Dégustation des vins de la Maison Ilan à Nuits Saint Georges mardi, 3 septembre 2013

Ray Walker est un jeune américain issu de la finance qui a décidé de faire du vin en Bourgogne. Hasard et chance se sont conjugués pour qu’il réussisse à obtenir des grappes de grands crus qu’il vinifie lui-même sous le nom « maison Ilan« , nom qui provient de morceaux du prénom de sa fille. La maison est au cœur de Nuits-Saint-Georges. Cette aventure est si extraordinaire que Ray a écrit un livre qui la raconte « the road to Burgundy » qui rencontre à ce jour un très grand succès.

Nous avions conversé sur un forum de vin et une sympathie est née qui a conduit au désir de se rencontrer. L’horaire de la dégustation est très dépendant des contraintes de repas et d’école de ses enfants, car Ray est un père attentionné.

Passant le porche qui ouvre sur une petite cour assez désordonnée, il faut écarquiller ses yeux pour comprendre que la minuscule salle dont le portes sont entrouvertes est la salle de vinification. Ray me donne un verre et nous descendons en cave de vieillissement pour déguster un panel de ses vins. Les 2010 seront bus de bouteilles et les 2011 de fûts. Avant cela, je fais goûter à Ray le reste du Musigny Comte de Vogüé 1989 de la veille. Même si le vin a été chahuté et en a souffert ce qui reste est la signature d’un vin d’exception.

C’est le tour des vins de Maison Ilan. Le Morey-Saint-Denis Les Monts Luisants 1er cru 2010 a une belle attaque généreuse et fruitée de fruits rouges et noirs. Le final est assez court. On sent qu’il faut que le vin s’assemble. C’est une promesse de grand vin.

Le Morey-Saint-Denis 1er cru les Chaffots 2010 me plait beaucoup plus car ce vin est typiquement l’expression de la Bourgogne comme je l’aime, mêlant des aspects énigmatiques et stricts sur un fond très cohérent. Je préfère les Chaffots

Le Morey-Saint-Denis Les Monts Luisants 1er cru 2011 est beaucoup plus charmeur et structuré que le 2010, alors que le Morey-Saint-Denis 1er cru les Chaffots 2011 est moins assemblé que le 2010. Pour ce millésime, je préfère les Luisants. N’ayant pas pris de notes, j’écris ce texte de mémoire. Ce qui m’a frappé à ce stade, c’est la cohérence de la vinification, même si les résultats varient d’une année sur l’autre.

Le Volnay 1er les Robardelles 2011 est d’une très jolie expression. C’est un vin précis qui raconte beaucoup de choses.

Nous passons maintenant aux grands crus. Le Mazoyères-Chambertin Grand Cru 2011 se caractérise par un seul mot : la générosité. Il brille comme le soleil à ce stade de sa vie. Pour tous ces grands crus, je goûterai de deux fûts différents, généralement du premier et du dernier tiré et les écarts sont sensibles. Ce qui me fait plaisir c’est que nos préférences sont presque toujours les mêmes.

Le Charmes-Chambertin Grand Cru 2011 qui provient d’une parcelle de Charmes Haut a, comme son nom l’indique, beaucoup de charme. J’ai toutefois un penchant pour le Mazoyères.

Ray intercale un vin qu’il ne commercialise pas, un Gevrey-Chambertin les Feusselottes 2011 dont le passage est très difficile après le Charmes.

Le Chambertin Grand Cru 2011 a le velours caractéristique des chambertins, mais il faudra attendre avant de l’apprécier car il est très fermé.

Ray me fait goûter un Mazoyères-Chambertin Grand Cru 2012 qui a un improbable goût de café. Il est trop jeune pour moi.

Un blanc m’est servi maintenant, un Mazoyères  blanc 2011 très curieux, car je n’ai aucun repère. Ray a voulu que nous finissions par un marc de Bourgogne fait uniquement avec des grands crus. Alors que je suis un fan du marc, celui-ci est trop jeune pour moi.

