dîner par un soir de canicule dimanche, 26 août 2012

Des amis viennent dîner par une journée de canicule. Quel que soit le menu, je m’oriente vers le champagne, compte tenu de la température ambiante. Ce sera le Champagne Pierre Péters Cuvée des Chétillons magnum 2002. Il est droit, bien fait et rassurant. Il m’évoque tout ce que j’aime dans les vins de Mesnil-sur-Oger. Il a toutes les caractéristiques pour bien vieillir et il est aujourd’hui porteur de plaisir. Avec des crevettes roses, de grosses gambas et des filets de loups, il est un agréable compagnon. C’est un beau champagne de soif, un peu classique et très plaisant. Le reste de la bouteille, bu un jour plus tard, a perdu beaucoup de sa bulle et révèle le très beau caractère vineux de ce grand champagne.

Salon 1997 magnum le lendemain mercredi, 22 août 2012

J’ai pu vérifier dès le lendemain. Il restait suffisamment du Champagne Salon magnum 1997 pour faire un diagnostic différent de celui de la veille. Un jour de plus a diminué la force de la bulle. Mais instantanément, la grâce et la force vineuse reviennent. Le champagne a repris une forte personnalité et je l’aime. Est-ce à dire qu’il faut boire ce champagne après plusieurs heures d’aération au frais ? L’expérience s’impose.

Un Salon manque son rendez-vous, fait rare mercredi, 22 août 2012

Il n’y a plus d’enfant ou de petits-enfants. Nos partenaires habituels de belote viennent pour jouer et dîner. Le Champagne Dom Pérignon magnum 1998 frappe d’emblée par sa joie de vivre. Il a des fleurs blanches et des fruits roses. Il emplit bien la bouche et son épanouissement me ravit. C’est probablement le meilleur des Dom Pérignon 1998 que j’ai bus. Sa complexité florale est réjouissante. Nous allons constater qu’un champagne n’a pas toujours la réponse à nos attentes. Car le Champagne Salon magnum 1997 que j’ouvre maintenant ne nous parle pas. Il donne l’impression d’être muet. Bien sûr c’est un bon champagne, mais il n’a pas du tout l’inspiration que je souhaitais. Alors, quand on n’a pas ce qu’on attend, on le trouve plat, sans âme. Comme pour les êtres humains, ce champagne était sans doute dans un jour « sans ». Il faudra vérifier cela au plus vite.

le 500ème bulletin de wine-dinners lundi, 20 août 2012

Une nouvelle année de bulletins démarre sur par le chiffre 500.

Depuis près de douze ans j’ai adressé des bulletins. Arriver au chiffre 500 ne me laisse pas indifférent. Deux mille pages d’aventures où le vin est l’acteur principal, souvent jeune premier malgré son âge, c’est une étape importante.

Aussi, un petit coup de projecteur sur ce qui a été fait et ce que l’on projette de faire n’est pas inutile.

Pour les nouveaux lecteurs, ce sera le moyen de mieux me connaître au travers de ce qui a été réalisé. Pour les anciens, ce sera un moyen de repenser à ce qui a été fait.

Pour une fois, je ne le mets pas en pièce jointe. Je vous encourage à le lire.

500, c’est un chiffre rond, que je n’avais probablement pas imaginé lorsque le premier bulletin est paru le 17 décembre 2000. Pour le n° 100, une brochure a été faite avec les dîners que j’avais organisés. Il y en avait 33 à ce stade. Pour le n° 200, une autre brochure avec tous les dîners était dans le même esprit. Il y avait alors 76 dîners. Je n’ai pas voulu marquer les n°s 300 et 400 d’une attention particulière et j’ai hésité pour ce n° 500. Il ne faudrait pas ennuyer le lecteur par un discours « d’ancien combattant ». J’ai quand même décidé de raconter le parcours que j’ai eu la chance de suivre, pour une raison suffisante à mes yeux : le lectorat s’est fortement développé et des lecteurs ne me connaissent pas. Il faut expliquer, sans tomber dans l’écueil du plaidoyer pro domo ou des remerciements qui n’en finissent pas.

