C’est probablement l’un des dix plus grands repas de ma vie mercredi, 29 janvier 2014

C’est probablement l’un des dix plus grands repas de ma vie. Il y en a sans doute beaucoup de meilleurs mais peu importe. Cela commence par un échange de mails avec un négociant en vins londonien. Des échanges, j’en ai des quantités, non pas parce que je serais célèbre, mais des gens qui ouvrent des vins anciens rares et qui en parlent, il y en a peu. Je lis ces mails assez rapidement, mais mon œil s’arrête lorsqu’Adam me dit qu’il viendrait déjeuner avec moi avec Vieux Château Certan 1900. Là, on commence à causer ! L’idée d’un déjeuner avec de grands vins prend forme. Adam vient avec Daniel qui travaille avec lui à Londres, originaire comme lui de Tel-Aviv, j’appelle Tomo pour faire nombre, nous ajustons nos apports. C’est parti.

Tomo aimerait – comme moi – atteindre vite le 200ème dîner de wine-dinners, car je sortirais à cette occasion des vins légendaires, aussi est-ce lui qui propose que ce repas soit compté dans les repas de wine-dinners. Ce sera le 176ème.

J’arrive à 10h45 au restaurant Taillevent pour ouvrir les vins apportés par les participants. Le bouchon du Domaine de Bouchon 1900 résiste et je comprends pourquoi. L’épaisseur du verre est variable dans le goulot, ce qui rend impossible de tirer le bouchon sans le déchirer, puisque c’est le bas du bouchon qui occupe l’espace le plus vaste. Aucun des bouchons ne vient sans se briser. Le Domaine de Bouchon est une énigme. Car la bouteille laisse penser à un vin rouge. Or la capsule rappelle qu’il s’agit d’un Sainte-Croix-du-Mont. Le nez indique un vin doux. Pour une fois je verse du liquide dans un verre, ce que je ne fais jamais, et je ne suis pas avancé. Le vin est pétillant, la couleur est entre rose et rouge, et le goût est celui d’un vin doux qui serait sec. Je laisse l’énigme telle qu’elle est. Le nez du Vieux Château Certan 1900 est encore incertain mais prometteur, le nez du Clos de la Roche Armand Rousseau 1947 est curieux. C’est l’alcool qui ressort. Puis quelques secondes plus tard, le vin sent le lard. Le nez du Grand Musigny 1906 est tout simplement miraculeux. Je sens que mon vin va être le vainqueur, ce qui ne me déplait pas.

Etant très en avance, j’ai le temps de composer avec Jean-Marie Ancher, Alain Solivérès et Nicolas le sommelier le menu, alors qu’il n’en était pas prévu, chacun devant choisir sur la carte. Ce sera donc un menu « imposé » : asperges vertes de Provence, homard bleu et truffe noire / épeautre du pays de Sault en risotto à la truffe noire / mignon de veau du limousin, pomme Ana / saint-nectaire fermier et Cantal / marrons de Naples acidulés, clémentine de Corse.

Nous sommes quatre, dans la belle salle à manger lambrissée du restaurant. Le Champagne Billecart-Salmon brut magnum 1961 de Tomo est d’un habillage récent et le bouchon, extirpé il y a une demi-heure, semble tout neuf. Comme le bouchon est imprimé de la marque du champagne et de l’année, il n’y a pas de doute, mais rien n’indique la date de dégorgement. Le champagne est magnifique. L’acidité est superbe. Je sens les groseilles roses. Mais ce qui en impose, c’est l’opulence et la longueur. Ce champagne qui a été considéré comme le champagne du millénaire (rien que ça !), est effectivement un immense champagne. Sa longueur est impressionnante. La bulle est active, piquante, le vin est jeune et ne fait pas son âge. Il titille la bouche. C’est un vin majeur. Avec le croquant de l’asperge et avec la truffe, le champagne est tout excité.