Ce qui est intéressant, c’est que les vins de Maison Ilan sont d’une grande pureté et d’une grande précision. Et ceci concerne tous ses vins. Les Grands Crus sont très grands. Ray s’efface volontiers, par une humilité qui paraît sincère, minimisant son travail, puisqu’il estime que de terroir est le seul acteur dans cette affaire. Il a bien tort, car sa volonté de faire les vins de façon artisanale et traditionnelle est couronnée de succès.

Longue vie à cette jeune maison atypique promise à un bel avenir.

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Dégustation de vins au domaine Coche-Dury mardi, 3 septembre 2013

Je quitte Ray Walker pour une sieste réparatrice à l’hôtel le Cep à Beaune à la décoration boisée d’une imagination débridée et désuète mais de souriante intention. A 18 heures je me présente au domaine Jean-François Coche-Dury où le maître des lieux revient des funérailles d’un vigneron de 92 ans connu de Meursault. Nous discutons de divers sujets et le vigneron me propose d’aller déguster quelques vins en cave. J’admire la qualité des caves construites en 1982, dont Jean François est fier. Certains vins sont à température de cave et d’autres, prélevés ailleurs, sont un peu plus chauds. Je n’ai pris aucune note pendant la dégustation. La mémoire retient seulement quelques éléments.

Le Meursault Villages Domaine Jean-François Coche-Dury 2011 a une belle attaque citronnée. Il est très frais.

Le Meursault Villages Domaine Jean-François Coche-Dury 2010 est très différent. Il est plus assis. Il a perdu l’aspect citronné. Il est plus gastronomique.

Un autre Meursault Villages Domaine Jean-François Coche-Dury 2010 est plus vivace à mon goût et plus proche du 2011 que du 2010 précédent et j’ai tendance à le préférer. Mais Jean-François parie plus sur la capacité de vieillissement de celui-ci.

Le vin suivant est un Puligny-Montrachet les Enseignères Domaine Jean-François Coche-Dury 2010. Plus opulent, plus gras du fait de la chaleur, je lui trouve un peu moins de tension que n’en ont les meursaults.

Chaque vin m’est servi avant que le nom ne me soit donné. Au moment où je prends contact avec le vin qui arrive, je fais : « wow ». Je ne me suis pas trompé, car c’est le Corton-Charlemagne Domaine Jean-François Coche-Dury 2011. C’est un merveille car il est dans une forme éblouissante. Il va probablement se refermer mais il est éclatant maintenant. Jean François me dit qu’il ne l’avait pas goûté depuis un an et qu’il est comme moi très favorablement impressionné par son équilibre et son accomplissement actuels.

Le Corton-Charlemagne Domaine Jean-François Coche-Dury 2010 est aussi un très grand vin, plus conforme déjà aux Corton-Charlemagne Domaine Jean-François Coche-Dury que j’ai l’habitude de boire. Il est plus assis, plus riche, plus taillé pour la route, mais il n’a pas cette étincelle de grâce.

Le Meursault les Rougeots Domaine Jean-François Coche-Dury 2005 est assez chaud, gras, avec des aspects beurrés. Mais le passage après les deux Corton-Charlemagne est plus difficile.

Quand Jean-François me demande si je veux reprendre l’un des vins, ma réponse fuse : le Corton-Charlemagne 2011.

Nous avons longuement parlé de vins anciens dont il est friand. Nous avons un grand dîner en vue. Cette visite amicale m’a ravi.

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Dîner à Pommard avec un mythique Musigny lundi, 2 septembre 2013

La rentrée devait être marquée par un événement majeur : un déjeuner à Meursault avec Jean François Coche-Dury, propriétaire du prestigieux domaine éponyme et Richard Geoffroy maître de caves de Dom Pérignon qui m’avait demandé d’organiser cette rencontre de deux grands vignerons. Depuis deux mois j’avais bichonné une bouteille rarissime pour faire découvrir à ces deux personnages des saveurs qu’ils n’ont probablement jamais rencontrées.

