Ouverture pré-officielle du restaurant de mon ami Tomo mardi, 6 novembre 2012

Tomo, le fidèle ami avec lequel j’ai bu deux Romanée Conti pour le film "les quatre saisons de la Romanée Conti" a enfin son restaurant. Débordé par les procédures et les formalités il a mis trois ans pour aboutir. L’ouverture officielle sera dans une quinzaine de jours, parce qu’il y a toujours de petites finitions de dernière minute, mais ce soir, l’équipe au complet œuvre en vraie grandeur avec tous les plats de la carte. Des amis de Guillaume, le directeur, sont venus et toutes les tables du restaurant sont prises. C’est l’ouverture non officielle mais effective du restaurant dont le nom pour l’instant sera Restaurant Tomo. J’indiquerai toutes les coordonnées lorsque Tomo me donnera le feu vert. Le restaurant est dans un quartier chic, à une adresse huppée, la façade est raffinée.

Quand on pousse la porte, la décoration élégante frappe d’emblée. Ardoise, bois et verre sont élégamment dosés. La cuisine est ouverte sur l’entrée et quatre cuisiniers dont Guillaume (l’autre Guillaume) est le chef. En montant l’escalier entre des parois d’ardoise, on peut jeter un œil sur une cave à vins toute en verre, qui plante le décor : Romanée Conti, Yquem, Screaming Eagle, Comtes Lafon, Henri Jayer. Ici, on ne rigole pas, il y a du lourd au programme. Heureusement il y a au sous-sol une autre cave aussi en verre, que l’on peut apercevoir du rez-de-chaussée, où des vins sont plus accessibles.

Je suis venu vers 18h30 pour ouvrir ma bouteille qui doit "marquer le coup" pour un événement si important dans la vie de Tomo. J’ai choisi Hermitage La Chapelle 1959, une rareté qu’il faut boire, puisque le niveau est à 5 ou 6 cm du bouchon. En voulant planter mon tirebouchon, le bouchon recule. J’essaie de le piquer, mais il bouge encore et finit par tomber. Je suis obligé de transvaser le liquide dans une autre bouteille. Le parfum me semble pur et n’a pas été affecté car le bouchon avait jusqu’à ce moment joué son rôle.

A 20 heures, Tomo et son épouse ainsi que la mienne me rejoignent à notre table. Une coupe de Champagne Billecart Salmon Brut sans année est désaltérante, mais ne m’inspire pas trop, car j’ai en tête l’anxiété du comportement futur de mon vin. Plutôt que des gougères, le chef a préparé une brioche que Guillaume découpe en petites tranches que nous pouvons tremper dans une sauce verte délicieuse. C’est original, goûteux, et se marie bien avec le champagne.

Nous choisissons nos plats. Pour moi ce sera : céleri cuit au four, lard, échalotes, moelle de bœuf / homard bleu, carotte, raifort / agneau en deux services, haricot de Soissons / coing glacé, butternut, marrons vanillés.

Tomo a apporté un Charlemagne Grand Cru Doudet-Naudin 1929 dont l’habillage est récent, car les étiquettes et leurs libellés sont modernes. A travers le verre, on peut voir que le vin est fortement ambré. Hélas, le parfum ranciote et le goût en bouche est définitivement madérisé. Le vin manque d’intérêt, car la madérisation étouffe toute autre saveur. Ce n’est pas désagréable, mais ce n’est pas ce que nous attendons. Le céleri est délicieux et se prend de sympathie pour le vin blanc. Le blanc étant mis de côté, l’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1959 entre en scène plus tôt que prévu. Son nez est pur et respire la truffe. En bouche le vin est solidement charpenté, évoque une lourde truffe, mais on le sent monolithique, coincé dans une expression minimale. Le homard a un effet extraordinaire sur le vin. Il le rend plus long, plus aiguisé et lui permet de se réveiller. La chair du homard est très intense, comme je l’aime et le radis et le raifort l’excitent, mais alors il ne faut pas penser au vin. Seule la chair du homard joue un rôle curatif pour le vin.

Tomo fait ouvrir La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1980. Le parfum est la signature du domaine d’une façon inimitable. Sel et rose sont au rendez-vous. Mais le vin commence par n’être qu’un squelette d’un vin du domaine. Il a toutes les cartes d’identité et passeports du domaine, mais il manque de chair, d’ampleur, de joie de vivre.