Le Vieux Château Certan 1900 d’Adam est impressionnant. Nous sentons qu’il se passe quelque chose. Ce qui me frappe, c’est la sérénité et la solidité propres à l’année 1900. J’ai écrit que 1900 est pour moi la plus grande année que j’ai rencontrée. Avec le temps, cette année devient de plus en plus difficile et va se faire rattraper par 1945 qui la talonne. Mais là, nous avons un 1900 brillant. La couleur du vin est belle, jeune, le nez est pur et en bouche le coulis de fruits rouge est expressif. Bien sûr, un palais qui se voudrait analytique plus qu’hédoniste remarquerait quelque imprécisions dans l’acidité ou certaines évocations de fruits, mais nous somme quatre amoureux des vins et nous jouissons de ce magnifique 1900. C’est un très grand vin avec un message vibrant. L’épeautre est superbe. La cohabitation est aimable, mais n’apporte pas de valeur ajoutée au vin.

Sur le mignon de veau il y a deux vins. Le nez du Clos de la Roche domaine Armand Rousseau 1947 de Daniel est comme celui d’un gaz paralysant. Nous sommes tétanisés par la perfection bourguignonne de ce parfum. Nous nous disons que si l’on cherchait le vin bourguignon parfait, il aurait ce parfum. C’est invraisemblable. Et je retrouve ces côtés de râpe, d’amertume, d’un vin qui ne veut pas séduire mais s’impose par son originalité et son intransigeance. Alors que j’avais eu du mal avec un nez qui ne se positionnait pas bien à l’ouverture, je suis conquis par ce parfum unique, qui empêche presque de boire le vin, magnifique, mais moins grand en bouche qu’au nez. Il est d’une grande sérénité.

A côté de lui, il y a le Grand Musigny Faiveley 1906 de ma cave. Son nez était le plus beau à l’ouverture. Il est surpassé par celui du Clos de la Roche, mais en bouche, on a l’impérieuse grandeur d’un immense bourgogne solide, pesant, avec une puissance qui paraît presque irréelle pour un vin de 107 ans. Sa solidité, sa richesse truffée sont remarquables. Et j’explique à ces nouveaux amis que j’ai l’habitude de préférer mes vins à ceux de mes amis, parce que mes vins correspondent à mes goûts. Mais aujourd’hui je suis obligé de dire que je préfère le Clos de la Roche, à cause de son parfum, à ce solide 1906. Nous sommes tous émus car nous avons en face de nous deux bourgognes d’une perfection inimaginable.

J’ai placé à ce stade du repas le Domaine de Bouchon Sainte-Croix-du-Mont Café Voisin 1900, vin que j’ai acquis il y a probablement trente ans, vin rarissime d’un restaurant qui était sans doute le plus célèbre dans la seconde moitié du 19ème siècle, le Café Voisin, rue Saint-honoré, tenu par monsieur Choron, brillant chef qui inventa la sauce Choron, béarnaise à la tomate. Le vin dans nos verres est rouge. Le nez est doucereux comme celui d’un Sainte-Croix-du-Mont. Mais en bouche le vin est pétillant. De quoi s’agit-il ? On dirait un Maury qui aurait fauté avec un champagne. Si c’était cela, le vin serait désagréable. Or il est absolument charmeur. Il se marie bien aux deux fromages. Nous jouissons de la gourmandise de ce vin atypique et énigmatique.

Sur le dessert, nous goûtons le Champagne Pol Roger 1949 d’Adam. L’expérience n’ira pas bien loin, car le vin est dévié, désagréable et ne mérite pas notre intérêt.

Tomo a apporté un Liqueur des Pères Chartreux, Chartreuse jaune que l’on peut dater des années 40. C’est un délice. Les fleurs et herbes de printemps sont superbes. On n’a pas les longueurs des Tarragone des années 20, mais c’est une grande liqueur.

Nous sommes tous éblouis de ce que nous venons de vivre. Il y a eu tellement de grands vins que nous sommes abasourdis.

