Dîner à quatre mains avec Gilles Goujon de Fontjoncouse et Philippe Mille des Crayères mardi, 4 juin 2013

Les « dîners à Quatre Mains » sont avant tout une aventure humaine et c’est en cela qu’ils prennent une dimension supplémentaire à mes yeux. Voir le bonheur de deux chefs qui créent ensemble et la joie des jeunes commis de la brigade heureux de recevoir un enseignement riche de deux grands chefs, c’est un plaisir qui ne se mesure pas. Il se savoure.

Nous arrivons à l’hôtel les Crayères par un chaud soleil ce qui fait tout drôle après la grisaille qui n’en finissait pas d’obscurcir le ciel de mai. Notre chambre est spacieuse, décorée comme les riches maisons bourgeoises du 19ème siècle. Ce n’est pas désagréable.

Nous prenons l’apéritif face au grand parc et au soleil dont on ne se lasse pas. Le Champagne Taittinger brut sans année se boit avec beaucoup de bonheur, d’autant plus que nous trinquons avec Claire et Pierre-Emmanuel Taittinger. Peut-être dopé par cette présence, le champagne a une profondeur et une vivacité plus grandes que la mémoire que j’en avais. Les deux chefs viennent nous rejoindre et sont d’une décontraction remarquable. On est loin de la tension des pilotes de Formule 1 avant le départ.

Les chefs du jour sont Philippe Mille, le régional de l’étape, MOF (meilleur ouvrier de France) doté de deux étoiles, et Gilles Goujon, MOF lui aussi et doté de trois étoiles à l’Auberge du Vieux Puits à Fontjoncouse. Son épouse est biterroise, ce qui fait que nous sommes pays.

Le menu préparé par les deux chefs est : lobe de foie gras de canard poêlé, tarte sablée « pain d’épices » à la rhubarbe en cage de meringue et gariguettes en réduction balsamique par Gilles Goujon / filet de rouget barbet, pomme bonne bouche fourrée d’une brandade à la cébette en « Bullinada », écume de rouille au safran par Gilles Goujon / aloyau de bœuf de Galice affiné cent jours, fenouil confit à l’eau de tomate, caviar d’aubergine au gingembre, jus de rôti à l’olive noire par Philippe Mille / dacquoise noisette et son praliné crémeux, mousse et dés de cake citron, mikado de meringue zestées par Philippe Mille.

Le Champagne Taittinger Comtes de Champagne rosé 2005 est un agréable champagne qui n’a pas tellement attiré mon attention, tant les discussions à notre table étaient animées. Mais il a favorisé un bel accord.

Il n’en est pas de même du Champagne Taittinger Comtes de Champagne rosé 2002 qui ne peut pas passer inaperçu. De grande personnalité et de grande tension, il occupe la bouche en en prenant possession. Ses évocations de fruits sont roses et le caractère vineux est très équilibré. Très gastronomique il est le chevalier servant idéal d’un plat d’anthologie, la bouillabaisse revisitée par Gilles Goujon.

Le Coteaux de Champagne Ambonnay rouge Cuvée des Grands Côtés, Vieilles Vignes Egly-Ouriet 2009 a un parfum incroyable. Je n’arrive pas à y croire. Il est puissant, fait de fruits rouges lourds, velouté comme le parfum du plus généreux des chambertins. Comment est-ce possible ? Je ne veux pas le croire car jamais je n’ai rencontré une telle puissance olfactive en un Coteaux de Champagne. J’ai beau sentir et ressentir, je ne peux pas m’y faire tant il y a du charme et de la puissance dans ce parfum. M’en ouvrant à Francis Egly qui participait au dîner avec son épouse, il explique cette richesse notamment par la faiblesse des rendements. En bouche, le vin est plus conforme à l’image que j’en ai. Le vin est bon, profond, mais il n’a pas la largeur que suggérait son parfum. Le vin est idéal sur la pièce de bœuf généreuse.

Le Champagne Egly-Ouriet Brut Tradition dégorgé en janvier 2013 est un champagne un peu vert à mon goût, mais très prometteur. Francis Egly m’a expliqué qu’il aime les champagnes plus mûrs et qu’il avait fait ce choix à cause de la présence de citron dans le dessert. Il me semble qu’il aurait pu choisir plus mûr, car le citron se sentait à peine.

Gilles Goujon est venu lui-même découper les lobes de foie gras et servir nos assiettes qui embaumaient tant la fraise était présente. Je me suis concentré sur la chair seule du foie gras, qui se mariait idéalement au rosé 2005. Le rouget traité en bouillabaisse est un plat qui donne des frissons dans le dos. Il est parfait et fait comprendre ce que c’est que d’avoir trois étoiles. Le plat est gourmand, et l’on reprend sans cesse le jus délicieux, servi à profusion. La viande mûrie plus de trois mois glisse en bouche comme un bonbon, mais c’est sur le dessert d’un équilibre remarquable que l’on a surtout vu le talent extrême de Philippe Mille.

Le directeur, Hervé Fort, nous entraîne dans le noir dans un coin reculé du petit bois qui jouxte le parc et nous entrons dans une yourte aux bois joliment peints, où nous pouvons continuer à bavarder avec Gilles Goujon, Pierre-Emmanuel Taittinger, Francis Egly et de nombreuses autres personnes en goûtant l’un des cognacs Hine qui nous sont proposés. Je choisis un Cognac Hine 1960 qui a une délicatesse extrême, plus charmant à mon goût qu’un Cognac Hine 1961 plus viril mais moins élégant.

