271ème déjeuner à l’Appartement Moët Hennessy dimanche, 12 février 2023

Le déjeuner sera le deuxième que j’organise à l’Appartement de Moët Hennessy où ce groupe reçoit ses importants clients. C’est grâce à Stanislas Rocoffort de Vinnière que j’ai cette opportunité et le directeur des lieux, Nicolas Modock va gérer la mise en œuvre du repas qui sera réalisé par le chef Teshi, propriétaire du restaurant Pages avec son équipe. Ce sera le 271ème repas de wine-dinners.

Les vins ont été livrés il y a deux jours et je me présente à 9h30 pour les ouvrir. Il y a eu relativement peu de difficultés pour les ouvertures. Les bouchons des trois vins de la Romanée Conti sont très serrés dans les goulots et demandent des efforts pour les retirer. Le bouchon du Chambertin Charles Viénot 1959 a laissé échapper une petite brisure dans le liquide. La bouteille étant opaque je n’ai pas pu repérer ce petit morceau que Stanislas a eu plus tard dans son verre. Un petit incident de même nature a concerné le Musigny 1906 à la bouteille encore plus opaque que celle du 1959.

Les parfums les plus brillants sont ceux du Veuve Clicquot 1949, divin à l’ouverture, du vin de Chypre 1869, de l’Yquem bien sûr, et de la Romanée Conti déjà envoûtante à son éclosion.

Le parfum de l’Hermitage est prometteur alors que celui du vin de Trapet me paraît un peu trop timide.

Le vrai problème, qui me fait peur, est la senteur que propose La Tâche 1990. Le goulot sent fortement le bouchon et j’ai peur que cette odeur ne subsiste. Mais je ressens quelques minutes plus tard qu’une amélioration est possible. J’ai alors l’idée qu’une ventilation accélérerait la disparition de la mauvaise odeur. En prenant un petit livre que l’on agite au-dessus du goulot, on peut espérer cette amélioration. Je suis entouré pendant l’ouverture des vins par Nicolas, Constantin et Charlène qui travaillent en ce lieu et sont curieux de voir ma façon d’ouvrir les vins. Je propose à Charlène de manier l’éventail et après de longues minutes, la mauvaise odeur a complètement disparu. Je pense malgré tout que La Tâche ne sera pas au niveau de perfection qu’il devrait avoir, mais au moins il sera agréablement buvable et j’ai eu le plaisir qu’il obtienne cinq votes dans le classement final en fin de repas.

Nous sommes onze, dont quatre nouveaux. Il y a trois espagnols déjà venus, un couple vivant au Portugal et six français.

Dans la belle salle de réception, nous trinquons sur un Champagne Dom Pérignon rosé 2008. C’est un rosé que j’adore, d’une réussite évidente et d’une année qui promet. Il a un charme certain et aussi une personnalité conquérante.

Dès que l’on me sert le Champagne Dom Pérignon Œnothèque rosé 1966 dégorgé en 2007, j’ai envie de laisser exploser ma joie, car on grimpe à toute vitesse au sommet de l’Olympe. Ce rosé est transcendantal. Il est d’un message continu, glissant, déroulant une complexité extrême mais aussi une harmonie qui est la clé de son succès. Quel grand champagne. Je n’en reviens pas de cette superbe perfection. Les canapés au foie gras, les beignets de Scampi et le tartare de veau servi avec de la poutargue mettent en valeur ce champagne gastronomique et serein. C’est un immense champagne.

Nous passons à table et voici le menu que j’avais mis au point avec Naoko, la femme du chef Teshi et réalisé par lui : carpaccio de langoustine et caviar, sauce à la crème caviar, brunoise d’oignon et céleri au xérès / turbot, sauce « PAGES » umami / homard de Bretagne, sauce au comté et miso / pigeonneau rôti, sauce au sang, purée de pommes de terre / bœuf Simmental et Wagyu, jus de bœuf, pommes grenaille sautées / mille-feuille aux mangues / Financier.

A l’ouverture, le parfum du Champagne Veuve Clicquot Ponsardin 1949 m’était apparu exceptionnel. Il l’est et le goût du champagne est meilleur que le goût du magnum de 1949 que les trois espagnols avaient partagé avec moi lors d’un récent dîner. Je trouve ce 1949 au même niveau que le magnum de Veuve Clicquot 1947 servi à l’hôtel du Marc de Veuve Clicquot qui avait illuminé le 196ème dîner. Ce champagne droit et équilibré est d’une justesse de ton extrême et d’une longueur aimable. La sauce crème caviar est originale et gourmande. Ce sont les pointes d’oignons qui excitent élégamment le champagne. Un régal. Le plat est parfait.

J’hésite souvent dans mes dîners de servir des vins blancs très vieux, car ils ne sont pas toujours compris. Le Pavillon Blanc de Château Margaux 1929 n’aura pas ce risque car il est ouvert, compréhensible, fluide et droit. Il est généreux et agréable, simple, sans problème. On lui donnerait sans hésiter 80 ans de moins tant il est droit et ouvert. La coquille Saint-Jacques lutée laissant exploser le parfum de truffe est une merveille, qui créera l’accord le plus parfait du repas. Tout le monde est étonné qu’un blanc de 93 ans puisse offrir une telle jeunesse.

Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2004 offre un parfum généreux, opulent mais sans excès. Et le plat divin du turbot subtil l’oblige à jouer de sa séduction plus que de sa puissance. Et l’accord se trouve à merveille, le vin se montrant tout aussi complexe que le plat peut l’être. C’est madrigal contre madrigal, la compétition étant sans gagnant, chacun jouant pour que l’autre triomphe.

Le talent de Teshi sur ces trois plats marins nous a fait penser qu’il tutoyait les trois étoiles. Il y aura maintenant trois plats dont les vins viennent par deux.

Le Chambertin Clos de Bèze Charles Viénot 1959 est d’une intensité extrême. Le vin est incisif, linéaire, jouant de persuasion. Il est riche aussi, au sommet de son art. Je n’attendais pas une telle puissance de ce vin encore jeune, très expressif et percutant.

Le Chambertin Jean et Jean-Louis Trapet 1990 est un des 1990 que je préfère et très réussi mais à côté du Viénot, sa gentillesse le paralyse. Il est subtil mais un peu éteint. Mon voisin de table me dit que si ce Trapet avait été servi seul, nous l’aurions adoré. Il a raison car le Viénot l’a un peu tétanisé. Le homard qui est servi comme au restaurant Pages est gourmand et sa sauce très forte a peut-être effrayé le 1990.

Je voulais dans ce repas qu’il y ait un moment fort, celui de mettre côte à côte La Tâche et la Romanée Conti d’une année mythique pour les deux, 1990. Je souhaitais qu’il n’y ait pas de compétition ou de confrontation entre eux et en fait il n’y en a pas.

Même si La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1990 n’a plus aucun défaut olfactif, le vin n’est pas au niveau que je lui connais. Il est bon, expressif, mais la touche de génie ne sera pas là.

Alors que la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1990 respire l’esprit du domaine. Le nez est typique, le vin offre les notes de sel et de rose qui sont des marqueurs forts. C’est une Romanée Conti au sommet de son art, tout en subtilité. Le pigeon est de belle chair mais la sauce au sang est excessive pour le vin. Il aurait fallu une sauce plus légère pour mettre en valeur ce vin si complexe. La Tâche n’a pas démérité mais la Romanée Conti a montré une très belle expression du génie de la Romanée Conti.

Deux vins de deux régions vont accompagner deux bœufs différents. Le bœuf Simmental présenté en une généreuse portion se montre nettement meilleur que le Simmental en petite portion du restaurant Pages. Le Grand Musigny Faiveley 1906 dont j’ai vu sur la capsule que c’est Faiveley négociant et non domaine, trouve avec lui un compagnon idéal. Ce vin de 116 ans est incroyable. Il a une énergie et une profondeur qui sont impressionnantes. Il est de belle densité, riche avec presque du fruit, et sa richesse m’émeut au point que j’en ferai le gagnant de mon vote, car être face à un vin de 116 ans aussi fringant, c’est la récompense de ma démarche vers les vins anciens. J’ai une forte émotion.

Alors que pour les deux plats précédents un vin prenait le pas sur l’autre, sur ces deux viandes, les deux vins si différents joueront à leur meilleur niveau.

Si le Musigny s’accordait au Simmental, l’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962 est le compagnon idéal d’un magnifique Wagyu. Cet Hermitage est magnifique, d’une palette de goûts très variée et superbe. C’est l’une des grandes réussites de l’Hermitage La Chapelle. Il hésite entre puissance et complexité et joue des deux. On peut aller d’un vin à l’autre car ils ne se nuisent pas, si différents et les deux si plaisants.

Le Château d’Yquem 1924 reconditionné en 1994 est d’une couleur de chocolat noir tant il est foncé. Le nez est de caramel, mais en bouche il évoque aussi la mangue ensoléillée. Son parfum est généreux et voluptueux. Le millefeuille est un peu trop marqué par rapport à la mangue qui aurait dû être dominante. Mais ce dessert est délicieux.

Le Vin de Chypre 1869 avait un nez conquérant à l’ouverture avec de la réglisse, du poivre, du cumin et une trace de camphre qui a maintenant disparu. Le parfum intense est d’une grande séduction. Le vin est fort, entraînant, d’une densité extrême. J’ai un amour particulier pour ce vin prégnant à la longueur infinie, mis en valeur par un financier très réussi.

Nous devons voter sur nos cinq vins préférés des treize vins du repas. Onze sur treize ont figuré dans les votes ce qui est plaisant. Les deux seuls sans vote sont le rosé 2008 de Dom Pérignon, ce qui est logique car il a précédé le repas et a été suivi par le sublime rosé 1966. L’autre vin sans vote est le Chambertin Trapet auquel le Charles Viénot a fait de l’ombre.

Sept vins ont été nommés premier au moins une fois ce qui est remarquable et montre deux choses : d’une part la diversité des choix des convives puisque nos impressions sont différentes, et d’autre part que je n’influence pas les votes de participants, s’il existe sept champions différents. La Romanée Conti 1990 a eu trois votes de premier, le Montrachet 2004 et le Musigny 1906 ont eu chacun deux votes de premier et les vins qui ont eu un vote de premier sont le Dom Pérignon rosé 1966, le Pavillon Blanc de Château Margaux 1929, l’Hermitage La Chapelle 1962 et le vin de Chypre 1869.

Le classement du consensus est : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1990, 2 – Grand Musigny Faiveley 1906, 3 – Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2004, 4 – Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962, 5 – Champagne Veuve Clicquot Ponsardin 1949, 6 – Château d’Yquem 1924.

