Casadelmar sous la pluie et un Gaja Sperss 2001 samedi, 5 octobre 2013

Il pleut en Corse et les activités possibles s’en ressentent. Le déjeuner est pris au bar. Poissons variés et légumes variés à la plancha. Ce plat est très bon, accompagné de l’eau Orezza, car il faut savoir être sage.

Contrairement aux années précédentes, nous n’apportons pas de vin. Le choix se fait sur la carte des vins de Casadelmar gérée par Jérémie Fournier. La carte est intelligente, avec quelques prix très cohérents et quelques prix stratosphériques. On peut slalomer dans cette carte pour trouver de bonnes pioches, en petit nombre, mais présentes. Mon choix se porte sur Gaja Sperss 2001 de l’emblématique maison Gaja, institution italienne, que j’avais découverte au Grand Tasting.

Davide Bisetto vient nous rejoindre à l’apéritif et nous parle de ses projets. Il suggère les plats qui iront avec le vin : tortellini d’ossobuco, fondue d’Ubriaco, balsamique 50 ans d’âge, cacao /joue de veau confit au Prosecco, chou-fleur, réglisse, jus de cuisson. Les prix de ces plats à la carte se situent dans les sommets tarifaires des restaurants de même niveau.

Jérémie, qui connaît mes habitudes, me laisse ouvrir le vin que je goûte avec Davide. Il est jeune, puissant, lourd, mais laisse envisager une belle élégance.

A table, le vin est résolument moderne, puissant, aux tannins lourds. Mais il sait aussi ajouter élégance et fraîcheur. Ce vin aurait pu figurer dans la confrontation de vins jeunes et puissants que j’avais organisée au week-end du 15 août : Penfolds Grange, Vega Sicilia Unico, Pingus, La Turque, Beaucastel Hommage et la Petite Sibérie. Le Gaja y aurait trouvé sa place.

Ce qui est étonnant, c’est que ce vin n’est pas flexible du tout. Sur l’ossobuco en raviolis, plat emblématique et succulent, le Gaja brille de mille feux. Il est d’un charme et d’une douceur exemplaires. Sur la joue de veau, plat plus lourd et plus difficile, le vin n’est pas à son aise. Sur le fromage, il ne cherche pas l’accord. Ce vin est donc sans concession et nécessite des saveurs douces et enveloppantes pour briller. Il faut s’en souvenir si l’on sert ce grand vin.

Depuis notre arrivée, je ressens certains plats, tels les Gnoccetti, le chevreuil et la joue de veau comme rudes. On dirait que ces plats ont pris le maquis, les saveurs se dispersant sans la cohérence habituelle. Alors qu’à l’inverse, les tortellinis sont un plat de haute cuisine, avec un équilibre exceptionnel. Le temps maussade peut expliquer ces petits écarts qui ne remettent pas en cause le talent de Davide Bisetto. Il nous a promis pour demain un plat au canard et cèpes. A suivre !

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Premier jour à l’hôtel Casadelmar vendredi, 4 octobre 2013

Selon une agréable tradition, nous allons au début octobre à l’hôtel Casadelmar à Porto-Vecchio. Les paysages sont splendides, l’hôtel est luxueux. C’est une belle façon de retarder l’automne. Nous arrivons par avion avec un beau soleil venté qui sera remplacé plus tard par de petites pluies. Le déjeuner est frugal, sur la terrasse au niveau du restaurant, point de chute obligé car toutes les petites niches, qui ne sont pas fiscales, où l’on peut déjeuner au contact de la mer sont fermées depuis le 1er octobre cette année, contrairement à la tradition. Dommage.

A l’heure de l’apéritif, je fais ouvrir un Champagne Krug Grande Cuvée, car c’est souvent Krug qui lance notre week-end gastronomique. Je vais saluer Davide Bissetto, le chef deux étoiles, tout souriant, qui va nous composer un impromptu hors carte. Ce sera : Citrus : granité concombre, gelée de pamplemousse, fraise, tourteau mariné, eau de tomate corse/ Gnocchetti : gnocchetti aux herbes sur nage d’oursin, gambas de San Remo / Chevreuil : chevreuil poêlé au poivre blanc, crème de pomme de terre fumée.