Je pars de ma maison du sud et quelques heures après mon départ, Jean-François Coche-Dury m’annonce qu’il est obligé d’annuler notre rencontre pour cause de funérailles. Richard Geoffroy que j’informe m’annonce qu’il ne viendra pas à Meursault. Je m’y rends déçu et dépité car cette rencontre m’excitait au plus haut point.

Mon étape à Meursault est au château de Cîteaux, demeure du 19ème siècle posée sur des caves plus vieilles d’au moins trois cents ans. Le propriétaire m’accueille et va religieusement déposer en cave les bouteilles que j’avais prévues. J’avais pris une chambre pour être sûr d’être à l’heure au rendez-vous de demain, qui tombe à l’eau. De dépit, je vais dîner au restaurant « Auprès du Clocher » à Pommard, tenu par Jean-Christophe Moutet, avec la ferme intention de prendre un grand vin.

La carte des vins est superbe, avec quelques belles pioches. J’en repère une de première grandeur : Musigny Vieilles Vignes Domaine Comte Georges de Vogüé 1989. Pour l’accompagner, ma commande est : escalope de foie gras de canard poêlée, oignons et asperges vertes en croûte de sésame / pigeonneau élevage de monsieur Bernard rôti aux morilles et purée de petits pois.

Au premier contact, le vin est une ouverture vers le paradis. En lui, tout est velours. Puis il déploie une râpe bourguignonne comme je l’aime. Son éclosion est excitante comme une danse des sept voiles. L’amuse-bouche n’est pas fait pour le vin aussi le pain beurré corrige le tir. Sur des escargots à peine aillés, le vin prend un envol spectaculaire. Il a tout pour lui, le velours, la longueur, la puissance. Il est encore très jeune pour ses 24 ans, et il a une belle étoffe.

Le vin, normalement, c’est le partage. Je suis seul à dîner et je constate qu’étant seul, j’observe infiniment plus de détails que lorsque l’on discute en buvant. Dans ce vin, il y a un peu de quetsche, de feu de cheminée, quelques champignons. Mais c’est surtout sa rondeur, son velours, sa délicatesse et sa complexité qui me ravissent.

Les deux plats sont bons, mais trop compliqués et chargés pour que le Musigny y trouve son compte. Il faut un Brillat-Savarin pour que le vin revive. Je l’ai trouvé beaucoup plus intéressant au début de son éclosion que lorsqu’il devient assis, notable. C’est un vin de grande race, qui, comme les grands vins bourguignons, demande qu’on le comprenne, car il ne se livre pas. On le conquiert. Ce vin aura permis de soigner la plaie ouverte par une rencontre qui ne se fera pas avec deux grands vignerons français.

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Un 1929 de l’Etoile pour un déjeuner avec deux vignerons dimanche, 1 septembre 2013

Chaque année j’organise un diner de vignerons qui s’appelle « le dîner des amis de Bipin Desai ».

Cette année, Jean-François Coche-Dury nous fait le plaisir et l’honneur de se joindre à nous.

Lorsque Richard Geoffroy a su que JFCD venait, il m’a demandé d’organiser une rencontre au domaine Coche-Dury, avec JFCD.

Avec ces deux vignerons de domaines prestigieux, que puis-je apporter pour le déjeuner ?

Il ne faut pas que ce soit un vin qui entre en compétition avec des vins des deux vignerons.

Ce serait bien d’apporter un vin qui pourrait intéresser les deux vignerons, avec des saveurs qu’ils ne connaîtraient pas, si possible.

Alors, j’ai choisi un Vin du Jura de l’Etoile de la Coopérative Vinicole de l’Etoile 1929. C’est une rareté, car de très vieux vins de l’Etoile se trouvent difficilement.

Je pense que ce vin pourrait créer un choc intéressant avec les champagnes de Richard Geoffroy et avec les vins blancs de Jean-François Coche-Dury.

A suivre !

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Ajoute, quelques jours plus tard:

J’étais heureux d’apporter cette bouteille. Le déjeuner ayant été annulé pour cause de funérailles, la bouteille attendra pour une autre occasion avec les mêmes convives.