Sur un agneau exceptionnellement bon, nous allons assister à un phénomène dont on pourrait penser qu’il a été voulu, mais qui est le fruit de la chance. La subtile sauce de la première partie de l’agneau donne le coup d’envoi d’une résurrection de La Tâche. Elle gagne en opulence, devient charnelle, et le vin est exactement ce que nous aimons de La Tâche, un vin qui interpelle, qui donne des signaux où l’amertume est subtile. Nous sommes en plein dans un accord de haute subtilité. Lorsque je dis que cet agneau est un plat de deux étoiles, Tomo me dit : "ce n’est pas ce que nous visons". Et lorsque plus tard j’irai féliciter le chef Guillaume en cuisine en lui parlant de deux étoiles il a la même réponse : "ce n’est pas ce que nous visons". Peut-être, peut-être, mais démarrer ainsi, c’est une sacrée promesse. Et la deuxième partie de la pièce qui se joue, c’est le deuxième service de l’agneau, plus caramélisé. Et là, c’est la consécration de l’Hermitage La Chapelle qui devient éblouissant. C’est un très grand vin, puissant, droit, direct, aux fruits rouges et noirs un peu passés, à la truffe bien dosée, qui plait par son équilibre et sa sérénité. Il a tout de son petit frère 1961, sauf le génie. A ce moment précis nous avons La Tâche 1980 qui est ce qu’elle doit être et l’Hermitage 1959 qui est ce qu’il doit être. Et c’est un moment de grâce. Nous avons eu peur, mais le temps et l’éclosion des vins nous ont apporté du bonheur.

Le dessert est délicieux et accompagné d’un vin de table de France Turbullent avec deux "L", Le Roc’ambulle qui titre 9° et tient un peu du cidre mais convient bien pour finir sur une légèreté.

Je brûlerais bien sûr de vous donner le nom et l’adresse de cet endroit où nous avons dîné de bien belle façon avec une cuisine précise, classique, magnifique pour les vins, couronnée par un agneau sublime. Mais je respecte le désir de Tomo. Il veut que tout soit prêt pour recevoir les réservations. Soyez prêts à réagir le jour venu, car voilà un lieu où l’on mange bien.

L’Axel à Fontainebleau, un grand restaurant dimanche, 4 novembre 2012

A Fontainebleau, Kunihisa Goto a créé avec son épouse le restaurant L’Axel. Nous sommes reçus par le joli sourire de la maîtresse des lieux. La décoration est sobre et très agréable, l’espace est bien géré. Tout semble réuni pour que nous passions une bonne soirée. Alors que Leslie Simonetto, jeune sommelière dynamique a conçu des accords mets et vins avec le chef, nous avons apporté des vins qui accompagneront, nous l’espérons, le menu dégustation.

En voici le programme : crème de cerfeuil et trompette de la mort, émulsion champignons / huître en salade de fruits exotiques, émulsion à la passion / salade de truffe de Bourgogne, mousse de pommes de terre et vieux comté, brioche à la truffe / Saint-Jacques d’Erquy en carpaccio, rémoulade de topinambour, caviar d’Aquitaine / œuf translucide, émulsion de truffe de Bourgogne, velouté de cèpes, toast de Pata Negra / bar doré sur peau, risotto de riz vénéré, consommé de seiche / pigeon rôti et cuisse confite, paille de pomme de terre et salsifis / fromages /gelée d’orange, coulis de litchi, mousse aux coquelicots de Nemours / salade de fruits exotiques, gelée à la passion, biscuit spéculoos, meringues et crème Dulcey.

Le Champagne Bollinger R.D.1996 est dans un état de grâce. On peut difficilement penser qu’il puisse devenir meilleur. Il est fort, son alcool se sent, il est complexe et ce qui me fascine, c’est sa faculté de se transformer au contact des saveurs qui lui sont associées. Avec le cerfeuil, il prend des poses de sénateur. Avec l’huître, il devient affuté comme le plus tranchant des couteaux. C’est un très beau champagne à la couleur déjà ambrée, parfait à ce stade de sa vie.

Le Château Haut-Brion blanc 1967 a une couleur très jeune. Même si l’ambré est légèrement doré, la couleur évoque la jeunesse. Le parfum de ce vin est envoûtant, très sensuel. En bouche c’est un vin accompli, de belle maturité, mais qui semble ne pas avoir d’âge. Il représente la beauté du vin blanc de Bordeaux, quand la complexité est quasi infinie, avec une acidité citronnée très ciselée et une longueur de bon aloi. Avec la salade de truffe, le vin est à son aise. Mais c’est sur la délicieuse coquille Saint-Jacques que le vin s’épanouit le mieux. Ses dernières gouttes brillent sur le bar cuit à la perfection.

