Académie des Vins Anciens (AVA) – 17ème séance du 31 mai 2012 lundi, 28 mai 2012

Académie des Vins Anciens (AVA) – 17ème séance du 31 mai 2012

Règles et informations mises à jour au 13/05/2012. A noter que comme peu d’inscrits ont répondu dans les délais, les dates limites ne sont plus applicables. Nous ferons du « cas par cas ».

(à lire avec attention)

Date et heure : 31 mai 2012 à 19h00

Lieu : Restaurant La Cagouille 10 Place Constantin Brancusi 75014 PARIS Tél : 01 43 22 09 01 dirigé par André Robert

Participation financière :

120 € par personne si l’inscrit apporte une bouteille de vin ancien (1) agréée par François Audouze

240 € par personne si l’inscrit vient sans bouteille

(1) si l’inscrit n’a pas de vin assez ancien, un « troc » est possible avec François Audouze, qui mettra au programme un vin ancien, contre une (ou plusieurs) bouteille de vin jeune qui présente un intérêt pour lui

Paiement :

Aucun chèque ne sera remis en banque avant le 29 mai 2012. Il n’y a donc aucune raison de retarder l’envoi du chèque de paiement.

Le chèque doit être remis si possible avant le 1er mai à François Audouze. Tout chèque tardif sera refusé et l’inscription ne sera pas confirmée.

L’ordre du chèque est : « François Audouze AVA »

Chèque à envoyer à François Audouze 18 rue de Paris 93130 NOISY LE SEC

Livraison des vins :

Les vins doivent être proposés et agréés par François Audouze. Les bouteilles sont à déposer chez Henriot 5 rue la Boétie 75008 Paris – 2ème étage – 01.47.42.18.06. Notre contact sur place est Martine Finat : mfinat@champagne-henriot.com . Aucune bouteille ne pourra être livrée après le 10 mai.

Une variante est de m’envoyer par la poste la bouteille à l’adresse : François Audouze société ACIOPAR 18 rue de Paris 93130 NOISY LE SEC

Toute personne qui n’aurait pas effectué son paiement et livré son vin le 10 mai perdrait son inscription. Le chèque arrivé tardivement lui serait rendu et la bouteille arrivée tardivement aussi.

Remarque sur le caractère strict de cette mesure : la dernière réunion a démontré qu’il est possible de tout régler un mois à l’avance. Le respect de la règle de l’engagement définitif et complet avant le 10 mai est le moyen d’assurer une réunion sans imprévu. (ceci ne sera plus possible, mais la réunion aura lieu)

Au plaisir de vous accueillir pour une réunion aussi brillante que les précédentes, et encore plus rigoureuse, car c’est possible.

Voici les vins définis ou reçus à ce jour :

Chardonnay Spumante Casa Valdugar 130 Brésil sans année – Champagne Janisson Baradon Brut Sélection – Champagne Le Brun de Neuville Cuvée Chardonnay Brut – Champagne Pierre Gerbais cuvée de réserve – Champagne Besserat de Bellefon – Champagne Pierre Péters Cuvée Les Chétillons magnum 2000 – Champagne Pierre Péters Cuvée Les Chétillons magnum 2000 – Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996 – Champagne Pierre Péters magnum 1985 – Champagne Pierre Péters magnum 1985 – Champagne Pierre Péters 1979 – Ipsheimer Burg Hoheneck Bacchus trocken Franken 1990 – Château Chalon Bouvret Père & Fils 1971 – Domaine de la Trappe Algérie blanc 1955 – Vin de l’Etoile Coopérative Vinicole de l’Etoile 1955 – Agneau Blanc Baron de Rothschild 1948 – Agneau Blanc Baron de Rothschild 1948 – Pouilly Fuissé Bouchard Père & Fils 1938 – Château Lynch-Bages 1985 – Château Figeac 1975 – Château Pavie 1973 – Château Latour 1973 – Château de Sales Pomerol 1970 – Château Canon 1970 – Château Canon Saint-Emilion 1966 – Château La Mission Haut-Brion 1964 – Château La Tour du Guetteur Saint Emilion 1964 – Château Pape Clément 1962 – Château La Couspaude Saint-Emilion 1955 – Château Montrose 1950 – Chateau d’Arsac Margaux 1925 (Latrille & Cie illisible) – Fixin Les Clos Vincent et Denis Berthaut 1985 – Volnay Chauvot-Labaume 1967 – Nuits-Saint-Georges Rémy Gauthier sans année – Hermitage La Sizeranne cuvee 167 NM Chapoutier (1961,1962 ET 1963) – Chambolle Musigny Jean Bouchard 1959 – Aloxe Corton Les Chaillots Louis Latour # 1955 – Volnay 1er Cru Bouchard Père & Fils 1953 – Château Luzies Barsac 1955 – Château La Graville Sainte Croix du Mont 1953 – Château Salins Rions 1ères Côtes de Bordeaux 1941 – Chateau d’Arche Pugneau 1935 – Cru d’Arieste Sauternes 1934 – Madère Cruz 1860

