dîner de folie pure avec 17 vins et alcools de plus de cent ans dimanche, 30 septembre 2012

Tout dans ce dîner est de la folie la plus absolue. Sébastien est un chasseur de caves. Il déniche des bouteilles qui dorment dans des caves obscures parfois à l’insu de leurs propriétaires. Il nous invite à partager ses découvertes en pratiquant un prix de participation qui exclut que l’on puisse refuser de venir. Je suis le premier à me présenter à Verdun-sur-le-Doubs à l’Hostellerie Bourguignonne, accueilli par le sympathique et bon-vivant chef Didier Denis, grand amateur de vins. Lorsque Sébastien arrive, alors que l’on sait que la soirée sera lourde, Philippe le sommelier, sous l’impulsion de Didier Denis, nous sert, en signe de bienvenue, un Chablis Vaillons, Premier Cru Vincent Dauvissat 2005. L’attaque du vin est très belle, avec des évocations de miel, mais le vin est assez gras, voire pâteux. Avant même que nous n’ayons le temps de respirer, c’est un Bourgogne blanc Coche-Dury 2004 qui rejoint le premier vin sur le comptoir. L’attaque de ce vin est plus pure. Il a du citron et une belle acidité. On reconnait la patte de Jean-François Coche-Dury. J’adore la fraîcheur de ce vin de plaisir.

Sébastien et moi, nous allons procéder à l’ouverture des vins. Sébastien sort de ses casiers à bouteilles tellement de vins non inscrits au programme que je demande que l’on ordonne un peu les choses. Sa générosité est telle que nous nous préparons à une véritable débauche. Les bouteilles prévues pour le dîner sont alignées pour la photo d’ensemble, et il y en a déjà 22, alors que nous serons douze, mais d’autres se rajouteront encore. Certains bouchons sont difficiles, mais les choses se passent bien, dans la bonne humeur. Il y a au programme deux vins inconnus qui n’ont que l’étiquette du millésime. Le vin inconnu 1808 est un alcool, ainsi que le 1893. Comme dans son élan Sébastien à rajouté un alcool de cidre du 19ème siècle, nous aurons quatre alcools au dîner. Il va falloir de la santé ! Pour récompenser les "travailleurs" mais aussi les amis arrivés entretemps, Sébastien fait ouvrir un Champagne Louis Roederer demi-bouteille 1974 qui est déjà, malgré sa bulle encore présente mais faible, un champagne évolué. Il est extrêmement plaisant, accompli et équilibré.

En cours d’ouverture, nous avons déjà bu plusieurs vins et les deux alcools, aussi est-il temps de prendre l’air dans le jardin de l’hôtel, pour se préparer au copieux dîner. Le menu conçu par Didier Denis est : amuse-bouche dont une quenelle dont je n’ai pas retenu la composition/ thon Germon haché au couteau, pince de crabe des neiges en chaud-froid / foie gras de canard poêlé, prunus du jardin glacé dans un jus de veau miellé aux épices douces / risotto carnarelo aux cèpes et parmesan, noix de Saint-Jacques / filet de bœuf du Limousin, gaudes bressanes à la crème et corona de girolles / canard sauvage de Saône, réduction de pinot noir, Tatin de coings et figues rôties / plateau de fromage / tarte aux petits fruits rouges et sa glace / volcan au chocolat, pure origine de Tanzanie, bonbon glacé, sorbet au cacao / petits fours et chocolats. C’est une cuisine bourgeoise, régionale, roborative et généreuse d’un amateur de vins.

L’apéritif démarre par un Champagne Mumm Cordon Rouge sans année que Sébastien pense des années 60. Je pencherais plutôt pour les années 70, car le bouchon semble de cette époque et le vin est encore très jeune, d’une couleur très claire. Il est agréable, mais la deuxième bouteille du même Champagne Mumm Cordon Rouge sans année, d’une couleur plus sombre est évolué et cela lui va bien. C’est un champagne précis, équilibré, de grand plaisir. Le Champagne Jamart & Cie Blanc de Blancs 1961 est aussi évolué, beau et charmant, mais moins plaisant que le deuxième Mumm.

Il est temps de se recueillir, car arrive maintenant le Champagne Moët & Chandon 1911, l’un des motifs de mon inscription à ce dîner. Le nez est superbe et intense. Ce qui est intéressant, c’est que ce champagne quand je l’ai bu déjà deux fois, était de dégorgement récent. Celui-ci a son bouchon d’origine. Il est phénoménal. Il a une grande tension et un final qui claque. Le dosage est très équilibré. Il est d’une folle jeunesse et d’une grande vivacité. Il a des fruits jaunes. En synthétisant, il a : vivacité, longueur et tension. Nous sommes sous le choc d’une telle perfection. Par goût personnel, j’ai plutôt tendance à préférer les champagnes de dégorgement initial aux champagnes de dégorgement ultérieur.

Dans le programme, il était prévu de boire deux Montlouis secs. En fait, nous en aurons quatre dont deux ont des bouchons cirés, avec le millésime imprimé dans la cire, les 1904 et 1906, et deux dont le bouchon n’a pas été ciré, les deux 1914. Le Montlouis sec 1914 a une belle attaque, mais il finit sur du citron et de la glycérine, ce qui bride le plaisir. Le Montlouis sec 1904 est magnifique, élégant, subtil. Il a des fruits roses délicats. L’acidité est contrôlée. C’est un vin gourmand comme un bonbon. Il est presque acidulé.