En 499 bulletins, j’ai évoqué les souvenirs de 9.475 vins. Les 159 dîners qui ont été organisés sous la bannière de « wine-dinners » ont fait ouvrir 1.762 vins, dont 636 de plus d’un demi-siècle, ce qui veut dire que dans les dîners il y a eu en moyenne plus de quatre vins de plus de cinquante ans.

Les bulletins ont aussi raconté beaucoup plus de vins bus en dehors de ces dîners, dans les séances de l’académie des vins anciens, dans des repas privés, entre amis ou en famille, lors des « casual Fridays » inventés entre amis et aussi lors de visites chez des vignerons ou lors d’événements organisés par des domaines et des châteaux. Pour fixer les idées, sur ces 499 bulletins, des vins de plus de cinquante ans aujourd’hui, donc d’avant 1963, sont au nombre de 2.446, soit à peu près cinq par bulletin, mais ce qui est plus marquant, c’est qu’il y en a plus de 200 par an, soit plus de quatre par semaine. Il y ainsi une mémoire du vin ancien qui s’est constituée au fil de ces onze années et demie. C’est bien dommage que les près de trente ans qui précèdent n’aient donné lieu à aucun écrit.

Tout a commencé vers 1977 par un Climens 1923 qui m’a fait chavirer de bonheur. C’était la première fois que je buvais un vin aussi ancien et jamais de ma vie je n’avais rencontré une telle harmonie, une telle complexité, une telle plénitude. Alors, entraîné dans une ronde folle par un épicier de banlieue qui organisait des dîners de vins anciens et par un expert en vins avec lequel l’épicier se laissait aller à des querelles d’école parfois fort dogmatiques, je me suis mis à boire des vins anciens éblouissants et à les collectionner avec frénésie et boulimie. Il me fallait tout avoir pour pouvoir tout boire. Entre mes deux mentors, les querelles d’écoles devenaient plus sonores et le club de l’époque s’est dissous.

Mais il y avait mes vins qui me suppliaient qu’on les boive ! Alors, tirant les leçons des dîners assez spontanéistes de mon ancien club, j’ai voulu créer des dîners de vins anciens avec l’envie de faire de la haute gastronomie, que je nomme sans être pompeux mais seulement ambitieux, de la « gastronomie ultime ». Il me semble en effet que lorsqu’un chef brillant crée un repas talentueux et équilibré, il est au sommet de son art. Mais s’il fait la même création pour des vins rares choisis dans un ordre étudié, il est encore plus haut que son sommet, car les vins donnent un supplément d’âme au talent du chef.

Lorsque les plus grands chefs m’ont fait l’honneur de créer des menus pour mes vins, ils atteignent un niveau de gastronomie qui dépasse les très beaux menus qu’ils offrent habituellement. Le talent est évidemment le leur, mais les vins font le reste.

Voici les chefs qui ont ensoleillé les repas de vins anciens, dans l’ordre de leur apparition dans mes dîners. Le premier dîner a été conçu par David Van Laer, grand amoureux des vins, chef du Maxence, qui m’a permis d’étrenner la formule des dîners de wine-dinners le 21 décembre 2000. Nous avons fait ensemble trois repas dont il a créé les menus. Le second est Patrick Pignol, grand amateur de vins, avec lequel j’ai fait vingt repas. Ensuite, c’est le restaurant Laurent, avec Philippe Bourguignon et Alain Pégouret qui m’ont fait le plaisir de vingt-huit repas. Guy Savoy a conçu des plats merveilleux pour huit de mes dîners, Alain Dutournier, lui aussi grand amoureux des vins, a réalisé huit repas. Frédéric Anton au Pré Catelan a créé cinq repas. Au Cinq, Philippe Legendre a conçu quatre repas avec la complicité d’Eric Beaumard. Au Bristol, Eric Fréchon a conçu treize dîners. La Grande Cascade m’a accueilli sept fois, d’abord avec Richard Mebkhout trois fois puis Frédéric Robert quatre fois, qui pourrait compter pour cinq car il a participé aussi à un dîner d’Alain Senderens.