premier dîner dehors en région parisienne jeudi, 24 mai 2012

Mon fils va repartir demain sous d’autres cieux. C’est l’occasion de profiter des premiers soirs cléments pour dîner dehors. Comme souvent, je prélève en cave des bouteilles sans plan particulier. La première est un Marquès de Riscal Rioja Reserva 1992 qui titre 12,5°. Le niveau est dans le goulot. Alors que le haut du bouchon est d’une propreté parfaite, le bouchon se brise à la levée. Il n’est pas de belle qualité. Le vin est d’une couleur déjà tuilée ce qui n’est pas normal. Il sent très bon, d’un parfum franc et prometteur. La déception est en bouche. On sent que le vin pourrait avoir du potentiel, mais le vin a vieilli trop vite. On lui donnerait facilement vingt ans de plus. Il a le désagrément des vins fatigués. Le vin est plat, sans véritable final. Le jambon espagnol lui convient et le fouette, car ils sont des « pays », et le foie gras le domestique. Mais ce n’est pas folichon du tout. C’est plus que certainement un problème de bouteille, et probablement un coup de chaud.

La deuxième est un Corton Clos du Roy L.A. Montoy Propriétaire 1929. L’étiquette est quasiment illisible alors que la capsule est très précise. La devise est ainsi notée : « CAUSA NOSTRÆ LÆTITIÆ », ce qui est charmant. Le bouchon est gras, mais pas trop et se brise de façon normale. Le nez n’est pas très engageant, avec des arômes de sous-bois et de champignons. La robe est plus jeune que celle du Rioja dont le millésime est un anagramme. En bouche, on sent instantanément que ce vin « cause » quand l’autre était muet. Il y a une âme dans ce vin. Mais la fatigue est là. Bien sûr, nous chercherons à capter ce qui reste du message, mais on est bien loin de la pétulance habituelle des 1929 bourguignons. La soirée est si belle que cela ne va pas gâcher notre plaisir. Nous aurons de meilleures pioches.

à droite, c’est le même bouchon, mais retiré en deux fois

repas de conscrits au Yacht Club de France mercredi, 23 mai 2012

Les amis de mon âge débordent d’imagination. Dans la salle à manger privée du Yacht Club de France, Thierry Leluc a concocté avec le chef un menu « impérial » : carpaccio d’empereur à la mangue ivoirienne, rouleau impérial à l’araignée de mer / filet de veau fermier Marengo / fromage « empereur » corse et le Napoléon des Pyrénées / la Sachertorte, gâteau viennois au chocolat préféré de l’impératrice Sissi.

Tout fut délicieux, attentionné et inventif. Les herbes de l’entrée proviennent du jardin de Thierry Leluc.

Le Champagne Boizel brut sans année est aimable, mais sans grande imagination. Le Champagne Vilmart & Cie grand cellier brut premier cru est un peu plus expressif et sert de faire-valoir au Champagne Besserat de Bellefon sans année, au message plus clair et plus joyeux. C’est un champagne de plaisir.

La star de ce repas, c’est le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2008. Riche, plein, expressif, à la trace très longue et complexe, ce vin est très gastronomique. C’est sur le carpaccio qu’il a trouvé la plus grand vivacité.