Un autre Montlouis sec 1914 est plus précis que le premier, mais manque quand même de consistance et de longueur. Le Montlouis sec 1906 est bouchonné.

Le Château Léoville Barton 1893 est mort.

Le Château Saint Pierre de Luetkens Saint-Julien 1887 est superbe. Il a beaucoup de vigueur. Il est très expressif avec des prunes et un grand velouté. Ce vin délicat est un grand vin.

Le Château Latour 1889 est un vin immense. Il a un nez superbe et élégant et on reconnaît bien Latour. En bouche, il est structuré, solide, d’une jeunesse étourdissante. Il avait son bouchon d’origine. On dirait un 1959.

Le Volnay 1er Cru Château de Meursanges Thorin magnum 1967 est un vin délicat. Il est simple, mais sympathique et se boit avec plaisir.

Le Santenay Henri de Villamont Collection du docteur Barolet 1911 est aimé par mes voisins de table, alors que je ne l’aime pas du tout, à cause d’un caractère trop sucré. Ce vin me gêne mais c’est probablement mon verre qui était marqué par un vin précédent, malgré les rinçages, car en sentant le verre d’un ami, je n’ai pas eu du tout le même parfum.

La Romanée, domaine Gaudemet-Chanut Jules Régnier 1908 paraît dépigmentée, mais nettement moins qu’une bouteille du même vin bue avec Sébastien il y a un an. Le nez est très beau, poivré et vif. En bouche il n’est pas si mal. Il y a un message même s’il est incomplet. C’est un beau témoignage, avec une grande force alcoolique. Même s’il est un peu fatigué, le témoignage est agréable.

Le Chassagne-Montrachet blanc 1907 est fatigué, glycériné. Il n’éveille pas mon intérêt.

Le Château Chalon Jean Bourdy 1895 que je connais bien est superbe, parfait. C’est le Château Chalon dans toute sa perfection, avec une longueur inextinguible. Un rouleau compresseur qui tapisse le palais de bonheur.

Le Sancerre Les Culs de Beaujeu François Cotat magnum 1996 sert de rafraîchissement. Il est magnifique de fraîcheur, avec du miel et de l’amande.

Le Château Coutet 1894 à la robe ambrée n’est pas mal, mais on sent la fatigue et un léger côté gibier.

Le Château d’Arche Mérick 1893 à l’inverse est superbe. Il était un peu triste à l’ouverture mais maintenant, c’est un grand sauternes d’une année immense. Il a un fruit brun délicat, n’a aucun signe de caramélisation. Il est d’un superbe équilibre.

Le Vouvray Moelleux Maurice Audebert 1900 est très naturel, rond, mais est très loin de la complexité du 1893. Certains amis s’en sont entichés, mais je ne partage pas à ce niveau leur enthousiasme, car le message agréable est très simple. Il est doux et a un poivre agréable dans le final.

Le Madère Sercial 1837 a un nez fabuleux. Il est riche, presque velouté. Il est tellement délicat que je ressens des suggestions de roses, ce qui est étonnant. Il est extrêmement gastronomique. Sa bouche est fraîche, mentholées, magique.

Le Vin inconnu de 1893 est un Cognac, ça ne fait aucun doute. Je le trouve absolument phénoménal. Alors que Sébastien à côté de moi commence à éviter d’en reprendre, je me resservirai cinq ou six fois tant je suis sous le charme. Avec le bâton glacé au chocolat, on est proche de l’orgasme gustatif. Je pourrais me pâmer avec cet alcool.

Le Vin inconnu de 1808 est plus difficile à reconnaître mais avec un ami expert en alcool, nous tombons d’accord pour dire que c’est un Armagnac. Sa force alcoolique est énorme. Il est beau racé, grandiose. Je l’aime énormément, mais le goût de "revenez-y" est pour le 1893.

L’alcool de cidre du 19ème siècle (c’est ce qu’on lit sur une bandelette manuscrite) a un effet rafraîchissant car son alcool ne dépasse pas les 25° quand le 1893 est probablement autour de 55°. Mais il aurait dû être bu avant les deux alcools bruns, car on n’en profite pas comme il eût convenu.

Tout au long du repas, nous avons presque tous recraché l’essentiel de ce que nous buvions, sauf les champagnes. Il m’a été impossible de recracher le Latour 1889 qui était envoûtant. Nous avons tous bu énormément d’eau pour compenser la charge alcoolique de tous ces breuvages.

Nous avons voté pour les vins, en excluant les quatre alcools du vote. Nous sommes dix, car deux convives sont partis avant la fin. Quatre vins ont eu des votes de premier, le Latour 1889 cinq fois, le Moët & Chandon 1911 trois fois, le Luetkens 1887 une fois ainsi que le Vouvray 1900.

Le classement du consensus serait : 1 – Château Latour 1889, 2 – Champagne Moët & Chandon 1911, 3 – Château d’Arche Mérick 1893, 4 – Château Chalon Jean Bourdy 1895, 5 – Vouvray Moelleux Maurice Audebert 1900, 6 – Château Saint Pierre de Luetkens Saint-Julien 1887.

Mon vote est : 1 – Champagne Moët & Chandon 1911, 2 – Château Latour 1889, 3 – Château d’Arche Mérick 1893, 4 – Château Chalon Jean Bourdy 1895, 5 – Château Saint Pierre de Luetkens Saint-Julien 1887.