Nous avions prévu de prendre un vin à la carte du restaurant. Cette carte est bien chiche, mais le lieu vient d’ouvrir. Elle s’étoffera. Ayant souvent entendu parler des vins de Priorat et n’en ayant jamais bu, j’ai envie d’essayer Embruix de Vall Llach Priorat Espagne 2003. Au moment où Leslie me sert pour le goûter, je n’ai qu’une envie, c’est de le refuser. Car ce vin qui titre 14,5°, c’est la force brutale. Il n’y a pas l’ombre d’une imagination dans ce vin rustre. Nous le buvons quand même, mais ce vin rustaud ne correspond en rien à la cuisine élégante du chef. On nous explique qu’il figurait en cave avant la reprise par l’équipe actuelle.

Pour les délicieux desserts, nous buvons un Château d’Yquem 1/2 bouteille 1997. La couleur est déjà très abricot. Le nez est riche. Le vin a un fort alcool et un sucre impérieux. Mais il est glorieusement agréable. C’est un guerrier qui réagit parfaitement aux subtilités des desserts. C’est certainement un Yquem qui sera immense dans vingt ans.

Kunihisa Goto est un chef au talent certain. Il respecte la cuisine française et ajoute sa patte en déclinant des subtilités qui parfois m’ont fait penser à Pascal Barbot. On sent que pour l’instant, il s’en tient à un certain classicisme. Lorsque le succès se confirmera – la salle était pleine ce soir – il pourra donner libre cours à une imagination plus débridée pour nous surprendre. Les plats les plus beaux sont le pigeon à la cuisson idéale, le bar délicieux cuit à la seconde près, les coquilles dont l’épaisseur est idéale. Les desserts sont gourmands.

Ce chef est talentueux, d’ailleurs reconnu comme l’un des chefs du futur dans une célèbre revue, son équipe crée une ambiance ouverte et accueillante. C’est une table où nous reviendrons sûrement.

dîner chez des amis avec Hill of Grace samedi, 3 novembre 2012

Nous nous rendons chez des amis. Elle est passionnée de cuisine et lui de vins. Le Champagne Cuvée Louise Pommery 1995 a un nez épanoui, solide et généreux. En bouche il est serein, de belle facture, très rassurant. De fines tranches d’andouille lui donnent de l’ampleur et des cannelés au chou-fleur et parmesan lui donnent de la longueur. On est bien avec ce champagne raffiné. Son bouchon est curieusement petit et déjà chevillé. Il faut sans doute boire vite ce champagne s’il ne s’agit pas d’une exception, car même si la longévité du vin est loin d’être entamée, il faut éviter des dégradations possibles.

Sur une crème aux châtaignes et écrevisses, le Château Mont-Redon Blanc de Blancs Chateauneuf-du-Pape 2002 servi très froid n’a pas le moindre parfum, ce qui est étrange. En bouche il est plat, mais c’est le froid qui en est la cause, car il va progressivement s’épanouir pour devenir un aimable Chateauneuf-du-Pape. Mais c’est bien tard.

Sans connaître le programme de mon ami, j’ai apporté un Château Ausone 1987, d’une année relativement faible, dont je souhaite vérifier comment il se comporte à 25 ans. A l’ouverture, le parfum est d’une rare délicatesse. Il est subtil, racé, avec des fragrances délicates. En bouche, il garde cette délicatesse et même si le vin manque un peu de coffre, je le trouve charmant et élégant. Mais la vedette est ailleurs, car Bernard a ouvert un Hill of Grace Henschke Australie 1995. Le vin carafé est servi à l’aveugle et Bernard me demande à quoi je pense. Immédiatement, c’est vers les grandes Côtes Rôties de Guigal que mes pensées se dirigent. Et j’aurais dû aussi mentionner Penfolds Grange, car il y a une belle complicité de goût avec cet autre vin australien. Le vin titre 14°, mais ce qui est impressionnant, c’est la fraîcheur mentholée qui accompagne des fruits noirs et rouges. Le vin est riche, dynamique et plus adapté à la joue de porc aux légumes oubliés que le délicat Ausone.