Une fois de plus, les « Quatre Mains », c’est grand et très émouvant.

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Quelques remarques sur la vente de vins de l’Elysée dimanche, 2 juin 2013

La vente de vins de l’Elysée fait parler dans la blogosphère du vin. Dans le pays profond, l’événement a beaucoup moins d’ampleur que l’affaire Cahuzac par exemple.

Plantons le décor. Vendre un actif de la République ne peut pas être comparé au déficit du budget de l’Etat, puisque ce n’est pas une recette récurrente. Ce doit être comparé à la dette de la France.

Voici les chiffres :

Dette de la France : 1.830.000.000.000 €.

Vente de vins : 718.000 €.

Cette vente a eu lieu sur deux jours. La recette journalière a été de 359.000 €.

C’est en un jour 0,00002 % de la dette qui est remboursée.

Si l’Etat avait chaque jour une idée de la même ampleur que cette vente de vins, il « suffirait » de 14.000 ans pour rembourser la dette. En ayant commencé dix mille ans avant Ramsès II, on n’aurait plus de dette aujourd’hui.

Ce n’est donc pas l’enjeu financier qui mériterait beaucoup de commentaires. C’est un quasi non-événement quand on sait ce que François Hollande devrait faire pour redresser les comptes de la France. C’est donc au niveau de la symbolique que ce non-événement doit être commenté.

 

Le quinquennat de François Hollande est marqué par une attitude punitive et par la culpabilisation de tout ce qui dépasse la norme. Il y a la haine des riches, la culpabilisation des salaires des chefs d’entreprise, l’amnistie un temps envisagée pour les exactions des casseurs qui détruisent l’outil de travail, la taxe à 75% pour humilier ceux qui réussissent et la volonté affichée que tous les talents quittent le pays.

D’un autre côté, le Président prend le train, fait les marchés comme s’il était encore en Corrèze, apporte son soutien aux syndicalistes qui bloquent l’adaptation des entreprises, comme il l’a fait en refusant le plan présenté par Peugeot sans même l’avoir lu.

La tentation était grande de faire comme Bertrand Delanoë (1), de vendre une partie de la cave de l’Elysée, pour montrer que l’on veut avoir une gestion rigoureuse dans un secteur aussi futile que l’art de la table.

Ceux qui soutiennent cette initiative sont tombés dans le panneau du symbole : quand j’ai découvert les vins superbes de Dupasquier, je n’ai pas eu besoin de vendre mes Pétrus. Quand j’ai eu un amour particulier pour Château Poujeaux, auquel j’ai consacré un article d’une page dans la revue Vigneron, pour l’extraordinaire performance de son 1928, je n’ai pas eu besoin de renier mes Latour et mes Lafite.

L’argument selon lequel la vente des grands vins de la cave permettra d’accueillir à la table du Président des vins plus modestes de vignerons méritants est spécieux. Car il n’est pas besoin d’éliminer Lafite 1961 pour accueillir d’autres vins si l’on sait combien cela représente par rapport aux enjeux de la France. On veut juste montrer une attitude « normale », qui culpabilise la richesse ou la réussite.

Tout ce qui sort de la norme doit disparaître.

Pour le collectionneur buveur que je suis, se séparer de bouteilles qui sont parvenues à une maturité idéale est une erreur, plus même, une faute de goût. On pourrait honorer des hôtes de marque avec des bouteilles mythiques, achetées pour cet objet, et parallèlement, continuer à mettre en valeur les vignerons méritants.

Autre argument : j’aime la France qui gagne, qui va de l’avant, qui assume les vins mythiques que des amateurs du monde entier rêveraient de boire un jour.

On a donc, une fois de plus, joué l’hypocrisie en semblant donner une leçon de morale du Président « normal », mais on attaque l’image du vin français, ce qui aura des conséquences sur la balance commerciale de la France.

De plus, quand quelqu’un commence à vendre des bijoux de famille, on se dit qu’il doit être fauché. Donner cette impression pour des sommes aussi faibles, c’est assez mal joué.

Dernier argument pour ceux qui voudraient banaliser l’événement : si un amateur de Shanghai, qui a acheté massivement des vins de cette vente, a accepté de payer une bouteille 4.000 € de plus que sa valeur commerciale (qu’il connait forcément) et a accepté de payer parfois huit fois les estimations, c’est que le label France ou le label République Française est beaucoup plus fort que ce que l’on veut faire croire.

Par hasard, j’ai bu le soir du deuxième jour de la vente un Lafite 1961. On côtoie le divin. Une bouteille de ce vin était à la vente. Je serais fier de mon pays si une telle bouteille permettait d’honorer un hôte de marque. La France fait les plus grands vins du monde. Le Président se doit de les utiliser, pour le plus grand prestige de notre pays. Renier nos atouts d’excellence, c’est se tirer une balle dans le pied.

 

(1) la vente des vins de la Mairie de Paris en 2006 a apporté 800.000 € pour 5.000 bouteilles, pour une estimation de 500.000 €. Si Bertrand Delanoë avait fait cette vente en 2013, il aurait obtenu le double d’il y a sept ans. A-t-il fait un acte de bonne gestion de se séparer d’un actif qui monte ? On pourra en dire autant de cette vente, qui rapporterait probablement le double en 2017. C’est donc bien le symbole qui est recherché, symbole négatif d’une Nation perdante.