Dans un telle débauche de générosité, nous n’avons pas gardé en mémoire les vins morts ou imparfaits, qui ne méritent pas plus que cela qu’on s’en souvienne. Il nous suffit d’avoir côtoyé six vins de première grandeur et trois alcools merveilleux pour que cette soirée s’inscrive dans notre Panthéon personnel. Autour de la table, il y avait de solides amateurs de vins anciens, ce qui promet de multiplier les occasions pour ouvrir encore des vins de folie, des vins émouvants et des vins immenses comme les quatre premiers du classement de synthèse de notre groupe. Nous nous sommes retrouvés au petit déjeuner autour d’une grande table et nos rires fusèrent encore.

Nous avons échangé nos cartes, pour pouvoir prendre de nouveaux rendez-vous pour de nouvelles aventures dans le monde fascinant des vins antiques.

dîner avec 17 vins de plus de 100 ans – photos samedi, 29 septembre 2012

Chablis
Vaillons, Premier Cru Vincent Dauvissat 2005

Bourgogne
blanc Coche-Dury 2004

Champagne
Louis Roederer demi-bouteille 1974

Champagne
Mumm Cordon Rouge sans année années 70 1975 #

Champagne
Mumm Cordon Rouge sans année années 70 1975 #

Champagne
Jamart & Cie Blanc de Blancs 1961

Champagne
Moët & Chandon 1911 (avec son petit ticket de réclamation !)

Montlouis
sec 1914

Montlouis
sec 1904

Montlouis
sec 1914

Montlouis
sec 1906

Château
Léoville Barton 1893

Château
Saint Pierre de Luetkens Saint-Julien 1887

Château
Latour 1889

Volnay
1er Cru Château de Meursanges Thorin magnum 1967

Santenay
Henri de Villamont Collection du docteur Barolet 1911

Romanée,
domaine Gaudemet-Chanut Jules Régnier 1908

Chassagne-Montrachet
blanc 1907

Château
Chalon Jean Bourdy 1895

Sancerre
Les Culs de Beaujeu François Cotat magnum 1996

Château
Coutet 1894

Château
d’Arche Mérick 1893

Vouvray
Moelleux Maurice Audebert 1900

Porto
Guedes 1900

Madère
Sercial 1837

Vin
inconnu Cognac de 1893

Vin
inconnu Armagnac de 1808

Alcool
de cidre du 19ème siècle 1880 #

161ème dîner de wine-dinners au restaurant Laurent vendredi, 28 septembre 2012

Le 161ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Laurent. J’arrive à 17 heures et la maison bruisse car ce soir tout est plein et même plus que cela, puisque la belle salle ronde d’entrée sera occupée par un cocktail. Grâce à la gentillesse de tous, je trouve un espace suffisant pour ouvrir les vins. Beaucoup de bouchons se brisent, mais au total, je crois n’avoir jamais senti autant de parfums merveilleux. Cela ne préjuge en rien du résultat final, mais c’est encourageant. Le parfum de la Romanée Conti 1961 est tellement émouvant que j’appelle au téléphone Aubert de Villaine pour lui faire part de ma joie. Le Montrachet 1969 est impérial et les vins de plus modeste extraction ont eux aussi comme par mimétisme des odeurs de première grandeur. J’avais acheté des Bastor Lamontagne de 1900 et de 1929. La couleur m’avait laissé imaginer 1900. Mais le bouchon indique 1929. Si je me fie au nez puisque je ne goûte pas les vins, le match entre ce Bastor Lamontagne et l’Yquem 1936 risque d’être très ouvert.

Notre table de onze est à majorité anglo-saxonne, avec sept américains pour quatre français. Patrick Lair a privatisé pour nous un joli coin au sein du restaurant pour l’apéritif. C’est une première en ce restaurant. Ayant peur que nous manquions avec une seule bouteille de champagne pour l’apéritif, je fais ouvrir un Champagne Delamotte 2002 en supplément au programme copieux de vins. Il est très agréable, classique, joli représentant de Mesnil-sur-Oger. Les petits pâtés en croûte sont servis avec le Champagne Dom Pérignon 1976. C’est un champagne déjà mature, dont le dosage équilibré convient bien au vieillissement. Il est au dessus de ce que j’attendais, avec ses notes de miel charmantes, et sa longueur quasi infinie. C’est avec la gelée qui entoure le pâté que l’accord est percutant.

Nous passons à table, dans la partie en rotonde, entourée d’un jardinet de cyclamens. Le menu préparé avec Patrick Lair et réalisé par Alain Pégouret est : pâtés en croûte / araignée de mer dans ses sucs / homard rôti, févettes et girolles / ris de veau aux cèpes / salmis de pintade, sauce rouennaise / reblochon et brie de Meaux / sabayon à la mangue.

Le Champagne Pol Roger 1962 montre instantanément une plus grande noblesse, une finesse de structure supérieure à celle du Dom Pérignon. Mais il a moins de cohérence. Il est beaucoup moins serein dans sa maturité. A côté de lui sur le plat d’araignée, le Meursault Charmes Cuvée Albert Grivault, Hospices de Beaune, probable 1930 se présente un peu fatigué. Comme je goûte en premier un vin qui lèche le goulot et peut y trouver de mauvaises rencontres, le vin est amer. Il me paraît évident que l’accord se trouvera mieux avec le champagne qu’avec le vin blanc, mais, les surprises abondant avec les vins anciens, nous constaterons que le Pol Roger se fatigue avec le temps et perd de son message alors que le Meursault, qui avait besoin de temps pour s’ébrouer prend de plus en plus de stature et devient très expressif et cohérent. Je n’aurais jamais parié que le Meursault se reconstituerait aussi bien, dépassant le Pol Roger.