Mon classement est : 1 – Grand Musigny Faiveley 1906, 2 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1990, 3 – Champagne Veuve Clicquot Ponsardin 1949, 4 – Chambertin Clos de Bèze Charles Viénot 1959, 5 – Vin de Chypre 1869.

L’accord le plus extraordinaire est celui de la coquille Saint-Jacques avec le Pavillon Blanc 1929 suivi du turbot avec le Montrachet de la Romanée Conti 2004. La cuisine de Ryuji Teshima a été absolument remarquable, plébiscitée par tous les convives. Le service a été parfait, des plats comme des vins par le sommelier Clément.

Dans le salon nous avons goûté un Cognac Hennessy Richard très expressif, fluide et racé sur de frais chocolats. Dans une ambiance souriante, ce fut un déjeuner absolument réussi.

Déjeuner au restaurant l’Astrance samedi, 11 février 2023

Pascal Barbot et Christophe Rohat, les propriétaires animateurs du restaurant Astrance avaient quitté la rue Beethoven il y a trois ans, juste à l’approche du Covid et se sont installés dans le lieu mythique où avait officié Joël Robuchon. C’est Alexandre de Lur Saluces qui m’avait fait découvrir Joël Robuchon au début des années 80 dans ce restaurant de la rue de Longchamp et j’avais été tellement impressionné que je réservais chaque fois une nouvelle table avant de quitter le restaurant pour créer une chaîne sans fin qui a continué avenue Raymond-Poincaré. Je suis heureux que Pascal Barbot puisse exprimer son talent en ce lieu chargé de si forts souvenirs.

J’ai invité l’ami avec lequel nous allons réaliser le prochain déjeuner de wine-dinners à l’Appartement Moët-Hennessy. Mon ami a apporté un Champagne Dom Pérignon P2 2004 à l’attaque puissante. Ce champagne est grand, généreux, complexe, mais je ne peux pas m’empêcher de préférer les champagnes dont le dégorgement est d’origine aux champagnes récemment dégorgés comme les P2.

Il n’empêche que ce champagne est fait pour la gastronomie. J’avais envie que nous prenions le menu déjeuner, pour être raisonnables, mais le maître d’hôtel, diablement convaincant, nous a orientés vers le menu Astrance aux innombrables plats.

J’ai commandé un Nuits-Saint-Georges Clos de la Maréchale Domaine J.F. Mugnier 2010 en demandant à la sommelière Chloé Laroche que le vin ne soit ouvert qu’au moment où sera servi le plat qui appelle un vin rouge.

L’intitulé du menu ne nous a pas été donné et je n’ai pas pris de notes, ce qui limite ma reconstruction du repas. Les petits palets qui mêlent acidité et douceur sont d’une belle élégance. L’entrée ou mise en bouche à base de bulots délicieux avec une mayonnaise aux algues, de praires au jus d’agrume, et d’une belle huître est aimablement marine et fait plaisir. Le champagne s’en régale.

Des beignets sont gourmands et précèdent des coquilles Saint-Jacques de grand talent. Le champagne continue d’être adapté aux saveurs subtiles, mais pensant au Dom Pérignon 1992 si réussi bu récemment je maintiens mon jugement sur ce P2, même si j’admets que mon goût n’a aucune prétention d’universalité.

On nous sert un poisson gras, peut-être un maquereau, je ne sais pas, qui appelle le vin rouge. Le Nuits-Saint-Georges Clos de la Maréchale Domaine J.F. Mugnier 2010 est servi selon mon désir, mais comme il est un peu plus chaud qu’il ne devrait, la fraîcheur que j’attendais n’est pas manifeste. Mais on a la subtilité fine des vins du domaine Jacques Frédéric Mugnier.

Tout en lui est délicatesse et il va s’élargir au fur et à mesure de la dégustation avec un joli fruit rouge charmant. La suite est agréable. J’ai adoré le plat de céleri et un peu moins le cochon de lait.

La façon dont est traité le roquefort est très originale et le dessert est absolument divin.

Pascal Barbot a élargi la palette des saveurs qu’il propose et on le sent heureux de travailler dans une « vraie » cuisine, car rue Beethoven l’espace était étroite. Tout se présente bien pour que ce lieu compte parmi les grandes tables de Paris. J’étais heureux de renouer avec un chef qui m’avait donné tant de belles émotions depuis que je le pratiquais, presque dès l’ouverture à la rue Beethoven.

Longue vie à ce nouvel Astrance.

Retour sur Paris et déjeuner Place des Vosges mardi, 7 février 2023

Après cinq semaines passées dans le sud, le retour sur Paris est toujours difficile. La SNCF a décidé une fois pour toute que les sanitaires étaient le cadet de ses soucis. Ayant attendu pour aller aux toilettes, le voyageur qui en sort me dit : je serais vous, je ne me risquerais pas. Je constate l’ampleur des dégâts et j’essaie de trouver un agent de cette belle institution qui résolve le problème. J’en trouve un et quelque temps après je lui demande si le problème est résolu. Il me répond oui, nous avons condamné les toilettes. L’idée de résoudre le problème n’était pas venue et comme l’autre sanitaire du wagon était lui aussi condamné, on mesure à quel point les trains français et japonais appartiennent à des mondes différents.

Pourquoi parler de cela ? Parce que j’ai vécu pendant toute mon existence industrielle dans la recherche de la qualité totale et que je souffre d’une France qui s’abandonne dans trop de domaines.