Le vote du consensus serait : 1 – Grand Musigny Faiveley 1906, 2 – Clos de la Roche Armand Rousseau 1947, 3 – Vieux Château Certan 1900, 4 – Champagne Billecart Salmon magnum 1961.

Mon vote est : 1 – Clos de la Roche Armand Rousseau 1947, 2 – Grand Musigny Faiveley 1906, 3 – Champagne Billecart Salmon magnum 1961, 4 – Domaine de Bouchon 1900.

Le service du restaurant Taillevent est légendaire. Tout le monde est prévenant. Il faut dire que de tels repas motivent toutes les équipes. Le menu est de très grande qualité, solide et serein. Mais la mention spéciale va à la qualité des vins ouverts. Il y avait aujourd’hui des témoignages irremplaçables de l’histoire du vin.

Alors, bien sûr l’envie de recommencer est intimement partagée, car le vin crée des amitiés et des envies de recommencer.

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les vins du déjeuner au restaurant Taillevent mercredi, 29 janvier 2014

Champagne Billecart-Salmon brut 1961 magnum (dégorgement de 2011)

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Vieux Chateau Certan 1900 (la 2ème étiquette indique un rebouchage – probablement en 1950)

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Clos de la Roche domaine Armand Rousseau 1947

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Domaine de Bouchon Sainte-Croix-du-Mont Café Voisin 1900

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Ce vin est mentionné dans ce sujet : CAFE VOISIN

Grand Musigny Faiveley 1906

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Champagne Pol Roger 1949

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Liqueur de la Grande Chartreuse

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Déjeuner au restaurant La Table d’Akihiro mardi, 28 janvier 2014

Je suis invité au restaurant La Table d’Akihiro, restaurant français du chef Akihiro Horikoshi. La salle est minuscule, claire, propre et nette. Il n’y a que deux personnes, le cuisinier et le serveur. Les problèmes de communication doivent être simplifiés. L’entrée est à base de coquilles Saint-Jacques dont on peut choisir le mode de cuisson et pour le plat on a le choix entre cabillaud poché, écrasé de pomme de terre et dos de saint-pierre, endives caramélisées aux épices. Le dessert est une tarte aux poires.

La liste des vins est très limitée. Il y a un seul champagne, le Champagne Louis Roederer Brut sans année. Ce sera notre choix. J’avoue être très circonspect envers ce champagne qui ne m’inspire en rien. C’est très étonnant de la part de cette réputée maison de champagne de ne pas faire un champagne qui colle mieux à la demande actuelle qui est de moins de dosage et de plus de tension.

Dans ce restaurant tout simple et aux prix doux, la cuisine est sans histoire, bonne et agréable. C’est une halte possible quand on veut manger une cuisine de bonne facture à budget relativement limité.

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Déjeuner au restaurant David Toutain lundi, 27 janvier 2014

David Toutain m’avait surpris à l’Agapé Substance par son talent. Quand il a quitté ce lieu, de nombreuses pistes s’offraient à lui et j’étais tenu informé de certaines. La gestation dura plusieurs mois et enfin la nouvelle tomba : il s’installe à son compte et à son nom dans le 7ème arrondissement. N’ayant pu assister au dîner d’ouverture, pour de stupides erreurs de communication, j’ai attendu un mois pour me présenter au restaurant David Toutain avec mon épouse et des amis. Le menu est à choisir entre trois options d’herbes des montagnes. Nous choisissons le menu « Reine des Prés », sans l’option accord mets et vins, les femmes ne prenant pas le menu truffé contrairement aux hommes. Ce sont les stéréotypes du genre.

Ne sachant pas le contenu du menu, c’est vers le champagne que nous nous sommes tournés, le Champagne Billecart-Salmon Cuvée Nicolas François Billecart 1999. Ce champagne est tellement confortable qu’il est presque inutile de le décrire. Il est là, il tient sa place, accueillant à chaque plat. Rond, fait de légers fruits bruns, il est calme et serein. Il a tenu sa place au point qu’à deux buveurs, nous avons étanché deux bouteilles. Sa franchise est admirable.