Les fromages sont absolument délicieux et un vin est servi à l’aveugle aussi. Mon palais est tellement pris par les saveurs fortes dont celle d’un fromage qui sent la noix de façon impérieuse que je ne reconnais pas tout de suite le Champagne Dom Pérignon 1990 magnifique et épanoui, meilleur que le souvenir du dernier 1990 que j’ai bu.

Pour le dessert, Bernard a prévu une demi-bouteille de Vin de paille Marsanne Domaine de Trévallon 2007 aux grains séchés trois ans sur paille et mis en bouteille par Antoine Dürrbach en 2010. Le vin titre 15°. Il est très frais et l’on ne sent pas trop de sucre ou de charge alcoolique.

Ce n’est pas le cas avec l’Elixir Végétal de la Grande Chartreuse fabriqué à Voiron par les Pères Chartreux et qui titre 69°. Que cet alcool est traître ! Car le côté végétal, très Grande Chartreuse, pousse à y revenir, ce qui est tout simplement mortel. C’est de l’au-delà que je termine ce rapport d’un dîner amical dont les saveurs culinaires furent parfaites et les vins éclectiques passionnants.

163ème dîner de wine-dinners au restaurant Lasserre vendredi, 26 octobre 2012

Le 163ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Lasserre. Ce sera la première fois qu’un de mes dîners se tient en ce lieu et l’envie de revoir Antoine Pétrus, sympathique et brillant sommelier a pesé beaucoup. J’étais venu déjeuner en "repérage" il y a quelques jours en ce lieu riche de souvenirs de jeunesse. Antoine m’accueille à 17 heures, je fais la photo des vins et commence alors la cérémonie d’ouverture. L’Y d’Yquem 1988 a un parfum à se damner. Il est conquérant. Pour voir si le lien de famille se fait, j’ouvre l’Yquem 1955 au nez moins envahissant mais d’une rare subtilité. Et l’on peut imaginer un petit lien de famille. Le nez du Laville Haut-Brion 1951 a en rigueur ce que l’Y a en joie de vivre. Mais ce parfum distingué me plait. Le Vray canon Boyer 1947 explose de truffe, alors que le nez du Latour 1946, plus retenu, est plus distingué. Les parfums des deux bourgognes, les vedettes attendues de ce repas sont exactement ce qu’ils doivent être : le Cros Parantoux d’Henri Jayer 1993 est d’une pureté dogmatique et le nez de la Romanée Conti 1983 a l’ADN de la Romanée Conti, le sel et la rose. Je le répète souvent, mais c’est tellement vrai. Comme à son habitude, le haut du bouchon de ce vin sent la terre de la cave de la Romanée Conti, sans que cette odeur ne se retrouve nulle part. Le Muscat de la Collection Massandra 1928 a un nez qui m’étonne. Très strict, il évoque fortement la réglisse. Alors, auprès de Claire, la chef pâtissière, j’essaie de plaider la cause d’un coulis à la réglisse, à côté des madeleines prévues. Mais la chef n’est pas facilement influençable.

Nous sommes huit dont trois nouveaux et de solides habitués. La parité n’est pas franchement en marche, les mâles trustant sept sièges. Plusieurs présents fêtent un anniversaire.

Le menu mis au point par Christophe Moret avec Antoine Pétrus est : toasts de foie gras / laitue en délicate royale, caviar osciètre, émulsion légèrement citronnée / cèpes rôtis de la tête aux pieds / colvert façon Rossini / noix de veau de lait / une assiette autour de la mangue / madeleine. L’exécution de ce repas a été en tous points remarquable.

Le Champagne Alfred Rothschild 1966 est d’une couleur étonnamment jeune, ne montrant aucun ambre. La bulle est très active. C’est vraiment un "jeune" champagne qui est très séduisant. Rond, complexe, charmeur et de belle longueur il se boit avec bonheur et l’excellent foie gras lui convient à merveille.

Quel étonnement lorsqu’on voit la couleur du Champagne Bollinger Grande Année 1990 ! L’ambre que son aîné n’a pas se retrouve dans ce champagne dont la maturité est surprenante. J’attendais un gamin et c’est un adulte qui se présente à nous. La laitue était prévue pour un champagne jeune et pas pour celui-ci. Le caviar lui convient et l’excite bien. Le champagne a une belle complexité, une race plus grande que celle du précédent champagne, mais son évolution inattendue limite le plaisir.

