Verticale de Cristal Roederer de 2005 à 1989 mercredi, 21 novembre 2012

Il est très rare pour moi de boire deux millésimes de Cristal Roederer dans la même soirée – et quand je dis rare, c’est une litote – et les périodes sans en boire sont suffisamment longues pour que toute volonté de comparaison soit vouée à l’imprécision. Aussi, c’eût été difficile de rater la première dégustation verticale de Cristal Roederer qui se tient en dehors du siège de cette honorable maison. C’est aux caves Legrand, grâce à l’entreprenant Gérard Sibourd-Baudry. Frédéric Rouzeaud, de la septième génération de la famille propriétaire de ce domaine fondé en 1776 et qui s’appelle Louis Roederer depuis 1832, présente le domaine et Jean-Baptiste Lécaillon, DGA et chef de caves, présente les vins. Voici les notes telles que je les ai prises, au fil de la plume d’un champagne dont le nom "Cristal", date de 1876.

Le Champagne Cristal Roederer 2005 a un nez racé, de poudre à canon et de tabac. Il n’évoque pas le fruit mais le minéral. L’attaque est délicate, envoûtante. Le vin entoure et envoûte comme un boa. Le final est moins brillant que le passage en palais. C’est un champagne très séduisant car énigmatique. Je l’adore. Le final s’assemble et délivre du fruit confit. Il est très charmeur car interpellant. Pour moi, c’est magnifique. Je ne suis pas sûr qu’il gardera cette troublante séduction avec des années de plus, car il deviendra plus compréhensible, mais pour l’instant, c’est magique, avec beaucoup de fruits exotiques et d’épices. Il est d’un grand équilibre, et lorsqu’il s’échauffe dans le verre, ce sont les fruits confits qui dominent.

Le Champagne Cristal Roederer 2002 au un nez aussi minéral, plus prononcé. L’attaque est belle, plus charmeuse. Le vin veut charmer, contrairement au 2005. Il y a du poivre, du thé, des épices. C’est délicieux, mais il n’y a pas l’énigme du 2005. Il y a quand même une assise très forte, une tension extrême. C’est un grand champagne.

Jean-Baptiste nous parle des années océaniques, qui sont des années à chardonnay et des années continentales qui sont des années à pinot noir. Parmi les années que nous goûterons, les 2005, 1999 et 1995 sont océaniques et les 2002, 1996 et 1989 sont continentales.

Les vins sont issus des vignes en propre. Il n’y a pas d’achat de vins à l’extérieur de la propriété. Les parcelles sont des dorsales calcaires, car c’était la volonté de Louis Roederer, pour exprimer les qualités qu’il voulait. Il y a une majorité de pinots noirs : deux tiers, contre un tiers au chardonnay et selon les années, le pourcentage variera en faveur de l’un ou de l’autre, compte tenu de leurs performances.

Le Champagne Cristal Roederer 1999 a un nez difficile à définir. Il est fermé et m’évoque l’ardoise. L’attaque est très retenue. C’est un champagne discret au final très fort. On sent qu’il reste sur son quant-à-soi. Quand il se réveille, il reste retenu. Le 2002 plus chaud développe des accents de miel. Je pense que le 1999 vieillira très bien et qu’il dévoilera sa profondeur. Le 2002, c’est le charme et le 1999 c’est la profondeur.

Jean-Baptiste dit qu’il met des vins d’Avize pour l’élégance, de Cramant pour l’exubérance, et de Mesnil-sur-Oger pour avoir un goût de Corton. Chez Roederer, le dégorgement est à date unique, cinq à six ans après la récolte. Dans le cas du 2005, on est au-delà de six ans.

Nous allons maintenant comparer le 1996 en bouteille et en magnum. Le Champagne Cristal Roederer 1996 en bouteille a un nez lacté. L’attaque est superbe et le vin est complexe. Il se boit bien et sa bulle est très forte. Le message du vin s’est un peu simplifié. C’est un grand vin. Il ne faut même pas une seconde pour prendre conscience de l’ampleur et du volume du Champagne Cristal Roederer magnum 1996. C’est spectaculaire. Il "écrase" l’autre en bouteille. Tout en lui est facile. C’est Fred Astaire ! Je ne m’attendais pas à un tel écart. L’épanouissement du 96 en magnum est spectaculaire. Il faut dire que toutes les bouteilles ont été ouvertes une heure et demie avant notre arrivée. Avec ce vin, au top, on nage dans le bonheur.

Le Champagne Cristal Roederer 1995 a un nez subtil, très droit. Il y a beaucoup de fruits et de fruits confits. Il est de belle race. C’est un Cristal archétypal. Il est très bon, très pur. Le 1996 est génial et le 1995 est solide et grand. Très vineux. Le 1995 à une personnalité très forte, chantante et puissante. Je préfère la tension du 1995 au charme du 1996, même si le magnum est d’un charme total. Pendant ce temps, le fond de verre du 2002 est superbe.

Le Champagne Cristal Roederer rosé 1996 a une couleur tellement blanche que je me demande s’il n’y a pas eu une confusion de bouteille. On croirait un blanc. Mais le nez est de rosé. Le Cristal rosé n’existe que depuis 1974. En bouche, même si l’on peut percevoir des goûts de rosé, la balance penche vers les goûts de blanc. Il est très beau, étonnant, atypique, car il transcende la notion de rosé. C’est un grand vin de gastronomie.