Je vais déjeuner avec mon fils, sa femme et son fils au restaurant Place Royale situé sous les arcades de la Place des Vosges. C’est un restaurant sympathique, avec un service souriant. Sur une aimable mortadelle nous avons bu un Champagne Taittinger Comtes de Champagne 2006 joyeux, agréable, de belle présence en bouche et d’un équilibre serein et ensoleillé.

Sur la carte des vins j’avais repéré un Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 2005. Je le commande et je vois qu’on apporte un Chapelle de l’Hermitage 2005 avec une étiquette qui n’est pas celle de l’iconique Hermitage. Il s’agit plus que probablement d’un second vin de l’Hermitage. Je n’ai pas poursuivi dans cette direction et gentiment l’aimable serveur m’a dit qu’il changerait la dénomination du vin sur la carte des vins. J’ai commandé un Beaune Premier Cru Les Cent Vignes Domaine Arnoux Père et Fils 2009 fort sympathique, gouleyant, pas très complexe mais très sincère, très agréable à boire sur une pièce de bœuf goûteuse aux frites.

Ce restaurant d’une cuisine simple mais de belle qualité mérite qu’on s’y restaure.

Déjeuner en ma cave avec mon fils vendredi, 3 février 2023

Avant de repartir à Miami, mon fils a envie de déjeuner avec moi dans ma cave. Il s’occupe de trouver des plats simples chez un traiteur. Nous commençons par un Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1969 de l’année de mon fils. Je suis en totale admiration pour ce champagne qui, lorsqu’il est vieux, devient glorieux. Il est rond, joyeux, confortable. C’est un bonheur de champagne.

J’ai ouvert ensuite un Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974 dont la capsule est bombée, recouvrant un dépôt noir et terreux qui fort heureusement n’a aucune influence sur le bas du bouchon de belle qualité. C’est fréquent que les vins du domaine de cette période aient des dépôts terreux sous la capsule. Le vin est superbe, représentation emblématique de la noblesse du domaine. Le sel est élégant et la rose est subtile. Ce vin d’une année de peu de puissance montre de ce fait toutes les subtilités et la grâce du domaine. Mon fils et moi sommes émus de tant de sensibilité dans ce vin délicat.

Partager nos sensations avec mon fils est un plaisir pur.

Petite Liqueur Pétillante par Moët et Chandon lundi, 30 janvier 2023

Ray, un américain, vend du vin dans le Minnesota. Il me suit sur Instagram depuis longtemps et m’avait écrit que grâce à mes écrits il était entré dans le monde fascinant des vins anciens. Pour me remercier il voulait me faire cadeau et m’envoyer un flacon de Petite Liqueur Pétillante de Moët et Chandon. Je n’aime pas recevoir des cadeaux sans qu’il n’y ait une réciprocité aussi lui ai-je proposé, s’il venait un jour en France, que nous partagerions cette bouteille, qui est pour moi une énigme, n’ayant jamais entendu parler d’une telle liqueur. Ayant lu la présentation de Ray, je lui donnais les vertus d’une rareté extrême.

Ray faisant un voyage en France qui le conduit à passer à Montpellier, je lui propose de venir déjeuner dans notre maison du sud. Ayant à ce moment reçu une photo de la bouteille de Ray je suis allé sur Internet et j’ai pu voir que Moët avait eu l’idée au début des années 80 de faire de minuscules bouteilles de 200 millilitres de cette liqueur pétillante destinée à une clientèle de jeunes en boîtes de nuit ou autres festivités.

La lancée commerciale n’a jamais atteint les objectifs et ce nouveau produit fut arrêté en 1993. Mon rêve de rareté prenait un goût amer, mais l’invitation ayant été lancée, il n’était pas question de reculer. Le menu composé avec mon épouse serait : plateau d’huîtres de quatre origines différentes / caviar osciètre / demi-langoustes cuites au four / fromages / gâteau meringué à la framboise / financiers.

J’ai ouvert mes vins vers 10 heures pour un repas qui commencera à 12h30 et Ray avait déjà ouvert son vin rouge et rebouché pour le transport entre la maison d’hôtes où il avait dormi et notre maison.

Comme d’habitude, le bouchon du Champagne Salon 1997 résiste à tous mes efforts. Il faut pincer le bouchon avec un casse-noix pour qu’il commence à tourner mais il se cisaille, la partie inférieure restant collée au goulot. Le pschitt au moment de la levée du reste de bouchon avec un tirebouchon est de peu d’énergie. Ce champagne à la belle couleur d’un or clair est le compagnon idéal des huîtres. L’iode rend sublime ce beau Salon que j’adore, d’une personnalité extrême. L’accord est magistral et la longueur du Salon est extrême.

Le Champagne Dom Pérignon 1992 avait eu un pschitt beaucoup plus fort que celui du Salon. Sa couleur est beaucoup plus ambrée, et la bulle est abondante. Ce 1992 qui avait été négligé des amateurs après des millésimes brillants comme 1988 et 1990 se montre aujourd’hui d’un épanouissement absolu. Et je me fais cette réflexion : à quoi sert d’avoir des P2, Plénitude 2, quand on a des champagnes de trente ans d’une telle personnalité ? Car ce champagne est d’une maturité idéale. Ce n’est sans doute pas vrai pour tous les millésimes mais je suis très impressionné par ce 1992.

