L’occasion m’est donnée d’un déjeuner avec les propriétaires de Château Sainte Roseline, un domaine réputé des Côtes de Provence. Je suis reçu par un homme délicat, fin, qui parle avec justesse de la vie, de ses choix et de ses goûts. J’ai rarement vu un couple avoir autant de sens artistique. L’argent aide bien sûr, mais on ne peut atteindre une telle réussite de décoration dans les détails et dans le tout que si l’on a une réelle sensibilité artistique.
La chapelle Sainte Roseline est un petit bijou. Simple de construction elle porte au recueillement. Des sculptures de Giacometti s’insèrent élégamment, et un mur décoré par Chagall dans cet écrin si vieux me rappelle le délicieux choc que j’avais ressenti quand Chagall avait osé le plafond du palais Garnier. Dans le cloître où vivent mes hôtes, la décoration particulièrement réussie de Vilmotte, l’homme qui a relooké le restaurant Guy Savoy – entre autres – a créé un lieu de vie où tout est art, sensibilité, appel à l’excellence. On comprend qu’ici on ait envie de faire un grand vin.
Après la visite des imposants investissements consentis dans le domaine, nous buvons un honnête blanc puis un joyeux rosé bien typé, qui acceptait bien une température un peu chaude exhalant de belles qualités. Puis, nous déjeunons avec la Cuvée Prieuré Château Sainte Roseline 2001, fruit du travail fait avec Michel Rolland, cet adjuvant subtil des tendances modernes. Il y a du bois là dedans, et beaucoup d’alcool : 14°5. Mais il y a aussi une belle race de vin.
Comme j’ai eu l’occasion de parler de vins anciens, on a la gentillesse d’ouvrir pour moi un Sainte Roseline 1988 et un 1983. Le 1988 ne convaincra personne de sa légitimité, mais le 1983 est une petite merveille. Une réussite avec un fruit, un terroir absolument charmants. Ceci prouve de façon absolue que ce domaine possède une terre exceptionnelle. Car ce vin a été fait avant que le propriétaire actuel ne recrée tout. Si un vin de 20 ans montre un tel talent, le château Sainte Roseline peut se permettre de jouer le terroir au moins autant que le modernisme et l’extrême des techniques. Ce que j’ai ressenti d’un couple charmant, artistique, et doué d’une imagination rare me fait penser que ce domaine va nous ravir par des vins de talent et sans concession. J’y ai passé une visite chaleureuse qui me conduira à m’intéresser à en suivre les succès.
Dans le petit port où après les balades en mer je converse avec les natifs, à l’heure où l’ombre des tamaris sent fort l’anisette, racontant cette aventure, une douce grand-mère qui connaît chaque roche, chaque vague, chaque courant, me dit d’un ton discret qu’elle a du Château Sainte Roseline 1953 dans sa cave. Il va falloir que je devienne Surcouf et Don Juan pour séduire la belle et ravir ce 1953 que j’aimerais partager avec ceux qui m’accueillirent en leur domaine de si délicieuse façon.