Le Cos d’Estournel 1996 que nous avons déjà goûté en ce lieu est un très grand vin. Son équilibre est remarquable et son empreinte est forte. Sa force tannique est d’une grande jeunesse. Le La Rose Pauillac 1975 d’un groupement de propriétaires de Pauillac a la fâcheuse idée d’être bouchonné. Le Château Malescot Saint-Exupéry Margaux 1986 est plus simple et moins percutant que le Saint-Estèphe, mais il se boit très agréablement. Le Château Lynch-Bages 1997 convient bien aux fromages, car il est d’une grande délicatesse, dans sa discrétion.

Le Champagne Cuvée Joséphine Joseph Perrier 2002 est superbe, goûteux et vif, grand champagne qui a su tenir tête à la Sachertorte et surmonter le chocolat.

Il nous fallait un Cognac Courvoisier Napoléon pour couronner notre statut d’empereurs. Le Yacht Club de France est d’un accueil impérial comme notre menu. C’est toujours un plaisir de voir la motivation des équipes qui ont composé et réalisé ce beau repas.

de grands vins au restaurant Laurent dimanche, 20 mai 2012

Les amis que nous avions reçus dans le sud étant de passage à Paris, nous nous retrouvons avec eux et avec notre fils au restaurant Laurent.

Le menu de saison nous paraît sympathique : petit pois en vinaigrette à l’huile d’olive et basilic, galette croustillante / foie de canard poêlé, veloutine à l’oseille et haricots « risina » / tronçon de turbot à l’huile d’olive, bardes et légumes verts dans une fleurette iodée / pigeon à peine fumé et rôti, pissaladière de jeunes légumes, sauce piquante / voiture de fromages / soufflé chaud mangue-safran. C’est un menu délicat, équilibré, de cuisine rassurante qui mériterait un peu plus de considération de la part du Guide Michelin.

Le Champagne Clos des Goisses Philipponnat 2000 est d’un bel or clair. La bulle est fine et rapide. Le vin est imposant, riche, plein en bouche, de forte personnalité. Ce sont des fruits jaunes qui marquent le goût. C’est un grand champagne à la forte trace.

L’Hermitage Jean-Louis Chave blanc 2001 est puissant et fumé comme un vin de vieilles roussanes. Il est riche et pénétrant. S’il ne trouve pas vraiment le tempo qui convient au foie de canard, il est merveilleux sur le turbot, et créera le plus bel accord du dîner. J’aime ce vin puissant, conquérant, d’un grand équilibre. Il est à un point de sa vie que l’on peut considérer comme idéal.

Le Chambertin Clos de Bèze Domaine Armand Rousseau 2006 nous fait commettre un infanticide, mais j’en avais furieusement envie et c’est le seul millésime sur la belle carte des vins. Dès la première gorgée on est conquis par le charme délicat de ce vin subtil qui sait combiner la puissance et le raffinement. Je suis un amoureux non transi des vins de ce domaine. Force est cependant de constater que l’on boit ce vin un peu trop jeune, car il va s’épanouir et gagner encore en complexité. Avec le pigeon, c’est un régal.

Il fait soif et c’est l’heure des folies. Un Ermitage Cuvée Cathelin Jean-Louis Chave 2000 apparaît sur notre table. Le vin est grand, ce n’est pas une découverte. Opulent, riche remarquable en tous points. Mais le vin venait tout droit de la cave. Le vin est donc encore un peu coincé et ne se débridera qu’en fin de parcours. C’est notre faute d’avoir commandé ce vin au dernier moment, car l’émotion n’a pas eu la plénitude que j’attendais.

Mon classement du fait des performances de ce soir et non pas sur le potentiel des vins, c’est le Chave blanc, puis le Clos des Goisses, puis le chambertin un peu jeune et le Cathelin un peu coincé sorti de cave.

La grande satisfaction, c’est d’avoir célébré des vins que nous aimons, fleurons de beaux vignobles, sur une cuisine sereine et apaisée, de grand confort, avec l’un des services de salles les plus plaisants de Paris.

