Déjeuner de travail au restaurant Alain Senderens vendredi, 24 mai 2013

Déjeuner de travail au restaurant Alain Senderens. Les après-midis seront studieux, aussi sommes-nous sérieux.

Le repas est sans vin.

Je prends les asperges vertes du Vaucluse avec une émulsion froide aux truffes noires et un turbot rôti, artichaut poivrade et olives Taffiasche.

La cuisine est d’une exécution remarquable. Les produits sont de toute première qualité. Le service est attentionné.

C’est une belle table de Paris.

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Déjeuner au restaurant Michel Rostang avec un exquis chambertin vendredi, 24 mai 2013

Je propose à un ami de déjeuner pour papoter. Nous nous retrouvons au restaurant Michel Rostang. Les suggestions sont toujours tentantes mais nous nous en tenons aux alléchantes propositions du menu du déjeuner au budget hollandien, c’est-à-dire normal. Ce sera asperges vertes et maquereau mariné, coulis de poivron rouge et agrumes confits pour l’entrée et épaule de cochon de lait confite au beurre, grenaille « Mitraille » et artichauts poivrade rôtis pour le plat principal. Le Champagne Charles Heidsieck Blanc des Millénaires 1995 est une petite merveille de champagne. Il frisote, il tintinnabule, il est l’expression romantique frissonnante du champagne. Il est totalement champagne et c’est assumé. C’est comme le French Cancan que des générations successives découvrent identique à lui-même. On est bien avec ce champagne droit, solide, carré, mais délicat comme l’oscillation incessante et tentatrice des jupes des méduses.

C’est Alain qui nous suggère le Chambertin domaine Denis Mortet 1999 dont il est amoureux. Ce vin est redoutable. C’est l’exacerbation du pinot noir. Vin sans concession, aux amers redoutables qui claquent comme des fouets, il m’envoûte par sa volonté de ne pas plaire. Il n’en est que plus redoutable. Chaque gorgée est pour moi un divin plaisir, celui de l’initié, membre d’une secte, celle des amateurs qui savent que le pinot noir est grand quand il ne veut pas plaire. Je frissonne à chaque gorgée tant le vin surjoue son authenticité. Un vrai bonheur. Le cochon de lait est tellement fondant qu’il pourrait accompagner tout grand vin, qu’il soit rouge, blanc, voire même liquoreux. Il met en valeur le soyeux du chambertin.

Le service chez Michel Rostang est un plaisir. On se sent membre d’un club d’amis quand on s’assied. Alain fait un travail de sommellerie remarquable. Le directeur de salle est tentateur, et c’est son rôle. L’asperge et le maquereau sont bons, chacun dans son registre mais ne créent pas une copulation gustative évidente. En revanche, le cochon de lait est un morceau majeur de la gastronomie française. Quand on passe l’huis du restaurant après ces agapes, on sait que l’on a passé un grand moment.

(les photos prises avec mon nouveau téléphone portable sont de piètre qualité)

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Deux chefs étoilés cuisinent avec des élèves internationaux de l’école Ferrandi mercredi, 15 mai 2013

Atteignant l’hôtel à Reims après la belle soirée Roederer, je trouve un mail de Jean-Philippe qui me dit : « Alexandre Couillon, le nouveau 2 étoiles de Noirmoutier, est à Paris demain pour un dîner à 4 mains avec Nicolas Masse (1 étoile aux Sources de Caudalie)« . Il me propose d’y aller avec lui. Sans réfléchir, je dis oui.

Il joint le menu proposé ainsi rédigé : Amuse-bouches : couteaux de mer, saveurs de soupe de poisson de roche (NM) – – crème glacée aux petits pois, fraise (AC) / Entrée : tartare de bar aux épices douces, sorbet de poivrons rouges grillés, raviole de betterave (NM) – – grosses asperges verte française, crème de moule, salicorne et ail des ours (AC) / Poisson : dos de cabillaud en feuille végétale, asperge blanche des landes viennoise, jus chlorophylle (NM) – – lieu jaune de ligne basse température, crème de poivrons rouge râpé de choux fleur (AC) / Viandes : poitrine de pigeon en peau d’artichauts blanc, agria fondantes aux abattis, jus a la cardamome (NM) – – suprêmes de volaille fermière jaunes, melon et poireau grillé, lait d’étrille (AC) / dessert : au printemps de saveurs des douceurs : pistache, fruits rouges, coco, chocolat.

Il est évident que cela a influencé ma décision. Le lieu du rendez-vous est le restaurant « Le Premier » de l’école Ferrandi, la prestigieuse école française de gastronomie qui forme de futurs chefs du monde entier. L’invitation est lancée par les départements « développement international » et « restauration et Arts de la Table ». Le menu est signé et réalisé par Alexandre Couillon de La Marine à Noirmoutier et par Nicolas Masse de La Grand’Vigne du château Smith Haut-Lafitte.

Les plats sont réalisés par les étudiants internationaux, encadrés par leurs chefs formateurs, sur les conseils des deux chefs invités. Le service est assuré par les étudiants BTS restauration et arts de la table.

Lorsqu’on entre à l’école, on est face à une architecture froide, où l’idée que l’on puisse faire du beau a été limée par les contraintes budgétaires. La salle à manger est passe-partout mais on note que les tables ont des nappes, ce qui, à l’évidence, fait partie de la formation des jeunes serveurs. Le jeune garçon et la jeune fille qui nous ont servis ont fait un travail digne d’éloges.