Le Montrachet Leroy 1969 avait un nez superbe à l’ouverture. Il l’a toujours, mais assez discret. Le vin est d’une complexité extrême, chatoyant, de grande noblesse. Mais s’il a tous les attributs d’un grand vin, il n’a pas le coffre et la puissance d’un montrachet. J’avais tant espéré de ce vin très rare que je suis un peu resté sur ma faim, même si le vin n’a pas de défaut. L’accord avec le homard est exceptionnel et mon voisin de table s’émerveille du fait que le vin capte le parfum du homard pour devenir homard lui-même.

Sur le ris de veau idéal, nous avons deux vins, dont la star du repas. Le Mazis-Chambertin Luc Lucat 1964 surprend toute la table. Comment ce vin d’origine inconnue peut-il avoir une telle puissance et une telle force d’évocation. Il est joyeux, charnu, captivant. Ferait-il de l’ombre au vin qu’il accompagne ? Non, car les deux vins ne sont pas comparables.

Le parfum de la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1961 est absolument émouvant. On se recueille devant un tel parfum subtil où se mêlent le sel, les roses, et les fruits rouges roses. L’envie de se recueillir est la même lorsque le précieux nectar est dégusté. Il ne faut pas attendre de ce vin une explosion gustative. Tout est suggéré comme dans la peinture de Claude Monet. Je pense au tableau : "Champ de Coquelicots près de Vétheuil". En bouche, ce sont les fruits rouges qui apparaissent en premier. Le caractère salin n’est pas affirmé comme au nez. Toute la table est sous le charme. Pour certains, c’est leur première Romanée Conti. Démarrer avec un 1961 de ce calibre, c’est une sacrée chance. Le vin est subtil, élégant, d’un rare équilibre qui n’a pas besoin de s’affirmer. Même dans la lie que Delphine, efficace sommelière, me verse dans un verre, il y aussi cette délicatesse. Dans cette extrait de vin de fond de bouteille, le fruit rouge est moins présent et c’est le vin lui-même qui montre la richesse de ses grappes. Nous sommes tous émus et je le suis particulièrement car cette bouteille est certainement l’une des plus grandes Romanée Conti que j’aie bues. Nous sommes tellement heureux que nous pouvons féliciter le Mazis-Chambertin 1964 qui tient bien sa place à côté du champion, avec une force alcoolique certaine, mais bien intégrée dans une richesse épanouie.

Patrick Lair nous dit que la recette du salmis de pintade a été mise au point spécialement pour ce dîner, car il affrontera trois vins. Le Beaune Theurons Vincent Frères 1928 fait vaciller toutes les idées reçues sur les vins anciens. Car ce vin, dans sa bouteille poussiéreuse, a une vitalité invraisemblable. Je le trouve incroyablement carré, solide, fort sur ses jambes. C’est le vin bourguignon tel que je les aime, guerrier convaincant.

A côté de lui, le Chambertin Louis Latour 1955 est strictement son opposé. Il est totalement féminin, jouant sur sa grâce subtile. Aussi bien le 1955 que le 1928 n’ont aucun signe de vieillesse. Ils ont le goût de leur âge, dessiné avec exactitude.

Comment va se comporter le vin associé aux deux autres, qui n’est pas de leur région ? Le Cornas Chante Perdrix Audibert et Delas 1947 m’avait surpris à l’ouverture par un nez très pur qui offrait de beaux accents bourguignons en plus de ceux de sa région. C’est probablement une des plus belles surprises de ce soir, ce vin est d’une solidité impériale. Bien sûr le discours est assez simple et carré, mais le vin est d’un immense plaisir. Et surtout, sa pureté expressive force à l’aimer. Voici trois vins très différents dont aucun n’a de signe de faiblesse ou de déviance.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1988 est une respiration avant les sauternes, sur les fromages. J’adore ce champagne ensoleillé aux accents de blé doré et de miel. Lui aussi est bien planté sur ses jambes.

Les deux sauternes se présentent ensemble et ils ont la même couleur de café noir chocolaté. Le Château Bastor Lamontagne Sauternes 1929 avait son bouchon d’origine et un niveau haute épaule. Le Château d’Yquem 1936 a été rebouché au château en 1988. Le parfum du 1936 est très pur et image bien l’Yquem de cette époque, mais je le trouve plus charnu que les 1936 que j’ai bus. Le vin est riche, expressif, mais a mis son pied sur la pédale de frein. C’est grand, mais ce n’est pas un grand Yquem, même si le vin n’a pas de défaut. Alors qu’à côté de lui, le Bastor Lamontagne est une leçon. Son nez est pur et envoûtant et en bouche, c’est la définition absolue du grand sauternes lorsqu’il est à la forme ultime qu’il doit avoir. Ce vin est un régal des dieux. Mon dieu qu’il est bon ! Il a un caramel très bien contenu, un gras généreux, une mangue confite, un léger zeste d’orange, et tout cela est suggéré seulement, car c’est la cohésion et la plénitude que l’on retient. Alors le match n’a pas lieu, car pour toute la table, la cause est entendue. C’est le Bastor qui gagne haut la main.