Le parfum du Y d’Yquem 1988 est une bombe. Ce vin est un guerrier, mais un guerrier chantant. Il a des accents de douceur, et emplit la bouche de mille évocations de fleurs et fruits jaunes. Avec les cèpes l’accord est extraordinaire. Antoine a fait découper sur la galette de cèpes de fines lamelles de cèpes crus. Et c’est avec le Château Laville Haut-Brion 1951 que l’accord se crée mieux sur le cèpe cru. Alors que l’année 1951 n’a rien produit de grandiose, j’avais choisi ce vin en cave pour sa couleur dorée. Dans le verre c’est un or jeune. Le parfum est moins expansif que celui de l’Y mais tout aussi raffiné. Le Laville est plus strict, plus sérieux, alors que l’Y est un jeune fou bondissant. Ces deux blancs sont superbes et montrent l’intérêt des vins blancs bordelais. Très dissemblables, ils ont chacun leurs charmes.

La surprise est immense lorsque le Vray Canon Boyer Canon Fronsac 1947, à la belle étiquette dorée et doté d’une contre-étiquette de la maison Bichot, est versé dans les verres. Car sa couleur est d’un rubis de sang noble d’une invraisemblable jeunesse. Et en bouche ce vin, qui m’évoque la truffe et pour d’autres le poivron vert ou le cacao, est d’une vivacité que l’on n’attendrait jamais d’un Canon Fronsac. Il claque sur la langue et son final est d’une longueur rare.

La couleur du Château Latour 1946 n’a pas de traces orangées, mais elle paraît moins jeune que celle du 1947. Elle aussi un peu trouble. Le nez est racé et délicat, moins expansif que celui du 1947. En bouche, ce vin est velouté, noble, délicat, mais il joue un peu en dedans alors que le Vray Canon Boyer "se lâche" et joue d’instinct. Certains convives préfèrent le Latour, mais une large majorité préfère le Vray Canon Boyer, magnifique et généreuse surprise. Le colvert est goûteux et subtil. Il crée un accord plus que pertinent avec les deux vins.

Les deux vins bourguignons qui vont suivre sont normalement les vedettes de ce repas. Vont-elles honorer leur rang ? Le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1993 est d’une belle couleur d’un rouge prononcé. Le parfum est d’une rare pureté et c’est ce mot qui caractérise aussi le goût de ce grand vin. Doctrinal, pur, emblématique, ce vin est une expression aboutie du travail d’un grand vigneron. Bien que l’année ne soit pas une année remarquée, c’est un des plus beaux Cros Parantoux d’Henri Jayer que j’aie bus. Pureté, précision, raffinement, mais aussi grand plaisir.

Lorsqu’on me sert en premier la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983, je ne peux masquer le sourire qui barre mon visage. Car le parfum est exactement ce que j’attendais. Si l’année 1983 n’est pas référencée dans les meilleures à la Romanée Conti, il va falloir la faire remonter de plusieurs places. Car cette Romanée Conti est d’une élégance infinie. J’aime la Romanée Conti comme cela. Elle suggère, elle parle à voix basse, mais on la comprend. Elle a bien sûr le sel et la rose qui sont sa signature, mais elle y ajoute du charme de l’élégance. Elle virevolte et c’est notre plaisir. Les votes la consacreront.

Le Château d’Yquem 1955 a une belle couleur foncée. Son nez est percutant, riche de fruits lourds. Alors que 1955 est une réussite de première grandeur à Yquem, et alors que ce vin opulent dégage une force conquérante, je suis gêné car le vin est servi trop chaud. C’est ma faute, car j’avais dit à Antoine que l’on serve l’Yquem à la température d’un vin rouge mais en l’occurrence, c’est une erreur et c’est dommage de ne pas avoir profité au mieux d’un des grands Yquem de l’histoire. Inutile de dire qu’il est quand même sacrément bon. Le dessert à la mangue n’a pas créé l’accord escompté.

A l’ouverture, le White Muscat Livadia Massandra Collection 1928 m’était apparu beaucoup plus strict que ce que j’attendais. Ce n’est plus le cas maintenant. Le vin est chaleureux, doucereux, séducteur. Il est très muscat mais aussi rappelle des vins de paille. Ce sont les pruneaux, les prunes et les fruits bruns qui dominent dans un goût merveilleux qu’embellit l’âge. Avec des madeleines et un soupçon de vinaigre balsamique, c’est un péché de gourmandise que ce vin aux langueurs orientales, fou de sex-appeal.