Et on mesure à quel point le Salon, impérial sur les huîtres, n’aurait pas vibré sur le caviar et à quel point le Dom Pérignon, sensuel sur le caviar, n’aurait pas profité de l’iode des huîtres. Ce sont deux champagnes dissemblables, qui ont brillé dans les associations qui leur ont été proposées.

Pour les langoustes nous avons deux vins rouges. Le Clos de Vougeot Grand Cru Méo Camuzet 2002 est tout en grâce et en subtilité. Il est émouvant. A côté de lui, le Cabernet Sauvignon Robert Mondavi Napa Valley 1970 est un vin solide, carré, charpenté et équilibré, mais sans grande complexité. Ce qui est étonnant, c’est qu’il paraisse aussi jeune. Quand tant d’américains pensaient, il n’y a pas si longtemps, que leurs vins ne vieillissaient pas bien, voilà un vin de 52 ans qui n’a pas la moindre ride.

Au moment des fromages j’ai eu envie de montrer à Ray que l’on peut oser des accords. Sur le fromage Jort, le Salon 1997 est brillant. Sur un agréable fromage de chèvre, le Dom Pérignon 1992 crée un accord inattendu.

On revient ensuite à des associations plus classiques en confrontant les deux rouges avec un opulent saint-nectaire. Pour le gâteau meringué à la framboise c’est le Salon 1997 qui s’impose.

Il est temps que j’ouvre le flacon de Petite Liqueur Pétillante par Moët et Chandon de # 1985. La cape qui recouvre le bouchon n’est pas celle d’un Moët mais celle d’un Dom Pérignon, fragile et qui s’éparpille en mille morceaux. Le bouchon vient facilement mais il n’y a aucun pschitt. Et la liqueur versée dans de petits verres n’a rien de pétillant.

Pour accompagner ce breuvage inconnu j’ai choisi des gâteaux secs car le pâtissier n’avait pas de financiers. Goûter cette petite liqueur qui titre 18° est un voyage dans l’inconnu. Il y a des accents de marc ou de grappa avec des suggestions végétales. Cette liqueur est « dry », sèche, et comme on est sur une piste inconnue, j’aime ce goût nouveau. Et j’aurais tendance à penser que Moët & Chandon devrait relancer cette liqueur avec un marketing remis au goût du jour, car cette petite bouteille est absolument charmante, ronde et joufflue. Cet élixir était le prétexte à notre rencontre et j’en suis très content.

Ray a annoncé le premier son classement des vins du repas : 1 – Salon 1997, 2 – Clos de Vougeot 2002, 3 – Dom Pérignon 1992, 4 – petite Liqueur vers 1985, 5 – Cabernet Sauvignon 1970.

Je partage ce classement. Instagram est à l’origine de ce repas fort agréable. A renouveler.

Krug en petit format mardi, 24 janvier 2023

Une amie vient nous saluer dans notre maison du sud. Après les réveillons, je n’avais pas regarni le réfrigérateur aussi le seul champagne disponible à bonne température est un Champagne Krug Grande Cuvée en demi-bouteille. Du fait de sa forme, la bouteille semble avoir une contenance bien inférieure à la moitié d’une bouteille.

Le champagne est plaisant, noble, et fort agréable. Nous grignotons des chips à la truffe noire. Pour deux, je peux servir à chacun deux verres, ce qui justifie pleinement ce format qui permet d’honorer un visiteur impromptu d’une agréable façon.

Des vins partagés dans le sud samedi, 21 janvier 2023

Ma fille cadette vient nous visiter dans le sud avec son compagnon. J’ouvre un Champagne Philipponnat Clos des Goisses 1983 que j’avais envie de redécouvrir. Le bouchon et très beau et le pschitt est présent, même si de peu d’énergie. La bulle est présente, la couleur est d’un bel ambre clair. Je bois beaucoup plus souvent des blancs de blancs que des blancs de noirs aussi est-ce un plaisir d’apprécier la typicité de ce blanc de noirs. Il a une très belle énergie, il est vif, intense et combine complexité et noblesse. Tout se passe dans l’attaque car le finale est assez court.

Curieusement le dernier verre que je sers est gris, avec beaucoup plus de sédiment qu’il ne devrait avoir. Et le goût de ce dernier verre est peu plaisant. Ce qui n’empêche pas ce champagne de nous avoir séduit.

Pour le risotto à la truffe noire, j’ai ouvert un Châteauneuf-du-Pape Saint-Préfert 1990 qui est une belle surprise. On dit souvent que Château Rayas est le plus bourguignon des Châteauneuf, et je pense que ce Saint-Préfert délicieux est dans la même direction que Rayas. Et il profite du millésime exceptionnel qui lui donne une solide structure et un charme épanoui. C’est vraiment un vin de belle grandeur.

Le lendemain nous organisons un dîner qui sera fondé sur deux piliers : un plateau de fruits de mer dont chacun a donné ses requêtes et un caviar osciètre avec baguette et beurre. La presque centaine de pièces, huîtres, palourdes, crevettes, langoustines, crabes, bulots et autres est répartie sur trois plateaux. Le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle en magnum, dégorgé en 2016 est le compagnon idéal pour ce repas. L’accord le plus brillant est sur les huîtres, car l’iode excite le champagne comme la muleta mise sous le nez du taureau de combat. Sur les crustacés, le champagne est beaucoup plus doucereux et aimable. Je considère le Grand Siècle comme l’un des plus romantiques champagnes. Celui-ci est encore jeune, mais d’un charme subtil.