Ensuite, grâce à l’amitié de Pierre Lurton, j’ai eu l’immense chance de pouvoir organiser trois repas au Château d’Yquem et chaque fois Marc Demund a accompagné brillamment le voyage avec des vins mythiques. Jean-Pierre Vigato, dans son magnifique écrin d’Apicius, a été notre hôte actif quatre fois. Gérard Besson, qui a un grand sens des vins anciens a conçu sept repas mais aussi beaucoup d’autres des « casual Fridays » qui réunissaient quelques amis autour de vieux flacons. Guy Martin du Grand Véfour a été le complice de trois repas. C’est dans son restaurant que Tomo, mon ami japonais et moi, filmés pour le film « les quatre saisons de la Romanée Conti » avons bu, à deux pour le déjeuner, les Romanée Conti 1986 et 1996 que nous avions apportées pour le film. Christian Le Squer, dans le restaurant gastronomique de Ledoyen a réalisé onze brillants repas.

Ce n’est qu’au 27ème dîner qu’apparaît le restaurant Taillevent, alors que j’avais consulté Jean-Claude Vrinat bien avant les débuts de wine-dinners en lui demandant de précieux conseils. Si j’avais interrogé ma mémoire avant de consulter mes fichiers, j’aurais volontiers dit que Taillevent était au tout début de mes dîners. Nous nous sommes rattrapés en réalisant avec Alain Solivérès treize dîners, d’abord avec Jean-Claude Vrinat, puis avec Jean-Marie Ancher. Lorsque Yannick Alléno est arrivé au Meurice, nous avons tout de suite réalisé de magnifiques dîners. Il y en a eu cinq mémorables, dont le 50ème, filmé pour le journal de 20 heures d’un dimanche soir sur France 2.

Le chaleureux Jacques Le Divellec nous a éblouis quatre fois dans son restaurant. Trois fois nous avons profité de l’immense talent de Pascal Barbot de l’Astrance.

C’est le Château de Saran, la demeure de réception du groupe Moët & Chandon qui, grâce à Jean Berchon, a accueilli le 100ème dîner, puis le 150ème dîner parce que nous avions pris goût aux chiffres ronds, sur la cuisine de Bernard Dance.

Viennent ensuite deux expériences qui ont une saveur particulière pour moi, car c’est un privilège rare. J’ai pu réaliser deux dîners au restaurant « Maison Boulud » à Pékin et Daniel Boulud, le chef lyonnais qui a trois étoiles à New York a pris en charge lui-même la réalisation des plats que j’ai analysés et commentés avec lui avant les repas officiels pour créer des accords de grande précision.

Alain Passard a créé deux beaux repas à l’Arpège et Christopher Hache, le jeune et talentueux chef des Ambassadeurs du Crillon a été intéressé de créer pour mes vins. C’est aussi deux repas qu’a réalisés Michel Rostang dans son beau restaurant.

Il y a eu en outre des expériences uniques mais passionnantes comme le dîner au restaurant Lucas Carton où j’ai ouvert la première Romanée Conti de mes dîners. Nous aurions volontiers continué avec Alain Senderens, mais il a estimé que dans sa nouvelle formule, il n’avait pas les moyens d’aller aussi loin que ce qu’il avait fait pour ce dîner. C’est aussi au restaurant « le Gavroche » avec Michel Roux, à l’Oustau de Baumanière avec Jean-André Charial, dans un hôtel particulier sur le Parc Monceau avec Dominique Saugnac de « Terre de Truffes » sous le patronage de Bruno de Lorgues, à l’Ecu de France où la famille Brousse nous a gentiment accueillis, au domicile de mon ami Jean-Philippe Durand pour un dîner spécial organisé pour des membres d’un forum de vins. Pierre Gagnaire, dont la créativité n’est normalement pas tournée vers le vin, a accepté de jouer le jeu de mes vins et a fait un repas sublime. Un membre du Yacht Club de Monaco m’a demandé de réaliser un repas pour ses amis et lui dans son club. Ce fut un grand succès et le plus étonnant est que le club a fait construire une table par un menuisier, selon les plans que j’ai suggérés. C’est une implication remarquable. Il y a aussi un dîner au domicile de mon ami Tomo, où les vins ouverts justifiaient le classement parmi ces dîners d’exception.