Le champagne est très vert et il faut que je recalibre mon palais pour accepter ce jeune fou. Mais il est Krug, aussi sa complexité, son ampleur compensent sa jeunesse. Force est de dire que malgré les efforts de la maison Krug de les faire mûrir, un tel champagne supporterait cinq ans de plus avant qu’on ne le consomme.

La vitesse à laquelle le niveau a baissé montre que nous n’avons pas été indifférents à ce champagne. Le repas a été agréable, procédant d’une aimable attention, mais c’est sur les repas à venir que nous voulons profiter du talent de ce grand chef.

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A 90 ans, son premier vin du domaine de la Romanée Conti mardi, 1 octobre 2013

C’est un homme que je connais depuis quarante ans, de mon passé industriel. Nous sommes toujours en affaire et nous avons un sujet sérieux à discuter. Il connaît ma passion pour les vins anciens et a déjà assisté à mes dîners. Il me lance au téléphone : « si vous venez déjeuner là où j’ai mes habitudes, venez avec un vin de la Romanée Conti ». Je ne réponds pas.

Le jour dit, je me présente à l’hôtel Mercure de Blanc-Mesnil. Mon ami est au bar et sirote un Suze-cassis. Nous passons à table, dans une salle à moitié vide, car cette banlieue n’est plus très active aujourd’hui. Je sors une bouteille de ma musette, un Echézeaux domaine de la Romanée Conti 1984. Ses yeux s’embrument car il ne croyait pas que sa boutade serait prise au sérieux et il me dit : « je viens de fêter il y a tout juste un mois mes 90 ans. Et ce sera la première fois que je vais boire un vin de la Romanée Conti ».

La bouteille a été chahutée lors de son transport en voiture. Le bouchon me résiste, car il est très serré. Il est de grande qualité et le haut du bouchon très noirci, sent la terre des caves du domaine, comme c’est fréquent. Nous trinquons et je sens mon ami ému. Le nez évoque la salinité des vins du domaine. Le liquide est un peu trouble mais va se clarifier.

En bouche, l’émotion est extrême. Souvent des gens se moquent de moi lorsque je dis d’un vin qu’il a l’âme du domaine. C’est vrai que c’est difficile à exprimer par des mots, mais l’âme de la Bretagne ou l’âme de l’Auvergne, on imagine volontiers que ce n’est pas la même chose. Pour un vin, lorsqu’on a exploré 75 millésimes de vins du domaine, on peut comprendre que la représentation de l’âme d’un vin puisse se former.

Il y a la salinité, la râpe, l’amertume. Il y a une affirmation, une profession de foi. La personnalité de ce vin est forte, très au dessus de ce que j’attendrais d’un Echézeaux. Et, comme toujours dans les années discrètes, le vin du domaine s’exprime à forte voix. Quel étrange voyage dans la Bourgogne bourguignonnante, rêche et sans concession. Alors que le vin n’est pas facile à lire, mon ami est ému et jouit du grand vin. Un romsteak frites est l’aimable compagnon du vin. Le sourire de ce jeune homme de 90 ans est une récompense. Ce vin de caractère m’a enchanté, au-delà de mes espérances.

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Déjeuner au restaurant Laurent avec des 1962 vendredi, 27 septembre 2013

A trois, nous organisons un « mini casual Friday » pour fêter l’anniversaire de l’un de nous. Il est de 1962. Le temps est splendide aussi pouvons-nous déjeuner au jardin du restaurant Laurent. Les marronniers perdent quelques feuilles mais les parasols nous protègent.

Le menu est mis au point avec Philippe Bourguignon : pigeon et fricassée de cèpes / tourte de canard / saint-nectaire / soufflé au thym.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1986 est d’un or clair. La bulle est présente et fine. Le nez est superbe. Le vin est d’une belle maturité. Il a des fruits jaunes, un bel équilibre et une profondeur affirmée. C’est un champagne raffiné et de plaisir. Repris par curiosité au cours du repas, il est expressif à chaque moment.

Le Château Ausone 1962 est d’une belle couleur foncée. Ce qui caractérise ce vin, c’est le velouté. Il est bien construit, persuasif, de grande persistance en bouche. Le pigeon lui donne de l’ampleur.