Margaux 1928, Lafite 1961, La Tâche 1951 et d’autres vins immenses au Garance samedi, 1 juin 2013

La chaîne de télévision LCI m’a demandé de donner mon avis sur la vente aux enchères de vins de la cave de l’Elysée qui doit commencer le soir même. J’ai l’occasion de dire à quel point cette opération n’envoie que des signes négatifs, d’un pays aux abois qui vend des poussières de ses bijoux de famille, mais surtout d’un pays qui ne va pas de l’avant, qui devrait être solidaire avec une des filières les plus porteuses de la balance commerciale du pays, la filière vin et plus précisément la filière des vins de qualité qui sont un emblème de l’image de la France, qui fait tant rêver le monde. Alors que je n’avais pas l’intention d’aller à cette vente, car j’anticipais des prix de feu d’artifice, le journaliste qui m’invitait me dit : « bien sûr vous irez à la vente ! ». Je me suis senti obligé d’y aller.

Sur place, je rencontre diverses personnes que je connais et tout d’un coup, je vois arriver Gérard Besson, le chef chez qui j’ai organisé beaucoup de dîners et de casual Fridays. Nous sommes heureux de nous revoir, pour la première fois depuis qu’il a pris sa retraite. Tous les deux nous voulons nous revoir et je lui dis : « pourquoi pas demain ? Nous faisons l’un des dîners de notre dream team, avec des vins très rares ». Je quitte très vite la vente aux prix fous et j’envoie à Gérard la liste des vins prévus. Le lendemain matin il m’informe qu’il viendra.

Au restaurant Garance, j’ouvre les bouteilles dès 17h30. Le parfum du Lafite 1961 est d’une pureté d’Evangile. Le bouchon de La Tâche 1951 est de très mauvaise qualité et n’a pas été aidé par une cave trop sèche si je me fie à ce qui apparaît sur le bouchon. Le niveau est bas, le bouchon sent très mauvais et lorsqu’on sent le goulot, l’odeur est désagréable. Tomo qui m’a rejoint verse un peu du vin dans un verre et les odeurs désagréables n’étaient attachées qu’au goulot. L’espoir renaît. Le parfum du Margaux 1928 est séducteur, et, lorsque Florent arrive avec son Pontet Canet 1926, c’est un parfum d’une délicatesse rare qui envahit mes narines à l’ouverture.

Je descends au rez-de-chaussée pour mettre au point avec Guillaume Iskandar le menu et choisir avec lui quelques orientations. Le menu, dont je reconstitue les intitulés, est ainsi organisé : la traditionnelle brioche de bienvenue / homard bleu, traces de crème à l’orange / Lieu, roquette et petits oignons / ris de veau / épaule d’agneau, asperge et oignons / financier en gâteau fumé.

Notre groupe se compose de Tomo, Lionel, Florent, Jean-Philippe, Gérard Besson et moi. L’un d’entre nous étant en retard, Guillaume Muller nous propose au verre le Champagne Langlet Brut Grand Cru. Le champagne ne m’inspire pas et j’ai un commentaire bien méchant : « voilà un champagne qui nous fait aimer le cidre ». C’est bien méchant. Le Champagne Louis Roederer 1964 de Florent a encore du pétillant et une jolie couleur ambrée. En bouche c’est du plaisir pur, avec de jolis fruits oranges et une originale évocation de marc. Ce champagne est excitant de curiosité et s’annonce comme un grand compagnon de gastronomie.

Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1979 de Jean-Philippe, que j’ai bu maintes fois, à la bouteille si belle, est une grosse déception. Car il a vieilli trop vite et a perdu de sa vivacité. Il n’est pas mauvais mais il n’est pas ce que nous attendons.

Le Château Rayas blanc 1996 de Lionel met un sourire à mes lèvres : c’est « love at first sight », le coup de foudre pour un vin généreux, facile, dandy sacrément convaincant. Avec le homard un peu chiche pour nos appétits, il est parfait.

Le Château Haut-Brion blanc 1964 de Lionel n’a pas assez de panache pour retenir notre attention. Je ne saurais pas dire de quoi il souffre mais il n’est pas là, même si le homard l’aide un peu.

Le Bienvenues Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1995 de Gérard attaque très fort. Ce vin puissant d’un équilibre rare occupe le palais et l’envahit de ses arômes complexes. Ce qui me fascine, c’est le plaisir qu’il donne, profond et pénétrant. C’est l’attaque qui pose le jeu.

Servi en même temps, le Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1989 offre des saveurs plus fluettes. On imagine que le combat est joué au profit du Bienvenues, mais pas du tout. Le Chevalier s’assemble, déroule sa matière riche et prend progressivement le dessus. Les deux vins sont parfaits et très différents. J’aime le premier pour son attaque généreuse. J’aime le second pour sa matière opulente et sa noblesse. J’aime les deux car ils sont l’expression de la grandeur des blancs de Bourgogne. Le lieu superbement cuit convient aux deux vins, probablement plus au Chevalier.

Le Château Margaux 1/2 bouteille 1928 que j’ai apporté est tétanisant de perfection. Au moins dix fois Gérard dira qu’il n’en revient pas qu’une demi-bouteille de plus de 80 ans puisse avoir une telle jeunesse. Il regardera à deux fois le bouchon pour vérifier qu’il s’agit bien d’un bouchage d’origine. Séduisant, féminin, velouté, ce vin est d’un charme à pleurer. Il a une profondeur et une densité qui sont remarquables et un final grandiose.