Nous sommes huit à voter. Sur les dix vins, neuf figurent dans au moins un vote, ce qui est toujours sympathique à constater. La Romanée Conti a été votée sept fois première et le Cros Parantoux une fois.

Le vote du consensus est : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1993, 3 – Vray Canon Boyer Canon Fronsac 1947, 4 – White Muscat Livadia Massandra Collection 1928, 5 – Champagne Alfred Rothschild 1966.

Mon vote est : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – White Muscat Livadia Massandra Collection 1928, 3 – Vray Canon Boyer Canon Fronsac 1947, 4 – Y d’Yquem 1988.

Dans la belle salle à la décoration un peu surannée, le toit ouvrant est toujours une attraction. Les volutes des fumées de cigares ne s’en échappent plus. Le service en habit est élégant et d’une grande précision. Les plats se sont montrés brillants, de grande justesse. Les accords les plus percutants ont été celui des cèpes avec l’Y d’Yquem, le colvert avec les deux bordeaux et les madeleines avec le muscat de 1928. Pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître.

Bouchons dans l’ordre de gauche à droite et de haut en bas : Romanée Conti, Cros Parantoux, Massandra, Vray Canon Boyer, Latour, Y, Yquem et Laville

le célèbre toit ouvrant du restaurant

les verres sur table en fin de repas

163ème dîner de wine-dinners – les vins dimanche, 21 octobre 2012

Champagne Alfred Rothschild 1966

Champagne Bollinger Grande Année 1990

Y d’Yquem 1988

Château Laville Haut-Brion 1951

Vray Canon Boyer Canon Fronsac 1947

Château Latour 1946

Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1993

Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983

Château d’Yquem 1955

White Muscat Livadia Massandra Collection 1928

Mouton 1989 et Rieussec 1947 à la maison dimanche, 21 octobre 2012

C’est l’anniversaire de ma fille cadette à la maison. J’ouvre un Champagne Krug 1982. Le bouchon chevillé offre peu de résistance. Le nez est un peu amer. Les premières gorgées sont amères mais le vin s’assemble pour prendre plus de cohésion. Ma femme a préparé une terrine de foie gras dont la gelée est au thé. Nous ne nous étions pas concertés, mais c’est la gelée qui crée avec le champagne un accord de grande sensibilité. Le champagne est subtil, mais je trouve qu’il manque de corps et d’ampleur. Il est néanmoins de grande délicatesse.

Pour des bulots, nous buvons le Château Laville Haut-Brion 1982 au jaune d’un or très jeune, presque vert. Le vin est racé, complexe, avec de jolies notes citronnées d’un grand équilibre. Mais mon gendre qui l’a apporté est plus sévère que moi. Il lui trouve un manque d’ampleur que je décelais chez le Krug.

De fines tranches de coquilles Saint-Jacques crues arrondissent le vin de leur douceur. Nous allons passer maintenant à des rougets juste poêlés. Il y a dans deux carafes des Château Ausone 1964 que j’ai trouvés en cave avec le bouchon flottant. Alors que le nez n’est pas affecté, la cause est perdue, les vins sont morts. Je descends vite en cave et j’ouvre Château Mouton-Rothschild 1989. Le vin juste ouvert, encore frais de la cave est une merveille absolue. Le nez est racé, élégant, raffiné. En bouche, c’est de la soie, du cachemire et du velours. L’expérience est alors du plus grand intérêt. Le Laville Haut-Brion cohabite avec le rouget, mais poliment. Alors que le Mouton crée un accord avec le rouget qui est d’une émotion de première grandeur. Ce vin est d’une immense beauté, d’une élégance infinie. Je suis totalement sous le charme et j’ai plus d’émotion qu’avec le Mouton 1982 qui jouit d’une plus grande renommée. Le 1982 plus puissant n’est pas encore accompli. Le 1989 est actuellement à un stade d’excellence totale, dans l’élégance et le raffinement. Ce vin pianote de la luxure distinguée et l’accord avec rouget juste poêlé est parfait. Quel velours !