Le Vega Sicilia Unico 1962 est beaucoup plus large que l’Ausone. Alors que le bordeaux fait son âge, avec une vigueur certaine, le vin espagnol n’a pas d’âge. Il est intemporel, riche, juteux, de grande mâche. Avec la délicieuse tourte, plat de grande cuisine bourgeoise, le Vega tient le choc. Nous avons l’idée de revenir à l’Ausone, avec la peur de le trouver fluet. Et la surprise est au rendez-vous. Non seulement l’Ausone soutient la compétition, mais il serait même plus précis que le Vega.

Les deux vins sont solides et tiennent tout le repas en gardant leur fraîcheur et leur vivacité.

Le Château d’Yquem 1962 est d’un or acajou de grande beauté, encore plus sous le soleil qui perce dans le jardin. Ce vin est bonheur, plein, rond, tout en grâce et en séduction. Le sucre est présent et nous fait penser que ce vin serait meilleur avec trente ans de plus. C’est un Yquem de plaisir, facile à vivre, et follement séduisant. Le soufflé lui va à ravir.

Classer ces vins si différents est difficile. Ma tentation serait de les classer dans l’ordre inverse du service, mais les mettre sur un pied d’égalité conviendrait aussi bien.

La cuisine du Laurent est généreuse et de grande qualité, le jardin est un cadre enchanteur. Les vins se sont tous placés au sommet de leur art. Ce fut un beau déjeuner d’amitié.

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Très beau dîner au restaurant Akrame jeudi, 26 septembre 2013

Nous allons dîner en ville, ma femme et moi. C’est elle qui a choisi un lieu que je ne connais pas, le restaurant Akrame. Le format ressemble à celui de Yamt’cha ou l’Astrance : petite cuisine, petit nombre de tables, menu imposé. Il y a un petit et un grand menu, mais on nous fait comprendre que si l’on veut s’imprégner du talent créatif du chef, il serait bon de prendre le grand menu.

Je demande la carte des vins et je constate qu’elle est fort intelligente. Ne sachant pas ce qu’il y a au menu, je m’oriente vers les champagnes. Le maître d’hôtel sommelier pointe un vin sur la liste. J’en pointe un autre et cela produit la réaction suivante : « hors carte des vins, j’ai des Selosse ». Voilà quelqu’un qui sait parler à mon cœur. Je commande le Champagne Selosse millésime 2002 dégorgé en 2012. Le serveur a marqué des points.

Le menu, dont les intitulés ne sont donnés qu’à la fin du repas est : mini chou-fleur au beurre noisette / papier à l’encre de seiche / anguille fumée, croquant olives noires / yaourt / tomates noires de Crimée et litchi / coques, fenouil au Campari, beurre aux agrumes / cœur d’agneau, feuille d’huître, hareng / homard, citron, sel de homard / lotte au foin, courgettes, abricots / sorbet citron confit / ris de veau, oignon des Cévennes, émulsion pomme de terre / Ossau Iraty, champignons / ananas au charbon en monochrome tout chocolat, figue, badiane, crème anglaise citronnée.

Le chef est talentueux et c’est un festival de créativité, d’ingéniosité et de réalisation. Le chef est d’Oran aussi reconnaît-on les besoins d’épices et de citron comme soutien permanent. Mais le chef veut aller très loin et il y réussit. La lotte est un plat de première grandeur. Le dessert à l’ananas est un chef-d’œuvre d’inventivité. A côté de ces plats, certains sont parfois extrêmes. Les coques sont délicieuses, mais trop marquées par le pamplemousse. Le ris de veau, à force de vouloir bien faire, limite l’émotion. Mais l’on retient surtout le côté positif des choses. Voilà une cuisine enlevée, innovante, qui va progresser et devenir brillante avec la maturité.

Le service est attentionné et veut bien faire. On ne peut que l’encourager. La vedette, c’est le Selosse 2002. Son attaque est incroyablement fruitée. Il est généreux, droit comme un ‘i’, époustouflant de diversités aromatiques. Quel bonheur. Je n’ai jamais bu un 2002 de Selosse aussi joyeux que celui-là. Il faut dire que l’ADN des plats du chef étant imprégné de citron, le champagne s’en régale. Heureux que j’étais, j’en ai donné un verre à la table voisine où un américain d’origine asiatique et une japonaise vivant tous les deux à Hong-Kong fêtaient leur voyage de noces. Nous avons conversé avec l’envie commune de mieux nous connaître.