Haut-Brion blanc 89 et Pol Roger 66 samedi, 24 août 2013

Les enfants vont partir demain. Nous avions fait festin pour leur arrivée. Leur départ doit aussi s’arroser. Je choisis un vin qui doit être un signe de l’importance de l’instant. Le Champagne Pol Roger Extra Cuvée de Réserve 1966 se présente dans une jolie bouteille patinée par les ans. Le bouchon s’extrait facilement. Il n’y a pratiquement pas de pschitt. La couleur est étonnamment jeune, sans ambre apparent. Le nez évoque des fruits jaunes.

En bouche, ce qui frappe en premier c’est l’équilibre et la sérénité. On sait qu’on est en face d’un champagne ancien, au pétillant sensible mais sans bulle et l’on s’aperçoit qu’il n’a pas de signe de fatigue. Il évoque des fruits jaunes et dorés, dont du citron et du pomelos. Il est extrêmement confortable. Il ne trouve aucun accord qui le sublime. Il vit sa vie, et on le boit pour lui tout seul.

On l’abandonne après l’apéritif pour le reprendre en fin de repas. Et c’est alors qu’apparaissent des signes de fatigue. Une amertume se découvre, ainsi que des notes de thé. Le vin a été magnifique sur la première moitié de la bouteille et fatigué en fin de repas. C’est une très belle expérience qu’il fallait tenter.

Sur le poulet au citron, c’est un Château Haut-Brion blanc 1989 de mon gendre qui fait son apparition. Le nez est impressionnant, car il plante le décor : on est dans la noblesse, la richesse et l’abondante complexité. Dès la première gorgée, le mot qui vient à l’esprit, c’est « respect ». Car on est face à un monstre sacré. Tout est imposant dans ce vin, la puissance, la complexité, les fruits si nombreux de tous les hémisphères, les épices innombrables. Mais s’y ajoutent une plénitude et une longueur infinie.

Alors que mon gendre est un amoureux inconditionnel de Laville Haut-Brion, nous convenons tous les deux qu’aucun Laville ne pourrait se hisser au niveau de cet impérial 1989. C’est probablement l’un des plus grands vins de notre été qui en comportait beaucoup.

Ma fille aînée, venue nous rejoindre pour quelques jours a besoin d’un vin rouge aussi hérite-t-elle d’un Hermitage Chave rouge 1995. Quel vin ! Ce qui frappe, c’est le côté velouté qui enveloppe de son charme ce vin. Le seul petit reproche, c’est que la fin de bouche est marquée par une trace camphrée qui trahit très probablement un accident de chaleur au cours de la vie du vin.

Nous avons au cours de cet été bu des vins magnifiques dont émergent, entre autres, Salon 1996, le Cros Parantoux Méo Camuzet 1999, le Pétrus 1985 et ce Haut-Brion blanc 1989. Mais il y en a tellement d’autres que je ferai le bilan plus tard. L’été n’est pas fini.

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La France n’a jamais été aussi jeune jeudi, 22 août 2013

Tous les démographes vous le disent, la France vieillit.

Le nombre de centenaires va être multiplié par trente, les nonagénaires vont se multiplier par dix, et les plus de 60 ans vont tripler.

Par ces propos, on veut affoler les populations en laissant entendre :

– il y a beaucoup trop de vieux

– on ne pourra jamais financer leur maintien en bonne santé.

Et on ressort les éternels poncifs :

– un pays qui a trop de vieux est réactionnaire

– il est figé dans ses conformismes

– il n’invente plus l’avenir.

Et si c’était l’inverse ?

Jamais un sexagénaire n’a été aussi jeune : il voyage, fait du sport, fait attention à sa forme physique et à son alimentation. Et il sait qu’il a probablement vingt ans devant lui, ce qui lui permet d’avoir des projets.

Pour chaque tranche d’âge, jamais les citoyens d’un âge déterminé n’ont été aussi jeunes dans leur corps et dans leur esprit.