Le menu est comme un discours de Fidel Castro, sans fin. Mais à la différence du Lider Maximo, David Toutain ne nous lasse jamais. Jugez plutôt : purée de panais, chocolat blanc, carottes, poudre de sésame / chips de crabe, guacamole avocat banane / brioche / fenouil des mers, coques et couteaux / huître, Yuzu, kiwi / Gnocchi parmesan noisettes, Yuba / Saint-Jacques, truffe / Œuf, ail doux, verveine / Saint-Jacques mélisse citron / choux de Bruxelles, foie gras, consommé pomme de terre / féra, seiche, Kale / seiche, citronnelle, brocoli / anguille, sésame noir, pomme verte / agneau, oignons, bleu des Causses / fromage comté longue garde Bernard Anthony / choux-fleurs chocolat blanc noix de coco / topinambour pralin / clémentine au thé, cake cacahuète, sorbet orange sanguine et Campari.

Il y a des moments de grâce. Quand on présente le fenouil des mers avec des coques et des couteaux, la forme de la coupelle nous fait penser qu’un bouillon va suivre. Or en fait on mange le contenu du plat et le bouillon de couteaux n’est versé que lorsqu’on a fini. Et c’est un régal de goûter ce bouillon pur.

L’impression générale est celle d’un immense talent qui représente une sorte de synthèse des tendances culinaires actuelles. Il y a un peu de René Redzepi de Noma, car certains des plats évoquent les recherches du brillant chef danois. Il y a beaucoup de Pascal Barbot de l’Astrance, dans la recherche de pureté et de lisibilité des plats. J’ai retrouvé des directions qu’empruntent les jeunes chefs belges qui foisonnent de créativité. Mais il y a aussi de beaux emprunts à la cuisine classique et traditionnelle sophistiquée à la Christian Le Squer comme la féra et l’anguille.

Le gnocchi est le plat le plus original à mon goût, le plus goûteux est celui de coque et de couteau, le plus gourmand est celui de l’anguille et je ne vois pas un seul plat que je critiquerais. Je suis frappé par la sérénité de cette cuisine, David Toutain exposant son talent avec justesse sans jamais le forcer. Ce chef va progresser encore et les trois étoiles me semblent faire partie de son paquetage dans la prochaine promotion.

L’équipe est sympathique, présente bien les plats, le service est agréable sauf celui des vins, à la traîne. Il y a deux ou trois points que j’ai signalés à David qui ne sont que des réglages de démarrage. Ce restaurant est promis à un grand avenir. Il évoluera forcément avec sa notoriété. A ce sujet, j’aurais mieux fait de le critiquer sauvagement, car il y a déjà deux mois d’attente pour le dîner. Si je veux revenir en ce lieu, je ferais mieux de le critiquer.

Mais ce serait malhonnête car il est déjà l’un des plus grands de Paris.

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Dîner au restaurant Laurent avec La Tâche 1947 et deux beaux 1919 samedi, 25 janvier 2014

Au départ, il s’agit d’un Casual Friday. Alors que ces repas sont généralement très spontanés, les choses s’organisent et se structurent au point que je peux considérer qu’il s’agit du 175ème dîner de wine-dinners. Il se tient au restaurant Laurent. Nous sommes cinq et chacun a apporté de deux à trois vins, ce qui veut dire que nous allons « affronter » douze vins au cours de ce repas.