La Tâche 1943 émouvante vendredi, 18 mai 2012

Mon fils revient des Etats Unis, juste trois jours après son anniversaire. C’est l’occasion de fêter ça. Je repère en cave une bouteille de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943 qu’il faut boire, car le niveau ressemble à un mi-épaule /basse épaule selon le standard bordelais. La couleur du vin vue à travers le verre me plait. Pendant ma visite de cave, je vois une bouteille de Château Latour 1907 qui a perdu plus de la moitié de son volume. Je la pose à même le sol comme on la poserait dans un cercueil. Grandeur et décadence : collectionner les vins c’est s’exposer à ce type de problème, la mort inéluctable des vins. Et en couchant la bouteille de Latour, j’ai une pensée pour Michel Chasseuil, qui a la plus belle cave du monde, mais l’expose à la mort subite du vieux barbon, quand le bouchon a décidé de rendre l’âme.

Pensant que La Tâche pourrait avoir un problème, je choisis un Vega Sicilia Unico 1982 au niveau dans le col, qui devrait être la bonne sauvegarde.

A 18 heures, j’ouvre La Tâche et le bouchon vient entier, noir mais laissant apparaître le mot « Tâche ». La première odeur est divine. Il y a un insistant fruit rouge, framboise ou peut-être noir, de cassis, qui promet un grand moment. J’ouvre le Vega Sicilia Unico et la similitude de parfum est confondante. Car on retrouve le même fruit rouge, le même velouté, le vin espagnol ayant un peu plus de vigueur, mais pas tant que ça.

Ma femme, pensant qu’il y aurait un champagne au début, a prévu saucisson de canard, rillettes de canard et Pata Negra. Le dilemme pour moi est : « La Tâche en premier ou en second ? ». Le risque, c’est que le vin espagnol servi en premier écrase le bourguignon. Je décide que l’espagnol viendra en tête. Quitte à prendre des risques, autant les prendre tous. Le Vega Sicilia Unico 1982 est assez extraordinaire. Alors qu’il titre 13,5°, sa légèreté est incroyable. Son attaque est faite de fraîcheur. Il est frais, agréable, séduisant. En milieu de bouche, c’est à la fois une amertume contenue et un fruit rouge délicat. Et sur le final, c’est du velours sur du fruit rouge. Ce vin paraît facile à vivre, subtil, au velours rare. Il se boit avec une facilité déconcertante.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943 est accompagnée d’un agneau de lait goûteux à souhait sur des tranches de pomme de terre juste poêlées. L’accord est divin. La couleur du vin est rouge encore et s’assombrira au cours de la soirée. La continuité avec le vin espagnol est étrange, car on retrouve le même fruit rouge et le même velours. Mais il y a une tension dans La Tâche qui n’existe pas dans le vin espagnol. Est-ce à dire que l’un serait meilleur que l’autre ? La Tâche est assurément plus complexe. Mais le Vega est plus fringant. Alors, laissons-les côte-à-côte. Plus on avance dans le vin, plus La Tâche est profonde. La lie de La Tâche est une merveille absolue. En sentant les deux fonds de verre, c’est La Tâche qui exprime plus de complexité. Ce vin, que j’ai acheté il y a trente ans, est peut-être le dernier que j’ai. J’en ai connu de plus fringants. Mais celui-ci a une âme devant laquelle on se recueille.

Comme j’avais parlé du Château Latour 1907, pourquoi ne pas le remonter de cave ? Il a perdu la moitié de son volume. Je tire le bouchon, excessivement gras et je suis étonné, car l’étiquette indique un reconditionnement en 1989. Ce n’est pas la première fois que je me suis fait surprendre, car le vin n’a pas été reconditionné en 1989, mais réhabillé. Ce qui veut dire qu’on a seulement mis une étiquette, sans changer le bouchon. Aucune inspection au château, seulement une nouvelle étiquette. Est-ce que le commissaire priseur l’a expliqué, j’en doute.

Le vin versé dans le verre est dépigmenté. A boire, c’est horrible. Ce qui est intéressant à constater, c’est que le bouchon sent bon, c’est que la bouteille, quand elle est vide, sent bon. Et c’est le vin servi dans le verre qui est horrible.