C’est un restaurant que l’on peut chaudement recommander. Le lieu va progresser, le chef va conserver son talent avec une moindre volonté de prouver à tout prix qu’il est grand. Il n’en a pas besoin. Longue vie à Akrame, restaurant chaleureux de grand talent.

le lieu étant très sombre, les photos sont imparfaites

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très belle idée de joindre les représentations graphiques des plats

déjeuner de conscrits au Yacht Club de France samedi, 21 septembre 2013

Nouveau déjeuner de conscrits au Yacht Club de France. Ayant un dîner de wine-dinners le soir même, je déjeunerai à l’eau. Thierry Leluc, le dynamique directeur de la restauration du club a conçu un menu fondé sur la qualité des produits.

L’apéritif tourne autour de tranches de jambon de Bretagne et d’encornets délicieux aux herbes vertes. Quelle surprise de voir un homard bleu entier servi pour chacun. Le titre du plat est gentiment hypocrite : « nos œufs mayonnaise dans les pinces d’un bleu ». La viande est d’une grande qualité. C’est un filet de bœuf race limousine aux pieds de mouton, tajine de légumes et gratin dauphinois. Les fromages sont d’Eric Lefebvre, meilleur ouvrier de France. Le dessert est un millefeuille aux fraises et framboises.

Une fois de plus, on sent l’engagement de ce club pour nous offrir une cuisine de très haut niveau.

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Déjeuner au restaurant Mary Goodnight 78 rue d’Auteuil samedi, 21 septembre 2013

Radio Courtoisie est une radio libre sans publicité qui ne vit que de dons. Le journaliste qui m’interroge est bénévole. La discussion porte sur mon livre puis elle dérive vers les vins, car nous sommes juste avant Noël. En une heure et demie de discussion, on pourrait penser que j’ai épuisé tout ce que j’avais à dire, mais en fait je n’ai pas abordé plus qu’un dixième de ce que je voulais dire.

J’invite le journaliste Hugues Sérapion en un endroit qui m’est inconnu et porte un nom curieux. C’est le restaurant Mary Goodnight dont la cuisine est d’inspiration indienne. Je veux faire plaisir au journaliste en commandant un Dom Pérignon 2002, mais il n’y en a plus. Les cartes qui ne représentent pas l’offre disponible, ça a le don de m’énerver. Je commande un Château La Lagune 2006 et ce sera un petit clin d’œil à Caroline Frey qui participait au dîner de vignerons d’il y a une semaine.

Nous prenons des Spring Rolls de crevettes et un Tigre V.O. qui est en fait une agréable pièce de bœuf coupée en tranche peu épaisses, d’où le tigre. La cuisine est bonne, aidée par les douces épices qui ont l’avantage de ne pas écraser le vin. Son nez est d’une belle richesse et l’on pressent des tanins puissants. En bouche le vin est solide, aux tanins très présents et j’ai perçu un agréable velouté. Le vin est très cohérent, mais j’aurai toujours du mal avec les bordeaux trop jeunes quand on pressent combien il sera grand dans vingt ans quand toutes les pièces du puzzle seront assemblées.

La décoration du lieu est agréable, le service est assez attentif. C’est une aimable cuisine, mais à part des deux vins cités, la carte est trop maigre pour un amateur de vin.

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Déjeuner au restaurant Garance samedi, 21 septembre 2013

Des convives américains du 171ème dîner cherchant un restaurant pour le déjeuner du lendemain suivent les indications de Tomo, qui était présent et suggère naturellement Garance. Il insista tellement pour que je vienne que je me retrouve, à l’insu de mon plein gré au restaurant Garance avec les restes des vins de la veille, car des magnums pour huit personnes sont difficiles à finir.

Il est intéressant de noter que le Montrachet Guichard Potheret magnum 1988 est nettement meilleur que la veille, alors que les vins sont allés du Laurent à mon domicile puis au Garance, passablement agités pendant ces trajets. Le vin a gagné en précision et en tension. Il est devenu ce que j’aurais souhaité hier.

Le Château Gruaud Larose magnum 1950 est toujours aussi brillant et enthousiasmant. J’en suis encore amoureux tant il combine la puissance de l’attaque et le joli fruité en finale.

Le Clos de Vougeot Charles Noëllat magnum 1985, s’est éteint depuis la veille. On ne peut pas le lui reprocher, puisque c’est hier qu’il devait briller, et il l’avait fait.