C’est donc une chance formidable de se dire qu’à âge égal, on a une espérance de vie et donc de projets qui n’a jamais été aussi grande.

Alors, oui, la France n’a jamais été aussi jeune.

Si le travail n’était pas présenté comme une aliénation dont l’Etat souhaite libérer le citoyen au plus vite, en multipliant les cas de pénibilité, si le travail était considéré comme l’accomplissement d’une vie, donnant un sens à la vie de chacun, on pourrait travailler jusqu’à 80 ans, en aménageant les postes pour s’adapter à la résistance physique et psychique des séniors.

Et alors, on pourrait dire sans crainte : oui, la France est de plus en plus jeune, car ses citoyens, à chaque âge se sentent de plus en plus jeunes et de plus en plus responsables de leurs destins.

Six vins jeunes exceptionnels dans une belle confrontation dimanche, 18 août 2013

Traditionnellement, le week-end du 15 août est le point culminant de notre été gastronomique. Des amis viennent avec des munitions généreuses et j’ouvre des vins que j’ai envie de partager avec eux. Ce soir, c’est le dîner de gala qui conclut une succession de six repas de grands vins.

En été, je n’aime pas ouvrir de très vieux vins, car la chaleur ne convient pas à ces vins mais aussi parce que les palais ne sont pas aussi réceptifs qu’au printemps ou à l’automne. Aussi vais-je pouvoir réaliser un de mes rêves : ouvrir ensemble six grands vins rouges de toutes origines, très jeunes et très puissants. Il y a trente ans, j’aurais refusé de tels vins, car le monde des vins anciens peuplait mon intérêt. Aujourd’hui, j’ai appris à aimer des vins modernes lorsqu’ils sont bien faits, même s’ils ont les caractéristiques de ce que je repoussais naguère.

Jean-Philippe a concocté le repas suivant : Cecina de Leòne / Dashi, livèche, crevettes séchées du Cameroun / Gnocchis, olives noires, abricot /Rognons de veau, poivron rouge / Filet de rumsteck, poêlée de fenouil, jus de viande / Parmentier de queue de bœuf, sauce andalouse / Nectarine, amande, agrumes.

Nous commençons par la fin du Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1990, toujours aussi confortable et rassurant, mis en valeur la les fines tranches de viande de bœuf traitée comme un jambon ibérique.

Le Champagne Laurent-Perrier Cuvée Grand Siècle magnum a au moins cinq ans de cave. C’est une explosion de fleurs blanches d’une élégance rare. Ce champagne féminin est d’une délicatesse subtile au plus haut point. Le bouillon dashi est très « détox » ce qui est de bon augure pour la suite du dîner. La cohabitation de l’olive noire et de l’abricot est très originale et convient bien au délicieux champagne, qui profite à plein de son long passage en cave et de son format magnum.

Chacun des huit buveurs sur neuf convives a devant lui six verres. Il a fallu de longues répétitions pour que chacun mémorise les vins qu’il aura devant lui puisque les verres ne sont pas marqués. J’ai choisi pour règle de mettre les étrangers d’abord, les plus éloignés de la France en premier. Ensuite, pour les vins français, c’est de la plus haute latitude vers la plus basse. Ce qui donne cet ordre :

Penfolds Grange BIN 95 2005. Ce vin me fascine par le fenouil et les herbes que l’on ressent et par la fraîcheur finale.

Vega Sicilia Unico Ribeira del Duero 2003. J’ai déjà ouvert plusieurs fois ce vin cet été et, lorsqu’il était servi seul, il a brillé beaucoup plus que ce soir. Je le trouve timide, plus discret, alors qu’il a un énorme potentiel.

Pingus Ribeira del Duero 2009. Ce vin titre 15,5° mais on ne le sent pas du tout. Il est d’un message assez monolithique mais il sait lui aussi montrer de la fraîcheur. J’aime beaucoup sa capacité de persuasion.

Côte Rôtie La Turque Guigal 2005. Lui aussi se montre discret au début, puis fait apparaître sa belle fraîcheur mentholée. Il est subtil et convaincant.