Après tant de merveilles, le vote n’est pas si simple. Nous voterons chacun pour cinq vins. Sur treize vins, mais douze au programme, puisque le Delamotte 2002 n’est pas dans le champ du vote, onze vins sur douze ont eu au moins un vote, ce qui est assez exceptionnel. Celui qui n’en a pas eu doit cet oubli à sa position dans le repas, car il servait d’intermède au moment du fromage.

La Romanée Conti 1961 a eu huit votes de premier, ce qui est un score de république bananière, et les trois votes de premier qui restaient à attribuer sont tous allés au Beaune Theurons 1928. C’est un bel hommage à un vin d’origine modeste d’une année mythique.

Le vote du consensus serait : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1961, 2 – Beaune Theurons Vincent Frères 1928, 3 – Château Bastor Lamontagne Sauternes 1929, 4 – Chambertin Louis Latour 1955, 5 – Montrachet Leroy 1969.

Mon vote qui comporte les mêmes vins dans un ordre différent est : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1961, 2 – Château Bastor Lamontagne Sauternes 1929, 3 – Beaune Theurons Vincent Frères 1928, 4 – Montrachet Leroy 1969, 5 – Chambertin Louis Latour 1955.

Si je regarde parmi ces treize vins ceux qui ont montré plus que ce que j’attendais, il ya le Champagne Dom Pérignon 1976, le Meursault Charmes Cuvée Albert Grivault Hospices de Beaune, probable 1930, mais surtout sur la fin, car il n’arrêtait pas de s’améliorer, le Mazis-Chambertin Luc Lucat 1964, le Cornas Chante Perdrix Audibert et Delas 1947. Et ceux qui ont largement dépassé tout ce que j’attendais, avec une performance exceptionnelle, sont le Beaune Theurons Vincent Frères 1928 et le Château Bastor Lamontagne Sauternes 1929.

Si je n’ai pas mis la Romanée Conti dans cette liste de vins, c’est parce que j’attendais le rêve absolu et je l’ai eu.

Ce qu’on peut retenir de ce dîner c’est la qualité exceptionnelle de quasiment tous les vins. Et les "moins gradés" se sont comportés au dessus de mes attentes. Le dîner a donné lieu a des accords particulièrement pertinents. Le service est une fois de plus exemplaire.

A une table assez éloignée de la notre, le plus grand connaisseur des vins français dînait avec deux amis. Je lui ai porté un peu du Montrachet et de la Romanée Conti. En réciproque, il m’a fait goûter un Meursault des Comtes Lafon très riche, un Chablis Grand Cru de Raveneau de 1985 brillant, et m’a donné un verre de Richebourg de Remoissenet de 1978 superbe qui a tourné pour que chacun de mes convives le goûte. Preuve est faite que l’amitié revient toujours en boomerang.

Ce dîner fut émouvant, du fait de la Romanée Conti, et enthousiasmant par la démonstration de la bonne tenue de vins canoniques.

161ème dîner – les vins jeudi, 27 septembre 2012

Champagne
Delamotte 2002

Champagne
Dom Pérignon 1976

Champagne
Pol Roger 1962

Meursault
Charmes Cuvée Albert Grivault, Hospices de Beaune, ± 1930

Montrachet
Leroy 1969

Mazis-Chambertin
Luc Lucat 1964

Romanée
Conti Domaine de la Romanée Conti 1961

Beaune
Theurons Vincent Frères 1928

Chambertin
Louis Latour 1955

Cornas
Chante Perdrix Audibert et Delas 1947

Champagne
Comtes de Champagne Taittinger 1988

Château
Bastor Lamontagne Sauternes 1929

Château
d’Yquem 1936

déjeuner au Bistrot du sommelier mercredi, 26 septembre 2012

C’est la réunion de rentrée de notre club 2043, dont tous les membres veulent devenir centenaires en l’année affichée. Je me présente au Yacht Club de France et l’hôte d’accueil me reçoit d’un air dubitatif. L’information avait mal circulé, dans un sens ou dans un autre, car le rendez-vous est au Bistrot du Sommelier. Nous sommes cinq, les amis absents ayant tous de bonnes raisons pour ne pas être là. L’apéritif de bienvenue est un Champagne Lenoble Blanc de blancs grand Cru Chouilly sans année qui est frais à boire, mais n’est que cela. Son message est limité. Le second champagne montre un saut qualitatif certain, car c’est un Champagne Bollinger Spécial Cuvée sans année qui doit avoir plusieurs années de cave. Il est rond, charnu et fait plaisir à boire.

L’ami qui nous invite a choisi le menu dégustation avec des vins découvertes, que nous boirons à l’aveugle avec un succès de reconnaissance incertain. La terrine fermière s’apprécie avec le Bollinger. Sur une délicieuse soupe de coquillages le Cassis domaine de la Ferme Blanche 2010 est généreux, chatoyant, mais assez monolithique. L’accord est pertinent.

Sur une viande aux petits légumes, le E Prove domaine Maestracci Corse Calvi 2008 affiche un alcool soutenu. Il y a de la matière, une jolie complexité sympathique, et même si le vin est assez simple, il soutient bien le plat et crée un agréable plaisir.

Le dessert à la poire crée avec Les Trois Schistes Domaine de Montgilet Coteaux de l’Aubance 2010 charnu comme un muscat malgré ses 11° un accord merveilleux.