La carte des vins du lieu est très chiche. Il est probable que des vignerons seraient heureux de sponsoriser l’enrichissement de cette carte. En attendant la charmante blogueuse que Jean-Philippe avait conviée, nous buvons un Champagne Taittinger Brut sans année bien agréable à boire et sans histoire. La surprise est que chacun n’a droit qu’à l’un des deux plats proposés pour chaque étape. Et l’école suggère que le nombre de plats commandés de chaque branche de l’alternative soit le même, car les jeunes chefs feront strictement le même nombre d’assiettes de chaque plat. Trois n’est pas divisible par deux aussi nous décidons de commander quatre repas, soit deux plats de chaque chef que nous partagerons au gré de nos envies.

Les plats que j’ai aimés, sans chercher à savoir qui les a faits sont le couteau, particulièrement goûteux, le tartare de bar et aussi les asperges vertes, le lieu jaune et le pigeon. L’exécution de ces plats par les élèves a été de grande qualité. Le Beaune blanc Bouchard Père & Fils 2005 au nez puissant et fort goûteux et très imprégnant en bouche a remarquablement suivi le repas, y compris le pigeon !

Mais l’important de ce repas, c’est le travail en commun. Deux chefs étoilés sont venus pour motiver des étudiants de tous les pays. Ils ont poussé les élèves à se dépasser, mais aussi les chefs instructeurs. C’est cette ambiance de générosité (Alexandre s’était levé à quatre heures le matin même pour venir de Noirmoutier), d’émulation et de gentillesse qui fait la valeur de cette expérience. Jean-Philippe a retrouvé beaucoup de blogueurs de la gastronomie avec lesquels nous avons bavardé assez tard. Décidément, les expériences de dîners à quatre mains, et ici plus de quatre puisqu’il y a les élèves, sont de belles aventures humaines. Bravo à l’école Ferrandi qui porte très haut les valeurs de l’art culinaire et de la gastronomie.

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Vins tranquilles et de beaux Cristal à la maison Louis Roederer mardi, 14 mai 2013

La maison de champagne Louis Roederer reçoit quelques clients importants et m’a incorporé à ce groupe. Ayant mal lu la lettre d’invitation, c’est avec plus d’une heure de retard que je me joins à eux. D’aimables hôtesses m’aident à retrouver mon groupe de visite avec une gentillesse évidente.

La visite des caves est terminée mais j’ai le temps de voir les chaînes d’embouteillages du Brut Premier. Jean-Baptiste Lécaillon, DGA et chef de caves nous propose de faire une mini-verticale de vins tranquilles qui proviennent des parcelles du Cristal Roederer. Ces vins vieillissent en foudres et serviront soit au Cristal, soit à enrichir le Brut Premier, car il sont une sorte de bibliothèque du Cristal.

Le Vin tranquille Cristal Roederer 2012 nous est apporté dans une bouteille, car il est prélevé non pas dans une cuve bois mais dans une cuve inox. Ce vin est à 60 % pinot noir et 40% chardonnay. Il a un nez de miel et évoque aussi le pamplemousse. Il est très vert, très citron vert et offre beaucoup de matière. Le final est celui d’un bonbon acidulé. Il est caractérisé par son acidité et son fruit vert. Jean-Baptiste Lécaillon est très fier de son 2012.

Le Vin tranquille Cristal Roederer 2011, comme les suivants, est prélevé d’un fût bois. Il est plus buvable, un peu laiteux, évoquant la crème de lait. Il a une belle acidité et une belle matière. Ce qui me frappe, c’est la continuité entre les deux vins, même si leurs personnalités sont distinctes.

Le Vin tranquille Cristal Roederer 2009 est d’une belle acidité, avec cette même continuité. Il est toujours bonbon acidulé, mais il est plus vineux. Il est plus massif, un peu fermé et ne demande qu’à s’ouvrir.

Le Vin tranquille Cristal Roederer 2008 a beaucoup moins d’acidité. Il est plus fruité. Il a une belle longueur. Je le trouve très beau. Il est droit et précis.

Le Vin tranquille Cristal Roederer 2007 a un nez qui m’évoque la liqueur de framboise que l’on retrouve dans les bourgognes anciens. C’est le premier qui soit très paisible. Il est raffiné. Il évoque les fruits rouges et le végétal. Il est élégant et plaisant.

Le Vin tranquille Cristal Roederer 2006 est plus massif, plus solide mais aussi plus passe-partout. Son côté rassurant bride l’émotion.

Le Vin tranquille Cristal Roederer 2005 est élégant et raffiné. Il est magnifique. J’adore son fruit doré très joli. Lorsque je dis que son final évoque le roudoudou que l’on lèche, beaucoup ne connaissent pas ce coquillage empli d’une pâte de fruit solide comme celle d’une sucette. Seule, la jolie hôtesse qui nous guide est confondue par la pertinence de cette comparaison, car ce 2005 « est » vraiment roudoudou ! Nous en rions tous.

Le Vin tranquille Cristal Roederer 2002 est solide, carré, accompli. C’est un très grand vin. Je sens la noisette. Il est très frais, long, superbe.

Le Vin tranquille Cristal Roederer 2000 a une belle acidité. Je ressens l’ananas et les fruits exotiques. Le final est un peu court, mais c’est un vin charmant, car il « cause ».

Cette dégustation des vins tranquilles qui seront utilisés pour garder la mémoire du goût du Cristal, pour faire les futurs Cristal et pour enrichir des Louis Roederer est extrêmement intéressante, car nous suivons l’évolution de l’âme de Cristal Roederer.

Nous nous rendons dans la demeure de Frédéric Rouzaud pour déjeuner avec lui. Cette demeure date des années 1860 et Frédéric y a vécu dès l’âge de trois mois. Les souvenirs familiaux abondent, puisque Frédéric est de la sixième génération de cette maison familiale. La décoration est très bourgeoise raffinée du milieu du 19ème siècle. Il n’y a aucune faute de goût.