Le Champagne Cristal Roederer 1989 a un nez renversant de complexité et de finesse. En bouche, c’est du vin plus que du champagne. Il est vineux et doux. On entre dans le monde des vins doux et racés. C’était une année de chaleur. Il est miellé. Pour moi, il y a d’autres champagnes de 1989 plus tendus que celui-ci.

Si je devais classer les impressions qui sont bien personnelles, c’est le 2005 qui m’a le plus ému par son étrangeté. Le plus grand est le 1995 suivi du 1996 en magnum. Mais ce qui compte le plus, c’est que j’ai une nouvelle approche de Cristal Roederer, auquel je mordais relativement peu, d’une part à cause du prix, car je ne suis pas rappeur, mais aussi à cause du goût. L’image de Cristal a changé pour moi ce soir. J’en suis ravi.

Dégustation originale des champagnes Henriot au BAL mercredi, 21 novembre 2012

La maison de champagne Henriot invite au BAL, une salle dans le 18ème arrondissement qui se compose d’un bar avec terrasse et d’une galerie où expose un photographe. Situé dans une impasse, ce lieu est tonique, moderne, plaisant. On commence par goûter un Champagne Henriot blanc de blancs servi de la bouteille, puis le même, servi après avoir été carafé. Et les organisateurs de la réunion guettent nos réactions. Au moment où l’on tente l’expérience, le champagne carafé, dont la bulle est assagie par cette agitation, développe plus de complexité aromatique, plus de vigueur, et l’avantage est sans conteste en faveur du champagne carafé. Mais lorsque l’expérience se prolonge de cinq minutes, lorsque les champagnes se sont épanouis dans leurs verres, le non carafé a beaucoup plus de vigueur et de tension que le carafé qui s’assoupit un peu. Alors, selon que l’on boit vite ou lentement, on préférera le carafé ou le non carafé. L’expérience est de bel intérêt.

Dans la salle, un personnage, une sorte de magicien, veut nous initier à une expérience qui se présente ainsi. Trois cabines, comme des cabines téléphoniques, sont opaques. L’idée est de s’y introduire dans le noir avec un champagne, d’avoir sur les oreilles des casques de silence, un crayon luminescent qui permettra, lorsqu’on aura goûté un vin, de noter trois mots sur un papier dans l’obscurité totale. Les trois feuilles avec trois mots seront mises dans une urne qui ne sert pas au vote d’un chef de parti politique mais permettra aux équipes d’Henriot de connaître ce que ressent le public de leurs trois vins.

Il s’agit de Champagne Henriot rosé 1988, Champagne Henriot rosé 1989, Champagne Henriot rosé 1990.

N’ayant pas le temps de me soumettre à ce protocole qui me semble assez excitant, je goûte les trois rosés, et je remplis les trois cartons de trois mots chacun, sans être passé par les trois isoloirs.

Les trois rosés sont disparates, de personnalités variées. Je préfère le 1989 pour son charme et son élégance, le 1990 pour sa force de conviction et le 1988 pour son caractère atypique.

La présentation est originale, l’organisateur des séances dans le noir est passionnant. Les champagnes sont bons. Voilà une bien heureuse idée pour s’imprégner de trois rosés divers et convaincants.

la bouteille et la carafe posée sur un support conçu par Henriot

Dîner de vins en « 2 » au château de Beaune samedi, 17 novembre 2012

Après la dégustation des vins de 2011 de la maison Bouchard Père & Fils, nous nous rendons au château de Beaune en traversant la rue, accueillis par Joseph et Thomas Henriot. Dans le très joli salon nous buvons un Champagne Henriot cuvée des Enchanteleurs 1998 d’une très grande personnalité. C’est un champagne "qui cause". De plus, il promet, car on l’imagine avec un futur glorieux.

Nous nous rendons dans la salle à manger de l’orangerie. Le menu a ainsi été conçu : velouté de potimarron au café / galette de cèpes aux crustacés, jus au foie gras / bar de ligne poêlé, pralin de zestes, beurre d’agrumes, mousse de fenouil / veau de lait cuit à basse température, ris en Chartreuse, pommes de terre au pain d’épices / plateau de fromages / crémeux au chocolat, gavotte à la fleur de sel, coulis de mangue.

Le Beaune Clos Saint-Landry 1er Cru Monopole Domaine Bouchard Père & Fils 2002 a un bel équilibre, mais une palette aromatique un peu limitée à mon goût.

Le Chevalier Montrachet Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 1992 est un vin superbe, éblouissant, fabuleux. Sa complexité est confondante. On sent de l’orange amère, divinement mise en valeur par le plat et de la truffe. Ce vin est une récompense car c’est vraiment à cet âge là que l’on devrait boire ce vin. C’est un plaisir sans mélange. Géraud Aussendou à côté de qui j’ai fait la dégustation des 2011 m’avait annoncé la grande similitude entre le 2011 et le 1992. Il a parfaitement raison.

Le Chambolle-Musigny Les Amoureuses Bouchard Père & Fils 1982 est un très beau vin, très pur, très riche. Il pèse lourd en force alcoolique. Il est pénétrant et envahissant. Il est encore d’une jeunesse folle. J’aime beaucoup sa force et sa personnalité.

Le Volnay Caillerets Ancienne cuvée Carnot 1er Cru Domaine Bouchard Père & Fils 1962 a beaucoup de similitudes avec le vin précédent de 1982. L’alcool est présent. Alors que l’année 1962 a donné de plus grandes belles surprises que 1982, je préfère ce soir le 1982. Le Caillerets est assez chaleureux, charnu et opulent. Mais le 1982 a plus de vivacité.