Pour ne pas rester sur cette impression, je sers à mon fils un verre de « Une Tarragone », des Pères Chartreux vers 1920. La précision de cet alcool est démoniaque. On imagine les Pères Chartreux travaillant depuis mille ans sur l’assemblage des herbes et des épices et qui, disons vers 1450, ont trouvé la pierre philosophale. A partir de ce moment-là, la question n’était plus d’améliorer, mais d’être sûr qu’on ne s’écarterait plus jamais de la recette miracle. Cette Tarragone est faite de la recette miracle. Le cocktail d’herbes, de fleurs et d’épices est unique, inégalable. C’est la folie absolue. Mon Père, absolvez-moi, car j’ai bu la plus démoniaque de toutes les liqueurs.

dîner dans le sud avec un champagne Pierre Péters vendredi, 18 mai 2012

Dîner dans le sud avec des amis. Le Champagne Les Chétillons Pierre Péters magnum 2002 est distingué, plaisant, aimable à boire. Il est un peu dosé et se boit avec grand plaisir, car il a la marque des vins de Mesnil-sur-Oger, la Mecque du blanc de blancs. Nous l’avons confronté à des radis accompagnés d’une anchoïade, une superbe andouille de Guéméné qui donne un coup de fouet au champagne, avec un original saucisson de canard, avec du jambon noir, jambon espagnol cousin des Pata Negra, et avec une mimolette. Chaque fois le champagne s’en sort avec dextérité, la palme allant à l’accord avec l’andouille.

La viande rouge a été saupoudrée de poivre noir du Cameroun concassé. Elle est accompagnée d’une purée façon Robuchon et le Chateauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe 1999 apprécie le poivre au plus haut point. Le vin est riche, lourd en alcool, mais il sait aussi être aérien. Puissant, convaincant, il n’est pas extrêmement complexe, mais il se boit bien. C’est un bon Châteauneuf, à la râpe agréable. Contre toutes des règles de la gastronomie, le vin rouge s’acclimate sans histoire à un camembert Jort et à un Celles-sur-Cher.

Les discussions allant bon train, car nous reconstruisons le monde, j’ouvre un Champagne Salon 1997 agréable, mais qui ne me procure pas une grande vibration. C’est un grand champagne, qui joue en ce moment la belle au bois dormant. La tarte Tatin de ma femme est toujours divine.

Le lendemain, j’ai fait une constatation intéressante. Il restait du champagne dans les deux bouteilles, restées ouvertes et à température de pièce. Ce que je bois près de vingt heures après l’ouverture, ce n’est plus du champagne, mais du vin. Alors que j’aurais volontiers classé hier le Péters devant le Salon, la qualité intrinsèque du vin est en faveur du Salon. Ce 1997 se réveillera sans doute avec quelques années de plus.

Dîner au restaurant Astrance vendredi, 11 mai 2012

Dîner au restaurant Astrance. Le Champagne Jacquesson Avize Grand Cru magnum 1990 est non dosé et de dégorgement tardif, de juillet 2009. Sa bulle est active, sa couleur est très jeune. Il est assez indéfinissable. Car il est sec, très sec, expressif, mais si l’on cherche un fruit, lequel ? Plutôt une racine. Il est élégant, mais inclassable. Ce n’est que plus tard, lorsqu’il se sera épanoui dans le verre que je sentirai des notes de miel et de pâtisseries. Ce champagne est intéressant mais je n’ai pas trouvé la clef qui permet de le définir. C’est un grand champagne.

Le Clos des Lambrays 1943 a une couleur qui n’a pas une trace de tuilé. Le nez est très plaisant et le vin est délicatement bourguignon, avec une belle râpe, un bel équilibre, sans exubérance, mais cela lui va bien.