Chateauneuf-du-Pape Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 2003. Il paraît, lui aussi un peu discret au démarrage, mais il montre ensuite une belle profondeur et un message subtil comme la Turque.

La Petite Sibérie Côtes du Roussillon Villages Bizeul 2005. Il est au début assez monolithique comme le Pingus, mais il montre ensuite sur les rognons des facultés extrêmes.

Assez rapidement on peut faire deux classes de vins : le Penfolds, le Pingus et la Petite Sibérie sont des vins puissants, percutants, qui veulent passer en force. A côté d’eux, le Vega Sicilia Unico, la Turque et le Beaucastel sont des vins qui cherchent à s’imposer par la persuasion de leur subtilité.

La nature humaine est ainsi faite que l’on aimerait bien classer ces vins par ordre de préférence. Mais ils vont nous jouer un joli tour en nous offrant un phénomène assez particulier. Si l’on fait une dégustation successive des six vins, on imagine un ordre de préférence. On attend un peu que le palais se calme et l’on boit alors celui qui paraissait le plus faible. Comme par enchantement on le trouve alors sublime. J’ai répété plusieurs fois cette expérience, et chaque fois, le plus faible d’un instant devenait un très grand vin. C’est comme si les vins s’étaient regroupés en une mêlée de rugby, pour être définitivement solidaires.

Cette idée ne me déplait pas de ne pas classer. Il y a toutefois un vin qui émerge et mérite d’être classé premier et je suis content que Jean-Philippe ait partagé mon choix. C’est le Penfolds Grange qui a la plus grande complexité combinée à une fraîcheur hors du commun. Ensuite, il y a deux grandes directions : les fonceurs comme Pingus et la Petite Sibérie, mais qui ne foncent pas dans le brouillard car ils sont capables de fraîcheur et les subtils comme la Turque et le Beaucastel, très « Frenchies » à côté des puissants étrangers, le Vega Sicilia se plaçant à mi-chemin entre les fonceurs et les subtils.

Mais ces catégories ont été souvent remises en cause au fil des plats absolument exceptionnels, les rognons percutants allant bien avec les fonceurs, le rumsteck convenant aux subtils et la délicieuse queue de bœuf en Parmentier accueillant l’ensemble des vins, et confirmant l’avantage du redoutable Penfolds.

Devant mes six verres, j’avais l’immense joie d’avoir réuni des vins exceptionnels dont aucun ne faisait pâle figure, aucun n’étant détruit pas la cohabitation avec l’un des autres. J’avais cette immense joie mais aussi la tristesse que cela puisse s’arrêter. Je voulais cette dégustation, je voulais cette confrontation et les vins ont eu l’intelligence de jouer collectif. Je suis heureux.

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Dîner chez ma fille avec des blancs d’exception samedi, 17 août 2013

Le quatrième repas de notre week-end de folie est un dîner chez ma fille et mon gendre. Jean-Philippe et mon gendre sont au fourneau depuis 17 heures. L’esprit sera aux tapas.

Le Champagne Bollinger Grande Année 1990 est une très heureuse surprise. Il a une évolution plus marquée que celle qu’il devrait avoir et cela lui va bien. Il a des notes fumées, un peu oxydatives. Le premier message est assez monolithique, unidirectionnel, mais le vin va spectaculairement s’épanouir sur les premières tapas. Nous commençons par des dés de céleri à la citronnelle et au citron vert, qui fouettent le champagne et lui donnent plus de percussion. Une huître rôtie aux herbes du port et au torron Sirvent colle à fond au côté patiné du champagne. C’est probablement le plus bel accord du dîner, car le champagne devient fringant et rajeunit de dix ans. L’huître est délicieuse et le vin en profite.

Le cappuccino de moules est inscrit dans la ligne de mire du Bollinger et crée lui aussi un accord vibrant.