Des plateaux de fruits de mer aussi copieux, ça donne soif, aussi j’ouvre un Champagne Dom Pérignon 1990. Et c’est totalement idéal pour le caviar car Dom Pérignon semble être le meilleur compagnon possible pour le caviar car le sel du caviar appelle sa douceur. Une combinaison de rêve avec un Dom Pérignon au sommet de sa subtilité.

Un grand dîner avec deux champagnes parfaits.

réveillon de la Saint-Sylvestre 2022 dimanche, 1 janvier 2023

Le réveillon de la Saint-Sylvestre se tient dans notre maison du sud. Tous les vins sauf un proviennent de ma cave de la région parisienne et sont venus avec moi en train. A 15 heures commence l’ouverture des vins du dîner.

Le Château Le Pape Léognan 1929 n’a pas d’étiquette mais la capsule donne le nom et l’année très lisibles. Le niveau est haut pour un vin de cet âge et le bouchon est très court et vient sans problème. Le parfum m’évoque immédiatement la noblesse et la solidité du millésime 1929, l’un des tout premiers du siècle.

J’avais pris un Château Haut-Brion 1923 pour célébrer l’entrée dans le millésime 2023 avec un vin de cent ans. Le niveau dans la bouteille est très bas. Le bouchon extrêmement long est levé tout doucement et vient entier. Le parfum est rassurant, car il n’est pas abîmé par le niveau très bas. Il y a bien sûr des signes de vieillesse, mais je pense que le vin va se reconstituer.

Le Meursault Hospices de Beaune Cuvée Lopin 1955 est un vin que j’ai acheté de la cave de l’Institut de France où il y a un grand nombre de vins dont les bouchons ont été changés et personne à l’Institut ne savait comment et pourquoi cela avait été fait. Il y a donc une inconnue pour chaque bouteille. Je lève un bouchon neutre et l’odeur est rassurante. Le vin ne semble pas madérisé et n’est pas dévié. Il profitera de l’oxygénation lente jusqu’au moment où il sera servi.

La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1992 a un niveau parfait et un bouchon de grande qualité. Son parfum est timide mais sans problème. En six ou sept heures il s’épanouira.

Le Châteauneuf-du-Pape Brotte et Armenier 1947 est d’une bouteille de grande beauté, avec un beau niveau. Son parfum est magnifique et généreux.

Pour ouvrir le Château d’Yquem 1986, j’utilise un tirebouchon classique. Je lève le bouchon de quelques millimètres et normalement, le tirebouchon devrait être remplacé par une longue mèche pour la levée complète. Mais lorsque je veux enlever le tirebouchon, le bouchon tourne avec lui. Impossible de le lever. Logiquement le bouchon devrait remonter sans problème mais en fait une surépaisseur du verre l’empêche de remonter. Je fais donc ces efforts très lents, mais la mèche du tirebouchon est petite et le bouchon très long. A un moment le bas du bouchon se brise et tombe dans le liquide. N’ayant pas les outils que j’utilise à Paris, je suis obligé de carafer le vin. Comme c’est un jeune Yquem offert par un de nos amis, il ne souffrira pas.

Le Champagne Pol Roger Goût Français Grand Vin # 1940 est un cadeau d’un ami que je n’ai pas vu depuis des années. Il m’a fait savoir qu’il a deux vieux Pol Roger dont il a changé les bouchons pour mettre des bouchons jeunes et m’a indiqué que selon lui, cette opération ne réduit pas la vivacité des bulles. J’ai déjà bu en famille la bouteille la plus basse, vraiment très basse et qui m’avait fait bonne impression, et nous allons boire celle-ci. Pour chaque bouteille il avait joint l’ancien bouchon qui permet d’estimer l’âge. J’ai pensé années 40 mais la mention « interdit d’exporter » pourrait indiquer années 50. Le nez du champagne est prometteur.

Le dernier vin que j’ouvre est le Champagne Dom Pérignon Moët & Chandon 1966, de l’année que je préfère dans la décennie 1960 – 1969. Le bouchon est court et délivre un pschitt discret. L’odeur évoque une belle suavité.

Les amis arrivent à 19 heures. Nous sommes six. Une amie a apporté ce qui fera l’apéritif : poutargue, Pata Negra, toasts au foie gras, asperges, petits toasts de mimolette avec une confiture à la mirabelle et petits toasts de roquefort à la confiture de framboise.

Je sers le Champagne Pol Roger Goût Français Grand Vin # 1940. Quelle surprise ! le champagne est doux, très doux, ce qui est amusant car généralement on disait des champagnes très dosés qu’ils avaient le goût américain. Or Pol Roger les nomme Goût Français. Le champagne est délicieux, expressif, et ce sera la plus belle surprise du repas pour son originalité. Il va avec la poutargue, naturellement avec les toasts. C’est un champagne de grand plaisir.

Nous passons à table et le menu est ainsi construit : comparaison de deux caviars, l’osciètre de Kaviari et un caviar malossol lituanien / coquilles Saint-Jacques crues avec un caviar Baeri / pommes de terre cuites à la vapeur, à la crème et à la truffe / filets de pigeon et purée Robuchon / fromages / Stilton / tarte Tatin.

Le Champagne Dom Pérignon Moët & Chandon 1966 est noble, large et incisif. Il trace sa route. Il convient parfaitement aux deux caviars très différents, le malossol qui est croquant et subtil et l’osciètre fonceur et profond. Le Dom Pérignon est très élégant, charmeur, lui aussi fonceur tant il délivre son message avec une droiture rare. L’accord avec le champagne est divin.