La confiance de grands chefs qui ont accepté de créer pour mes vins est un atout très important pour atteindre cette « gastronomie ultime » que je souhaite susciter.

Les repas n’existeraient pas sans convives ! Il est certain que sans eux je n’aurais pas pu ouvrir autant de belles bouteilles. Cinq ou six convives dépassent les vingt participations dont une femme chef d’entreprise, deux chefs d’entreprise et un avocat poète. De très nombreux convives sont revenus, car une fois que l’on a pris le virus des vins anciens, on a l’envie de succomber à nouveau. Parmi ceux-ci je signalerai mon ami Steve, collectionneur américain, avec lequel nous avons partagé en privé des bouteilles sublimes, et Bipin Desai, qui m’a beaucoup appris, en organisant des dégustations exceptionnelles des vins de grands domaines. C’est grâce à lui que j’organise chaque année un dîner de vignerons. Nous ferons en décembre le 12ème de ces dîners avec des vignerons amis.

L’autre activité de partage, l’Académie des Vins Anciens est née le 17 décembre 2004 lors d’une conférence « pré-inaugurale » à l’hôtel de Crillon. L’objectif de l’Académie est que les amateurs de vins qui ont en cave des vins anciens les partagent entre eux. « Il faut faire sortir les vins anciens des caves », alors que trop d’entre eux sont en train de mourir puisque, pour leur propriétaire, « ce n’est pas le moment de les ouvrir » ou bien ils estiment qu’ils n’ont pas d’amis avec lesquels les partager. Il y a trop de caves statiques, figées. L’Académie, à l’instar du mouvement de libération des nains de jardin, si l’on permet cette comparaison, veut « libérer » les vins anciens pour qu’on les boive dans les meilleures conditions.

Nous avons fait 18 séances avec des amateurs passionnés et fidèles. Nous avons eu la chance que beaucoup de vignerons accueillent cette création avec amitié. Aux fonts baptismaux, il y avait Jean Berchon de Moët, Bernard Hervet de la maison Bouchard, Jean-Marc Bichot de la maison éponyme, Violaine de Lencquesaing de Pichon Comtesse, Bernard de Laage de Meux de Palmer.

De nombreux vignerons sont venus nous rejoindre, apportant leur soutien à cette initiative. Didier Depond, président de Salon, Pierre Lurton, président d’Yquem et de Cheval Blanc, Aubert de Villaine, cogérant de la Romanée Conti, Richard Geoffroy maître de chais de Dom Pérignon et beaucoup d’autres encore que l’on m’excusera de ne pas citer. Mais celui qui fut le plus fidèle des fidèles, vantant les mérites de l’académie à chacune des séances, fut le regretté Jean Hugel. Une amitié forte est née avec ce grand vigneron truculent.

Depuis l’an 2000, il y a eu tellement de moments heureux que je n’en citerai qu’un. Jean Hugel m’ayant pris en amitié m’avait invité chez lui avec mon épouse et m’avait montré sa cave personnelle où figurait l’un des plus grands vins du monde, un Constantia d’Afrique du Sud de 1791 qu’il possédait en commun avec un ami allemand qui ne lui avait pas donné signe de vie depuis de nombreuses années. Cette bouteille était une de ses fiertés. Lorsqu’il est mort en juin 2009, j’ai décidé que le dîner qui suivrait serait en son honneur. C’était le 121ème. J’avais inclus un vin dont Jean était fier : Riesling Vendanges Tardives Sélection de Grains Nobles Hugel 1976. J’ai invité Etienne Hugel, l’un de ses neveux, à se joindre à ce dîner et le jour dit, Etienne m’annonce qu’il viendra avec un flacon. Ce serait sûrement un vin de la maison Hugel qui trouvera sa place dans ce dîner. Il est en fait venu, ayant recueilli l’autorisation de Simone, la veuve de Jean, avec le Constantia d’Afrique du Sud de 1791. On peut imaginer la surprise des convives du dîner qui ne savaient pas qu’ils allaient boire un vin de 218 ans qui reçut le vote de premier aussi bien pour l’ensemble de la table que pour moi. Des preuves d’amitié de cette intensité sont rares.