Alexandre, le sommelier de l’Astrance, qui avait ouvert les vins à l’avance, nous avait suggéré en début de repas que le vin suivant serait la vedette du jour. Il annonce une énigme. L’étiquette porte Château Corton Grancey 1947, mais le bouchon est de l’année 1945. Normalement, c’est l’année du bouchon qui domine, et j’ai bien l’impression que le goût aussi. Ce Château Corton Grancey 1945 est très différent du Clos des Lambrays 1943. Il est beaucoup plus séducteur, velouté, sexy. Il est plus riche, plus rond. Mais je trouve que le vin de 1943 a une plus grande densité. Il est plus tranchant. Ils sont si différents qu’il faut aimer les deux. Le Clos des Lambrays à la couleur plus vive est plus bourguignon. Ce sont deux beaux vins de belle maturité.

Ce qui est amusant, c’est que les convives qui ne boivent pas très fréquemment des vins de ces âges ne se posent aucune question sur leur vitalité.

Le Château Mouton-Rothschild 1986 a une couleur qui paraît noire après les deux bourgognes. Vin très riche, fort, il est très solide et très équilibré. Grand vin carré, il est très goûteux et passe en force. C’est un bordeaux de haute tenue, qui n’a peut-être pas la vibration des bourgognes, même s’il est plus noble qu’eux.

Le menu conçu par Pascal Barbot est : Brioche tiède, beurre romarin et citron, Palet amande, pomme verte et praliné / Foie gras mariné au verjus, millefeuille de champignons de Paris, pâte de citron confit / Saint-Pierre vapeur, beurre noisette, miso blanc, asperges d’Argenteuil, purée poire-gingembre / Côte de veau rôtie, feuille de chou et jeunes carottes, jus de cuisson / Canard de Challans cuit au sautoir, noix au Cognac et prune salée japonaise / Selle et Rognon d’agneau grillé, aubergine laquée au miso, ail noir / Sorbet pamplemousse, pistache / Sablé sarrasin, fruits de la passion et crème citron, tuile caramélisée / Cappuccino amande amère, salade d’ananas et coriandre, feuille de riz grillé / Lait de poule au jasmin / Fruits frais de Printemps / Madeleines au miel de châtaignier.

Les cuissons sont parfaites les chairs sont de grande qualité et les accompagnements de grande maîtrise. Le foie gras aux champignons de Paris à un goût de « déjà vu ». C’est une belle cuisine de bonne exécution. L’addition m’a surpris. L’ambiance amicale des convives et de beaux vins nous ont fait passer une excellente soirée.

on voit distinctement l’année 1945 sur le bouchon du Corton Grancey

Les vins des quatre propriétaires de Chateau Guiraud jeudi, 10 mai 2012

Le Château Guiraud organise un déjeuner de presse au restaurant de l’hôtel Shangri La, le Shang Palace, dirigé par Frank Xu. Les invités avaient le choix entre déjeuner ou dîner. Je serai du déjeuner.

Guiraud, c’est quatre compères, Robert Peugeot, majoritaire grâce à son holding familial, Xavier Planty, qui fait les vins du domaine, Olivier Bernard du Domaine de Chevalier et Stephan von Neipperg de Canon La Gaffelière, La Mondotte et autres vignobles. Le déjeuner est consacré aux vins de Guiraud, mais c’est l’occasion d’élargir aux vins des copropriétaires.

Le menu conçu par le chef est : Ha Kao, Siu Mai, ravioli aux Saint-Jacques, « buns » de porc laqué sucré-salé /saumon Le Hei / canard laqué façon pékinoise, premier service peau croustillante servie avec des crêpes à la farine de riz, concombre, cébette émincée / Assortiments de spécialités rôties façon cantonaise, poêlée de pois gourmands aux champignons, taro et patate douce / canard laqué façon pékinoise, deuxième service chair de canard émincée et sautée au wok, en feuilles de laitue / bœuf sauté aux pleurotes, sauce barbecue, riz sauté à la façon du chef / boules moelleuses à la crème montée et fruits frais.

Nous sommes dans un salon double, répartis en deux tables. La décoration résolument chinoise plait sans doute aux chinois, mais je ne mords pas du tout à cette présentation assez hétéroclite et un peu banale à mon goût. Sur les deux tables rondes, un plateau tournant reçoit les mets. Il faut donc être attentif à ce qui tourne, ce qui fait qu’à la fin, on ne sait pas vraiment ce qu’on a mangé. La qualité des plats est superbe, les chairs sont goûteuses. C’est assez dépaysant, mais j’aime. L’association avec les vins n’est pas toujours évidente. Le service est impeccable.

