. Il a aussi du gras mais progressivement le floral apparaît. Un charme inouï et une longueur rare. Le 1996 a un nez intense très minéral. La couleur s’anime et s’ambre un peu. En bouche ça citronne. Il est plutôt sec quand le 2000 est gras. Le floral et l’intense sont là. J’y trouve un peu d’iode. Très différent du 2000, il est grand, intense et typé.

Le 1990 a une belle couleur dorée. Le nez est fort et minéral. En bouche, on sent que toutes les composantes du Corton Charlemagne se sont totalement intégrées. Sa longueur est irréelle. Le 1955 a une couleur magiquement fumée. Le nez a une déviance d’âge. Le vin est limité. On est dans le champignon. C’est assez décevant. Je demande à Yann le sommelier si compétent de goûter l’autre bouteille qui, elle, est passionnante : du beurré, du caramel, une intensité de vin riche où l’alcool s’affirme. Sur l’impression de la première bouteille de 1955, mon classement est : 1990 – 1996 – 2000 – 2002 – 2003 – 1955. Avec la nouvelle version du 1955, cette année se place en troisième position. On aura compris que c’est le 2003 du jour qui est classé et pas ce qu’il sera.

Bel  exercice comparatif qui permet à M. Henriot de montrer l’évolution des techniques dans le sens de sa démarche. Intermède avant le repas, le champagne Henriot 1955 en magnum est d’un charme rare. Il démarre en douceur, comme s’il n’était que de passage en bouche. Et comme si l’on avait allumé une post-combustion il se met à faire un numéro de charme langoureux pour délivrer des saveurs changeantes au rythme énigmatique. Il a moins d’attaque que le 1959 mais une séduction redoutable.

Nous passons à table et le chef Jean Paul Thibert a réalisé un repas de haute qualité. Amuse bouche, crème de choux fleurs aux œufs de harengs fumés, terrine de champignons veloutés de truffes grises de Bourgogne, carré de côte de marcassin au vin, millefeuille de céleri et poire, fromages, gâteau de noix, crème brûlée à la vanille.

Le Chevalier Montrachet 1964 est un immense vin. L’odeur est invraisemblablement pénétrante. Il est beau, il est intense et il est jeune. Un vin magnifique.

Le Montrachet 1865 (lisez bien le siècle) a une couleur d’or dense comme un Sauternes de la même époque. Il faut se représenter que dans ce verre, c’est un raisin qui a mûri il y a 139 ans. Le nez est puissant. Il a du fumé, du fruit confit. C’est un vin vivace, vivant et vibrant qui ne peut pas être abordé sans un profond respect. C’est la rareté absolue, l’exemple parfait d’une tranche d’histoire aux évocations surréalistes. On est au Paradis, à la droite du Père. Yann me fit un cadeau royal en me donnant un verre du fond de bouteille et j’ai eu alors un de ces instants qui justifient ma démarche : j’ai eu, sur une gorgée, un moment d’éternité. J’avais en bouche, communiquée à mon cerveau, une de ces manifestations de la perfection absolue. C’est comme si une lumière s’allumait dans tous mes sens pour dire : « c’est ça. C’est ça le but ultime. C’est le goût parfait ». L’impression dura une demie minute. Ce fut comme une apparition. Je fus réellement tétanisé l’espace d’un instant. Rien autour de moi n’existait que ce choc gustatif de perfection. Ce vin rejoint mon Panthéon.

Le Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1964 servi en magnum est la définition de la Bourgogne. Il n’y a pas un goût unique. Le Dieu Pan s’amuse dans le palais, délivrant des saveurs perpétuellement changeantes. Le vin iodle dans la bouche. C’est un grand vin de belle définition et de charme fort. Mais il fut éclipsé. Car Le Corton 1934 est invraisemblable. Là, pas de variations mais du monolithisme. C’est une boule de feu de magiques saveurs veloutées. C’est rond de plaisir raffiné. Un immense vin de pur plaisir. Une sensation rare. Et une longueur unique qui emplit la bouche de bonheur total. Un grandiose vin ancien.

L’étonnement le plus fort allait venir du Clos Vougeot 1865. Il n’y a plus de repère possible car on se demande comment ce vin est capable d’être aussi jeune. Si l’on n’était pas en ce lieu où la rigueur règne, on refuserait ce vin en disant : ça ne peut pas être un vin de cet âge là. Et quand on oublie ce décalage, on a un vin splendide, plein, intense, et avec une persistance aromatique que seuls les grands bourgognes anciens peuvent donner. J’ai été dérouté par ce vin idéal, tant sa perfection était irréelle. Ce 1865 parfait est diabolique de jeunesse.