La réception par la maison Bouchard Père et Fils est toujours bien organisée et généreuse. Joseph Henriot a insisté sur la recherche de l’excellence à tous les échelons pendant la naissance et l’élevage des vins de la gamme étendue de la première maison de Bourgogne. Ce que nous avons goûté cet après-midi et ce soir confirme que cette politique porte ses fruits. L’équipe est compétente et motivée. C’est un plaisir de participer à ces dégustations.

dégustation de quinze vins de 2011 de Bouchard Père & Fils samedi, 17 novembre 2012

Chaque année, au moment de la vente aux enchères des Hospices de Beaune, la maison Bouchard Père & Fils reçoit des journalistes pour une dégustation de vins récents, suivie d’un dîner à l’orangerie du château de Beaune. Dans une atmosphère studieuse, nous allons goûter quinze vins de 2011, sept rouges et huit blancs. Quelqu’un fait remarquer que l’on goûte par temps froid et humide, avec du brouillard, ce qui fait que les vins sont fermés.

Savigny-lès-Beaune Village Bouchard Père & Fils rouge 2011 : la couleur est d’un rouge sombre, le nez est profond, très engageant. L’attaque est un peu sévère. Il y a de la matière. Le vin est assez riche. Le final est pur. Au deuxième passage, le vin est fluide et paraît plus léger.

Beaune Clos de la Mousse 1er Cru Monopole Bouchard Père & Fils rouge 2011 : la couleur est plus rouge et moins violacée que le Savigny. Le nez est riche, capiteux. L’alcool est présent, mais pas au premier plan. J’ai une petite impression de manque. Au deuxième tour, le vin est meilleur, plus généreux.

Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1er Cru Monopole Bouchard Père & Fils 2011 : sa couleur est belle. Le nez est profond, pur et noble. L’attaque est très fraîche. C’est un vin désaltérant doté d’un très bel équilibre. Le final est en coup de fouet. C’est un vin gourmand, de pâtes de fruits, qui promet. Il devient encore plus charmeur par la suite.

Volnay Clos des Chênes 1er Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2011 : le rouge est un peu violacé. Le nez est assez discret. L’attaque est un peu imprécise, pas encore assemblée. Le final est un peu rêche, mais plus prometteur que le milieu de bouche. Ce sera un grand vin malgré le caractère austère actuel. Au deuxième tour, il est très prometteur, avec beaucoup de caractère.

Le Corton Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils rouge 2011 : la couleur est plus rouge. Le nez est distingué, équilibré. En bouche, il est encore sur la réserve. On sent la matière, mais il ne se livre pas encore. Il a un beau final charnu. Au deuxième essai, il est plus ouvert et montre que c’est un vin très pur, au beau final.

Nuits Saint Georges Les Cailles 1er Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2011 : la couleur est d’un beau rouge de grande clarté. Le nez est fermé. L’attaque est généreuse, chantante. Il y a du fruit. C’est un beau vin. Le final est un peu rêche. Au second tour, il est plus fermé que le Corton. C’est un vin à attendre longtemps.

Chambertin Clos de Bèze Grand Cru Bouchard Père & Fils 2011 : la couleur rouge est très rouge. Le nez est intense mais maîtrisé. On pressent une belle matière. La bouche est de fraîcheur, de race et de noblesse. Il y a déjà l’équilibre et le charme. C’est le plus grand de tous les rouges. Le final est un peu rêche mais gourmand. Je note au deuxième passage des notes salines. Ce sera un grand vin.

Nous passons maintenant aux vins blancs.

Bourgogne Réserve Coteaux des Moines blanc Bouchard Père & Fils 2011 : le jaune clair est plaisant. Le nez est assez simple. La bouche est plaisante dans son côté franc et simple. C’est plutôt une bonne surprise, sauf au final très vert.

Beaune Clos Saint-Landry 1er Cru Monopole Domaine Bouchard Père & Fils 2011 : le nez est trop discret. La bouche est assez claire, mentholée. C’est frais, c’est plaisant voire gourmand. Le vin est agréable à boire, au final très frais.

Meursault Les Clous Village Domaine Bouchard Père & Fils 2011 : le nez est plus expressif, mais pas totalement précis. L’attaque est franche, généreuse. Le vin est fluide et l’on note un certain manque de matière. Le final est très expressif et claque en bouche. Quelqu’un parle de guimauve et de tarte aux citrons.

Meursault Perrières 1er Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2011 : le nez est très charmeur, intense, de fruits confits. L’attaque est superbe. Ce vin est vivant ! Le milieu de bouche est plus calme, mais le final est tonitruant. Il a tout du bonbon anglais. Astringent, avec quelques notes de litchi, il fait forte impression.

On passe maintenant aux quatre poids lourds !

Corton Charlemagne Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2011 : le nez est très citron. L’attaque est celle d’un vin très jeune, très vert et le final est aussi très vert. Le vin se présente trop fermé ce qui empêche de vraiment l’apprécier.

Chevalier Montrachet Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2011 : le nez est très fin, fluide. L’attaque est généreuse, plus opulente, tout en ayant la fraîcheur du litchi. C’est un vin de grande classe, extrêmement plaisant, au final très frais.

Chevalier Montrachet La Cabotte Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2011 : le nez est très fin, discret. Ce vin a mis le turbo par rapport à tous les autres jusqu’alors. C’est Rambo ! Il est expressif, vivant. Je l’adore. Le final est frais, de bonbon acidulé, mais avec une matière de fruits. C’est un très grand vin de grande fraîcheur.