Le G de Guiraud 2011 est évidemment très vert, mais il se boit bien. Son acidité est maîtrisée, et il est vraiment prometteur. Il est surtout très gastronomique et se marie avec ces cuisines complexes.

Le Château Lespault-Martillac Pessac-Léognan 2009 est géré par Olivier Bernard. Il est un peu pataud, et souffre d’être présenté à côté des trois autres rouges superbes.

La Mondotte 2001 est d’un spectaculaire finesse. C’est la pureté et l’élégance qui s’imposent, avec une évocation de truffe charmante. On est loin d’un vin moderne, chapeau.

Le Château Canon-La-Gaffelière 2000 est fortement boisé et tannique. On est surpris de le voir si jeune et tout fou. Il a un potentiel énorme et je le vois bien devenir dans quinze ans un vin de très grande qualité, quand il aura gommé ses aspérités. Il se boit bien.

Le Domaine de Chevalier 1990 est un très beau vin épanoui. C’est un Domaine de Chevalier généreux et serein. Mais il manque un peu de coffre et de final et ne ressemble pas au superbe 1990 que j’avais bu il y a un an au domaine, servi en magnum.

Le Château Guiraud 1988 est d’une belle couleur d’un or intense. Il est épanoui, plaisant, gourmand. Le Château Guiraud 2001 est d’une étoffe plus noble. Mais il sert de faire-valoir au 1988, dont le côté plus équilibré, plus recentré, apparaît encore mieux quand il est bu après son cadet. Ce sont deux vins superbes dont Xavier est légitimement fier. J’apprends que l’étiquette est devenue noire l’année de la mort de Napoléon 1er, en 1821.

Que retenir de ce déjeuner ? Les vins des quatre mousquetaires sont de beaux fleurons du vignoble bordelais. Mon classement, purement anecdotique, puisque les millésimes sont différents, c’est Mondotte, Canon-La-Gaffelière, Domaine de Chevalier et pour Guiraud, 2001 devant 1988 pour le futur, mais 1988 devant 2001 pour le plaisir immédiat. Ce que je retiens le plus de ce repas, c’est la chaude amitié qui réunit ces quatre grands acteurs des vignobles bordelais, avec un sens de l’humour aiguisé et de francs sourires.

Olivier Bernard, Xavier Planty et Robert Peugeot

Les couleurs des vins du dîner de folie mardi, 8 mai 2012

Pour apprécier les couleurs, il convient de remarquer que le sommelier m’a toujours servi les fonds de bouteilles. Il y a donc des couleurs plus sombres que celles de l’essentiel de la bouteille.

Cercle du fond, de droite à gauche : Champagne Moët & Chandon 1914, Champagne Mumm 1893, Champagne Roederer 1928 (plus sombre que la réalité), Château Palmer 1921, Richebourg Antonin Rodet 1923, Chambertin Armand Rousseau 1978, Clos Vougeot Georges Roumier 1969, Grand Corbin blanc 1924

Sur le premier cercle, cette fois-ci de gauche à droite : Château Rabaud-Promis 1921, Champagne Heidsieck 1907 (dont il ne reste quasiment rien, car je ne voulais pas perdre une goutte), Malvoisie vers 1840 (plus sombre que la réalité) et le cognac Taillevent auquel je n’ai pas touché.

dîner de folie avec un Heidsieck 1907 qui est un miracle mardi, 8 mai 2012

Florent est fou de vin anciens. Il vit à Lyon et cela limite les possibilités de partager des vins. Il annonce sa venue à Paris avec son épouse. Branlebas de combat ! Il faut faire du mémorable, de l’inclassable, du grandissime. Après des allers et retours, des propositions suivies et non suivies, nous nous retrouvons à cinq à dîner au restaurant Taillevent dans l’intimiste salon chinois du premier étage. Il y a Florent et Emmanuelle, Tomo, le fidèle ami japonais et Peter, que je n’ai rencontré qu’une seule fois, lors de la présentation du Moët 1911 au Plaza. Sa passion m’était apparue évidente. Il avait donc toute sa place dans ce dîner de folie. Je fais figure d’ancêtre dans ce cénacle, car mes trois compères sont nés en 1975, 1976 et 1979.