A côté de lui, le Château Pontet-Canet 1926 de Florent, au niveau presque dans le goulot, au parfum charmant, se caractérise par son velouté délicat. S’il n’était à côté du Margaux, il aurait la vedette parce qu’il profite à fond d’une grande année : 1926. Mais le Margaux est trop brillant.

Pour être sûr d’avoir une bonne demi-bouteille de Margaux, j’en avais apporté trois. Dix fois au moins mes amis ont tenté de faire pression pour que j’ouvre les deux autres. Mais j’ai résisté, surtout pour rester sur la bonne impression d’une bouteille parfaite. Le ris de veau est de très grande qualité et tout au long du repas, Gérard Besson n’arrêtera pas de faire des compliments sur la cuisine de Guillaume Iskandar. Venant de la part d’un MOF, meilleur ouvrier de France, cela compte.

Je ne peux évidemment avoir aucune objectivité pour le vin que j’ai apporté, Château Lafite-Rothschild 1961. Son parfum est d’une profondeur exceptionnelle avec des évocations de graphite et de truffe. En bouche ce vin est dense, lourd, profond, mais aussi complexe et raffiné. C’est un très grand vin au final inextinguible.

A côté de lui, La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1951 de Tomo, qui avait un bas niveau, exhale un parfum d’une rare persuasion. Si l’on voulait savoir ce qui fait la caractéristique d’un vin du domaine, ce serait ça. Je m’amuse car lors d’une dégustation d’une vingtaine de vins de la Romanée Conti, un participant voulait que j’enlève La Tâche 1942 dont il contestait l’étiquette, sans le nom des propriétaires et sans l’indication des volumes produits. C’est ce vin contesté qui avait été le plus brillant de la réunion. Cette Tâche 1951 a strictement la même étiquette et se présente avec l’ADN du domaine sans l’ombre du plus minuscule doute. Je dirais même qu’il est presque un peu exacerbé et excessif dans le caractère salin. Le charme du parfum du vin est extrême. Là où nous allons différer avec mes amis qui plébiscitent ce vin, c’est que je trouve qu’il n’est pas parfait. Il a souffert, comme le montre son bouchon dégradé, et ses caractéristiques se sont empâtées. Elles sont là, mais manquent un peu de finesse. Cette réserve est à la marge, car le vin est convaincant, dominant et plein de charme.

La cohabitation des deux vins est possible. Le Lafite, c’est la perfection, la pureté la droiture. La Tâche, c’est le charme, la séduction et la complexité. L’agneau vote pour Lafite.

Le Château Rabaud-Promis 1937 de Jean-Philippe se présente dans une bouteille assez sale, ce qui ne préjuge de rien et le liquide que l’on devine est d’un marron très foncé. Le nez est très sauternes mais manque un peu d’ampleur. En bouche c’est un sauternes généreux aux fruits bruns, un peu poussiéreux, qui aurait créé un accord superbe avec le financier si celui-ci avait été moins fumé.

Nous sommes tous impressionnés par la qualité générale des vins que nous avons bus. Il y a parmi eux des vins de première grandeur. Gérard n’en revient toujours pas qu’une demi-bouteille de 1928 ait cette vivacité. Jean-Philippe met le Margaux 1928 en premier. Pratiquement tout le monde met Lafite et La Tâche juste après, soit ex-æquo, soit La Tâche en tête. Mon classement diffère sur La Tâche. J’ai noté : 1 – Château Margaux 1/2 bouteille 1928, 2 – Château Lafite-Rothschild 1961, 3 – Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1989, 4 – Bienvenues Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1995. Il y aurait ensuite les belles performances de La Tâche 1951, du Rayas blanc 1996 et du Pontet-Canet 1926.

En des moments comme celui-là, nous ne voulons pas nous quitter, aussi avons-nous rêvé de nos futures agapes autour d’un Chartreuse faite à Tarragone très récente, beaucoup trop jeune pour avoir la complexité que l’on attend de cette liqueur emblématique. La date est prise pour un futur dîner. Ces repas amicaux dont de véritables bonheurs.

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le défaut du verre de la bouteille de Lafite 1961 est assez spectaculaire

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Déjeuner au restaurant Les 110 de Taillevent samedi, 1 juin 2013

Au dîner à quatre mains aux Crayères, Laurent Gardinier propriétaire des lieux avait lancé à notre table une invitation à se retrouver au restaurant Les 110 de Taillevent. Le jour dit, ma femme, Jean Miot et moi sommes aux côtés de Thierry et Laurent Gardinier. Le lieu est décoré dans des tons d’ocre et de terre, créant une atmosphère intimiste et décontractée. Un comptoir « à la Robuchon » fait face à l’impressionnant alignement de 110 verseurs de vins au verre. On reconnait quelques icônes qui sont des tentations auxquelles on a envie de succomber.

La carte est extrêmement astucieuse puisque les vins sont classés par tranches de prix et sont positionnés dans la même zone de lecture que les plats qu’ils pourraient accompagner. Les choix sont intelligemment facilités. Mes plats seront : le risotto printanier, asperges et morilles / le cabillaud « au naturel », jus de cresson, poireaux au cumin et tartare d’algues.

