Il est entrepreneur, l’un des seuls avec lesquels j’ai encore des relations amicales de mon ancien monde professionnel. A l’époque il n’y avait pas de confusion de genre. Il s’est inscrit à l’académie des vins anciens dont il est un des fidèles. Il m’invite au Saint-James, hôtel et club dont il est membre depuis des lustres. L’hôtel particulier est cossu, avec son entrée où devaient s’approcher des carrosses, biges, berlingots et briskas dont s’échappaient des femmes en crinolines et vertugadins. L’entrée est magistrale et le bar habillé en bibliothèque est très second Empire sans clinquant. Alors que je suis en avance, mon ami est déjà là, lisant son journal en sirotant un chablis. Le maître d’hôtel me propose un champagne et je prends un Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2005 au verre qui me montre s’il en était besoin combien Taittinger a réussi ce millésime. Le vin est opulent , conquérant, facile à lire, porteur de joie de vivre.
On nous apporte les menus et nous faisons le même choix : asperges blanches angevines, sauce savora, coulis de persil, chorizo ibérique et câpres / dos de cabillaud cuit au plat, légumes de saison, beurre citron mélisse.
Micaël Morais, sommelier du Saint-James me tend le livre de cave, à la demande de mon ami qui préfère le vin rouge. Dans ce livre il y a des prix lourds, mais il y a aussi de bonnes et intelligentes pioches. Je choisis un Coteaux du Languedoc Syrah Leone domaine Peyre Rose 2005 de Marlène Soria.
Les asperges sont belles et bien cuites, mais ce qui me gêne, c’est que le chorizo écrase tout sur son passage. J’en parlerai plus tard avec le chef. Nous buvons de nouvelles coupes du Comtes de Champagne 2005 qui confirme ses capacités d’adaptation.
Nous sommes gâtés, car on nous apporte un plat ajouté, un saumon de Cherbourg à la parisienne, macédoine de légumes au saumon fumé. Ce plat est splendide, le saumon étant fondant à souhait et joliment accompagné par la macédoine rafraîchissante.
Micaël nous apporte pour ce plat deux verres noirs dans lesquels il est impossible de reconnaître la couleur. Comme mon ami évoque un souvenir de dégustation de sakés, je remarque que l’aspect sucré de ce que je sens n’exclurait pas le saké, mais il y a au nez beaucoup plus d’alcool. Je risque l’hypothèse d’un Maury et en fait c’est un Porto blanc Niepoort. Le vin est agréable mais trop sucré et trop fort pour accompagner le saumon. Je suivrais plutôt la piste d’un Condrieu pour ce plat tout en finesse.
Le cabillaud est superbe, râpeux tout en étant délicat et magnifiquement cuit. J’aurais dû ne pas demander la sauce citronnée car le Coteaux du Languedoc Syrah Leone domaine Peyre Rose 2005 crée un accord superbe avec la chair du cabillaud, mâche sur mâche, râpe sur râpe, à condition que la sauce soit oubliée. Le vin est riche, incisif, percutant et il a un infini mérite c’est qu’il ne surjoue en rien. Il est boisé, il est puissant, mais sans jamais dépasser de limite. Il laisse en bouche une trace pure et profonde. Je l’aime beaucoup, la vigneronne Marlène Soria accomplissant des merveilles.
Le dessert au chocolat est excellent et frais. Tout en cette cuisine semble inspiré.
Nous avons la chance que Virginie Basselot, l’une des rares MOF de France (meilleur ouvrier de France 2015) s’asseye à notre table. Elle est jolie, d’abord aimable et nous discutons cuisine bien sûr. Elle est une valeur sure du saint-James, dotée d’une étoile.
Le décor est agréable, les hauts plafonds donnent un confort apprécié. On est bien au Saint-James, surtout lorsqu’on est en bonne compagnie, avec un service exemplaire et une cuisine solide et mature.