Dans le beau salon, nous goûtons le Champagne Louis Roederer Brut Premier magnum dégorgé en 2006. La dégustation des vins tranquilles assez austères a préparé notre palais au charme de ce vin. Il s’étale voluptueusement dans notre bouche. Il est très plaisant à boire, de belle maturité.

Nous passons à table et Frédéric Rouzaud avait prévu que nous ferions un piquenique informel dans le jardin. Mais le ciel ne l’avait pas prévu. Des brochettes de crevettes et coquilles Saint-Jacques accompagnent un Clos Mireille domaine d’Ott 2011. Ce vin a un nez très vert. C’est un bambin qui est mis en valeur par les champagnes qui précèdent. Il a une belle tension et une minéralité sensible.

Le Château de Pez 2000 est très tannique. Il a le côté carré des vins de 2000. S’il est plaisant, s’il remplit bien la bouche, il manque quand même un peu de complexité. Il est très probable qu’il l’obtiendra avec quelques années de plus.

Frédéric Rouzaud voulait que nous prenions le dessert avec un porto d’une des propriétés de son groupe, mais contre tout savoir-vivre j’ai suggéré que nous revenions au champagne pour ne pas handicaper la suite de notre programme. Et j’ai bien fait d’être impertinent, car le Champagne Louis Roederer rosé 2007 à la couleur élégante de rose pâle est agréable et délicat et accompagne le dessert avec une pertinence absolue.

Après ce déjeuner qui se voulait sur l’herbe mais fut indoor, nous avons visité un pressoir et des vignes pour mieux connaître la recherche d’excellence de la maison Roederer dans les moindres détails. Rejoignant notre hôtel, je suis tombé dans les bras de Morphée car un grand dîner nous attend.

Le dîner se tient au même endroit que le déjeuner et c’est Jean-Baptiste Lécaillon qui nous reçoit.

L’apéritif se construit autour du Champagne Cristal Roederer magnum 2002 qui a une belle matière et un final un peu court. Le vin me semble un peu épais et on sent qu’il appelle des mets. Il est peut-être dans une phase ingrate.

Nous passons à table. Le Champagne Cristal Roederer 1996 est géant. Ça, c’est du champagne. Il a une fraîcheur et une jeunesse extrêmes et ce qui me frappe, c’est sa vivacité. Comme la bouteille s’assèche très vite, le deuxième Champagne Cristal Roederer 1996 est l’opposé du premier. Il est plus consensuel, plus assis, moins tendu. Bien évidemment, c’est le premier que je préfère du fait de sa vivacité. Mais comme le dit à juste titre Jean-Baptiste, c’est probablement le second qui est le plus gastronomique. Le homard dont la chair est délicieuse est un peu assoupi par une purée qui eût gagné à être dissociée du crustacé. Le risotto du chef est diabolique pour mettre en valeur les vins.

Le Champagne Cristal Roederer 1993 est la délicatesse incarnée. Sur un veau aux morilles il crée un accord d’une sensibilité à se pâmer. C’est un accord de première grandeur et le champagne dans cette fragilité superbe est d’un charme infini.

Le Champagne Cristal Roederer 1995 entraîne ce commentaire d’un des convives : « ça sent le printemps » et Jean-Baptiste adore ce compliment. C’est un champagne superbe, avec beaucoup de fruits blancs et de fleurs. Il est assez vineux. A côté de lui, le 1993 est plus calme.

Le Champagne Cristal Roederer rosé 1995 a une couleur d’un rose tellement pâle qu’on douterait qu’il s’agisse d’un rosé. Et le doute continue en bouche puisqu’il est plus champagne que champagne rosé. C’est un vin fascinant qui est magique, insaisissable et intemporel.

Si je devais classer les vins de ce dîner, ce serait le 1995 rosé, le 1993, le 1995 et le 1996. C’est donc un classement qui ne correspond pas à la hiérarchie des millésimes. Mais Cristal Roederer a tant de ressources qu’il aime brouiller les pistes.

Nous avons bénéficié d’un accueil remarquable et généreux. Après une journée aussi riche, Cristal Roederer garde pour moi encore beaucoup de mystères. Il va falloir que je revienne, pour en savoir un peu plus sur ce champagne diablement attachant.

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embouteillage et muselets

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piquenique

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la vigne

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le dîner

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couverts en vermeil, quel plaisir !

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Jean Sulpice et Stéphane Rossillon jouent à quatre mains sur les champagnes Selosse aux Avisés mardi, 7 mai 2013

Lorsqu’Anselme
Selosse a décidé de se lancer dans l’hôtellerie et la restauration, on pouvait se demander : que va-t-il faire dans cette galère ? Force est de constater que c’est un plein succès. Jean-Philippe m’avait dit il y a quelques semaines : il y aura un dîner à quatre mains à l’hôtel les Avisés d’Anselme avec le jeune chef Jean Sulpice, le chef étoilé le plus haut du monde, puisque son restaurant L’Oxalys est à Val Thorens. Sans réfléchir je réponds instantanément : nous venons, mon épouse et moi.

A 17 heures nous nous présentons aux Avizés ou Avisés selon les orthographes possibles, et Anselme nous accueille. Notre chambre est ravissante, d’une décoration raffinée réalisée par Corinne Selosse. Jean Philippe nous rejoint et nous allons serrer les quatre mains, celles du chef Stéphane Rossillon et celles de Jean Sulpice, mais aussi celles des commis, celles de Nathalie, l’épouse de Stéphane, celles de Magali, l’épouse de Jean, celles de Coralie, directrice de salle de l’Oxalys, que nous avons connue à Casa del Mar.