Mon premier vin est un Pinot Gris Clos Windsbuhl domaine Zind-Humbrecht 2007 dont je prends un verre de 7 cl, puisque l’on a le choix entre 7 cl, 14 cl et bouteille. Le vin est précis, original, mais il manque un peu d’ampleur. Il est très adapté à l’excellent risotto. Si la formule du choix au verre est très intéressante, puisque l’on peut avoir accès à des vins dont le budget serait élevé pour 75 cl, cela fait tout drôle d’être seul à boire un vin, que l’on ne peut pas commenter avec ses convives si leurs choix sont différents. L’avantage, c’est que dans un restaurant tourné vers le vin, on peut parler d’autres choses que de vin, ce que nous avons fait. Ce n’est pas désagréable. C’est un paradoxe amusant de cette formule.

Le Bâtard Montrachet Domaine Leflaive 2007 est dans le haut de gamme de l’offre du 110. Il a la noblesse des vins de ce prestigieux domaine, mais il n’a pas l’ampleur habituelle d’un Bâtard du domaine, sans doute du fait du millésime. Il cohabite bien avec le cabillaud à la chair comme je l’adore, marqué d’une verdure vraiment verte. J’aurais volontiers apprécié une petite coupelle de purée de pomme de terre pour que le jaune clair contrebalance le vert intense. Ce qui n’enlève rien à la qualité de ce plat.

Entraîné par mes amis, j’ai pris un verre de « Cuvée Laurène » vin de l’Orégon domaine Drouhin USA 2008. C’est vraiment une bonne idée car ce vin est joyeux, riant, subtil, équilibré dans toutes ses composantes. C’est un régal de boire ce vin bien dessiné aux subtilités « à la française ».

Le petit financier qui accompagne le café est un régal, après un détour gourmand par un nougat glacé. Le lieu est ouvert sept jours sur sept midi et soir, ce qui est un atout. Cette formule de type bar à vin qui joue sur une offre de vins haut de gamme et une cuisine qui est une vraie cuisine est extrêmement judicieuse.

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1928 MARGAUX, 1961 LAFITE, 1951 LA TACHE AND OTHER OUTSTANDING WINES AT RESTAURANT GARANCE samedi, 1 juin 2013

The French TV channel LCI has asked me to comment the auction of wines from the cellar of the Élysée Palace (the official residence of the President of the French Republic), which is scheduled to begin that evening. It gives me the opportunity to explain that this operation only sends negative vibes: it is yet another sign of a country in dire straits, selling off bits and pieces of its family jewels, but also of a country that is not going forward, which should rather work hand in hand with one of the most promising sectors in its trade balance—the wine industry and more specifically the fine wine sector, a true French emblem, something the rest of the world dreams about. While I originally do not intend to go to the auction, as I anticipate a fantastic fireworks display of prices, the reporter who invited me tells me: « Naturally, you will go to that auction! » I therefore feel obliged to go.

There, I meet several acquaintances and all of a sudden, here comes Gérard Besson, the restaurant chef with whom I have organised many of my dinners and my Casual Fridays. We are happy to see each other again, for the first time since he retired. We both want to see more of each other and I suggest: « Why not tomorrow? We are organising one of our dream team dinners, with very rare wines. » I quickly leave the auction and its insane prices, and send Gerard the wine list scheduled for the dinner. The following morning, he confirms that he will join us.

At the restaurant Garance, I open the bottles at 5:30pm. The scent of the 1961 Lafite is of angelic purity. The cork of the 1951 La Tâche is of very poor quality and, looking at it closely, it has apparently not been helped by a stay in an over-dry cellar. The level is low, the cork smells really bad and when you smell the neck, there is an unpleasant whiff. Tomo joins me and pours a little bit of the wine into a glass and it seems that the unpleasant smell only came from the neck itself. We can still hope. The aromas of the 1928 Margaux are seductive, and when Florent arrives with his 1926 Pontet Canet, I open it and a scent of a rare delicacy invades my nostrils.

I go to the ground floor to develop the menu with William Iskandar and together we determine some guidelines. Here is the organisation of the dishes on the menu, which I recreate from memory: traditional welcoming brioche / blue lobster, traces of orange cream / pollack, arugula and small onions / sweetbreads / shoulder of lamb, asparagus and onions / smoked almond sponge cake.

Our group consists of Tomo, Lionel, Florent, Jean-Philippe, Gérard Besson and myself. One of us being late, Guillaume Muller suggests we have a glass of Champagne Langlet Brut Grand Cru. The champagne does not inspire me and I can’t help myself and criticize the wine— »this champagne would make you fall in love with cider! » That is really spiteful. The 1964 Champagne Louis Roederer brought by Florent is still sparkling and of a nice amber colour. In the mouth it is pure fun, evoking beautiful orange fruits and also marc alcohol, strangely enough. This champagne is curious and exciting and promises to be a great companion to food.

Several times I have had the 1979 Champagne Mumm Cuvée René Lalou brought by Jean-Philippe: the bottle is splendid, but the champagne is a big disappointment, because it has aged too quickly and lost part of its liveliness. It is not bad but it is not what we were expecting.

The 1996 Château Rayas Blanc brought by Lionel makes me smile: it is love at first sight for this generous, easy-going wine, a really convincing dandy of a wine. With the lobster—whose portion size falls rather short of filling our appetiteit is perfect.

The 1964 Château Haut-Brion Blanc also brought by Lionel does not have enough panache to catch our attention. I cannot really say what its problem is, but it is not really focused, even though the lobster helps it a little.

The 1995 Bienvenues Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive that Gérard brought with him starts really strong. This powerful wine, of a rare balance, fills up your mouth and invades it with complex flavours. What fascinates me is the deep and penetrating pleasure it creates. This is the attack of the wine that sets the stage.