Le Meursault Hospices de Beaune Cuvée Lopin 1955 est servi sur les coquilles et le Baeri. Ce vin est d’une belle complexité et délivre ses subtilités en salves successives. Chaque gorgée n’est pas la même que la précédente ce qui est plaisant et le différencie du champagne 1966 qui ne dévie jamais de sa trajectoire. Le sucré de la coquille est idéal pour mettre en valeur ce meursault qui ne peut pas cacher son âge même s’il est bon.

Les pommes de terre truffées accueillent les deux bordeaux. Le Château Le Pape Léognan 1929 a une couleur d’un rouge sang, d’une jeunesse étonnante. Il est magistral, intense, truffé, long et imposant, et montre parfaitement ce qui fait de 1929 une année mythique. C’est un grand vin qui me plaira tellement que j’en ferai mon gagnant malgré les superbes vins qui vont suivre.

Le Château Haut-Brion 1923 a une couleur plus terreuse. En le buvant, il y a à un moment une trace d’acidité qui ne gêne pas le reste du message. Il est complexe, chaleureux, noble et distingué et chacun arrive à ne pas être rebuté par la trace acide car ce vin figurera dans tous les votes. Il est superbe mais blessé et nous ne sommes pas gênés par sa blessure. L’accord de la crème des pommes de terre est plus brillant avec le Haut-Brion qu’avec le Château Le Pape.

Les deux vins qui suivent accompagnent les filets de pigeon et la purée gourmande. La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1992 a un nez subtil et gracieux qui évoque toutes les qualités de la Romanée Conti. Le vin est frais, avec ses traces de rose et de sel et mes amis s’extasient, car le vin est élégant, d’un charme raffiné. Je suis moins impressionné car les Richebourg 1963 et 1969 que j’ai bus lors des réveillons de Noël sont à des hauteurs impressionnantes, du fait de l’âge, qui sourit aux vins du domaine.

Le Châteauneuf-du-Pape Brotte et Armenier 1947 est exceptionnel. Le niveau est haut, le nez est imposant mais gourmand et en bouche c’est une plénitude. Il est riche, entreprenant, large et joyeux. Un vin exceptionnel qui sera classé premier dans le décompte du consensus. Une merveille.

J’avais acheté une dizaine de fromages différents. Après l’apéritif copieux et les plats successifs l’esprit n’était pas à prendre du fromage, sauf à goûter un excellent Stilton qui va accompagner le Château d’Yquem 1986. Il est déjà joliment doré, son parfum est idéal et en bouche il est ensoleillé. Yquem est toujours parfait et le Stilton lui convient dans cette jeunesse.

La tarte Tatin de mon épouse devrait être couronnée de mille médailles. C’est moi qui ai eu l’honneur et le courage de retourner le plat à tarte. La pomme est fondante à souhait et l’accord avec l’Yquem est brillant.

Ayant organisé le choix des vins et avec ma femme le choix des plats, ce repas sera classé dans les dîners de wine-dinners, au numéro 270.

Nous sommes cinq à voter pour nos cinq vins préférés. Trois vins sur les huit ont eu des votes de tout le monde : le Châteauneuf du Pape, la Romanées Saint-Vivant et le Haut-Brion 1923. Trois vins ont eu des votes de premier, le Châteauneuf du Pape deux fois, la Romanée Saint-Vivant deux fois et le Château Le Pape Léognan 1929 une fois.

Le classement de l’ensemble de la table est : 1 – Châteauneuf-du-Pape Brotte et Armenier 1947, 2 – Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1992, 3 – Château Haut-Brion 1923, 4 – Château Le Pape Léognan 1929, 5 – Champagne Pol Roger Goût Français Grand Vin # 1940, 6 – Château d’Yquem 1986.

Mon classement est : 1 – Château Le Pape Léognan 1929, 2 – Châteauneuf-du-Pape Brotte et Armenier 1947, 3 – Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1992, 4 – Château Haut-Brion 1923, 5 – Champagne Dom Pérignon Moët & Chandon 1966.

Nos amis ont été impressionnés par la pertinence des accords. Je suis heureux que mes vins se soient comportés aussi bien. Nous avons franchi le passage d’un millésime à un autre de la plus belle des façons.

La veille de la Saint-Sylvestre samedi, 31 décembre 2022

Nous avions décidé que la veille de la Saint-Sylvestre serait « à l’eau ». Au déjeuner, nous avons tenu promesse. L’après-midi se passe et vers 18 heures je lance : voulez-vous que l’on boive le champagne que vous avez apporté. C’est un Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en octobre 2020. Immédiatement la cuisine bruisse de toute part. Un Pata Negra est ouvert, les anchois reviennent sur table ainsi que les chips et ma femme coupe de fines tranches de truffes que l’on va étaler sur du pain et du beurre.

Sur les tartines de truffe le champagne viril, puissant, devient doux comme le tigre admonesté par son dresseur. Le Selosse est fou de complexité, fonçant comme un taureau de combat, mais sait, en même temps, comme dirait notre Président, se montrer subtil et amène.

Ma femme avait prévu pour le repas une brouillade d’œufs à la truffe et un butternut. La brouillade me fait lancer une idée : que diriez-vous si j’allais chercher en cave un Substance dégorgé en 2013, pour que nous comparions les deux ? Chacun avait en tête nos promesses de ne pas boire et l’hésitation fut longue. Mais l’envie l’emporta.