Vers 17h30 je commence l’ouverture des vins. Quelle n’est pas ma surprise de voir que le bouchon du Grand Cru Altenberg De Bergheim Marcel Deiss 1997 se désagrège en mille morceaux tant il est indécollable du verre du goulot. Il m’a fallu près de vingt minutes pour extirper ces miettes et je n’ai pas pu empêcher que des débris résiduels restent en suspension dans le vin. Lorsque La Romanée Monopole Marey & Liger-Belair 1919 est ouverte, je fais grise mine, car mon vin a toutes les chances de ne jamais revenir à la vie. L’odeur est fade, pas désagréable, mais d’une fatigue qui interdira probablement un retour en grâce. La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1947 de Lionel paraît aussi fatiguée, mais le sursaut vital semble possible. Le Vosne-Romanée Cros Parantoux Emmanuel Rouget 1990 de Didier a une odeur bien pâlotte et la demi-bouteille du Château Ausone 1962 de Lionel semble la plus accueillante de toutes le bouteilles. Le Château d’Yquem 1913 de Tomo a une jolie couleur, le vin est de belle transparence, mais le vin semble manquer d’ampleur. Nous verrons. Le constat n’étant pas extraordinaire je me mets à penser aux opérations d’ouverture que je fais depuis plus de trente ans. Les vins que j’ouvrais il y a trente ans avaient meilleure mine que ceux d’aujourd’hui. Une explication possible est que les vins changent de propriétaire beaucoup plus souvent que dans le passé. Il ne faut pas généraliser, mais c’est probable.

Nous prenons l’apéritif dans la rotonde avec des tuiles au parmesan. Le Champagne Le Mesnil 1959 de Didier est un blanc de blancs fait par une union de propriétaires récoltants. Sa couleur est relativement sombre, mais n’est trahi d’aucun défaut. Le nez est celui d’un champagne âgé. En bouche, ce qui me frappe, c’est sa pureté. Il porte ses 54 ans encore très bien. Tomo est un peu gêné par son acidité mais celle-ci s’estompe au fil de la dégustation. Si le vin est très simple, cela ne m’empêche pas de l’apprécier, sans doute plus que mes compères, un peu plus critiques. Je trouve que ce champagne tient son rôle.

Le menu créé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon est ainsi rédigé : pâté en croûte de volaille et foie gras / cuisses de grenouilles aux épices tandoori, veloutine au haddock / noix de ris de veau panée à la truffe, « perline » à la carbonara / pièce de bœuf rôtie, servie en aiguillettes, pommes soufflées « Laurent », jus aux herbes / glace vanille minute huile d’olive toscane.

Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1982 de ma cave est une perfection absolue. Le vin est clair, la bulle est belle, le nez n’est pas ce qui compte, car tout se joue en bouche. Quelle complexité ! Ce champagne dépasse de la tête et des épaules tout ce que l’on peut goûter comme champagne. Je suis aux anges. Il est tellement complexe qu’il se suffit à lui-même, le pâté en croûte n’arrivant pas à lui donner un supplément d’âme. Comme Alain Delon, il se suffit à lui-même.

Le Champagne Heidsieck Dry Monopole 1915 de Florent a une couleur légèrement opaque et terreuse. Il nous emporte dans l’inconnu. Chacun de nous ressent des évocations différentes. Je ressens du caramel et de la réglisse. Les puristes, les orthodoxes rejetteraient un tel vin. Mais nous sommes des passionnés. Nous voulons explorer ce que raconte l’histoire. Et ce champagne hors norme, hors de sentiers battus nous raconte des saveurs quasi inconnues. Nous avons ainsi goûté à trois champagnes radicalement différents, dont le Clos du Mesnil émerge évidemment mais dont chacun de deux autres raconte des histoires étranges qu’il faut écouter.

Les cuisses de grenouilles accueillent deux vins blancs rares qui conviennent bien à ce plat. Mais je ne trouve pas ces vins d’exception particulièrement convaincants. Le Grand Cru Altenberg De Bergheim Marcel Deiss 1997 de Lionel, d’une vigne complantée de tous des cépages traditionnels, manque un peu de persuasion et de pep. C’est un grand vin mais qui joue un peu en dedans. Et le Pouilly Fumé Astéroïde Didier Dagueneau 2008 de Tomo, vin issu de vignes franches de pied, qui évoque des agrumes légers, n’apporte pas un saut qualitatif majeur par rapport aux autres cuvées de ce grand vigneron regretté.