Assez rapidement, je déclare une grande soif et Anselme va chercher en cave un Champagne Selosse magnum 1997. Ce champagne qui claque sur la langue m’évoque le feu et Anselme me demande : quel feu ? Je réponds : la cendre et Anselme sourit, car la cendre fait partie de ce qu’il cherche à exprimer dans ses champagnes. Ce champagne est très agréable à boire et nous picorons des petits dés de féra fumée du lac Léman. Je lui trouve un petit manque de longueur et on dirait qu’Anselme a lu dans mes pensées car il va chercher un Champagne Selosse 1990. Comme dans les films de science-fiction nous changeons de dimension, car la première caractéristique de ce 1990 est l’insondable profondeur. Il est riche, plus large que le 1997 mais incroyablement plus profond. C’est une magnifique réussite.

Si Anselme ouvre un Champagne Selosse 1999, ne croyez surtout pas que c’est pour boire. Non, non, c’est seulement pour la science : c’est pour comparer avec les deux précédents. Et comme nous buvons tout cela en cuisine, on notera bien que seul nous guide l’impératif didactique. Ce qui est étonnant, c’est l’abondance du fruit dans ce 1999. J’en fais la remarque à Anselme en suggérant que ce n’est peut-être pas la direction qu’il recherche. Mais Anselme me dit que cette voie fait partie de celles qu’il explore. Dans la cuisine, ce ne sont que rires, joie, remarques aimables et le travail se fait, dans le calme, sans stress. Alors que Stéphane et Jean vont jouer ce soir une partition à quatre mains importante, c’est la sérénité qui règne.

Sur la terrasse face à la colline, les premiers participants au dîner arrivent. Il y a un fort contingent de Vertus, commune voisine, dont deux ou trois vignerons et leurs épouses. Nous bavardons en portant des toasts avec un Champagne Selosse 2000 très pur, équilibré, carré et droit. Le tempura de grenouille, ail et persil de Jean plante le décor : c’est raffiné et parfait.

Le menu mis au point par les deux chefs est ainsi composé : œuf de cailles poché dans un sirop, fine gelée de concombre, féra fumée, fleurs de bourrache et feuilles d’oxalis / l’asperge et la queue de langoustine à l’anis vert grillé à la plancha, jus des pinces émulsionné à l’huile d’olive Taggiasca / filets de perche du lac Léman, crémeux pistache et émulsion citronnelle et gingembre / râble de lapin infusé au serpolet, jus de moules au chorizo / le pigeon en croûte de sel à la verveine purée de petits pois et légumes de printemps / la selle d’agneau de lait des Pyrénées roulé au chèvre et menthe fraiche, datte medjoul et pilaf de quinoa au citron confit / rhubarbe pochée dans un sirop d’épices, blanc-manger au lait d’amande et miel de montagne / millefeuille craquant de chocolat noir, ganache à la confiture de cassis, sorbet persil / la Chartreuse flambée sur coque de chocolat, sorbet mure.

Etant placé à côté de Jean-Philippe et en face d’Anselme, de Corinne et de leur fils Guillaume, il est certain que j’ai été captivé par nos discussions, ce qui m’a conduit à accumuler des impressions plus que des analyses. De ce repas, je retiens l’œuf, absolument superbe, le râble de lapin très équilibré et très propice aux accords mets et vins, le pigeon remarquable, avec la verveine qui excite le champagne, la très belle selle d’agneau, le blanc-manger aérien, et les desserts de haut niveau. Mais le charme venait surtout de l’ambiance en cuisine, avec le sourire des deux chefs, leur complicité et l’engagement de tous y compris des jeunes commis.

Les champagnes, tous de Selosse, ont particulièrement collé aux plats et comme je buvais les paroles d’Anselme, je me suis laissé bercer par les vins marqués par une grande pureté. Champagne Selosse 2000, Champagne Version Originale Selosse, Champagne Selosse 2003 que j’aime particulièrement, Champagne Les Carelles Selosse 2003, Champagne Selosse 2002 promis à un grand futur, Champagne Selosse 1999 très original, Champagne Lubie rosé Selosse très agréable et subtil, Champagne Exquise Selosse et enfin le ratafia « Il était une fois » de Selosse.

La passion d’Anselme est assez fascinante. Il sait mettre des mots sur le rythme des saisons, l’influence de tel ou tel événement climatique, de tel ou tel élément minéral sur le futur et le présent d’un vin. Il est en permanence en réflexion et en interrogation. Il le fait avec beaucoup de sagesse et de gentillesse. Corinne est aussi passionnée que lui, décoratrice hors paire de ce lieu charmant.

Jean est un chef formé par Marc Veyrat qui est en pleine ascension, ce qui n’est pas le jeu de mots facile, mais une réalité. On le sent prêt à assumer une cuisine de haute création. Magali parle des vins avec des commentaires judicieux. Stéphane fait une cuisine solide de haute sécurité et Nathalie tient la maison avec discrétion et efficacité.

Si je devais tirer quatre fleurs de ce bouquet flamboyant, ce serait le râble, le Selosse 1990, le sourire de Jean, mais surtout l’atmosphère de félicité et de complicité qui a marqué cette soirée.

Après trois expériences de dîners à quatre mains, il semble évident que cette formule est extrêmement féconde pour les chefs mais aussi pour ceux qui profitent de leur cuisine.

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Dîner au restaurant La Vague d’Or à Saint-Tropez, nouveau trois étoiles mercredi, 1 mai 2013

La Réserve de la Pinède à Saint-Tropez est un coin de paradis. Imaginez un triangle dont les côtés ont des chambres ou des suites face à la baie de Saint-Tropez et dont l’hypoténuse est une délicieuse plage de sable fin. L’intérieur du triangle est une pinède élégante où sont semées de jolies tables et d’attirantes chaises longues. Face à la mer, au soleil couchant, nous prenons un Champagne Dom Pérignon 1996 qui confirme, une fois de plus, qu’il est une réussite majeure. Le champagne est floral, évoque les fruits blancs, mais c’est surtout sa vivacité et sa persistance aromatique qui enchantent.