The 1989 Chevalier Montrachet Domaine Leflaive is served at the same time and offers lighter flavours. One could imagine that this is a losing battle for the Chevalier, but not at all. It picks itself up, unfolds it rich body and gradually takes over. Both wines are perfect and very different. I like the first one for its generous attack. I like the second for its opulent body and its nobility. I like both because they both showcase the greatness of white Burgundy wines. The perfectly cooked pollack pairs beautifully with both, probably slightly better with the Chevalier.

The 1928 half-bottle of Château Margaux which I brought is of petrifying perfection. Gérard ends up repeating at least a dozen times that he cannot believe that a half-bottle which is over 80 years old can remain so young. He even takes a closer look at the cork to make sure it is indeed original. Seductive, feminine, velvety—this wine has enough charm to make you cry. It has remarkable depth and density, and a grand finish.

Next to it, the 1926 Château Pontet-Canet brought by Florent, whose level is upper-shoulder, has charming aromas and a delicate velvety texture. Were it not served along with the Margaux, it would be the star of the show, being boosted by the great 1926 vintage. But the Margaux is just too damn brilliant.

To make sure that I would produce a good half-bottle of Margaux, I had brought three. Again and again my friends try to pressure me to open the other two. But I resist, especially because I want to remember the positive note of a perfect bottle. The sweetbreads are of great quality and throughout the meal, Gérard Besson keeps complimenting William Iskandar’s cooking. Coming from a MOF, Meilleur Ouvrier de France (Best National Craftsman in His Category), it says something.

I can obviously show no objectivity towards the wine I brought, a 1961 Château Lafite-Rothschild. Its fragrance is exceptionally deep with hints of graphite and truffle. In the mouth, the wine is dense, heavy, deep, but also complex and refined. This is a great wine with a never-ending finish.

Tomo’s 1951 La Tâche Domaine de la Romanée Conti is served alongside the previous wine. It has a low level but gives off a scent of rare persuasion. If one wanted to know what identifies a wine from the domaine, it would be exactly that. It makes me laugh because during a recent tasting of twenty wines from the Domaine de la Romanée Conti, one participant wanted me to exclude a 1942 La Tâche because its label did not include the names of the owners nor any indication of the number of bottles produced. This disputed bottle turned out to be the most brilliant of the tasting. This 1951 La Tâche has exactly the same label and sports the DNA of the domain without the tiniest shadow of a doubt. I would even say that it is almost a little exaggerated and excessive in its saltiness. The charm of this wine’s aromas is extreme. But, contrary to my friends who praise this wine, I find that it is not perfect. It has been through hard times, as its decayed cork can testify, and it has become slightly pasty. All its traditional characteristics are there, but lacking a little in finesse. This is almost insignificant, for the wine is convincing, dominant and full of charm.

The coexistence of both wines is possible. The Lafite is perfect, pure, and straight. The La Tâche is charming, seductive and complex. The lamb votes in favour of the Lafite.

The 1937 Château Rabaud-Promis brought by Jean-Philippe comes in a rather dirty bottle—which is actually irrelevant—and inside it, one can make out a very dark brown liquid. The nose is very Sauternes but slightly lacks in volume. In the mouth, it is a generous Sauternes with brown fruit, a little dusty, which would have created a superb pairing with the almond sponge cake had it been less smoked.

We are all impressed by the overall quality of tonight’s wines. Among them are some first-class bottles. Gérard still cannot believe that a half-bottle of 1928 can have such liveliness. Jean-Philippe gives first place to the 1928 Margaux. Almost everyone ranks the Lafite and the La Tâche immediately behind, either tied or with the La Tâche ahead.

My ranking is different because of the position of the La Tâche: I place 1 – 1928 Château Margaux half bottle; 2 – 1961 Château Lafite-Rothschild; 3 – 1989 Chevalier Montrachet Domaine Leflaive; 4 – 1995 Bienvenues Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive. Then would come the commendable performances of the 1951 La Tâche, of the 1996 Rayas Blanc and of the 1926 Pontet-Canet.

In times like these, we do not want to part ways, so we decide to dream of our future banquets and share a Chartreuse bottled very recently in Tarragone—far too young a bottle to have the complexity that is expected from this emblematic spirit. The date is set for a future dinner. These meals among friends are blessed moments.

Les miracles, ce n’est pas tous les jours jeudi, 30 mai 2013

Mon fils vient dîner à la maison et nous sommes seuls à grignoter cochonnailles et fromages. Je descends en cave et je prends en main un Ausone 1943. Enfer et damnation, le niveau est largement sous l’épaule. Si c’est comme cela, autant essayer de voir ce que donneront des bouteilles dont le ticket n’est apparemment plus valable. J’en avais repéré quelques unes, sans avoir le moindre espoir de bonnes surprises. Bien sûr, j’ajoute une bouteille saine, pour que la punition ne soit pas trop grande. Alors, allons-y pour le bal des éclopés.

Le Champagne Mumm Cordon rouge 1937 a un niveau baissé de moitié. Le bouchon tout recroquevillé est tout noir. Le parfum qui sort de la bouteille n’est pas désagréable, mais n’est pas précis. La couleur est trop grise. Du fait de l’odeur qui n’est pas détestable, nous attendons une bonne heure avant de le boire, mais le vin est trop déplaisant pour que nous insistions. Le score est : mort 1 – vie 0.