Le Château Ausone demi-bouteille 1962 de Lionel a une couleur magnifique. Il est dense et évoque la truffe. Riche, il a une belle personnalité. Il était prévu dans le menu que ce vin serait un intermède sans plat. Mais j’aurais volontiers croqué une truffe pour accompagner ce beau Saint-Emilion.

Sur les délicieux ris de veau nous avons deux vins de 1919. Je suis bien inquiet au moment où l’on sert le premier et l’odeur ne me rassure pas. Mais le miracle se produit en bouche. La Romanée Monopole Marey & Liger-Belair 1919 a le charme d’une grande Romanée. Le soulagement est grand. Je revis. A côté de lui, le Clos Vougeot Château de La Tour 1919 de Florent, qui avait un beau niveau alors que la Romanée était basse est très vivant, guerrier, solide, structuré. La Romanée est féminine et pleine de charme quand le Clos Vougeot est masculin et viril. On ne s’étonnera pas que Florent préfère le Clos Vougeot et que je préfère la Romanée, car tous les amateurs de vins anciens ont les yeux de Chimène pour leurs enfants. Je n’en reviens que la Romanée nous ait donné une véritable émotion avec une réelle profondeur et une mâche veloutée, pleine de séduction. Ces deux 1919 se sont montrés plus que convaincants. Le ris de veau les a accompagnés avec beaucoup de justesse et de gourmandise.

Quel choc lorsque l’on me fait goûter en premier La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1947 de Lionel ! Je souris d’un sourire béat et ravi. Il n’y aura aucune difficulté à désigner le meilleur vin de la soirée, car cette Tâche est divine et tellement DRC. Elle a tout pour elle, plénitude, charme, élégance, fluidité en bouche. C’est une très grande Tâche, malgré un niveau bas, meilleur que celui de la Romanée. Cette bouteille porte une collerette de la maison Drouhin qui devait en être le distributeur.

Alors, le compagnon de plat de La Tâche a bien fort à faire. Le Vosne-Romanée Cros Parantoux Emmanuel Rouget 1990 de Didier manque d’à peu près tout. Le nez est faible, le vin n’a pas de puissance, pas beaucoup de caractère. En une autre occasion, on le trouverait plaisant, mais après ces trois ancêtres, il est plat. Les aiguillettes de bœuf sont magistrales.

Le Château d’Yquem 1913 de Tomo a lui aussi beaucoup de mal à se positionner. Il est plutôt sec, et manque de vibration et de coffre. Il a de la personnalité, une complexité évidente, mais il n’arrive pas à accrocher nos cœurs. Le dessert, que j’avais tant aimé sur un Fargues 2005 ne convient pas aux sauternes anciens.

La Liqueur Suc Simon que l’on peut situer dans les années 40 ou début des années 50 est l’enfant chéri de Didier. Cette liqueur de Chalon-sur-Saône est un clone de la Chartreuse. C’est un joli bouquet d’herbes et de fleurs qui se boit avec plaisir, sans atteindre cependant le niveau des grandes chartreuses très anciennes.

Nous avons été très sélectifs dans nos votes. Comme nous ne sommes que cinq et cinq amis, les votes se sont concentrés et ceux qui n’ont eu aucun vote sont Le Mesnil 1959, l’Astéroïde 2008, le Cros Parantoux 1990, l’Yquem 1913 et le Suc Simon. Deux vins ont été nommés premiers, La Tâche quatre fois et la Romanée une fois.

Le vote du consensus serait : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1947 (Lionel), 2 – Champagne Krug Clos du Mesnil 1982 (François), 3 – La Romanée Monopole Marey & Liger-Belair 1919 (François), 4 – Clos Vougeot Château de La Tour 1919 (Florent), 5 – Château Ausone 1962 demie (Lionel).

