Il m’arrive de recevoir des invitations d’amateurs de vins de partager des bouteilles avec eux. Bien évidemment les vins proposés jouent un rôle dans ma décision mais aussi la façon dont ces invitations sont présentées.
Deux jeunes passionnés belges sont des amoureux du vin et développent un intérêt pour les vins anciens. J’accepte leur invitation et je propose que nous nous retrouvions au restaurant Le Sergent Recruteur où officie Alain Pégouret.
Nous arrivons presque au même moment à 11 heures, et je peux commencer l’ouverture des vins. Nous aurons un Champagne Dom Pérignon 1959 dont le verre de la bouteille est d’un vert très intense. Je tourne le bouchon pour l’extirper mais en fait il se cisaille et je suis obligé de tirer le bas avec un tirebouchon. Il n’y a absolument aucun pschitt. Pas la moindre pression dans la bouteille.
J’ouvre ensuite l’Hermitage Blanc Thouet Salavert 1949 que j’ai apporté, à la belle couleur claire vue à travers le verre de la bouteille. Même s’il se brise le bouchon vient entier. Le nez est particulièrement chaleureux.
Le Barolo Giacomo Borgogno 1958 a un bouchon de très belle qualité, assez court et le parfum est avenant. Le Château Rayne-Vigneau 1964 dont la couleur claire suggère un vin peu botrytisé a un bouchon magnifique et un parfum d’une totale perfection qui indique que le sauternes est assez sec.
A ce stade, nous pouvons être assez confiants.
Aurélien le sommelier nous sert le Champagne Dom Pérignon 1959 à la couleur légèrement ambrée. Il n’y a aucune bulle et aucun pétillant. En goûtant le champagne, j’ai une impression de vieille armoire qui me fait supposer que le Dom Pérignon a dû avoir un coup de chaud dans une cave antérieure. Il a une structure assez étroite mais on sent en filigrane ce qui fait un grand Dom Pérignon. Je pense que dès que nous mangerons, le vin se réveillera.
Et le sursaut est saisissant. Dès que nous mangeons de la rillette de sardine avec un toast, le champagne change de planète. Il montre un fruit large et généreux et gagne en longueur. C’est une résurrection.
On nous apporte une mise en bouche à la purée de petit pois qui pourrait heurter nos papilles mais en fait se justifie.
L’Hermitage Blanc Thouet Salavert 1949 va accompagner les asperges vertes. La couleur d’un or clair est d’une rare jeunesse et le parfum du vin est exceptionnel. On se contenterait volontiers de le sentir. L’accord est d’une belle justesse si l’on enlève un ou deux petits accessoires comme le pamplemousse. Ce vin est long, superbe, équilibré et conquérant. Un pur bonheur.
J’adore voir si le vin et le champagne se fécondent. Le champagne bu juste après l’Hermitage devient plus jeune. En sens inverse, c’est moins significatif.
Le Champagne Dom Pérignon 1959 accompagne un foie gras poché d’une grande qualité et l’accord est magique. Le champagne prend de la hauteur, garde un fruit large. On ressent la grandeur de Dom Pérignon.
Nous inaugurons un nouveau plat qui est une viande de charolais de Hugo Dunoyer avec des pommes de terre soufflées de forme proche de celle de grosses frites. La plat est délicieux, la chair de la viande est « nature », directe, franche, intense. Et le Barolo Giacomo Borgogno 1958 va s’en régaler. La couleur du vin est claire et le vin est presque opaque, trouble, mais cela ne modifie pas le goût. Le vin est noble, d’une belle amertume, et très plaisant. C’est un puissant Barolo d’une belle maturité joyeuse. Là encore l’accord est brillant. La sauce au vinaigre balsamique donne de l’énergie au vin.
Comme il reste des trois vins nous commandons des fromages et nous nous amusons à créer des accords improbables comme le chèvre avec le Dom Pérignon, qui surprend car il est pertinent.
Le comté va permettre l’entrée en piste du Château Rayne-Vigneau 1964 au parfum tout simplement parfait de sauternes sec et aimable. En bouche il est jeune et brillant. Mes amis sourient car ils avaient imaginé qu’en buvant ce 1964 je dirais qu’il est très jeune. Ils avaient bien anticipé.
Le prédessert est à base de menthe et d’algue. Il est original et rafraîchissant. Le dessert imaginé par Alain Pégouret pour le sauternes est diaboliquement bon et je me demande si je n’en ferais pas le meilleur accord, mais le Dom Pérignon avec le foie gras poché est peut-être le meilleur.
Un des amis voudrait ne pas voter car il s’en sent incapable, mais à force d’insister nous aurons les trois votes. Un des convives mettra Dom Pérignon en premier. Le vote global qui est aussi le mien est : 1 – Hermitage Blanc Thouet Salavert 1949, 2 – Barolo Giacomo Borgogno 1958, 3 – Champagne Dom Pérignon 1959, 4 – Château Rayne-Vigneau 1964.
Le Rayne-Vigneau a été mis quatrième car en fait nous l’avons considéré comme hors- catégorie, tant il est parfait.
Aurélien nous a fait goûter un Château de Peyrel Excellence d’appellation Rosette 2015 d’une toute petite appellation près de Bergerac. Très frais et fluet il n’a pas souffert de la comparaison avec le Rayne-Vigneau.
La cuisine d’Alain Pégouret est assez complexe mais astucieuse et fondée sur de beaux produits. Le service de Gaëtan a été parfait et souriant.
Jérôme et Bruno sont deux amateurs compétents et sympathiques, qui vont certainement avoir de belles occasions de boire de grands vins anciens. Je suis heureux de ce déjeuner de partage.