Le Champagne Salon 1996 a un parfum qui est une explosion de fleurs blanches et de complexités. Dès la première gorgée, on sent qu’il y a un monde entre le Salon et le Bollinger. Les fleurs blanches sont brillantes, et c’est surtout la complexité qui fait la différence, car le message change sans cesse. Le vin n’est jamais là où on l’attend, glorieux, vineux mais drapé dans ses fleurs blanches. Un immense champagne, probablement le meilleur des Salon 1996 que j’aie jamais bus.

Le Clos de la Coulée de Serrant Nicolas Joly 2000 est un choc. Il est immense. On comprend Curnonsky qui l’a classé dans les cinq plus grands vins blancs de France. Car il est une énigme permanente, jouant sur des notes oxydatives mais bien contenues. Il est joyeux, plein, opulent et c’est la première fois que je vois une Coulée de Serrant aussi jeune avec autant de charme et de sérénité. Je suis transporté par ce vin car j’aime ce qui me dérange. La fondue de fenouil est délicieuse ainsi que les encornets à la pêche blanche qui mettent en valeur ce vin de Savennières.

Le Clos Sainte-Hune Riesling Trimbach 2005 montre une fois de plus à quel point le cépage riesling, lorsqu’il est bien vinifié, est d’une précision qui est l’une des plus grandes de tous les blancs secs. Ce vin pourrait être qualifié de parfait. Mais mon cœur penche vers le vin plus canaille de la Loire. Les encornets au curcuma sont délicieux et se dégustent aussi bien avec les deux blancs.

Le tartare de bar penche du côté du Sainte-Hune. Les rougets à la fondue de poireau accueillent avec grâce le Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 2007 qui est un bourgogne généreux fruité, joyeux, délicat et équilibré. C’est de la joie pure. Il est assez intéressant de comparer avec le vin servi en même temps, Château Laville Haut-Brion 1982. Ce vin est exceptionnel. Il est profond, droit, un vin de méditation. Car ses complexités sont extrêmement subtiles et il faut se concentrer pour en saisir le plus grand nombre. La joie est bourguignonne, la race et la noblesse sont bordelaises. Les deux vins s’expriment avec bonheur sur des andouilles qui à la cuisson ont explosé leurs peaux comme le font les crooners lorsqu’ils sont tétanisés pas les cris d’amour de leurs groupies et déchirent leurs teeshirts.

A ce stade, nous sommes soûlés de perfection. La succession de tapas est une excellente chose et les vins ont été multipliés par des accords éblouissants. Il faut se rafraîchir et un Champagne Krug 1995 accompagne des pêches blanches en salade ainsi qu’un gâteau conçu et réalisé par mon petit-fils de quatre ans. Jean-Philippe se met alors au piano et nous massacrons par nos voix des chansons qui font partie du patrimoine de la chanson française.

Je classerais volontiers les vins ainsi: 1 – Champagne Salon 1996, 2 – Clos de la Coulée de Serrant 2000, 3 – Château Laville Haut-Brion 1982, 4 – Clos Sainte-Hune 2005.

L’accord le plus vibrant est celui de l’huître avec le Bollinger. Mais le carpaccio avec le même champagne et l’andouille avec le Laville font partie des grands accords de ce repas. Jean-Philippe et mon gendre ont fait des prodiges.

Une journée chargée nous attend. Nous sommes donc rentrés à pied, sous une lune qui argente la mer, romantique comme jamais.

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mer argentée sous la lune

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De merveilleux 1989 samedi, 17 août 2013

Le thème du cinquième repas de notre week-end de folie, c’est l’année 1989, naturellement trouvé grâce aux apports des amis. Ce soir, il y aura du très lourd, puisque c’est le dîner de gala, aussi est-il jugé opportun de supprimer l’apéritif au déjeuner, pour garder des forces.

Mais dans chaque groupe d’êtres humains il y a des « traîtres » dont l’un – perfide – me demande pourquoi je n’ai pas prévu de champagne. La vie est ainsi faite.

Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1990 est toujours aussi solide et agréable, celui-ci s’exprimant beaucoup plus que lors d’un récent essai. Nous tranchons un long saucisson fait au belota belota, ce qui est original.