Philippe Faure Brac est venu rejoindre notre table au café et comme je lui explique le prétexte de notre déjeuner, instantanément, il appelle son sommelier qui revient avec un Château Gazin 1943 de niveau bas mais de couleur prometteuse. Le bouchon est extirpé avec élégance par Philippe. Il est noir d’encre. Le vin, un peu fatigué à l’ouverture s’assemble peu à peu. Son message est un peu faible, mais suffisamment loquace pour que nous en jouissions. Nous remercions Philippe de ce cadeau généreux qui a ensoleillé notre repas.

Comme il fait suite au voyage en Belgique, force est de constater qu’un homme aussi influent que Philippe Faure-Brac pourrait innover pour la cuisine comme il le fait si bien pour le vin. La Belgique bouge. Si Philippe, avec sa renommée faisait bouger les lignes de la solide cuisine à la française qu’il pratique, nul doute qu’avec son talent et son imagination, il y réussirait.

Déjeuner au restaurant In de Wulf dimanche, 23 septembre 2012

Nous arrivons en pleine campagne, entre des champs de maïs, à une jolie ferme ancienne construite en briques. A l’intérieur, la décoration se veut rustique, intensément rustique. Le restaurant In de Wulf a pour chef le jeune Kobe Desramaults qui nous offre l’occasion d’une nouvelle expérience de créativité culinaire.

Les amuse-bouche : Chips / Oignon croustillant / chou-rave, livèche / carotte fermentée, berce / betterave, yaourt, oseille / pain brûlé, maroilles. Le menu : maquereau brûlé, feuille de capucine / bulot, sauce petit lait, épinards, betterave de la mer / moule de bouchot, verveine, radis / crabe de la mer du Nord, courgette / escargots "gros gris" de Comines, pomme de terre, ail, herbe / homard d’Audresselles, "kerremelkstampers" / lotte, céleri, livèche, fenouil de la mer / céleri-rave cuit en croûte de sel, fromage à la crème fait maison / nuque de porc "ferme de Beau Pays" de Borre, légumes du jardin / concombre grillé, Keiemse witte / Cremet du CapBlanc-Nez / mûre sauvage, agastache / betterave rouge, fraise des bois, petit-lait, camomille / potiron, argousier.

Nous commençons par le Champagne Egly-Ouriet Brut Grand Cru 2002, qui a de belles notes de fruits jaunes et bruns. Très équilibré, il est gastronomique. Vanessa, la jeune sommelière, a composé une carte de vins nature, très tendance. Nous choisissons un vin du Jura, un En revenant du paradis, J.M. Brignot, Vin de France 2010, fait de chardonnay, savagnin et trousseau. Au premier abord, le vin servi très froid a tout pour me déplaire. C’est un vin de recherche, déstructuré, qui gêne par le fait que l’alcool semble étouffer le vin, avec un petit quelque chose d’une grappa. Mais ce qui est intéressant, c’est que le vin va montrer une aptitude gastronomique étonnante. Lorsqu’il est confronté à un plat viril, il caresse le plat et se fait civilisé. Et dès que le plat est parti, la déstructuration de son alcool le rend de nouveau gênant. Il suffit qu’il ait suscité de beaux accords pour que l’expérience se justifie. Avec le maquereau, avec le bulot et surtout sa crème de lait qui donne du fumé qui excite le caractère oxydatif du vin, avec les escargots au goût terrien, on trouve des accords de grande pertinence. L’Egly Ouriet est plus à l’aise avec des saveurs plus subtiles comme la moule délicieuse.

Le Pouilly-Fuissé Domaine Valette, Le Clos de Monsieur Noly 2001 est un vin fumé, à l’alcool très présent et fort, qui évoque une tisane de fruits bruns. La lotte se marie bien avec ce vin mais son alcool est trop fort. Le vin est superbe sur la raie et l’oignon.

Le chef ajoute pour nous au menu un canard sauvage avec une pâte de prunelle sauvage. C’est absolument délicieux. En définitive, je préfère le vin du Jura au Pouilly. Et je mets le champagne au dessus des vins. La cuisine du chef est d’une dextérité et d’une inventivité assez extraordinaire. On n’est pas encore au niveau de "L’Air du Temps", car il y a dans le restaurant d’hier une plus grande maturité. Mais c’est une étape qui est d’un très grand intérêt. Vanessa la sommelière est très compétente. Il faudra aussi qu’elle s’intéresse à d’autres vins que les vins nature.

Après quatre repas belges, le sentiment qui prévaut, c’est que ça bouge en Belgique. De même que Noma a entraîné à Copenhague une foule de restaurants d’avant-garde, en Belgique, la cuisine de recherche, travaillant des produits locaux et des herbes et légumes qui poussent dans le jardin du chef, conduit à une vivacité créative exemplaire. J’applaudis à deux mains cette recherche, cette profusion d’imagination créatrice, et ces goûts inouïs qui nous font dire : "où vont-ils chercher tout cela ?". En plus, c’est bon. Je classerai les quatre cuisines ainsi :1 – Air du Temps, 2 – In de Wulf, 3 – Couvert Couvert, 4 – de Pastorale. Et les quatre cartes de vins : 1 – Couvert Couvert, 2 – de Pastorale, 3 – Air du Temps, 4 – In de Wulf.