Montrachet Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2011 : le nez est d’une puissance extrême. Il est opulent. L’attaque est sereine, grande. La bouche est assise, riche. Le final est très beau. C’est un vin très réussi.

Alors que j’ai souvent tendance à préférer la Cabotte au Montrachet, je mettrais volontiers sur 2011 le Montrachet avant la Cabotte et j’accorderais une mention spéciale au Chevalier.

Cette dégustation conduite avec intelligence par Philippe Prost, maître de chais, montre des vins bien faits, du haut en bas de la hiérarchie des classifications, mais quatre vins sortent du lot, montrant déjà une classe extrême : le Chambertin Clos de Bèze, le Chevalier Montrachet, La Cabotte et le Montrachet. Les choix ont été expliqués avec clarté, et l’on n’a pas pu ne pas aborder 2012, année totalement atypique et de très petites quantités, dont la maison Bouchard semble particulièrement fière, compte tenu des difficultés rencontrées.

déjeuner au Yacht Club de France samedi, 17 novembre 2012

Notre club 2043 se réunit une fois de plus dans une salle à manger du Yacht Club de France. Le directeur nous fait choisir des champagnes présentés dans un ample seau glacé. Nous commençons par un Champagne Pierre Mignon Cuvée de Madame 2005 bien agréable à boire. Il est lisible, sans histoire et confortable. Je lui préfère le Champagne Pierre Mignon Grand Cru Harmonie de Blancs 2004 qui a plus de tension et de vivacité.

Le menu mis au point par Thierry Le Luc, le gérant des lieux : lasagnes imprimées d’herbes, médaillons de langouste, queues de langoustines aux jeunes légumes arrosés d’un jus de crustacés / filet de bœuf français, foie gras poêlé, courgette jaune / fromages affinés / charlotte au chocolat et fraises et framboises.

L’ami qui invite a choisi un bon Pouilly-Fuissé dont je n’ai pas retenu le nom. Le Château Talbot 1998 m’impressionne par sa densité. Il a une trame riche, et emplit la bouche goulument. Il va bien avec la viande. Le Château Lynch Bages 1997 est plus en douceur, subtil, et se marie bien aux fromages. Un Champagne Billecart-Salmon Brut réserve accompagne le dessert. A ce moment du repas, il est un peu linéaire et sans grande vibration. Il faut le goûter dans d’autres conditions.

Le jeu des sept familles samedi, 17 novembre 2012

"castigat ridendo mores" est la devise de la comédie classique, qui corrige les mœurs par l’humour.

Je n’ai pas l’habitude de parler de politique sur ce blog, mais je ne m’interdis pas l’humour. Lisant le Figaro magazine, je vois dans le courrier des lecteurs un billet où l’on suggère l’obligation de changer les intitulés du jeu des sept familles en remplaçant père et mère par parent 1 et parent 2.

Après avoir beaucoup ri de cette saillie, j’ai voulu aller plus loin. Si l’on nie la sexualité des parents qui ne sont plus père et mère mais parent 1 et parent 2, je ne vois pas pourquoi on ne nierait pas la sexualité des enfants. Et un parent, parlant de sa progéniture dirait qu’il a l’enfant 1, l’enfant 2 et l’enfant 3 par exemple.

Et pour aller plus loin dans le déni d’appartenance à un sexe, le gouvernement pourrait imposer que les seuls prénoms à utiliser seraient : Claude, Camille, Dominique, prénoms qui ont l’avantage de ne donner aucune indication sur le sexe de l’enfant.

Si cette grande conquête sociale est poussée à son terme, il reste encore à résoudre le problème de "M. et Mme Dupont recevront leurs amis le 13 avril à 19 heures". Une telle formulation n’est pas acceptable, puisque l’on peut voir que le couple est sexué, ce qu’il faut éviter. La formulation suggérée est : humain 1 et humain 2, le mot humain étant utilisé à la place de "membre d’un couple 1" et "membre d’un couple 2".

A titre d’exemple, voici ce que pourrait donner le carton d’invitation pour le mariage de deux jeunes futurs époux :

Humain 1 Claude Dupont et Humain 2 Camille Dupont, ainsi que Humain 1 Dominique Duval et Humain 2 Claude Duval sont heureux de vous convier à la cérémonie de mariage de leurs enfants :

Enfant 3 Dominique Dupont et Enfant 2 Camille Duval.

Par cette mesure de grande justice, on est en pleine citoyenneté républicaine, puisqu’il est impossible de connaître le sexe d’aucun des parents et d’aucun des enfants. On ne peut alors plus parler de minorité, mais au contraire de normalité (ou normalitude, au choix), puisque la notion de sexe est totalement supprimée.

Il s’agit très probablement de la plus grande conquête de l’humanité depuis l’invention de la peinture dans les grottes de Lascaux et Chauvet.

Un saut dans l’inconnu qui se révèle un sacré coup de chance vendredi, 16 novembre 2012

Souvent, je reçois des messages d’amateurs qui me parlent de leurs collections. Un collectionneur de verreries de bouteilles anciennes me contacte. Il est allé dans un château en Bretagne pour prendre livraison d’une grande quantité de bouteilles vides très anciennes, certaines étant du 17ème siècle. A sa grande surprise il a vu des bouteilles pleines, majoritairement du 19ème siècle, avec une ou deux, ici ou là du 18ème siècle. Au sein de ces lots, plusieurs alcools très anciens et surtout, des muscats de Joseph Nadal à Port-Vendres. Il les date du milieu de la deuxième moitié du 19ème siècle. Il me dit qu’il a l’intention d’en ouvrir un lors d’un dîner, en compagnie des descendants de Joseph Nadal. Par ailleurs, il regroupera des amis et un vigneron et compte bien que je vienne.