Mille autres anecdotes mériteraient d’être citées, comme celle de la plus vieille bouteille que j’ai bue dans la banlieue de Rennes, de 1690 environ, ou celle découverte dans les gravats de la cave de l’abbaye de Saint-Vivant qui, ouverte devant des scientifiques, avait, oh surprise, un bouchon neuf (relisez le bulletin 460). Mais je voudrais plutôt parler du futur.

La première de mes motivations est de faire ouvrir les bouteilles anciennes qui dorment dans les caves pour qu’elles soient partagées. Avec la complicité de la maison Bouchard, j’ai pu organiser un dîner où des amis suisses généreux ont apporté Lafite-Rothschild 1844 et 1858, et ce au moment où la Chine connaissait la folie tarifaire pour Lafite. Ils apportaient un pactole. Leur générosité a eu un effet d’entraînement, puisque les cinq derniers vins de ce dîner avaient un âge moyen de 155 ans, et furent tous sublimes. Créer des occasions pour ouvrir des bouteilles mythiques est mon objectif. Ainsi par exemple, ayant la chance d’avoir des champagnes des deux bateaux qui ont coulé dans les mers froides du nord, j’ai envie qu’on les compare lors d’un dîner prestigieux. J’aimerais que tous ceux qui ont des bouteilles rarissimes les ouvrent pour les partager dans les meilleures conditions, que ce soit avec moi ou sans moi, mais avec moi c’est encore mieux, on l’imagine volontiers. Et je voudrais aussi, grâce à l’académie des vins anciens, que les vins « fantassins » aient aussi leur chance, car les surprises sont toujours au rendez-vous quand on sait ouvrir les vins, raison pour laquelle j’en parle tant dans mes bulletins.

« Ouvrir, ouvrir, ouvrir », telle est mon obsession. Par ailleurs, ayant eu la chance de boire 158 millésimes (11 du 21è siècle, 97 du 20è siècle, 43 du 19è, 6 du 18è et un du 17è siècle), j’aimerais que mes notes restent un témoignage de la grandeur du vin à travers l’histoire. Etre l’une des mémoires du vin serait un grand accomplissement de ma passion.

Alors, la vie est courte comme vient hélas de le rappeler le décès subit de Patrick Ricard. Il n’y aura probablement pas de bulletin n° 1000 sous ma plume. Mais si je peux susciter des envies de boire des trésors incommensurables de l’histoire du vin, je pourrai me dire que je n’aurai pas été totalement inutile dans la mise en valeur d’un patrimoine historique qui est une spécificité du vin en général et du vin français en particulier, lui qui fait tant vibrer mon cœur.

déjeuner au San Felice de l’hôtel du Castellet samedi, 18 août 2012

Ma fille et son mari ont passé une nuit à l’hôtel du Castellet. Nous les rejoignons le lendemain avec leurs enfants pour le déjeuner. Le matin même, nous venions d’apprendre le décès subit de Patrick Ricard. C’est étrange de se rendre le jour même dans un hôtel qui lui appartient. Curieusement, aucun avis affiché dans l’hôtel ne signale la perte de ce grand patron, sans qui l’hôtel n’aurait jamais existé.

Mon gendre avait commandé la veille trois vins en pensant que nous nous retrouvions le lendemain. Sur la terrasse du bar, nous commençons par un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1988 ouvert la veille. Il a perdu une bonne part de sa bulle, mais a gardé sa distinction. Il y a des accents fumés et une grande présence. Nous nous rendons à notre table au restaurant San Felice et la bouteille est remplacée par une nouvelle qui a infiniment plus de tension. Ce champagne est lumineux. Il est profond et complexe. S’il a gardé le goût de fumé et de toasté, il y ajoute des fruits roses charmants.

L’Hermitage domaine Betton blanc 2006 ouvert la veille n’a pas perdu de sa vivacité, mais n’a pas beaucoup d’imagination. Il ne crée aucune réelle vibration. Mon gendre avait commandé le Château Sainte Anne Cuvée Collection Bandol 1995 dont je lui avais dit le plus grand bien. Si ce vin est toujours un grand vin, on sent que la nuit a effacé un peu de sa vivacité.