Les restes ne pouvaient pas suffire pour accompagner l’excellent menu dégustation de Guillaume Iskandar, dont le talent s’affirme de plus en plus. Il a pris ses marques et fait une grande cuisine. J’ai apporté un Champagne Dom Ruinart rosé 1990. La couleur est de pêche, magnifique. Le champagne est impérial. Il est complexe, changeant, déroulant des arômes complexes, et très gastronomique c’est un immense champagne.

Le restaurant Garance s’inscrit maintenant à l’évidence dans les tables qui comptent à Paris.

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171ème dîner de wine-dinners au restaurant Laurent vendredi, 20 septembre 2013

Le 171ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Laurent. A 17 heures, comme d’habitude, je viens ouvrir les vins pour qu’ils s’épanouissent par oxygénation lente. Lorsque je choisis les bouteilles, c’est souvent l’instinct qui me guide. Un magnum d’un bourgogne de 1985 me fait un clin d’œil et je l’inclus dans le dîner, sans savoir de quel producteur il s’agit. Seule l’étiquette du millésime est encore présente. Lorsque j’ouvre la bouteille, un large sourire barre mon visage. Je peux lire distinctement sur le bouchon que le domaine est de Charles Noëllat, l’un des plus brillants vinificateurs de la Bourgogne. Je suis heureux car mon intuition était bonne. Il semble que ce jour est celui des surprises agréables, car le magnum flambant neuf de Gruaud Larose 1950, que j’imaginais reconditionné au château est en fait rhabillé au château, ce que je préfère cent fois. Le bouchon est d’origine, le niveau est superbe et le vin est une promesse de bonheur par des parfums envoûtants.

La même belle surprise vaut aussi pour le Filhot 1928 qui brille comme un sou neuf et a conservé son bouchon d’origine. C’est étrange que les domaines n’indiquent pas quand le vin a été seulement rhabillé. Car gustativement, il y a un monde entre un vin reconditionné, donc ouvert, et un vin au bouchon d’origine.

Comme les surprises devaient continuer, je constate que le bouchon du vin de secours apporté « pour le cas où » a baissé de deux centimètres. Alors qu’il n’y a aucune obligation de prendre une bouteille de secours puisque les senteurs sont toutes parfaites, il faut ouvrir ce vin qui ne supporterait pas un retour à ma cave. Le bouchon tomberait. C’est un Volnay Caillerets ancienne Cuvée Carnot Bouchard P&F 1970.

Une heure avant l’heure du repas, les trois américains arrivent. Ils prennent un apéritif pendant que je finis de me préparer. Nous sommes huit ce soir, dont des américains plus cosmopolites qu’annoncé, puisque Dieter est australien, Lilly a des origines du Canada et de Bulgarie. Seule Sarah est une américaine, texane vivant à Boston. Lilly et Sarah sont chirurgiennes. Le contingent français comprend des habitués et des nouveaux. La parité que visent désespérément les hommes politiques est respectée à notre table. L’ambiance n’en est que plus agréable.

Le menu mis au point par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon est : merlan frit en goujonettes / pince de tourteau décortiquée et nappée par un beurre monté citronné / noix de ris de veau dorée au sautoir, girolles / pigeon à peine fumé et rôti, cèpes / saint-nectaire / mirabelles poêlées dans leur jus.

Le Champagne Mumm Cordon Rouge magnum 1975 est pris en apéritif dans la jolie rotonde d’entrée. C’est une belle surprise car je ne l’attendais pas à ce niveau. Sa bulle est active, sa couleur est encore jeune, et son goût pétillant est d’une grande jeunesse. S’il s’est bien assemblé, il garde encore de beaux signes de jeunesse avec des accents de fleurs. Il est très agréable à boire et accompagnera très bien certains plats du repas.

Le Montrachet Guichard Potheret magnum 1988 est solide comme un roc. Il a la générosité d’un montrachet, la sérénité d’un vin de vingt-cinq ans, et ce que j’aime, c’est le gras qu’il donne au palais sans perdre sa fraîcheur. Le seul reproche que je lui ferais, s’il fallait en faire un, c’est d’être un peu trop consensuel et de ne pas chercher à heurter le palais. L’accord avec le tourteau est brillant.