Les amuse-bouche sont d’inégal intérêt, le tempura de langoustine étant une petite merveille.

Pour choisir ce champagne, j’avais consulté la carte des vins où il est facile de repérer ce qui est prévu pour le touriste russe et ce qui est prévu pour l’amateur de vin. Il y a quelques bonnes pioches, mais la carte des vins n’a pas encore le niveau de variété que doit avoir un restaurant trois étoiles. Car Arnaud Donckele, le jeune chef, vient de décrocher la troisième étoile pour son restaurant La Vague d’Or, niché dans cet hôtel. Trop rapide sans doute, j’ai commandé deux vins rouges. Le très compétent directeur, Thierry di Tullio, aurait dû stopper ma commande, ou le sommelier, car les vins ont joué à contremploi. Mais le caractère décidé et péremptoire de ma commande les en a peut-être dissuadés.

Nous passons dans la grande salle à manger où un peintre expose ses toiles. Tous les goûts sont dans la nature, mais ce n’est pas le mien. Les tables sont espacées et l’atmosphère du lieu est cosy. Le service est impeccable, attentionné et compétent. Lorsque notre compétente et jolie serveuse reprend les ronds de serviette en faïence avec fourchette et cuiller, on ne peut que sourire. Le fait de ramasser les miettes après chaque plat est un plaisir qui devrait être la norme. Bravo.

Le menu que nous avons choisi est la « balade épicurienne » : sériole et chair d’esquinado marinés à la mandarine Berlugane, feuilles de farigoulette, primeurs et herbacés à cru / langouste puce et saint-pierre, coupés en fines tranches, une gelée abyssale, anglaise de corail au yuzu et mélisse / la pâte zitone de foie gras truffé, gratinée au parmesan, artichauts violets étuvés au basilic / courbine meunière déglacée au jus de vernis et braisée longuement, sabayons d’estragons et sudachi, king-crabe enrobé de ses sucs, asperges fondantes et d’autres croquantes et croustillantes / granité à la fleur de thym, sorbet fenouil de Florence, une flanquée d’absinthe / l’esprit d’un pot-au-feu de volaille et homard, le jardin y distille le parfum de légumes, d’herbes et gingembre rose / lactée de brousse du Rove, caillé de brebis au miel de safran de la Môle, yaourt Caillolais de Marseille, poire en deux textures et huile de bouteillan / accord entre la pomme de Manosque et le combava, l’éphémère d’un soufflé chaud, texture en superposition glacée.

Mon potentiel au Scrabble va s’enrichir d’un coup, car il y a la moitié des mots de ce menu que je ne connais pas. Avant de parler de la cuisine, parlons un peu des vins. J’avais imaginé que le bourgogne viendrait avant le vin rhodanien mais devant la complexité du menu, j’ai demandé que les deux vins soient servis ensemble pour que nous puissions choisir l’un ou l’autre pour chaque plat. Et nous avons pu vérifier ce que je constate souvent, c’est que pour un plat déterminé, c’est un des vins qui est adapté, et jamais les deux. Le Corton rouge Bonneau du Martray 2009 a été brillant pendant toute la première partie du repas alors que le Domaine de Trévallon Vin de Pays des Bouches du Rhône 2001 a ensoleillé la deuxième partie. Inutile de dire que pour certains plats, il a fallu recalibrer le palais en mordant le délicieux pain servi à satiété.

Le Corton 2009 est un vin d’une subtilité rare. Il est soyeux, délicat mais pénétrant en même temps. Il joue en permanence sur son raffinement. Tout en lui est noblesse et j’ai les yeux de Chimène pour ce vin de Corton. Il est jeune bien sûr, mais il est encore dans la période où sa jeunesse triomphe.

Le Trévallon 2001 est nettement moins complexe que le Corton, mais la comparaison n’a pas de sens, car ils ne jouent pas sur le même registre. Ce vin est de soleil, puissant avec ses 14°, direct, s’imposant par sa cohérence. Il est généreux, précis, de belle mâche et emporte nos suffrages par son enthousiasme. Au final, nous classerons, Philippe et moi le Dom Pérignon, puis le Corton puis le Trévallon.

La cuisine d’Arnaud Donckele est résolument tournée vers le produit local de qualité. Il explore des saveurs combinées avec une belle richesse imaginative. L’exécution des cuissons est un modèle du genre. Je serais mauvais juge de cette cuisine car j’attends qu’elle soit tournée vers le vin, ce qui n’est pas le cas de celle-ci. Lorsque je m’en suis ouvert à Arnaud, il m’a dit qu’il a fait immerger dans les eaux d’un banc d’huîtres des bouteilles de vin blanc pour qu’elles captent de l’iode qui s’harmoniserait à sa cuisine. L’intention est louable, mais ne couvrira qu’une facette de sa cuisine. A ce jour, c’est le champagne qui accompagnera idéalement la cuisine d’un chef inventif et créatif.

Je l’aimerai encore plus lorsqu’elle visera la cohérence des plats en pensant aux vins. Il ne fait pas de doute que ce chef est promis à un bel avenir, dans un cadre féerique, avec une équipe dont la compétence et le sens du service est à signaler. Le chef a dédicacé d’un mot charmant nos menus où figurent les noms mais aussi les images des étiquettes des vins. C’est une délicate attention, très représentative de l’esprit du lieu.