La cuisine de ce restaurant est plus simple que celle du restaurant gastronomique, mais en s’appuyant sur des produits de qualité, elle est gourmande et agréable. Le service est attentionné. Avant de reprendre la route nous avons fait un petit somme sous des tentes ouvertes semées au milieu du parcours de golf, par une chaleur caniculaire qui faisait ressortir les parfums des pins et de l’herbe coupée de frais. Patrick Ricard a développé le groupe créé par son père et a créé ce petit coin de paradis où la mémoire de ce grand patron subsistera.

ma fille et ses enfants avec l’un des cuisiniers du San Felice

fin de séjour des amis sur un Vega 1960 mercredi, 15 août 2012

Les amis vont partir et ma fille les a invités avec nous chez elle. Ils avaient apporté quatre bouteilles et l’un d’entre elles n’a pas été bue, la plus ancienne. Ce dernier déjeuner est l’occasion de la boire. Sur des anchois au gingembre, anchois provençale, saucisson, lomo et chipolatas, le Champagne Perrier-Jouët Belle Epoque 1995 a bien du mal à soutenir la comparaison avec les champagnes des derniers jours. Pataud, il ne montre pas beaucoup d’imagination. Bien sûr, il se boit convenablement, mais il manque de vibration. J’ai de bien meilleurs souvenirs avec une année comme 1985.

Le grenadin de veau aux herbes de Provence cuit à basse température est idéalement fondant. Le Vega Sicilia Unico 1960 a un nez d’une rare distinction. Le vin est d’un bel équilibre et d’un grand raffinement. C’est comme un idéal pour un vin et j’adore les Vega Sicilia Unico des années 60. Mais en cette période de l’année de fortes chaleurs, je préfère le Vega Sicilia Unico plus jeune que nous avons bu il y a deux jours, car il est plus tendu, plus vif et plus marqué par la fraîcheur finale. Cependant, ce vin est comme une leçon de choses, une leçon de raffinement. Il clôt de la plus belle façon un séjour d’amitié.

Match au sommet : Landonne, Vega et Penfolds mardi, 14 août 2012

Ce soir, c’est le point culminant du séjour de nos amis. Il en manque un, Jean-Philippe, retenu par d’autres obligations. Mon gendre arrive vers 18 heures pour apporter sa contribution. Hélas, le vin est trop froid et je lui fait part de mon inquiétude : le vin pourrait être étranglé par un coup de froid trop violent. J’ouvre les trois rouges qui dégagent des parfums opulents et capiteux.

Les petits-enfants jouent et rient autour de nous puis nous quittent pour aller dîner de leur côté. C’est l’ouverture de l’apéritif. Un des amis a apporté un champagne Selosse Substance dégorgé en 2010 et nous dit : « j’ai peur hélas que ce soit un dégorgement trop récent ». Tel Zorro ou tel la Redoute, je ne sais, je m’écrie : « j’ai l’article ». Et, comme si le numéro de music-hall avait été préparé à l’avance, je sors d’un réfrigérateur un Champagne Jacques Selosse Substance dégorgé le 20 mars 2007. C’est le sacre du printemps !

Inutile de dire que je ne suis pas peu fier de l’effet de surprise. C’est ce champagne que nous buvons, d’un or cuivré du plus bel effet. Son nez est d’une expression puissante et en bouche, le plaisir est absolu. L’âge a embelli ce champagne d’une spectaculaire façon. Souvent Substance peut être énigmatique, extrême. Celui-ci est civilisé, lisible, d’une rare complexité abordable. Il y a un léger fumé, des sensations de noisettes et d’amandes, des fruits jaunes et bruns, une vinosité équilibrée. Et ce champagne serein est d’un vrai plaisir. On est bien. Avec un saucisson très charpenté, avec des petits gâteaux au parmesan, avec des anchois au gingembre, il s’adapte cordialement.