Ma femme apporte le lourd plat d’un agneau cuit au curry et aux épices orientales. Hier, goûtant la sauce hors contexte, j’avais dit que l’accord avec les Ausone 1964 pourrait se trouver. En sentant les premiers effluves du plat posé sur table, j’annonce que le Mouton 1989 n’ira jamais avec lui. Nous essayons et la preuve est faite. Quel vin conviendrait ? Ce n’est pas le Laville. Alors ce sera le Chateau Rieussec 1947 qui devait apparaître au dessert. Par un caprice du sort, ma femme avait organisé le dessert pour un Rieussec 1919 tenu au frais. Or mon gendre est arrivé avec ce Rieussec 1947 qui a perdu du volume et qui suinte. Il est beaucoup plus ambré que le 1919. Et là où le sort nous est favorable, c’est que le Rieussec 1947 crée avec le plat d’agneau à la mexicaine un accord d’anthologie que le 1919 n’aurait sans doute jamais procuré. Car le 1947 au parfum envoûtant a des accents de caramel qui conviennent merveilleusement aux épices racées. Nous sommes tous conquis par cet accord fusionnel qui crée une continuité invraisemblable entre le vin et l’agneau.

L’accord du sauternes était prévu au dessert, avec des tranches de mangue à peine teintées de fruit de la passion. C’est avec le 1919 qui eût été plus pertinent. Nous l’ouvrirons un autre jour.

Les deux vins qui émergent de ce repas sont le Mouton 1989 et le Rieussec 1947. Les deux accords les plus enthousiasmants sont ceux créés par ces deux vins avec les rougets et avec l’agneau. Celui du Krug avec la gelée du foie gras au thé est aussi à signaler.

Triste surprise avec ces Ausone 1964

casual Friday au restaurant Patrick Pignol dimanche, 21 octobre 2012

Cela faisait bien longtemps que nous n’avions pas fait de "casual Friday". Nous sommes cinq à déjeuner au restaurant Patrick Pignol. Les apports sont largement plus importants que ce que nous pourrons boire et même en mettant de côté des vins, il en reste plus que de raison. Etant arrivé vers 11 heures au restaurant, j’ouvre les vins qui me paraissent devoir être bus. Peu avant midi Cédric m’appelle au restaurant et me propose d’ajouter un ou deux vins. Je lui dis que ce n’est pas raisonnable. Les parfums des vins sont prometteurs.

Je mets au point le menu avec Patrick Pignol. Ce sera : oursin / cèpes / cochon de lait / lièvre à la Royale / comté / prunes / madeleines au miel.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2000 est extrêmement vert à la prise de contact. Sa jeunesse est folle. Mais son nez s’impose très vite, d’une intensité rare. Et il emplit la bouche de sa pureté et de sa générosité. Comme nous avons deux vins du Jura prévus pour le comté, la tentation est grande de faire réagir le champagne sur le Vin d’Arbois Grande Réserve Marcel Poux 1969. Et le vin du Jura élargit le champagne d’une belle façon. Tant que nous y sommes autant essayer aussi avec le Vin Jaune 1964 d’un négociant qui m’est inconnu. Avec l’oursin au goût intense et marin, le champagne réagit bien. Mais c’est le vin jaune qui est le plus adapté. Le vin d’Arbois est agréable mais manque un peu de précision. Le vin jaune est magique, profond, intense comme le peut être l’oursin.

Le Riesling Jean Biecher négociant années 50 m’avait séduit avec un nez très pur. En bouche, son attaque est agréable, mais il montre assez rapidement des faiblesses et des signes de vieillissement. Il manque en fait de précision et de pureté.

Le Domaine de La Lagune, Bégadan-Médoc Barton & Guestier 1934 se présente dans une bouteille lourde de forme bourguignonne. Le bouchon était recouvert de cire. Dès que Nicolas nous verse le liquide, nous sommes tous frappés par l’invraisemblable couleur de ce vin. C’est un sang de pigeon d’un rouge intense. Le nez est magique et le vin est d’une jeunesse invraisemblable, avec un goût de truffe, de cassis pilés et une intensité rare. A côté de lui, un Chambertin Cazetiers tasteviné domaine de Varoilles 1972 est une incarnation absolue de la Bourgogne. Le nez est de rose et de sel et me fait penser aux vins de la Romanée Conti. Sa couleur est d’un rose pâle élégant qui contraste avec la densité du bordeaux. Ce qui me plait, c’est que les deux vins, associés au cochon de lait, cohabitent de la plus belle façon. On peut passer de l’un à l’autre sans hésitation. Nous avons deux vins de première grandeur. La profondeur du bordeaux est grande. La rémanence aromatique du bourgogne est infinie. Quel bonheur d’avoir ces deux vins qui sur le papier pourraient poser des questions, pour l’appellation de l’un ou l’année de l’autre, mais se révèlent magnifiques tous les deux.