Le quasi de veau basse température est accompagné de fines tranches de pomme de terre juste poêlées. Jean-Philippe a conçu une sauce qui doit capter les tannins des deux vins. Elle est de grande pertinence mais je préfère approcher les deux vins merveilles sur la chair seule.

Le Château Tertre Roteboeuf Saint-Emilion 1989 est d’une grande richesse de tannins et ce qui frappe, c’est sa profondeur. Le message est assez simplifié, mais le vin a une grande cohérence. Comme pour le Dujac de l’autre soir, s’il était seul, il serait salué par des applaudissements. Il s’étoffe dans le verre, prend de l’aisance et se montre très plaisant.

Mais son voisin de plat est le Château Latour Pauillac 1989 qui marque un saut qualitatif déterminant. Ce vin est un bordeaux parfait. Il a l’élégance, la noblesse, la complexité mais surtout, son exposé n’en finit pas. Quand en bouche on croit avoir tout compris, il rajoute de nouvelles saveurs. Si le Tertre fait penser à des fruits noirs dont du cassis écrasé, le Latour est plus dans des fruits roses noirs comme des cerises. Ce qui est important pour moi, c’est ce message qui n’en finit pas.

L’épaule d’agneau a été cuite au basilic ananas avec une huile espagnole. Le Vega Sicilia Unico 1989 est depuis longtemps l’un de mes chouchous, probablement le meilleur des jeunes VSU. Le vin est d’une jeunesse insolente, car on a un jus riche en alcool comme celui d’un vin de quinze ans de moins. Et le charme agit car je ressens des brassées de plantes, dont des méditerranéennes, comme le romarin, le thym, et le basilic judicieux de Jean-Philippe. Il y a aussi du fenouil, de l’anis et le final est marqué par une extrême fraîcheur. Qu’on ne me demande pas d’être objectif, je ne le peux pas.

Le dessert est de mangue rôtie et pamplemousse rose confit au miel d’acacia avec quelques zestes de pamplemousse. La couleur du plat est strictement la même que celle du Château d’Yquem 1989 doré magnifique. La fusion entre le plat et le vin est saisissante. On n’est pas tenté de chercher la valeur intrinsèque du vin, puisque l’accord fusionnel nous propulse à des hauteurs himalayennes de gastronomie. Nous sommes tous saisis par cette perfection et l’Yquem, au sucre parfaitement intégré, récite les saveurs de miel, de mangue et de pamplemousse dont le dessert lui a donné le miroir. C’est irréellement bon.

Nos votes sont très différents. Jean Philippe a mis Latour en premier. Mon vote est : 1 – Yquem 1989, 2 – Vega Sicilia Unico 1989, 3 – Latour 1989, 4 – Tertre Roteboeuf 1989.

Nous avons eu la démonstration que l’année 1989 est encore d’une étonnante jeunesse, certains vins étant très loin d’avoir atteint leur maturité. Ces cinq repas qui se succèdent ont tous des personnalités différentes. Il faut vite se reposer, car ce soir, c’est le feu d’artifice.

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fusion des couleurs et des saveurs avec l’Yquem

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Week-end de folie – 2ème déjeuner vendredi, 16 août 2013

Le lendemain midi, c’est un festival de jambons ibériques et de lomo, qui précèdent des canapés variés en forme de tapas. Nous pouvons finir les vins de la veille. Je ne suis pas tenté d’essayer la Moutonne dont Jean-Philippe me dit qu’elle n’est toujours pas chablis.

Le Meursault Charmes Comtes Lafon 2002 a gagné en opulence. Il est beaucoup plus épanoui et précis. Il est nettement plus grand qu’hier.

Cette impression est la même pour le Clos de la Roche Dujac 2002 qui est nettement plus grand et affirmé que la veille.

Seul le Clos de Bèze Armand Rousseau est fidèle à l’excellence qu’il avait montrée la veille. C’est assez réjouissant de constater que les vins se comportent aussi bien le lendemain.

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