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Féerie de Haut-Brion dans le sud dimanche, 28 avril 2013

Henri, ami de longue date est l’ami d’enfance de ma voisine dans le sud. Il lance l’idée d’un dîner de Haut-Brion chez son amie. Je propose d’apporter des Haut-Brion mais il m’est dit qu’il y a ce qu’il faut, car en plus des apports d’Henri choisis par son fils Jean, il y aura ceux d’Olivier. Je prends donc en charge le champagne final. Ma femme collabore avec la maîtresse de maison et réalise plusieurs moments du menu. Les conditions sont remplies. Nous voilà dans le sud.

A 17 heures, je viens ouvrir les bouteilles. Les parfums sont très engageants, sauf celui du Haut-Brion 1978 qui est une menace de bouchon. Pour encourager le travailleur, Henri ouvre un Champagne Dom Pérignon 2003 absolument parfait. Alors que depuis quelques mois j’hésite sur ce 2003, celui-ci est d’un épanouissement idéal, floral et évoquant les groseilles blanches. Il est magnifique de percussion, de joie et de noblesse. Je me rends compte que Richard Geoffroy a vu juste en faisant ce champagne difficile à faire compte tenu des conditions climatiques. Il a pris un pari et l’a réussi. Le bouchon du Haut-Brion 1933 part en charpie, s’émiettant tout au long de sa montée, mais le parfum est divin, de coulis de fraise subtil.

A 20 heures, nous prenons l’apéritif avec de multiples saveurs, œufs de cabillaud, tartines d’oursins, œufs de saumons sauvages, sur un Champagne Mumm sans année qui a l’intelligence de sa politesse. Le Champagne Ruinart rosé qui le suit est aussi politiquement correct, c’est-à-dire agréable et sans folie.

Les choses sérieuses commencent à table. Ma femme a préparé un foie gras avec une gelée délicate à la réglisse qui se devine à peine. Elle est idéale pour un Château Haut-Brion 1969 qui est très au dessus de ce que son année suggère. C’est un beau Haut-Brion velouté, serein, délicat et subtil, joliment épanoui. Il n’est pas tonitruant mais il joue juste.

Les homards sont cuits à la perfection, c’est-à-dire quelques secondes de moins que ce que tout le monde ferait. Le Château Haut-Brion 1993 à la couleur presque noire est infiniment plus puissant que ce que son année indiquerait. Ce n’est pas le Haut-Brion tel qu’on l’attend. On sent que le vin surjoue. Ce n’est pas qu’il serait mauvais, car il se boit avec plaisir, mais il a un petit goût de « too much ».

L’accord qui vient sur le homard avec le Château Haut-Brion 1981 est saisissant d’exactitude. Il y a une vibration entre le plat et le vin qui est un grand moment de bonheur. C’est avec de tels accords qu’on aime la gastronomie. Le vin est l’archétype du Haut-Brion dans les années moyennes, qui réserve toujours des surprises positives. Il est précis, profond, d’une grande authenticité.

L’agneau cuit à basse température avec des petites pommes de terre à la provençale est fondant à souhait. Si le Château Haut-Brion 1978 est vite éliminé pour son goût de bouchon qui, même discret, gauchit irrémédiablement le goût, le Château Haut-Brion 1976 est impérial, joyeuse définition du beau Haut-Brion d’une année solaire. Ce vin épanoui, velouté, ensoleillé, joue juste, car tout en lui est exactement dosé. C’est du travail de précision. On le boit avec gourmandise.

Le Château Haut-Brion 1933 nous fait changer de planète. Ce vin a un parfum d’une intensité rare. On trouve en lui des coulis de fruits rouges. Un ami répète à l’envi que ce vin sent Yquem. C’est vrai qu’il y a un peu de douceur dans ce vin, mais on est très loin d’Yquem. En bouche le vin est très vif, étonnamment vif. Il est très sec, droit, aiguisé comme un couteau, mais il mêle à cela une douceur et un velouté diaboliques. Ce vin est d’une qualité extrême, stratosphérique par rapport aux précédents, à la longueur infinie.

Sur d’excellents fromages mais surtout sur un fromage de brebis bien ferme et frais, le Château Haut-Brion blanc 1970 à l’acidité bien raisonnée et à l’évolution agréable impose sa puissance. Sa force de persuasion est extrême et sa matière vineuse est exceptionnelle. Si l’on peut comparer, le blanc de Haut-brion est plus précis et riche que les rouges.

Le dessert a été composé par mon épouse, salade de mangue avec des madeleines et des arlettes. Le Champagne Krug Vintage magnum 1990 est impressionnant de puissance. Il efface tout ce qui lui résiste et c’est pour cela que j’ai préféré qu’il ne soit pas servi en même temps que le Haut-Brion blanc. Ce champagne racé, pénétrant est d’une richesse aromatique envahissante. Il est idéal pour cette fin de repas.

Le classement des vins évolue tout au long du repas. Les avis sont différents. Mon classement personnel est :1 : Château Haut-Brion blanc 1970, 2 – Champagne Krug Vintage magnum 1990, 3 – Château Haut-Brion 1933, 4 – Château Haut-Brion 1976.

Ce repas fut un travail d’équipe entre Henri, ma voisine et mon voisin, mon épouse et moi pour réaliser un de ces repas dont on est fier quand on est au point final. Car les accords furent merveilleux, les plats sincères et les vins éblouissants. Le plus vibrant accord fut celui du homard avec le Haut-Brion 1981. Alors, ça donne envie de recommencer. L’idée est dans l’air.

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la table avant et après le repas

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Dîner impromptu au Taillevent avec Vannières 1983, Gilette 1943, Clos Joliette 1970 mercredi, 24 avril 2013

Nous voulions avec ma femme profiter du sud après un hiver qui n’en finissait pas. Les billets sont pris, ma femme partant plus tôt que moi. Sans que j’y prenne garde, elle ne sera pas là le jour de mon anniversaire. Par je ne sais quelle préscience, Jean-Philippe me demande ce que je fais le soir de mon anniversaire. Je réponds : « sardines et carottes à la maison ». Péremptoire, il me répond : « ne fais pas ça, je m’occupe de tout ».