Mon vote a été : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1947 (Lionel), 2 – Champagne Krug Clos du Mesnil 1982 (François), 3 – La Romanée Monopole Marey & Liger-Belair 1919 (François), 4 – Château Ausone 1962 demie (Lionel).

Les quatre premiers vins nommés par le consensus suffisent à faire de ce dîner un dîner exceptionnel. La Tâche toute seule assure le succès de la soirée. Les deux premiers plats ont été relativement discrets par rapport aux vins, alors que les deux suivants ont été remarquables. Des vins ont ressuscité de façon inouïe et je suis sûr que la Romanée aurait été jetée par des amateurs ignorants ou impatients.

Nous avons passé une merveilleuse soirée dans un cadre amical et généreux. Les vins moins présents ne nous attristent pas, car il faut ouvrir sans cesse de nouveaux flacons pour avoir la chance de trouver sur notre route d’aussi glorieuses pépites. Dans la chaude atmosphère de ce dîner, nous avons esquissé de futures aventures de folie.

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Sur la photo des vins il n’y a pas ceux de Florent, le champagne 1915 et le Clos Vougeot 1919

Sur le menu ci-dessous, les deux 1919 ont été en fait servis ensemble.

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Déjeuner au restaurant Pierre Gagnaire jeudi, 23 janvier 2014

Déjeuner au restaurant Pierre Gagnaire. La décoration a changé depuis ma dernière visite. On est dans des tons d’automne. Nous choisissons l’un des menus de déjeuner, avec une profusion de plats. L’intitulé des plats ne révèle qu’une partie des complexités : Corolle de haddock, crevettes grises, couteaux et bigorneaux, huître n° 3 David Hervé, thon rouge / mousseline de brocoli au wasabi, amandes, coquillages et salicornes / velouté de châtaigne au café, rognonnade de veau aux cornes d’abondance, bouquet de champignons de Paris à la noix / consommé d’oignons brûlés à la mélasse de ginseng / castelfranco, artichaut maco, Ossau / déclinaison de betteraves, blanche sucrière, crapaudine, gold, chioggia, bigarreau / noisette de biche rôtie parfumée de poivre du Vietnam et de cannelle / quetsches à la lie de vin, feuille de vigne croustillante, patate douce / cigarette chocolat au colonnata, figue sèche, bulagna, salsifis / quelques desserts Pierre Gagnaire.

J’ai compté dix-sept assiettes, coupes ou coupelles servies à chacun, dont sept pour les seuls desserts. Il y a tellement de complexités et de saveurs différentes qu’après avoir essayé de reconnaître des goûts, on se laisse porter par une créativité sans limite. J’imaginerais volontiers que si l’on comptait les ingrédients du repas d’un restaurant trois étoiles, ce menu en compte cinq à dix fois plus que ce que serait la moyenne. C’est inventif et c’est bon. Il y a ici ou là une amertume plus difficile à accepter, mais c’est une poussière à côté de la jouissance de goûter des saveurs inattendues. J’ai adoré l’entrée très marine du début, le velouté de châtaigne et surtout la noisette de biche remarquable.

Le feu d’artifice, ce sont les desserts. Ils sont extraordinaires. Quel talent ! C’est probablement ce qui se fait de meilleur dans tout ce que je connais. Là aussi, l’imagination n’a pas de limite.

Le service est impeccable et les serveurs sont capables d’expliquer toutes les composantes des plats sans la moindre hésitation. C’est à signaler. En plus, on comprend ce qu’ils disent.

Pour accompagner ce festival de saveurs j’ai choisi le Champagne Pierre Péters, blanc de blancs Cuvée Spéciale Les Chétillons 2002. Ce champagne d’une grande pureté montre une adaptabilité et une flexibilité qui sont exceptionnelles. Il est beaucoup plus serein que les nombreux Chétillons 2002 que j’ai déjà bus mais peut-être s’est-il mis spontanément au diapason de cette cuisine brillante.