Trompettes de la renommée, sonnez, car le Château Gruaud Larose magnum 1950 est absolument parfait, un vin exceptionnel. Il attaque comme un solide Saint-Julien, plutôt plus conquérant qu’un Saint-Julien. Il a la force la noblesse, des aspects de truffe ou de bois brûlé. Certains parlent de mine de crayon, mais c’est plus noble que cela. Et c’est alors que le miracle apparaît car le finale du vin est tout en fruits roses comme des framboises. Et ce finale est d’une fraîcheur de très grand vin. Je jouis de ce vin sans modération. L’accord avec le ris de veau est bon, sans dégager la petite étincelle qui rehausserait le vin qui n’en a pourtant pas besoin. L’année 1950 a donné des vins d’une rare solidité, année dont on parle relativement peu dans les livres. Ce Gruaud Larose donne raison à mon amour des 1950.

Le Clos de Vougeot Charles Noëllat magnum 1985 est du velours. Il a un charme extrême tout en ayant la rigueur des 1985. Il est tellement suave qu’il est presque doux. Bien sûr, il est très jeune, marquant un saut important après le superbe 1950, mais on l’aime dans sa jeunesse équilibrée. On dit souvent que le bordeaux parle à l’esprit et que le bourgogne parle au cœur. Nous en avons la démonstration. Mais ce vin va plus loin. Il est d’une sensualité exacerbée qui émoustille les sens. Sa principale caractéristique est sa précision.

Etant dans l’impossibilité d’extirper le bouchon du Volnay Caillerets ancienne Cuvée Carnot Bouchard P&F 1970 lors de la l’ouverture, j’avais carafé le vin, extirpé le bouchon de la bouteille vide « à la ficelle », et versé le vin de la carafe à la bouteille. Ce double carafage a un peu tourneboulé le vin qui ne se présente pas avec autant de précision que le vin précédent. Mais il a beaucoup de charme, ne souffrant pas de l’étroitesse de son millésime. Ce vin rajouté au programme a beaucoup plu à mes convives. Le saint-nectaire lui a donné un coup de fouet spectaculaire.

Le Château Cantegril Sauternes 1922 est d’un or soutenu, plus sombre que celui du vin qui le suivra. Son parfum est d’un subtilité extrême, délicat, très odalisque d’Ingres. En bouche c’est un sauternes discret mais qui captive comme l’orateur qui parle soudain à voix basse. C’est un des plus grands Cantegril 1922 que j’aie bus, un sauternes qui correspond à ce que tout amateur devrait attendre et rêver. La mirabelle est cohérente mais fait apparaître un peu trop le sucre du sauternes.

Le Château Filhot Sauternes 1928 est d’un or conquérant, résolument ensoleillé. Son nez est majestueux, lourd de sensualité (décidément) et en bouche, sa plénitude est parfaite. Il serait impossible de critiquer un tel vin qui n’a pas le moindre défaut. On est en face d’un sauternes parfait, qui a commencé par être un peu sec puis a développé sa sucrosité avec talent.

Les discussions vont bon train, pratiquement toutes en anglais et les rires fusent. Aussi la séance des votes est-elle vécue comme une épreuve de concours. Trouver trois vins est assez facile. En trouver quatre est beaucoup plus dur. Nous sommes huit à voter pour les quatre meilleurs de sept vins. Ce qui est fascinant, c’est la diversité des votes. Les sept vins ont recueilli au moins trois votes, ce qui veut dire qu’ils ont tous été aimés. Et cinq vins sur sept ont été nommés premiers par au moins l’un des convives. Le Gruaud Larose est présent dans tous les votes. Qui pourrait prétendre qu’il y a un goût universel ? Cette diversité des votes serait une bonne leçon pour les experts péremptoires.

Le vote du consensus serait : 1 – Château Gruaud Larose magnum 1950, 2 – Château Filhot 1928, 3 – Clos de Vougeot Charles Noëllat magnum 1985, 4 – Volnay Caillerets ancienne Cuvée Carnot Bouchard P&F 1970, 5 – Montrachet Guichard Potheret magnum 1988.

Mon vote est : 1 – Château Gruaud Larose magnum 1950, 2 – Château Filhot 1928, 3 – Clos de Vougeot Charles Noëllat magnum 1985, 4 – Château Cantegril Sauternes 1922.

La dynamique internationale de ce dîner aux fous rires nombreux en a fait un moment exceptionnel.

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