Un message la veille, alors que j’étais à l’Assiette Champenoise, m’informe que ce sera au Taillevent. Normalement, je ne devrais m’occuper de rien, puisque Jean-Philippe prend tout en charge, mais quand même, je prends dans ma musette une bouteille pour le cas où.

Je suis le premier sur place. Luc et Jean-Philippe arrivent presque ensemble et de longs conciliabules se tiennent derrière les paravents pour que je ne sois au courant de rien. Mes deux filles arrivent ensuite et notre table est constituée. Je demande avec ma timidité coutumière si je peux oser une ajoute au programme des vins de mes deux amis. On me répond que la souplesse est de rigueur. Cachant mon vin à la vue des amis, je décide derechef que mon vin sera le dernier du repas. Tout se boira à l’aveugle pour moi pour les vins sauf le mien. Mes amis connaissent tous les vins sauf le mien. Pour mes filles tout est inconnu.

Voici le menu concocté par l’équipe du Taillevent avec Jean-Philippe : épeautre du pays de Sault en risotto, cuisses de grenouilles dorées / homard bleu en cocotte lutée, olives niçoises, basilic et tomates mi-séchées / tourte feuilletée de lapereau, carottes nouvelles et marjolaine / noix de ris de veau croustillante aux morilles blondes / mangue rafraîchie aux fruits de la passion.

Le premier vin blanc sec est presque rose. Le vin est énigmatique car il évoque la truffe blanche, les feuilles d’artichaut, et en bouche c’est un parcours qui change à chaque gorgée. Le vin est sec. J’hésite mais j’imagine Jurançon sans le dire, pour ne pas paraître idiot. Jean-Philippe me donne des indications pour que je trouve. Il s’agit de Clos Joliette Jurançon sec 1970. Ce vin est prodigieux. C’est un Fregoli car il change sans cesse. L’amuse-bouche ayant une crème prononcée, le vin délivre des saveurs de pomelos. Sur le risotto d’épeautre, le vin est exceptionnel. Il me fait penser au parcours de la Coulée de Serrant qui a aussi besoin de beaucoup d’années pour s’exprimer. Il faut bien cet âge au Clos Joliette pour atteindre la complexité magique qui nous déroute à chaque fois, le final claquant comme un fouet.

On ne dira jamais assez les délices de la dégustation à l’aveugle. Le vin qui arrive sur le homard extrêmement goûteux me gêne un peu par un caractère serré et un final un peu rétréci. Il sent le cuir mais aussi la truffe. Quand Jean-Philippe me demande la région, la truffe me pousse vers bordeaux. Mes filles me regardent comme si j’étais déjà atteint de sénilité précoce. Luc, diplomate, me dit que c’est le plus bordeaux des bourgognes. Il s’agit d’un Richebourg Charles Viénot 1949. Je dois avouer que même après qu’on me l’a dit, j’ai toujours du mal à imaginer que ce puisse être un bourgogne. Luc aime son vin et je ne le lui reprocherai pas car j’ai la même attitude, mais ce vin serré, au final difficile, ne m’a pas vraiment convaincu.

En revanche, le vin qui suit est magnifique de générosité et d’équilibre. Il est très velouté, emplissant la bouche avec bonheur. Je sens un vin du sud, mais il faut les coups de pouce de Jean-Philippe qui tente de m’orienter pour que je reconnaisse le Château Vannières Bandol 1983 que j’ai déjà tellement aimé. Ce vin est une grande réussite, sereine, accomplie, vin de grande gastronomie.

Il fallait bien à un moment que je reprenne la main. Répondant aux questions de Jean-Philippe, je déclare : bordeaux, rive droite, pomerol. Et au second essai je dis Trotanoy. Ouf, l’honneur est sauf car il s’agit de Château Trotanoy Pomerol 1970. C’est une beau pomerol, à maturité, qui est peut-être un peu trop civilisé. On aimerait qu’il s’encanaille.

Alors que ma fille aînée est assez éloignée des choses du vin, aimant les vins du sud assez faciles, que nous appelons les vins de Ginette, mais aimant aussi la qualité puisqu’elle a adoré Vannières, c’est elle qui lance en premier Climens. Elle a visé du premier coup Barsac. Il s’agit du Château du Mayne Haut-Barsac 1943 qui nous surprend tous par sa folle jeunesse. Sa couleur est claire, son goût est précis, et même s’il n’a ni l’ampleur ni la complexité d’un Climens, il est absolument charmant. Il a formé avec le dessert à la mangue au combawa un accord prodigieux.

C’est à mon vin d’apparaître. Tout le monde pense qu’il doit être extrêmement vieux, voire du 19ème siècle, car il est très foncé, opaque. Il est riche, profond et ne va pas du tout avec le dessert à la mangue. J’exprime le vœu d’avoir des madeleines pour apprécier le vin et comme par magie, elles arrivent sur table pour former un bel accord avec le Château Gilette Sauternes 1943. Taillevent, c’est la classe. Ce vin a des accents de caramel, mais en trace, car il n’est pas dominant. Le vin est très riche et sa trace est profonde, avec un final immense. C’est le jour et la nuit entre le Barsac et le sauternes. Le Mayne est gracile, fluide, joyeux sur des saveurs de fruits frais. Le Gilette est lourd, imprégnant, pénétrant, d’une intensité rare. Cette conjonction des deux 1943 est passionnante.