Disons-le tout de suite, le lièvre à la royale de Patrick Pignol est une réussite majeure. Il est d’une exactitude absolue. Et par magie se crée alors un accord qui fait froid dans le dos : Le Rioja Imperial Gran Reserva 1957 a un aspect doucereux qui répond comme un écho au plat en exacerbant l’aspect doucereux de la chair, de la sauce et du foie gras. C’est purement magique. Cédric demande que Nicolas ouvre son deuxième vin espagnol, Marquès de Riscal Rioja 1950. Ce vin est beaucoup plus puissant et expressif que l’Imperial et on aimerait pour lui une viande rouge saignante. Mais sur le lièvre, l’Imperial est largement vainqueur. Il eût fallu une autre occasion pour profiter du 1950 puissant, lourd, qui pourrait se frotter avec bonheur aux Vega Sicilia Unico de la même période. Un grand vin.

Les deux vins du Jura accompagnent un excellent comté servi par Williams. Le Château Rabaud Promis 1914 avait un niveau très bas, bien en dessous de l’épaule. En l’ouvrant, j’avais été hypnotisé par son parfum d’une pureté rare et d’une richesse confondante. En bouche il est suprême, l’archétype du sauternes parfait. Plusieurs convives en le buvant disent : "c’est le plus grand du repas". Et c’est vrai qu’il est parfait, mis en valeur par les prunes et les madeleines mais n’ayant pas besoin d’elles pour briller d’une gourmandise ensoleillée.

Nous avons fini avec un Single Highland Malt Whisky The Prestonfield 1981 redoutable titrant 58,8°, d’une intensité extrême et d’une grande race.

Ce repas s’est mis au point de façon spontanée et ce qui en fait la valeur, c’est la générosité. Nicolas, sommelier complice de tant d’aventures a fait un service comme toujours pertinent. Patrick Pignol a réalisé un menu sensible, avec des saveurs claires pour les vins. Le lièvre à la royale est une réussite de première grandeur. Il est plus que probable que ce casual Friday aura des suites de générosité et d’amitié.

on remarque la bouteille bourguignonne du Domaine de La Lagune 1934

le vin de Bourgogne n’aura pas livré son nom précis, caché par son habillage de papier

Bourgogne Aligoté 1959 en cave vendredi, 19 octobre 2012

Au rythme où se range ma cave, la solution la plus évidente sera que nous l’assécherons pendant nos casse-croûtes. Nous sommes trois, et pour le déjeuner sushi en cave, j’ai choisi un Bourgogne Aligoté Lionel J. Bruck 1959. La couleur est belle, le jaune dominant l’ambre. Le nez à l’ouverture est prometteur. Une heure et demie après l’ouverture, le vin a eu le temps de s’épanouir. Et c’est un bien joli vin que nous buvons. C’est un de mes plaisirs de montrer que des vins à qui de vilains prêtres auraient donné l’extrême-onction depuis des décennies puissent encore exprimer une âme très pure.

Ah, bien sûr, ne lui demandons pas d’avoir des complexités de grand cru. Mais en termes de plaisir, de joie de vivre, ce vin est rassurant par une spontanéité de bon aloi et une longueur qui n’a rien à envier à d’autres 1959. Les sushis s’accordent très bien avec ce vin qui nous a rendus heureux.

Voulant donner du cœur à l’ouvrage aux travailleurs je remarque une bouteille de Picardan, Vin de Liqueur de la distillerie Couzi à Saint-Céré, qui titre 17°. La bouteille a été ouverte il y a plusieurs années. Il en reste un tiers. Aura-t-elle de quoi doper mes gaillards ? Le vin a un nez faible lié à l’évaporation dans la bouteille. En bouche, le vin ranciote, avec des accents de pruneau d’Agen. Mais à mon grand étonnement, il est resté très pur. Fait de grains de raisins passerillés, selon une recette développée à Béziers, ce vin agréable et sans prétention a remis l’équipe à la manœuvre. Nul ne sait quand le rangement se terminera, ce qui n’empêche pas d’avoir l’envie d’y arriver. Hisse et ho, Santiano !