Nous avons pu commander des vins qui seraient inaccessibles sur les cartes de vin françaises dans des restaurant de même niveau. Ça bouge en Belgique, et la cuisine est très imaginative. Des jeunes se lancent en pleine nature pour créer de beaux restaurants. Un vent d’air frais souffle sur la Belgique. Tant mieux.

le chef prépare le céleri cuit au four

dîner au restaurant L’Air du temps avec un accord d’anthologie dimanche, 23 septembre 2012

Le dîner se tient au restaurant L’Air du temps, tenu par Sang-Hoon et Carine Degeimbre. San est un adepte du food pairing qui conduit à imaginer des accords saisissants sur la base de compatibilités génétiques des ingrédients. Le tout est revisité avec sa culture liée à ses origines coréenne et belge. Passionné par les plantes qu’il cultive et par les saveurs qu’il rapporte de ses voyages à travers le monde, il produit un cuisine inspirée, étonnante et le plus souvent passionnante, car il y ajoute sa connaissance des vins, ce qui apporte encore plus de pertinence à ses plats.

Voici ce que nous avons mangé : snacking : chips soufflé canard laqué /carotte laquée au vinaigre d’ail noir / escargot dans sa coquille / cigarette de pomme de terre, chocolat blanc, wasabi.

Bouchées : moules frites / œuf coque, mousse de saumon fumé, mouillette au fenouil.

Dégustation : homard breton en sushi décomposé / céviche, couteaux, courgettes jaunes, leche de tigre /jardin de Liernu : nos tomates, crevette de Zeebrugge, jus de crevettes, baume de Galaad / ferme de la Tour à Gismes : foie gras rôti au four, anguille fumée, ananas / volaille Oméga 3,coq des prés, rôtie, tendre avec un consommé acidulé, oignons / bœuf Wagyu, boulette de furikaké, carpaccio de bœuf, quinoa soufflé, jus de crabe, physalis, anchois / pigeonneau de Waret, crêpe de pomme de terre au fromage frais, pattes confites à l’orange et muscovadi, jus de pigeonneau, fève tonka / carottes pairing, purple haze confites à la citronnelle, gourmandises en lacets, sorbet à la violette / caramel au beurre salé, en sorbet, au café, à la vanille et potiron.

Le fourmillement inventif est spectaculaire. Nous commençons par un Champagne "les Carelles" Grand Cru de Mesnil-sur-Oger Jacques Selosse sans année. Il est d’une tension extrême. Sans concession, il claque sur la langue et nécessite des plats agressifs pour s’exprimer. Mon gendre n’aime pas. J’aime le côté rebelle qui est d’un grand intérêt. Nous poursuivons avec le Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1998. Il est nettement plus confortable, rassurant par sa structure d’un grand équilibre. Carré, solide, il montre un dosage un peu fort par comparaison au Selosse. Il est très gastronomique, mais sur les tomates, c’est le Selosse qui est plus pertinent, alors que sur le jus de crevettes, c’est le Pol Roger.

Nous cherchions un vin blanc sur la carte et je demande à Maxime, le compétent sommelier, s’il n’a pas un vin caché, hors carte, de grand intérêt. Il nous présente un Riesling Grand Cru Brand Turckheim domaine Zind Humbrecht 1990 qui est une merveille absolue. Un vin d’une complexité incomparable avec des notes citronnées et de fruits jaunes, mais aussi d’épices innombrables. Il est lourd, imposant et entraînant. C’est alors que se produit avec le plat d’anguille et foie gras un accord qui nous laisse tous abasourdis. Nous tenons là un accord d’anthologie et plusieurs autour de la table répètent à l’envi : "c’est l’accord de l’année". Le fait est que la symbiose d’un plat incroyablement multiforme avec un vin qui l’est tout autant donne des variations gustatives d’une justesse infinie. C’est beau. Le vin est certainement le meilleur de notre voyage en Belgique. Sur le bœuf Wagyu, nous goûtons un Domaine de Trévallon Coteaux d’Aix 1990 qui d’emblée nous asphyxie par ses notes végétales à dominante de poivron mais aussi de fenouil. Le tout se domestique quand le vin s’ouvre, et c’est un vin de message simple, délicieusement goûteux, presque velouté, serein et apaisé. Il est aussi à l’aise sur le pigeon.

Cette table est d’une qualité de recherche exceptionnelle. San est venu discuter avec nous et nous a parlé de ce qui conduit ses recherches, expliquant le cheminement de quelques plats. On ne peut que recommander cette table de très haut niveau ou l’expérience gastronomique est exceptionnelle.

déjeuner au restaurant Couvert Couvert à Heverlee samedi, 22 septembre 2012

Nous déjeunons au restaurant Couvert Couvert à Heverlee, tenu par deux frères, Laurent et Vincent Folmer, ce qui explique peut-être la répétition du nom. L’entrée de l’édifice est sur la façade opposée à la route d’où l’on peut voir une grande trouée de verdure et des vaches qui viennent pâturer tout près du jardin potager du restaurant. La salle est d’une décoration très sobre, à la scandinave, avec un mobilier simple de beau design. L’accueil est souriant. L’examen de la carte des vins donne le sourire. Car il y a des pépites de première grandeur. Cette carte est intelligente (c’est la première fois que je vois qu’on indique la date de dégorgement des champagnes), et donne envie de dépenser, ce que devrait faire toute carte des vins.

Alors que nous avons un programme chargé de week-end, nous choisissons le menu à six plats ainsi composé : crabe tourteau, sarrasin et citron vert / sole de petit bateau, crevettes de Zeebrugge, tomates et estragon / homard breton, pêches et amandes fraîches / canard sauvage, betteraves et sureau noir / figues, glace aux feuilles de figues / chocolat, framboises et sapote.