Le Meursault-Charmes Thomas Bassot 1950 a un niveau bas, mais pas extrêmement bas. C’est la couleur foncée qui n’est pas engageante. Le nez est poussiéreux. Le verdict est sans appel : mort sans possibilité de résurrection. Le score est : mort 2 – vie 0.

Le Château Gruaud-Larose Faure-Bethmann 1928 a un niveau nettement sous la moitié. Il n’y a rien à attendre. Et contre toute attente, le parfum du vin est doux et fruité. Le vin n’a aucune tension, mais il est buvable et ne pourrait tirer de grimace à personne. Mais de là à l’aimer, le pas ne sera pas franchi. Le score est : mort 2,5 – vie 0,5.

Le Château Ausone 1943 a un bouchon d’une qualité effrayante et sent horriblement. Le vin a une odeur qui n’est pas marquée comme celle du bouchon, mais il n’est pas brillant. Tout indique que le plaisir n’apparaîtra pas. Le score est : mort 3,5 – vie 0,5.

La conclusion à ce stade est claire : à un certain niveau de dégradation, le miracle n’existe pas, tout du moins aujourd’hui. Mais il fallait essayer.

Le Chateauneuf-du-Pape Ch. Bader-Mimeur 1961 au niveau parfait a un nez très expressif avec des intonations bourguignonnes. En bouche, le vin est puissant, fait apparaître son alcool et a des évocations de bois flotté, presque de thé en superposition à une force vineuse certaine. Il allie force et charme. Il est la récompense de notre approche précédente. Ce vin épanoui, plein et profond séduit par sa maturité.

Nous avions l’envie de comparer la Bénédictine de mon anniversaire avec une Tarragone des années 20 ouverte depuis longtemps. Hélas, en levant le bouchon je me rends compte que la bouteille est vide. Mais le parfum est tout aussi vivace que si la bouteille était pleine. Et la cause est entendue au nez, faute de pouvoir boire : le parfum de la Tarragone est dix fois plus racé et complexe que celui de la Bénédictine. Ce qui n’enlève rien à la séduction sucrée et florale de la Bénédictine.

Mon fils est la personne la plus propice à ces expériences de « spirites » qui tentent de ressusciter les morts. Ce soir, ça n’a pas marché. Mais ça ne nous empêchera pas de recommencer, car l’expérience nous a déjà démontré qu’il faut croire aux miracles, puisqu’il y en a.

Et fort heureusement, les bouteilles à bas niveau sont plus que minoritaires dans la cave.

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Wine rejected by the French Presidency mercredi, 29 mai 2013

Moët & Chandon s’est enorgueilli de son lien avec Napoléon et a créé le Brut Impérial

Pol Roger livrait Winston Churchill et a créé la Cuvée Winston Churchill

Veuve Clicquot Ponsardin était le fournisseur de la Cour d’Angleterre et marquait sur ses étiquettes « by appointment to her Majesty the Queen »

Avec la vente des vins de la cave de l’Elysée, on va pouvoir créer un nouveau label pour les Latour, les Lafite et autres Angélus :

« Wine rejected by the French Presidency« 

Dîner d’anniversaire au restaurant Laurent dimanche, 26 mai 2013

Changer de décennie, ça se fête. Le noyau dur des parents et amis se retrouve au restaurant Laurent, dans la salle du premier étage qui a accueilli de nombreuses fêtes qui jalonnent mes souvenirs. La forme utilisée pour ce dîner est celle des dîners de wine-dinners. Il portera donc le numéro 169, carré d’un nombre porte-bonheur.

Si le temps le permettait, l’apéritif aurait lieu sur la terrasse, préparée pour nous. Mais ce vilain mois de mai n’en finit pas de nous geler.

Dans un petit salon attenant à la grande salle à manger nous trinquons sur un Champagne Pommery « Cuvée Louise » Jéroboam 1990. Le bouchon résiste et se sectionne imposant de l’extirper au tirebouchon. Ce qui frappe instantanément, c’est le parfum généreux de ce champagne. Les fragrances sont riches, pénétrantes, de lourdes fleurs orangées. En bouche le champagne est d’une belle maturité et l’on sent l’effet du format de la bouteille, qui arrondit le vin d’une grande sérénité. Il emplit la bouche, s’élargit avec des notes de fruits exotiques. On le boit avec un infini plaisir. Les nems de gambas sont de pures délices.

Le menu conçu par Philippe Bourguignon et Alain Pégouret pour les vins est : mousseline citronnée et anguille fumée, asperges vertes / homard au beurre de sauge / jarret de veau de lait cuit doucement au jus, petits pois à la française / morilles farcies, lard fumé / pièce de bœuf poêlée, servie en aiguillettes, pommes soufflées « Laurent », jus aux herbes / saint-nectaire / soufflé chaud à la fleur de sureau

Le Champagne Krug Magnum 1989 est probablement l’une des formes les plus abouties du champagne racé. Ce vin a une tension extrême. Il claque comme un fouet mais il a aussi son gant de velours lié à l’épanouissement de son âge. C’est un très grand champagne à la longueur infinie et pénétrante, qui profite délicatement du picotement de l’acidité du plat. Il est à noter qu’en repassant sur le Cuvée Louise après une gorgée du Krug, le Pommery ne désarme pas et prouve sa pertinence, sur un registre plus posé.