Comme il fait chaud, nous avons soif et j’ouvre alors un Champagne Krug 1982. J’ai tendance à considérer que sur les trente dernières années, il y a deux Krug, le 1982 et le 1988. Le 1988 est plus puissant, un champagne majeur. Le 1982 est plus romantique, plus gracile et probablement plus complexe. Celui que nous buvons est un champagne de compétition. Nous entrons de plain-pied dans la complexité. Il y a d’abord ce parfum envoûtant, profond, indélébile. Ensuite, ce sont des fleurs blanches qui assaillent, accompagnées de fruits rouges et roses. Comme il fait beau ce soir, je sens du poivre qui accompagne une esquisse de romarin. Et la musique de ce champagne se joue sur tous les arpèges. Il est immense, et le Selosse nous a préparés à en profiter encore plus. Une crème au butternut est agréable, mais ne convient pas au champagne. Ce sont surtout des champignons de Paris à l’ail et au persil qui ont mis en valeur les deux champagnes.

Nous passons à table et j’ai souhaité que nous puissions comparer trois vins puissants de trois pays différents. Le premier est la Côte Rôtie La Landonne Guigal 2000. Comme les autres vins, il sera bu sur un veau à basse température avec du riz noir et caviar d’aubergine, puis sur un agneau aux petites pommes de terre cuites dans leur peau. Le nez de La Landonne est prodigieux, peut-être le plus expressif des trois. Mais le coup de froid a serré le vin comme par un corset. On sent toute sa richesse, mais le manque d’ampleur et le manque de longueur dans le final limitent le plaisir. Inutile de dire que même ainsi, on ne le boude pas, car c’est un grand vin.

Vient ensuite Penfolds Grange BIN 95 2005 petite bombe olfactive. Ce que j’aime dans ce vin, c’est lorsque l’on dépasse son modernisme. On pourrait s’arrêter à tout ce qui est « trop », mais quand on prend le temps d’écouter son message, on sent du fenouil et de l’anis au-delà des fruits noirs, et l’on aime sa fraîcheur exceptionnelle, anisée, presque mentholée, qui lui confère une légèreté qui contredit son degré d’alcool. Mes amis se moquent de mon apport en disant : « ça sent la banane ou la vanille », mais lorsque le temps passe, ils se rendent compte que ce vin est le plus frais de tous, et tient mieux dans la chaleur de la nuit.

Le Vega Sicilia Unico Reserva Especial est fait de vins de 1991, 1994 et 1995. Son élégance et son équilibre sont exceptionnels. C’est le plus équilibré des trois, profond, charmant, riche et goûteux. Mais c’est surtout l’équilibre qui me frappe ainsi qu’une longueur infinie. Il a aussi dans son final une belle fraîcheur. Je trouve ce vin éblouissant de naturel et de justesse.

Lorsque ma femme annonce : « j’ai un Jort », ce n’est qu’un cri de joie et j’affirme : ce sera le Penfolds qui conviendra le mieux avec ce camembert. Et l’accord est pertinent. La salade de fruit est goûtée sur de l’eau car nous avons bien sacrifié à Bacchus.

Le consensus se fit pour classer les vins de ce soir : 1 – Krug 1982, 2 – Vega Sicilia Unico, 3 ex aequo – Selosse et Penfolds. Sous les rires, les moustiques et une pluie d’étoiles, nous avons passé une soirée mémorable.

déjeuner à l’hôtel du Castellet lundi, 13 août 2012

Par une lourde journée de canicule, nous allons déjeuner à l’hôtel du Castellet. C’est dimanche aussi le restaurant Montecristo est ouvert le midi. Ce sera la première fois que nous essaierons ce restaurant étoilé de l’hôtel. Nous prenons d’abord un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1988 au parfum riche et envoûtant. Quel délice ! Une légère amertume bride un peu le message d’un champagne à maturité. Fort heureusement, quelques minutes plus tard, ce petit défaut s’estompe, ce qui montre que l’on devrait ouvrir les champagnes à l’avance, et le champagne devient glorieux, profond, doré, presque miellé, légèrement fumé, avec des intonations de noisettes et d’amandes. Sa trace en bouche est longue. Il accompagnera le début du repas.