Tout dans cette cuisine est raffiné, sensible, délicat. Les deux chefs étant des pâtissiers, ce que je ne savais pas, il devient normal que le plat que j’ai préfère soit celui de la figue. Le homard est tout petit mais très goûteux. La sole est très gastronomique. Ça respire l’intelligence, et contrairement à hier, tout met en valeur les vins. Les assiettes sont choisies avec pertinence pour faire de chaque plat un joli tableau. On se sent bien et heureux.

Le Corton Charlemagne Jean François Coche-Dury 2007 a un nez encore jeune où le soufre apparaît légèrement. En bouche, il n’est pas aussi tonitruant que certains Corton Charlemagne Coche-Dury plus anciens qui sont de vraies bombes, mais il est très expressif, solide, sa relative discrétion lui donnant beaucoup de charme. Il est terriblement gastronomique. Ses notes citronnées sont équilibrées et l’ensemble, très cohérent, est rassurant pour les plats.

Nous souhaitions nous en tenir à un vin compte tenu du programme qui reste à suivre, mais le vin s’asséchant très vite, nous avons commandé un La Grande Rue Grand Cru Monopole Domaine François Lamarche 2002. Le vin est d’une rare délicatesse. Au début, son message manque un peu d’expression, mais il faut le laisser s’ouvrir et il gagne en velouté et en délicatesse. Son final est un peu rêche. Il est à noter qu’aussi bien sur le homard (chair seule) que sur le canard, c’est le vin rouge qui s’exprime mieux que le vin blanc. S’il est discret, il est subtil, et le velouté s’impose de plus en plus.

Nous avons vécu un excellent déjeuner, joyeux, qui donne envie de revenir en ce restaurant au naturel plaisant.

dîner au restaurant de Pastorale samedi, 22 septembre 2012

Cap sur Bruxelles, non pas pour y planquer quelques lingots, mais pour s’immerger en gastronomie. L’hôtel Bloom à Bruxelles est jeune et moderne. Notre chambre avec mezzanine est d’une décoration plaisante. L’arrivée en terre belge impose une bière blonde de la Brasserie d’Achouffe. Un régal.

Nous partons vers la ville de Rumst au restaurant de Pastorale qu’il serait impossible d’atteindre sans un GPS. On se demande comment on pouvait y arriver quand cet outil n’existait pas. La façade du lieu est imposante mais égayée par une statue au revêtement doré brillant qui est prise d’un rire bruyant au moment où l’on passe devant elle, comme ces grenouilles de jardin qui coassent quand on les approche. La décoration intérieure est d’avant-garde. Elle est d’une grande sensibilité et réussie.

La carte des vins est très internationale et les prix paraissent accessibles. Mon choix porte sur le Champagne Krug 1988 qui est d’une maturité magnifique. Il n’a pas d’âge et nous éblouit de sa complexité épanouie. Les amuse-bouche sont nombreux, très bigarrés et les explications sont incompréhensibles. On n’en retient rien mais ce n’est pas grave. Une moule est particulièrement goûteuse. Le champagne est à son aise avec ces multiples saveurs.

J’ai choisi le cabillaud au fenouil et sureau et le bœuf Holstein de cinq ans d’âge, sélection unique, mûri cinquante jours. Le chef Bart de Pooter fait une cuisine dont la présentation est agréable à l’œil, dont les produits sont de qualité, mais dont la cohérence des plats est absente. Ce sont des patchworks de saveur sans véritable logique, sauf de les ajouter "comme ça". On le verra avec le plateau de fromages commandé pour accompagner le vin rouge : cinq fromages arrivent avec quatre sauces ou confitures de fruits, et c’est la java pour les papilles. Le vin méritait mieux que cela, car c’est Vega Sicilia Unico Reserva Especial fait de 1985, 1991 et 1996 mis en bouteilles en 2005. Le vin est impérial. Il est d’un velours distingué. On dirait un mannequin qui défile sur un nuage. Il est d’une grâce pure avec un beau fruit rouge mais surtout ce velours de grande noblesse marque le palais d’une trace profonde. C’est un vin magnifique.

Notre serveuse ou plutôt notre hôtesse a fait un service attentif et attentionné. Ce n’est pas le cas du sommelier Jon Stalmans qui paraissait aux abonnés absents, car nos verres étaient souvent vides. Alors, que dire ? Le lieu est beau, la cuisine n’est pas du tout adaptée aux vins. C’est une étape pour une expérience culinaire. Ce n’est pas une étape pour les amoureux du vin.

livre « L’Amer » d’Emmanuel Giraud vendredi, 21 septembre 2012

Pour le même jour, j’ai reçu une invitation pour le lancement du livre "L’Amer" d’Emmanuel Giraud qui m’avait, il y a quelques années interviewé pour France Culture. Il double ses talents de journaliste de ceux d’écrivain et d’artiste, et l’idée de parler d’amertume après avoir parlé de cuisine note à note m’excite. Dans l’appartement d’un collectionneur d’art, Emmanuel expose quelques croquis et nous fait goûter un spritz au Campari assorti d’olives de parmesan et de crackers au Cecina de Léon. C’est l’occasion pour moi de retrouver un ami gastronome que jamais je n’aurais imaginé croiser ici. Choc des saveurs, propos sur l’amertume, tout cela me plait car on y parle de goût. Comme le dit si bien Emmanuel, le mariage du ciel et de l’amer.