Un ami, fidèle de mes dîners sinon le plus fidèle, familier des Casual Friday, me signale sa présence dans le sud et aimerait nous rencontrer, ma femme et moi. Il est invité à dîner chez nous et indique qu’il veut me faire connaître le vin qu’il considère le meilleur de la région Provence. Le menu que nous composons sera : foie gras frais, un bar par personne avec de petites pommes de terre en tranches fines puis pâtisserie croquante à l’amande et macarons.
Nous commencerons par un champagne et finirons par un champagne rosé que je mets au frais. Pour le repas, que mettre à côté de la merveille annoncée par mon ami. Je furète dans la cave et une bouteille attire mon regard. C’est un Châteauneuf-du-Pape blanc au niveau à moins de cinq centimètres du bouchon, sans indication ni de vigneron, ni d’année. La seule information est celle d’un bandeau où l’on peut lire « médaille d’or, Foire d’Orange 23 janvier 1971 et Concours Agricole Paris 6 mars 1971 ». La couleur est belle et je me dis que l’ami qui va venir est l’une des rares personnes avec laquelle je peux envisager de servir un tel vin totalement inconnu. J’ouvre la bouteille un peu avant 18 heures et le bouchon n’indique que l’appellation Châteauneuf-du-Pape. Ce sera amusant de le découvrir à l’aveugle. Je carafe donc et la couleur du vin dans la carafe est magnifiquement dorée, d’un or clair mais soutenu. Le parfum est discret mais semble pur.
L’ami arrive et j’ouvre un champagne ancien car je sais qu’il les adore, un Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1971. Le bouchon vient sans faire de pschitt. La couleur est très joliment ambrée, plus que celle du vin blanc que je venais d’ouvrir. Il y a encore un peu de pétillant, plutôt discret. Tout se joue sur les myriades de saveurs de ce champagne complexe. Il a des fruits bruns, des tisanes et une belle structure vineuse. Mais c’est surtout la noblesse de ce champagne qui a dû avaler son dosage qui nous fait entrer dans le monde merveilleux des champagnes anciens, où l’on dirait qu’un sauternes ayant mangé son sucre s’acoquine avec un pétillant. Nous grignotons des tranches d’une originale fine baguette fourrée de tomates, chorizo et olives et badigeonnée de traces de fromage doux cuit.
La bouteille rend l’âme très vite, tant le champagne est gourmand et nous passons à table. Le vin apporté par notre ami est un Côtes de Provence Château Maravenne Donum Dei blanc 2012. La traduction du latin est « Don de Dieu » et cela correspond bien au parfum du vin qui est pénétrant et expressif. C’est un très bon vin, ample, mais relativement peu typique des Côtes de Provence et parfois simple lorsqu’il se réchauffe dans le verre. Il est bon, mais mon cœur va pencher vers le suivant.
Le Châteauneuf-du-Pape blanc probable 1969 a un parfum beaucoup plus discret que le Maravenne, une couleur très richement dorée et ce qui frappe immédiatement, c’est la pureté de ce vin. Il est très expressif et joue juste. Jamais je n’aurais pensé qu’il puisse briller à ce point. C’est un très grand vin, comme quoi, l’âge favorise aussi les vins fantassins et pas seulement les chevaliers. Le vin est riche, de belle longueur, emplit le palais et l’impression qui me revient en permanence, c’est sa pureté. Mon ami avait pensé à Châteauneuf mais ne l’avait pas dit, ce qui ne compte pas dans ce petit jeu de découverte. Nous nous régalons. Il serait bien difficile de donner un âge à ce vin dont l’équilibre est intemporel. Je l’encense d’autant plus volontiers que la surprise est extrême.
Pour le dessert j’ouvre un Champagne Dom Ruinart Rosé 1990 qui est un des rosés que je préfère lorsqu’il est ancien. Celui-ci ne trompe pas mon attente, vin joyeux et plein de charme, à la bulle active d’un vin jeune. Le dessert sucré ne lui apporte pas grand-chose alors que les macarons se dévorent en le buvant. Malgré la belle prestation de ce rosé, je préfère la complexité et le dépaysement du Moët 1971.
Face à la mer nous avons longuement devisé de mille et un sujets, tout au plaisir de retrouver cet ami fidèle.