Ce fut un beau repas, avec du talent et de l’imagination, un accueil hors pair et des desserts qui m’ont enthousiasmé.

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l’émission « Encore heureux » d’Arthur Dreyfus sur France Inter de 17 à 18h le 23 janvier mercredi, 22 janvier 2014

L’émission du jeudi 23 janvier sera consacrée à un débat autour de la question suivante: « peut-on rater sa vie?« . 

Je serai en plateau avec le philosophe Yann Dall’Aglio (auteur notamment de « Une Rolex à 50 ans. A-t-on le droit de rater sa vie? », Flammarion 2011) 

et le romancier Dominique Noguez (qui a signé entre autres en 2003 « Comment rater complètement sa vie en onze leçons » chez Rivages).

On peut rater sa vie, mais on ne peut pas rater cette émission !

quand on range les bouteilles vides ! lundi, 20 janvier 2014

ça donne l’impression d’une armée en marche. Au centre, le bataillon des sauternes

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On fait une photo de classe. ici, ils sont tous disciplinés, tous du domaine de la Romanée Conti

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Ceux du Clos du Mesnil sont moins disciplinés. L’un d’entre eux est sorti du rang !

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Me voici encerclé par ces bouteilles vides !

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vite, un petit remontant (La Tâche 1990 en magnum)

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Vins du prochain dîner de wine-dinners samedi, 18 janvier 2014

Les vins du dîner N° 188 selon la numérotation sur le site wine-dinners : http://www.wine-dinners.com/prochains_diners.htm

Champagne Alfred Rothschild 1966

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Champagne Bollinger Grande Année 1979

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Château Olivier 1949

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Bâtard Montrachet Fontaine & Vion 1990

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Chateau Ausone 1953

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Aloxe Corton Moingeon Ropiteaux 1938

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Chambolle Musigny A. Rossigneux & Fils 1947

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Château Chalon Fruitière Vinicole de Voiteur 1959

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Château Caillou Barsac 1943

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Château Coutet 1922

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Déjeuner au Yacht Club de France jeudi, 16 janvier 2014

Le Yacht Club de France, en la personne de Thierry Le Luc, son directeur de restauration, est assez fascinant. Car nous y tenons assez souvent notre repas de club de conscrits, et chaque séance est un enchantement. Un ami, membre influent du YCF nous y reçoit et le thème est le cochon. Qu’on ne cherche là aucun érotisme, c’est de bonne chère qu’il s’agit.

Pour l’apéritif, c’est un Champagne Veuve Clicquot magnum qui se marie à une profusion de cochonnaille. Alors bien sûr, on picore, et le champagne fort amène ne s’en ressent que mieux.

Le menu conçu par Thierry Le Luc et son chef est : brouillade d’œufs bio aux médaillons de homard breton / grosse côte de porc de la ferme de Bosc Renard à Heudicourt, brochette de fines rattes du Touquet et cèpes / fromages affinés d’Eric Lefebvre MOF / tarte fine aux pommes, glace cannelle artisanale, flambée au Rhum Vieux maison Clément.

Le Sancerre Thirot 2012 est fort agréable, mais j’ai apporté la deuxième bouteille de Château Haut-Brion blanc 1996 de la veille qui a profité de l’oxygénation en bouteille et se révèle profond, joyeux, lourd et percutant. C’est un grand vin que le homard apprécie.

Le Château Smith Haut-Lafitte 1998 est un vin très agréable, judicieusement proportionné. Il a un équilibre parfait, sans pousser à l’extrême ni le bois, ni l’acidité ni les épices. On le boit avec plaisir. J’ai apporté aussi la moitié du magnum de l’Hermitage la Chapelle 1990 qui est redevenu ce qu’il doit être, vigoureux profond, incisif. Un vin de grand plaisir.

La tarte aux pommes a été suivi d’un calvados, puisque nous étions dans la déraison. La passion de Thierry Le Luc pour les produits de qualité nous inspire. Vive le Yacht Club de France.

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