 

L’ayant entendu me citer des vins d’Alicante, de Ténériffe, des Marsala, des Samos, des liqueurs de cidre et autres raretés, alors que je ne connais personne de la future tablée, que je ne connais pas celui qui me convie, je décide d’aller à Tours pour un saut dans l’inconnu.

 

Emmanuel habite une jolie maison du 18ème siècle dans le centre de Tours. Dans toutes les pièces que je peux visiter, il y a des bouteilles magnifiques, aux verres de couleurs profondes, aux formes d’une grande beauté. Emmanuel s’y connait en verreries anciennes. Nous allons naturellement dans sa cave à vins où l’on retrouve aussi de belles bouteilles vides, mais mon œil est attiré par de magnifiques bouteilles pleines anciennes. 1882, 1846, 1837 et bien d’autres années. Le marquage a été fait à la main sur d’anciennes petites étiquettes d’écolier. Nous discutons quantité et prix, nous mirons les vins à la lumière et nous tombons d’accord. Je choisis dix bouteilles toutes différentes au sein de ses lots.

 

Les autres participants arrivent, Paul Nadal et son fils Lionel qui viennent pour goûter le muscat de leur ancêtre, Michel, un collectionneur de vins assez exceptionnel, qui a commencé à acheter aux domaines dès 1953 et possède aujourd’hui des allocations qui feraient pâlir d’envie tous les amateurs de vins, dont moi.

 

Nous partons au restaurant Olivier Arlot La Chancelière à Montbazon. Olivier n’est pas là, mais son prédécesseur toujours présent, chef de l’ancienne gestion avant qu’il ne reprenne, va nous exécuter un menu dont certains plats valent sans hésiter deux étoiles au guide rouge. Nous sommes neuf, Emmanuel et un de ses amis, Michel le collectionneur; Philippe Foreau, vigneron du Clos Naudin et son fils ainsi qu’un ami, les deux Nadal et moi. Chacun des apporteurs de vins, l’un après l’autre, montre en catimini ses vins à David le sommelier pour qu’il sache le moment de l’apparition de chacun des vins et les exigences d’ouverture. Car ce soir, on boira à l’aveugle, puisqu’Emmanuel et ses amis aiment déguster ainsi. J’ouvre mes vins au vu et au su de tout le monde, car je veux montrer ma méthode, dont je suis fier, d’ouverture des vins anciens. Emmanuel me dit : « puisque tu es si malin, si tu arrives à sortir entier le bouchon du muscat Nadal, je t’en offre une bouteille, parce que pour celles que j’ai ouvertes, le bouchon est chaque fois sorti en charpie ». Nous topons, et excité par le challenge, je m’applique plus que de coutume et sors le bouchon entier. Le lendemain matin, Emmanuel a honoré son pari.

 

Le menu concocté par Olivier Arlot, Philippe Foreau et Emmanuel est : amuse-bouche, foie gras sel et poivre / huître de Cancale de quatre façons : en raviole et bouillon champagne, frite sur chair de tourteau et yuzu, en coquille, crème échalote et raifort, enfin son eau en granité et citron caviar / soupe Miso à notre façon, foie gras et pigeon / noix de Saint-Jacques, topinambour, truffe blanche d’Alba / sandre confit au beurre, sauce diable / râble de lièvre, salsifis rôtis, béarnaise du Piémont, jus d’un civet / faisselle de chèvre frais, poires, vinaigre d’hydromel / macaron, crème de marron et clémentine / mi-cuit chocolat, fève tonka, sorbet cacao, bergamote.

 

Nous allons commencer par le Muscat Vieux Joseph Nadal à Port-Vendres vers 1870 sur le foie gras. J’ai envie d’associer l’un de mes deux vins, d’une bouteille qu’Emmanuel date vers 1880, de la forme d’une vieille bouteille de bière. David le sommelier me fait goûter et il m’apparaît instantanément que mon vin serait écrasé par la perfection du muscat. Je retarde donc le service de mon vin et le muscat sera seul. La bouteille est lourdement chemisée d’un dépôt noir épais. Dans le verre, la couleur du muscat est d’un abricot gorgé de soleil. Cette couleur est magnifique. Le nez l’est tout autant. En bouche on ressent l’orange, le menthol, l’alcool. Le vin muté est fort, épais, très pâte de fruit. Le final est très frais. C’est un très grand vin et les deux Nadal sont émus. Le vin est fait de muscat d’Alexandrie, d’une période entre 1850 et 1880 selon eux. L’accord avec le foie gras est superbe.

 

Les vins vont être bus à l’aveugle. Le premier blanc sec est très beau, minéral, de grande longueur et de bel équilibre. C’est un Chablis 1er Cru Séchet Dauvissat 2001 au nez superbe et très pur, déjà très mûr. Le second a un nez moins agréable, mais en bouche, il a beaucoup de gras et d’ampleur. On sent le miel. C’est Chablis Grand Cru les Preuses Dauvissat 1995 de moindre longueur que le Séchet. Le « Preuses » s’accorde très bien à l’huître au raifort, ce qui ne paraissait pas évident.