Le champagne pris en cave n’était pas assez froid aussi avons-nous attendu avant de passer à table. A l’ouverture, le bouchon m’a résisté de longues minutes car je ne voulais pas qu’il se brise à la torsion. Il est beaucoup plus long que celui dégorgé en 2020 ce qui explique sa résistance.

Suffisamment refroidi je sers le Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en juillet 2013. Sa couleur est à peine plus ambrée et sa bulle est active, le champagne ayant fait un pschitt significatif à l’ouverture.

Immédiatement nous sommes éblouis comme d’une divine apparition. Le parfum du 2013 est envoûtant, subtil et caressant. En bouche, le vin est large élégant tout de grâce. Quel grand champagne. Il a même des évocations florales raffinées.

Et ce qui est intéressant, c’est que les deux champagnes se valorisent l’un l’autre. Le 2020 devient plus affirmé, plus convaincant et le 2013 est d’un charme infini, comme une déclaration d’amour courtois.

Et les deux champagnes brillent avec la brouillade ou avec le butternut, chacun à sa façon. Nous sommes sur un petit nuage de félicité.

Ce qui reste d’un délicieux camembert Jort brille avec le 2013. Nous sommes aux anges.

Lorsque nous nous sommes quittés pour aller dormir, je suis resté au salon, heureux et pensif, fier d’avoir provoqué un événement impromptu, porteur d’un bonheur d’autant plus grand qu’il n’était pas attendu.

Saint-Sylvestre J-2 vendredi, 30 décembre 2022

Deux jours avant la Saint-Sylvestre des amis nous rejoignent dans notre maison du sud. Selon une tradition bien établie, j’ouvre un champagne Salon, champagne de bienvenue. Sur la table du salon il y a des chips à la truffe, un tarama à la truffe d’été et des anchois. Le Champagne Salon 2006 a un bouchon qui vient avec effort mais ne résiste pas comme ceux de certains millésimes. Immédiatement on est conquis par ce champagne clair et limpide, fluide et plaisant. L’image qui me vient est celle d’une automobile Bentley. Ce véhicule est classé haut dans la hiérarchie et se caractérise par un grand confort. Le Salon se ressent de la même façon, grand et confortable. Il met à l’aise celui qui le boit qui n’a pas à se poser la moindre question : il est là, présent, et on en jouit.

Pour le déjeuner dont le plat principal est un cœur de saumon de Kaviari, il faut un vin blanc. J’ai choisi en cave un vin qui m’intrigue : Vray Pinot Chardonnay Le Roy négociant Appellation Bourgogne Contrôlée 1966 dont l’étiquette a été imprimée pour un distributeur italien. Le Roy est écrit Une fois Leroy et une fois Le Roy. Le niveau est très haut pour cet âge et la couleur vue à travers le verre de la bouteille est très foncée. Le vin serait-il madérisé ? La question est assez légitime. J’ouvre le vin deux heures avant le repas. Le bouchon est de belle qualité. Le parfum est engageant, vieux bien sûr, mais acceptable.

Au moment du service la couleur dans le verre est plus claire qu’elle l’est dans la bouteille. Je me dis qu’il faut boire ce vin comme il se présente et non pas comme on aimerait qu’il fût. Et lorsque l’on choisit cette voie, on se rend compte que le vin est agréable. Son nez discret est avenant, l’attaque en bouche est un peu fermée et sèche, le milieu de bouche est large et ensoleillé, l’âge étant marqué mais pas trop, et tout se joue dans le finale, long, complexe et joyeux. L’accord est meilleur sur du pain et du beurre que sur le saumon lui-même, bien qu’acceptable, mais ce qui compte c’est que ce vin est agréable et gentiment complexe, alors qu’il ne s’agit que d’un Bourgogne générique.

Ce vin aurait probablement rebuté de nombreux amateurs parce qu’ils auraient eu des attentes qu’il ne fallait pas avoir. Sur un camembert Jort affiné idéalement, le vin a trouvé un bel accord. Ce déjeuner nous a plu.

Le soir, l’apéritif se prend avec un Pata Negra Belota Belota extrêmement gras et goûteux, avec la deuxième moitié du champagne Salon 2006. Il a gagné beaucoup en largeur et devient plus glorieux. Il est, pour un champagne jeune, au sommet de son art et le gras du jambon l’épanouit.

Le plat principal sera des pommes de terre bio à la mayonnaise accompagnées d’anguilles fumées. J’ai choisi un vin qui a une certaine valeur affective. Pendant des années j’ai accompagné les vignerons de l’association Rhône Vignobles dans leur démarche de curiosité envers les vins anciens. Nous avons fait des dîners mémorables avec des vins que j’avais apportés, ainsi qu’un caviste lyonnais. Et en fin de ces belles réunions des vignerons m’offraient de leurs vins. Le Cairanne Domaine Bruno et Vincent Delubac Côtes du Rhône Villages 2014 fait partie de ces cadeaux amicaux. Je l’avais ouvert avant midi pour le cas où le « Vray Pinot Chardonnay » eût été défaillant.

Ce vin est une très agréable surprise. Il est franc, précis et extrêmement bien fait. Fluide, plaisant, on sent qu’il profite bien de son âge, et qu’il a atteint un optimum, mais qu’il saura vieillir calmement. Il est beaucoup plus élégant que ce qu’on attendrait d’un vin « Villages ». C’est une heureuse rencontre.