Difficile de classer de tels vins. Le plaisir immédiat est sans conteste en faveur du Corton 1934. Le Graal du collectionneur, la satisfaction de ma recherche de l’extrême c’est le Montrachet 1865 qui est un monument de perfection. Nous aurons assisté à un repas unique et inoubliable avec de grands amateurs et experts aux personnalités attachantes. Un historien du vin qui inspire une sympathie profonde, un des plus grands chefs d’orchestre à la sensibilité communicative, de grands experts aussi enthousiastes que les amateurs, un collectionneur italien à la joie de vivre épatante. Deux belles tables d’amateurs conquis. Un moment qui laissera des traces puisqu’on en verra des instants sur « Envoyé Spécial » de France 2 en décembre, sans doute le 16. Dans leur démarche les journalistes auront filmé 23 cassettes de 30 minutes pour 26 minutes d’émission. Le monteur aura du mal tant il y a matière à vingt émissions. Un grand moment que l’on doit à la générosité exquise de Joseph Henriot.

Certains de mes amis ont tendance à me considérer comme le Saint-Bernard des petites années, trouvant du charme à des millésimes que bien des experts ont exclus ou négligés. Ce n’est pas l’expérience qui va suivre qui va changer cette image. Recevant mes enfants, j’avais prévu du champagne pour le foie gras, mais l’une de mes filles déclina. Au dernier moment donc, j’ouvre Trotanoy 1973. Niveau superbe, bouchon parfait, première odeur délicieuse. Et en bouche, un étonnement. Il serait normalement impossible qu’un vin de 1973 développe une telle puissance aromatique mais le fait était là. A l’aveugle, si on m’avait dit 1975, j’aurais dit oui. Et si on m’avait dit 1973, j’aurais dit : impossible. Or le goût était là, intense, puissant, pénétrant, et de belle structure. Pour un osso-buco j’avais ouvert à l’avance un Saint-Joseph Chapoutier 1994. Nettement plus fruité et remplissant la bouche agréablement, bien campé dans son appellation, il joue son rôle. Et il met en perspective le Trotanoy qui apparaît plus complexe que son année. Il y aura toujours des surprises sur ces années dépréciées sans doute un peu rapidement.

Il reste que 1865 est grand. Plus grand que tout.

Que des Corton Charlemagne ! A droite, le 1955

Le jury de champagnes au Bistrot du Sommelier vendredi, 5 novembre 2004

Le concours allait être suivi d’une troisième mi-temps qui m’a permis de constater que ces grands jurés sont aussi de solides buveurs et de joyeux lurons. Le repas se tient au Bistrot du Sommelier. Démarrage sur un Montravel dont je n’ai même pas noté le nom tant c’est déplaisant. Un Pouilly Fuissé 1955 de Beaujeu au nom de propriétaire illisible est madérisé. Je suis gêné par un petit goût de métal déplaisant. Le Gevrey Chambertin Gérin 1952 est d’une toute autre trempe. C’est du vin. C’est rassurant car on a le coté chatoyant de la belle bourgogne expressive. Un Meursault Clos de Mazeray Jacques Prieur 1985 est relativement peu Meursault, très jeune encore et bien franc. Le Château Belair Saint-Emilion 1966 a encore de belles expressions. Peu typé mais encore bon. Un Petit Verdot 2000 de Signal Hill en Afrique du Sud de Jean Vincent Médon s’appelle « Vive la Différence ». Même si on est dans l’excès de bois (je passe sous silence un vin que je n’ai pas noté, horrible jus de copeaux) il y a une certaine intelligence et une « French touch » de bon aloi. Essai intéressant. Un Château Nairac, Barsac 1989 est un bien agréable jeune Sauternes. Ambiance de troisième mi-temps mais aussi studieuse : la recherche des vins s’est faite à l’aveugle. Belle tablée de professionnels, bons vivants quand ils sont hors de l’exercice exigeant de leur métier.

jury de grands champagnes (suite) vendredi, 5 novembre 2004

On reprend le lendemain matin l’analyse de champagnes blancs de blanc et de champagnes millésimés. Je note à coté des juges officiels de magnifiques champagnes et mon vote est extrêmement proche des leurs, ce qui me plait. Des six vins sélectionnés quatre sont dans mes six, et les deux autres suivent de peu. Je quitte les juges pour un déjeuner où un Mumm 1985 conservé pour un petit cercle d’amis que je rejoins a toujours autant de charme rassurant. Un Cos d’Estournel 1986 me paraît plus boisé que d’habitude, et Pichon Longueville 1986 développe une élégance rare, parfait exemple du beau travail bordelais.

Je reprends ma place de juge pour la finale qui se tient au Bistrot du Sommelier, les juges officiels complétant leur effectif avec un premier sommelier du monde et un premier sommelier de France, Philippe Faure-Brac et Dominique Laporte. On a ainsi un parterre solide pour juger de beaux champagnes présentés en finale. Un champagne apparu premier le matin est plus mal placé l’après-midi et un champagne qui n’avait pas brillé remonte au classement. Le gagnant derrière Krug 1990 hors concours du fait de son année, mais classé premier tant il est bon est Dom Pérignon 1996 confirmant mes analyses récentes : Dom Pérignon est remarquable en 1996. De bien beaux champagnes moins célèbres sont particulièrement à l’honneur, tel ce Mailly 1996 classé second. Ce concours d’une belle rigueur et bien mené se lira dans le « Spectacle du Monde » de décembre.