 

La soupe Miso est une merveille absolue et le troisième vin a un parfum qui est la copie conforme du parfum de la soupe. Le vin est gourmand. Il a du fumé, il est chaleureux. C’est un Vouvray demi-sec Foreau Clos Naudin 1995. Je l’aurais estimé beaucoup plus ancien. C’est un très beau vin.

 

Le quatrième blanc sent la truffe, parce que le plat a de la truffe blanche. Le cinquième est beaucoup plus strict mais forme un accord divin avec le plat de coquilles. Le 4ème est gourmand, le 5ème est plus strict, plus tendu. Le 4ème est Pouilly Fuissé Tête de Cru Mme Ferret 1996. Il est de belle complexité aromatique, avec un goût de pierre à feu influencé par la truffe blanche. Le cinquième est un Vouvray sec Foreau Clos Naudin 1996. Il a beaucoup de profondeur. Il est très pur et très précis. Le vouvray est plus « marin », avec un final superbe.

 

Le nez du 6ème est camphré cependant que pour Emmanuel, le nez du 7ème est celui des cierges d’église et de la cire des bancs d’église. L’ami de Philippe Foreau est celui qui trouve le mieux les vins. Il reconnaît dans le 6ème le Riesling Clos Saint Hune Trimbach 2002. Mais j’avoue que les dégustations à l’aveugle me rendront toujours perplexe, quand l’un des convives affirme urbi et orbi que le 7ème est un riesling alors qu’il s’agit d’un merveilleux Château Grillet 2003, superbe, brillant fumé et très long, un vin qui m’avait fait dire : « ah, ça, c’est grand », car je n’allais pas hasarder un cépage que je ne reconnaissais pas. Le Sainte Hune est puissant et n’a pas beaucoup de longueur. Le Grillet est un pur régal sur le sandre divinement cuit, dont la sauce diable n’est pas l’amie des vins.

 

Pour le râble de lièvre tendre mais pas assez gibier à mon goût, il y a quatre vins alignés, et dès les premiers parfums, on sent que ça tape fort. Le premier a un nez à se damner et je suis le premier à dire domaine de la Romanée Conti. Je ne suis pas peu fier, car jusqu’à présent, j’ai observé un certain mutisme vis-à-vis des blancs. Ce vin a un nez à mourir tant il est profond. La bouche est moins conquérante, plus mesurée mais aux saveurs bien précises, où l’on a du fumé, feu de cheminée, de la truffe, mais aussi la signature de rose et de salin. Très représentatif du domaine avec un esprit très strict, très serré, il a une longueur infinie. C’est une très grande bouteille. C’est La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1971.

 

Le second vin est puissant riche, d’une trame serrée. Je hasarde Palmer 1964, car Palmer est un fonceur sur cette année mais Michel, le donateur de La Tâche et de cette bouteille m’arrête et dit : c’est Pétrus 1971. Emmanuel saute en l’air comme s’il avait gagné le gros lot. C’est son premier Pétrus et il l’adore. Et alors, voici un moment comme je les adore. La bouteille de Pétrus a une étiquette rongée par l’humidité et le millésime est invisible. Le sommelier arrive avec le bouchon et dit : « je suis désolé, ce n’est pas 1971, mais 1969 ». A ce moment, je sursaute, car une telle puissance est incompatible avec l’année 1969. Emmanuel prend le bouchon en mains, me le montre et il est évident que c’est 1959. Nous buvons Pétrus 1959. Le vin est grand et si je me suis trompé de rive, c’est que ce vin n’est pas un exemple significatif de la rive droite. Sa puissance, sa truffe, le mettent hors compétition. Celui que je bois n’est pas le plus puissant des Pétrus 1959 que j’ai récemment bus en bouteille et en magnum. Le parfum du vin est intense et c’est avec le jus de civet que l’accord se trouve le mieux.

 

Notre attention est tellement prise que l’on en oublierait presque un vin très subtil, le Pommard Rugiens Domaine de Montille 1985, d’autant qu’il a un léger problème – mais vraiment à la marge – qui pourrait venir du bouchon. Le quatrième est bizarre, perlant, presque trop vert. C’est un Vosne Romanée aux Brûlées domaine Méo Camuzet 2004, beaucoup trop jeune dans cette série.

 

Le Château d’Arche Pugneau Sauternes 1921 que j’ai apporté, d’une bouteille au niveau impeccable, a une couleur d’un ambre doré très jolie, plus foncée que celle du muscat mais tout aussi dorée. J’aime beaucoup son parfum et ses agrumes, même si le vin est un peu court. Son botrytis est bien présent même si le vin est un peu sec. Bien sûr, comme nous sommes sur les terres de Vouvray, les autochtones sont volontiers critiques avec lui. A côté un sauternes plus jeune qui sent la térébenthine n’a pas la complexité du 1921 mais a de la fraîcheur, c’est Château Suduiraut 1988 qui mériterait de vieillir encore longtemps.

 

Je suis le plus mauvais ambassadeur de ma bouteille ancienne, d’un verre presque noir empêchant de voir la couleur du liquide. Cette bouteille est du même lot de bouteilles disparates de la seconde moitié du 19ème siècle que j’avais achetées, et dont j’avais ouvert un exemplaire lorsque j’étais allé goûter la bouteille de 1690 chez un rennais. C’était un délicieux madère. Là, le vin est effacé, fade, n’a pas de joie de vivre. Je le dis à mes amis d’un soir et c’est celui qui trouve tout qui me contredit. Ce vin est un xérès. Attendant un madère, j’étais loin du compte. Et en le buvant en pensant xérès, le jugement change complètement sur ce – disons – Xérès 1870 #. L’ami si expert dit : « ce vin est excellent détrompez-vous ». Mais, marqué par mon analyse première en forme de contresens, je n’ai pas eu le plaisir que j’aurais pu avoir.