Le Montrachet Roland Thévenin 1945 a une couleur légèrement ambrée qui me pousse à prévenir mes invités d’être attentif à la façon de le boire, car j’ai toujours peur qu’on pense qu’un vin est madérisé alors qu’il ne l’est pas. C’est la sauce du homard qui résout tous les éventuels problèmes, car elle propulse le Montrachet à des hauteurs qu’il n’aurait pas sans elle. Le vin est très original, car il est gracieux, légèrement fumé et tisané, et produit avec la sauce du homard l’un des plus grands accords de ce repas qui n’en manque pas.

Le Château Haut-Brion 1983 est la définition archétypale d’un Haut-Brion jeune. Il est d’une sensibilité extrême, avec une trame au point le plus fin. A côté de lui, le Château Calon-Ségur 1961 est la séduction même. Il est velouté et charmeur comme il est difficile d’imaginer. Pour toute la table, il est évident que le Calon-Ségur se place au dessus, mais plus le temps passera et plus je ressentirai la noblesse du Haut-Brion comme déterminante. Les deux vins sont dans un état de qualité proche de l’absolue perfection.

Les morilles sont probablement les meilleures que j’aie jamais mangées. Le Pétrus 1988 est d’une jeunesse folle, riche et émouvant. Pour mon goût, c’est la morille qui est dominante mais une chose est sûre, c’est que l’accord Pétrus et morille est le plus grand de ce repas.

Le nez du Clos de Tart 1978, c’est un coup de tonnerre. On devrait l’imposer aux haltérophiles à la place de l’ammoniac, car ils relèveraient la gageure d’Archimède : « donnez-moi un point d’appui et je soulèverai le monde ». Ce parfum tenace est envoûtant. En bouche, le vin est aussi pénétrant, bourgogne conquérant, sans concession, envahisseur et d’une force peu commune. Il a des amers d’une grande noblesse et c’est pour moi une forme aboutie du vin de Bourgogne que j’adore.

A côté de lui, le Châteauneuf du Pape Domaine de Mont-Redon Magnum 1978 est d’une grande solidité et d’une grande lisibilité. Mais il ne peut pas lutter avec la complexité énigmatique du vin bourguignon même si, en une autre circonstance, on le trouverait de grand plaisir.

J’avais envisagé que les quatre vins rouges qui suivaient les bordeaux se répartiraient région par région. Et en fait j’ai osé ces accouplements canailles pour chaque service d’un bourgogne et d’un vin du Rhône. C’était prendre un risque puisque fatalement il y a un gagnant et un perdant. Pour le bœuf, le Clos de Tart est le gagnant et pour le fromage le gagnant est la Côte Rôtie « La Mordorée » Chapoutier 1990, petite merveille de sérénité, de joie de vivre et d’accomplissement. Ce vin est le George Clooney des arômes.

Ce qui m’étonne le plus, c’est que je n’ai pas réussi à capter La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986. Son nez est superbe de subtilité, son goût a la grâce des vins du domaine, mais pour une raison que je n’explique pas, tenant peut-être à l’atmosphère rieuse et joyeuse du repas, l’étincelle de ce vin ne m’a pas touché. Et je n’ai aucun reproche à lui faire. C’est donc un grand étonnement.

A l’ouverture des vins, le grand gagnant des parfums, bien au dessus du Clos de Tart, c’était le Château Roumieu Barsac 1937. Il a gardé un parfum exceptionnel, mais moins puissant que celui du Clos de Tart. Ce vin est merveilleux, très marron foncé, évoquant le thé et une soupe de fruits délicats. Avec le soufflé à la fleur de sureau, l’accord est une merveille. Un tel vin est porteur d’une grande émotion, atypique et sensuel.

Ce n’est pas facile de trouver un vin ou un alcool qui ait juste cent ans lorsqu’il s’agit de 1913, car on ne trouve quasiment plus rien de ce millésime. J’ai toutefois trouvé dans ma cave un Marc de Bourgogne Chauvet 1913. Le liquide est très blanc, pâle, d’un aspect très jeune. Il est d’une complexité très rare pour un marc. Bien sûr il a le côté paysan en sabots fourrés de paille du marc traditionnel mais je trouve qu’il ajoute un supplément d’âme. Il est riche, complexe et séduisant. Je l’adore.

Le « greatest », qualificatif attribué à Mohamed Ali, c’est de loin la Bénédictine (vers 1940). J’indique cet âge, mais je ne serais pas étonné que la bouteille soit plus vieille. Le liquide blanc que l’on verse dans le verre coule comme une huile épaisse. En bouche on est envahi par une lave de sucre d’où éclosent des bouquets de fleurs de printemps inimaginables. Je suis envoûté par cette liqueur qui est de la qualité des plus belles Tarragone.

Nous sommes vingt-deux aussi est-ce impossible de faire voter tout le monde. Mon vote sera le seul à consigner dans les archives : 1 – Bénédictine (vers 1940), 2 – Clos de Tart 1978, 3 – Château Haut-Brion 1983, 4 – Château Calon-Ségur 1961, 5 – Champagne Krug magnum 1989. Plusieurs amis n’auraient pas mis Haut-Brion aussi haut et auraient mis le Château Roumieu juste après le Clos de Tart. Ces jugements sont pertinents.

Les accords les plus grands sont à mon goût : 1 – Pétrus et morilles, 2 – Montrachet et la sauce du homard, 3 – Château Roumieu et soufflé à la fleur de sureau.

J’ai été submergé de cadeaux. L’atmosphère était aux rires. Le service du restaurant Laurent est remarquable et la cuisine d’une pertinence rare. Ce fut un grand repas.

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