Depuis quelques minutes une bouteille d’alcool brun trône sur une desserte et l’on nous cache l’étiquette. C’est Jean-Marie Ancher qui a pris dans la cave du restaurant un Grand Bas Armagnac domaine de Jouanda 1943. Très frais, aérien, sans la moindre pesanteur, il est d’une grande personnalité. L’accord avec les petits chocolats des mignardises est un délicieux péché. La suite de la bouteille m’attendra pour de nouvelles merveilles.

Nous n’avons pas classé les vins. Mon classement n’a pas été discuté : 1 – Château Vannières Bandol 1983, 2 – Château Gilette Sauternes 1943, 3 – Château du Mayne Haut-Barsac 1943, 4 – Clos Joliette Jurançon sec 1970. Le quatrième pourrait être ex-æquo avec le troisième.

Je ne sais pas pourquoi, mais ce soir les portions étaient XXL. Il faut imaginer les cinq cocottes lutées transparentes comportant chacune un homard entier. La tourte au lapereau était gargantuesque. J’ai imaginé un complot pour me faire périr ! Nous sommes allés deux fois nous dégourdir sur le trottoir, pour faire de salutaires pauses. La cuisine d’Alain Solivérès est marquée par une sérénité de plus en plus grande. La qualité de ses sauces est une merveille. Mon plat préféré est le risotto d’épeautre avec les cuisses de grenouille. Le homard est exceptionnel et de dessert d’un talent fou. C’est un sommet de la cuisine bourgeoise et je pense qu’il serait temps que le guide rouge accroche une troisième étoile à cette cuisine qui la mérite.

Le service est toujours d’une parfaite justesse. Il est suffisamment décontracté pour conserver un caractère amical. Au moment du dessert un grand plateau fut tenu devant moi, avec le dessert et une bougie. Mes filles et mes amis ont entonné « joyeux anniversaire » et j’ai soufflé à la fin de leur chant. Si ma femme avait été là, elle aurait fait cesser ce brouhaha, car elle aime la discrétion.

Ce repas amical et affectueux m’a fait mieux accepter l’impitoyable arithmétique de l’âge.

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bicentenaire des éditions Féret mercredi, 24 avril 2013

Dans les ors et les cristaux du musée de Baccarat, l’Union des Grands Crus représentée par Henri Lurton en l’absence du président Philippe Castéja célèbre le bicentenaire des éditions Féret. Son président Bruno Boidron retrace l’histoire de cette grande maison bordelaise, indéfectiblement liée au vin. Les vignerons présents ont fait fort, car ils sont venus avec des millésimes qui se goûtent : 2000, 1996 et même 1990. L’accès aux stands est difficile, tant la foule présente fait honneur à ces grands vins. Je parle plus que je ne bois, car un grand dîner m’attend.

Krug 1979 et Pol Roger 1937 à l’Assiette Champenoise mardi, 23 avril 2013

Peter est un écossais passionné de champagne. Il visite la Champagne avec Sarah et nous nous sommes donné rendez-vous à l’Assiette Champenoise.

Arrivé longtemps en avance, j’ai le temps de mettre au point le menu avec Arnaud Lallement. Nous nous comprenons à demi-mot. Ce sera : asperges vertes et morilles / langoustine royale nage réduite / turbot breton, petit pois, radis / côte de veau de lait, gnocchis crémeux / ris de veau, navets.

Les deux premiers champagnes sont les miens, les deux suivants ceux de Peter. Le Champagne Piper Heidseick 1961 a une couleur fortement ambrée. Je m’en veux tout de suite de ne pas avoir ouvert les champagnes il y a deux heures, car comme le vin, le champagne peut avoir conservé des amertumes qui disparaissent avec le temps. Ce champagne est joliment doucereux, évoquant les sauternes secs, mais je trouve qu’il manque d’émotion. Il est là, récitant de belles saveurs, mais ça s’arrête là.

A l’inverse, le Champagne Pol Roger 1937, à la couleur plus claire, est riche de vibrations et d’émotion. C’est un champagne âgé, mais qui ne le semble pas plus que le 1961. Avec la langoustine et le turbot il réagit bien, trouvant des complexités plus belles. Il a les douceurs des champagnes anciens, plus une belle vivacité.

Le Champagne Krug 1979 est particulièrement aidé par les deux premiers qui mettent en valeur sa jeunesse, plus grande en relativité. Ce champagne a une vivacité et une tension qui s’ajoutent à sa noblesse. On est dans des évocations fumées et d’automne. Ses notes sont déliées et élégantes. Son caractère vineux est bien dosé.

Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1998 est un gamin, floral, évoquant le printemps, plein de petites suggestions délicates, mais vraiment trop jeune. Il sera grand avec cinq ans de plus.

La cuisine d’Arnaud Lallement est d’une grande maturité, les produits étant traités avec une grande lisibilité. La langoustine est d’un grand raffinement et je suis tombé en pâmoison devant la côte de veau, plat trois étoiles s’il en est.

Il est intéressant de noter que Sarah a mis en premier le Piper 1961, pour son réveil provoqué par les plats. Il fut hautement gastronomique, même s’il a manqué, pour moi, d’émotion. Mon classement est : 1 – Krug 1979, 2 – Pol Roger 1937, 3 – Piper 1961, 4 – Clos du Mesnil 1998. Ce classement n’est pas lié à la valeur des vins, car le quatrième deviendrait premier, mais à l’aptitude à figurer dans ce dîner.

Dans une salle du premier étage, un grand nombre de vignerons s’étaient réunis. A la fin du repas, ils fumaient et buvaient sur la terrasse, par une nuit clémente. Nous les avons rejoints pour bavarder avec eux, trinquant sur leurs champagnes, tard dans la nuit.

L’Assiette Champenoise est une halte gastronomique idéale, l’ambiance et le service sont à signaler. Avec Peter, nous avons formé quelques projets d’ouvrir des champagnes rares. Il y a de belles perspectives à l’horizon.

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