 

Si je devais classer les vins de ce soir, ce serait : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1971, 2 – Château Grillet 2003, 3 – Pétrus 1959, 4 – Vouvray demi-sec Foreau Clos Naudin 1995. Le muscat est hors catégorie car non comparable aux autres vins.

 

La cuisine a été sur deux plats à la hauteur de deux étoiles, la soupe Miso et les noix de Saint-Jacques. Le service attentionné et intelligent font ce cette table un site qui « mérite le détour ». La générosité de Michel le collectionneur et de Philippe le vigneron, l’ambiance chaleureuse créée par et autour d’Emmanuel ont fait de cette soirée une soirée mémorable. Je venais dans l’inconnu et j’ai eu en retour beaucoup plus que je ne l’espérais.

 

Le lendemain, venant chez Emmanuel pour prendre les bouteilles que j’avais achetées, il a ajouté le prix de son pari plus deux bouteilles pleines ou presque pleines de vins du 18ème siècle. Décidément la chance sourit à ceux qui la provoquent.

 

 

J’aime cette photo d’une toute petite partie de la collection d’Emmanuel

 

 

la bouteille qui est le point de départ de ce dîner

 

 

les vins du dîner

 

 

 

 

 

 

 

le bouchon du Pétrus

 

 

 

 

 

Opening of Restaurant Garance, of my friend Tomo mardi, 13 novembre 2012

Tomo, my Japanese friend with whom I like to share very rare wines, officially opens its restaurant GARANCE.

The address is 34 rue Saint-Dominique Paris 7ème and the number is 01 45 55 27 56 .

You can now reserve seats.

Chef Guillaume ISKANDAR

Sommelier Guillaume MULLER

For the record, I have the honour to have suggested the name of this restaurant. We were talking about atmosphere and naturally when we talk about atmosphere, the name of Arletty comes to mind. And Arletty is the sublime Garance of the film "Les Enfants du Paradis".

By going to restaurant Garance, you will be children of paradise.

restaurant Garance, le restaurant de Tomo mardi, 13 novembre 2012

Tomo, mon ami japonais avec lequel j’aime déguster des vins très rares, ouvre officiellement son restaurant Garance.

L’adresse est 34 rue Saint-Dominique Paris 7ème et le numéro est 01 45 55 27 56.

On peut dès maintenant réserver des places.

Chef Guillaume ISKANDAR

Sommelier Guillaume MULLER

Pour la petite histoire, j’ai l’honneur d’avoir suggéré le nom de ce restaurant. Nous parlions d’atmosphère et naturellement lorsqu’on parle d’atmosphère, le nom d’Arletty vient à l’esprit. Et Arletty, c’est la sublime Garance des Enfants du Paradis.

En allant au restaurant Garance, vous serez des enfants du paradis.

Dîner de Gala de l’Académie du Vin de France mardi, 13 novembre 2012

L’Académie du Vin de France a son siège au restaurant Laurent. A 17 heures, l’assemblée des membres de l’académie tient ses travaux. A 19 heures, au premier étage du restaurant, les vignerons membres offrent à déguster leurs 2010 ou 2011 et parfois quelques autres années en une sympathique Paulée à la bourguignonne. Le groupe s’étoffe d’amis et invités par les membres de l’académie. La foule étant nombreuse, il faut savoir se faufiler aussi la première étape de mon chemin de choix sera La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2009, au parfum tétanisant. Je suis revenu plusieurs fois goûter ce vin au charme diabolique. Il est parfait à ce stade de sa vie. Il va certainement se refermer dans quelque temps, pour s’épanouir à nouveau et devenir un vin immense. A côté de lui un vin de Dujac de 2010 dont je n’ai pas noté l’appellation (on en prend pas de notes dans ce cénacle) est extrêmement gourmand et généreux alors qu’un Volnay de Montille est d’une grâce d’une distinction remarquables. Il y a un quarantaine de vins présentés. Le Meursault Charmes Comtes Lafon est goûteux, que j’ai préféré au Meursault Genévrières. J’aime l’Hermitage blanc de Chave et le Château Simone blanc. Les bordeaux sont servis beaucoup trop froids au moment où je viens les goûter. Le Jurançon Cauhapé Quintessence du Petit Manseng est une merveille ainsi que le Château de Fargues, subtil tout en étant d’une belle puissance. Pris dans le mouvement, je ne suis pas sûr des millésimes.

Bien sûr on bavarde avec les vignerons présents, et l’on redescend pour un apéritif debout dans la salle ronde qui est l’antichambre du restaurant. Le Champagne Pol Roger 2002 se boit bien, mais il n’a pas la vibration qu’il pourrait avoir.

Le dîner est placé et je suis à une table où Gérard Chave et Jean-Louis Chave sont présents comme Hubert de Montille et sa fille Isabelle. A côté de moi Elizabeth Graillot et Olivier Jullien. Un ou deux amis des vignerons complètent le tour de table.