Le menu « découverte gourmande » conçu par Christophe Bacquié a des intitulés à rallonge : Tomates en couleurs/Pastèque : déclinaison de tomates anciennes de pays, eau de tomate émulsionnée à l’huile d’olive et basilic, gaspacho de « Green Zebra » et céleri, rafraîchi d’un sorbet tomate / Cèpes : une tranche d’aubergine grillée au moment, cèpes en gros quartiers poêlés, d’autres en fins copeaux, Culatello di Zibello 24 mois et parmesan grande réserve 2007 râpé devant vous / Pagre de palangre en pavé, conchiglies cuisinées comme un risotto à l’or rouge de Sillans la Cascade, marinière de coquillages, concassé d’herbes fraîches et huile de basilic / Veau du Limousin élevé sous la mère, beau morceau d’une longe de veau cuite au sautoir, polenta crémeuse de maïs blanc, poêlée de chanterelles, jus aux olives et népita / fromages affinée par Josiane Déal, pain à la farine de châtaigne de Cuttoli, quelques jeunes pousses et pommes vertes / l’abricot de Riboux, farci puis rôti, croquant au miel de romarin, yaourt placé au lait de brebis.

Le champagne Henriot se débrouille très bien avec les tomates, ce qui est une heureuse surprise. Romain Ambrosie , le sympathique sommelier, lorsque je l’ai salué se souvenait des vins que nous avions choisis l’an dernier et me suggéra un Bandol. Avant cela, nous buvons un Château Rayas Chateauneuf-du-Pape 1999 d’une maturité réjouissante. La bouteille est arrivée sur table assez fraîche, à 14°, mais la chaleur monte vite même si la bouteille est remise, à ma demande, dans un seau d’eau sans glace. Aussi, l’évocation habituelle de vin de Bourgogne n’existe pas. Le vin chante les cigales, la garigue, le romarin et toutes les senteurs du sud quand il fait chaud l’été. Et je l’aime aussi quand il représente aussi élégamment sa région. Sur le pagre il est vibrant sur la chair seule, exposant plus fort son poivre et sur le veau il est impérial.

Le Château Sainte Anne Cuvée Collection Bandol 1995 est une riche suggestion de Romain. Je suis toujours prudent lorsque des sommeliers suggèrent, mais là, je dis « chapeau ». Car ce Bandol est fruité de fruits noirs, riche, puissant, plein en bouche et même s’il a la signature habituelle des Bandol, avec une belle râpe et une évocation d’olive noire, son fruit puissant m’évoquerait à l’aveugle les vins du Rhône nord. Et lorsque l’on passe de l’un à l’autre vin, le Bandol ne souffre pas de la comparaison et serait même plus chaleureux et plus fruité, avec un petit parfum de violette.

Les deux vins sont d’un accomplissement serein et donnent un égal plaisir. La cuisine du chef est très élégante sur une base de cuisine traditionnelle. Il y a de belles recherches, de jolies présentations et c’est goûteux. Le service est efficace, joyeux et attentionné. Quand on a devant soi un panorama de toute beauté qui pousse à la quiétude et au plaisir, que demander de mieux ?

Un Gilette manquant de tranchant samedi, 11 août 2012

Des amis arrivent à la maison. Ce sont les compagnons des échappées à Noma ou a Casadelmar, de solides gastronomes. Cueillis à l’avion à l’heure du déjeuner, c’est avec un Champagne Salon magnum 1997 que nous trinquons à leur arrivée. Ce champagne a tout pour rassurer. Il n’a rien d’explosif, rien d’extrême, mais il est rassurant dans sa fragilité romantique. Il est gracile, mais il est aussi solide, supportant le choc de la poutargue, de chipolatas, et même de la burrata sur des tomates pelées et épépinées. Sur un viril saucisson, il est tout excité. Le soir, à l’apéritif, il a pris de l’ampleur sans perdre sa bulle. Il est bien. Nous faisons l’impasse de vin rouge pour qu’un Château Gilette crème de tête 1953 accompagne une tarte à l’abricot. Le nez est glycériné. Le goût est empâté, avec cette glycérine qui vire vers une amertume insistante. Le vin a probablement eu un coup de chaud et ne dégage pas la pureté qu’il devrait avoir. C’est bien dommage.