Le président Jean-Robert Pitte salue l’assemblée et confirme la nomination d’Olivier Bernard, impétrant l’an dernier et membre cette année. Celui qui le suit d’un an, impétrant aujourd’hui, est Olivier Jullien. Il est venu en tenue de vigneron et ça ne gêne personne tant son sourire lui ouvre toutes les portes. J’aurai au cours du repas de longues conversations passionnantes avec lui sur l’histoire et la longévité des vins.

Le menu mis au point par Philippe Bourguignon avec Alain Pégouret est un chef-d’œuvre de pertinence des accords mets et vins. Il faut dire qu’il a donné lieu avec quelques académiciens à des essais en vraie grandeur. Que ne ferait-on pas pour satisfaire cette docte assemblée. Voici le menu : homard en bouillabaisse froide / trompettes de la mort juste rissolées, crémeux d’œuf et jaune coulant sur un fin sablé au parmesan / tronçon de turbot poché, champignons de couche, sauce hollandaise / joues de veau fondantes, moelle, risotto à la truffe blanche d’Alba / Saint-nectaire, l’un d la ferme du Puy de la Bade et l’autre de la ferme Guillaume / gaufrette aux litchis, crème de châtaignes.

Mes trois plats préférés sont les joues de bœuf, le homard et les trompettes de la mort.

Le Palette, Château Simone blanc 2005 a une belle structure, d’une construction solide. Mais le vin est dans une phase où il n’est pas encore parfaitement épanoui et assemblé. Il est agréable, mais on sent qu’il faudrait l’attendre encore. Le homard délicieux lui va bien.

Le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2005 a un nez qui explose de soufre ou qui donne cette impression de soufre. Extrêmement minéral, il paraît d’une jeunesse folle. Il me met un peu mal à l’aise, car lui aussi paraît ne pas être arrivé à un point d’équilibre. Il se confirme que 2005 est une année qu’il faut attendre. Les trompettes de la mort donnent de l’ampleur au vin et le rééquilibrent.

Le Puligny-Montrachet "les Pucelles" Domaine Leflaive 2005 se présente dans des bouteilles dont les évolutions sont différentes. Certaines bouteilles, selon ce que j’entends, ont une oxydation sensible. Daniel, le fidèle sommelier complice de mes dîners m’a servi du vin d’une bouteille parfaite. C’est un vin joyeux, fonceur, charmant et épanoui que j’ai la chance de déguster. C’est avec la chair du turbot qu’il faut en profiter, sans la sauce hollandaise bien sûr.

Si les blancs avaient tous, de façon plus ou moins prononcée, un problème de puberté, le Domaine de Chevalier rouge 2005 arrive comme d’Artagnan avec une assurance insolente. A ce stade de sa vie, ce vin ne pourrait pas être plus parfait. Et comme il est accompagné d’un plat d’une gourmandise invraisemblable, il en profite au mieux. C’est surtout avec la moelle que le vin s’exprime le mieux. Il est goûteux, charnu. C’est un vin de plaisir.

Le Château Branaire-Ducru 2005 a un parfum qui dénote lui aussi que le vin n’a pas trouvé son équilibre. S’il est plus profond que le Domaine de Chevalier, il n’a pas d’épanouissement. On boit un vin en devenir, qu’il faut avoir la patience d’attendre.

Le Château Corbin-Michotte 2005 a un nez d’une forte personnalité. Ce vin n’est pas charmeur, il interpelle. L’image qui me vient est la chanteuse Barbara. On ne peut pas dire qu’elle était belle, mais sa présence était d’une force extrême. Ce vin est ainsi, il a des choses à dire, il raconte, sans orthodoxie, mais avec intérêt.

Le Gewurztraminer Vendange Tardive Clos Windsbuhl domaine Zind-Humbrecht 2005 a un nez de litchi et de douceurs, si bien que le dessert lui est indissociable, d’une pertinence absolue. C’est un grand vin, d’un grand charme, mais je ne lui ai pas trouvé l’extrême justesse qui caractérise les vins de Zind-Humbrecht. C’est un grand vin.

Jacques Puisais, selon une solide tradition, a fait une analyse des vins et des accords. Poétique, déroutant souvent, attentif à des détails auxquels on ne songe, Jacques a été brillant comme il sait l’être, malicieux, nous entraînant dans l’irréel , dans l’inattendu, voire dans le surprenant. Lors de précédents dîners, il ajoutait parfois des suggestions érotiques voire grivoises. Ici, son discours a été marqué par l’amour. Souvent il a fini l’analyse d’un plat et d’un vin par un "ils s’aiment" déterminé. Il s’aiment. Circulez, il n’y a rien à voir !

Bavardant après le repas avec des amis d’autres tables, j’ai pu constater que nos analyses des performances des vins sont toutes différentes. Le Corton Charlemagne fut le seul à déclencher l’applaudimètre, et Philippe Bourguignon m’a dit que pour lui c’est un signe fort. Michel Bettane n’a pas vibré autant que moi sur le Corbin-Michotte.

Mon classement personnel est : 1 – Corbin Michotte 2005, 2 – Domaine de Chevalier 2005, 3 – Gewurztraminer Vendange Tardive Clos Windsbuhl domaine Zind-Humbrecht 2005, 4 – Puligny-Montrachet "les Pucelles" Domaine Leflaive 2005.

Ce qui est marquant, à mon point de vue, dans un tel dîner, c’est la gentillesse des vignerons, leur générosité aussi, de faire connaissance avec le brillant vigneron du Mas Jullien, la pertinence des accords mets et vins et pour finir, La Tâche 2009 qui sera un monument dans quelques années.