Dans l’après-midi, nous sommes allés visiter ma cave avec Florent et Peter, et quand Peter a dit : « interesting » quand je lui ai demandé son avis sur ma cave, il a dû ressentir que je le recevais comme un coup de poignard. Aussi, lorsque nous nous sommes retrouvé tous les deux à la cérémonie d’ouverture des vins, il n’a cessé de me dire : « superb, unique, extraordinary ». A ce moment, j’avais d’autres chats à fouetter, car j’étais en train d’ouvrir des merveilles. Les parfums des vins rouges sont absolument superbes, surtout celui du Chambertin Armand Rousseau 1978 incroyablement bourguignon, et celui du Château Palmer 1921 avec de délicats fruits rouges superbement suggérés. J’ai dû lutter pour les bouchons et celui du Chambertin m’a fait transpirer, car il était incroyablement serré dans le goulot. Je me suis demandé pourquoi le bouchon du Palmer se brisait en tant de morceaux sans vouloir sortir. L’explication est simple. En haut du goulot, il y a normalement une surépaisseur à l’extérieur, sur le pourtour du goulot. Pour cette bouteille, il y en a une à l’intérieur, très importante, ce qui rend impossible de lever le bouchon entier.

Le seul vin blanc du repas est une grande inconnue :  » Grand Corbin blanc 1924″. Aucun domaine ou château portant le nom de Corbin n’a officiellement fait du vin blanc. J’ai toutefois eu l’information que l’on parlait d’un vin blanc il y a longtemps, dans la région des Corbin, en saint-émilion. Je l’ouvre en dernier alors qu’il doit passer avant les rouges. L’odeur de gibier du vin me pousse à envisager de le placer après les rouges, pour qu’il ait le temps de se reconstituer. Je demande que l’on prévoie un fromage pour le vin blanc. Le plat d’épeautre qui lui était associé se prendra sur les champagnes.

Compte tenu de l’âge plus que canonique des quatre champagnes, leur ouverture était prévue sur l’instant de leur apparition. C’est une grande erreur car ces champagnes comme les vins, auraient profité d’une aération soutenue.

Les festivités commencent. J’indiquerai les noms des donateurs des vins. J’essaie d’ouvrir le Champagne Moët & Chandon 1914 de ma cave mais en tournant la petite oreille métallique, celle-ci se brise sans ouvrir le muselet qui protège le bouchon. Je lutte pendant près de dix minutes pour défaire ce treillis fait d’un métal particulièrement résistant. Le bouchon vient bien, au cylindre rectiligne et n’entraîne aucun pschitt. La couleur du Moët est délicatement dorée. Le nez du champagne est merveilleux. S’il a perdu sa bulle, il a gardé tout son pétillant. D’une belle acidité, il commence par exposer sa minéralité. Puis, quelques minutes plus tard, ce sont des fruits jaunes qui apparaissent. Le champagne est irréellement bon. Pas un soupçon de défaut n’est décelable. Nous nous extasions et nous le comparons au 1911 que Peter, Tomo et moi avons eu la chance de boire, Tomo et moi deux fois. Si le 1911 de dégorgement récent est sans doute plus précis, l’émotion est du côté du 1914 de dégorgement initial, car il a une personnalité et une complexité beaucoup plus grandes. Sur des gougères, ce champagne est un régal. Sur les dernières gorgées, on voit apparaître les aspects pâtissiers de ce beau champagne complexe et parfait. Il se trouve que 1914 de Moët est le champagne bu il y a plus de trente ans qui m’a ouvert les yeux sur la beauté des champagnes antiques. Celui-ci est d’une grandeur extrême, comme celui de mon souvenir.

Le menu concocté par Alain Solivérès est : foie gras de canard confit, brioche toastée / épeautre du pays de Sault en risotto, ail des ours et escargots petits gris / rognon de veau en fricassée, légumes sautés à cru / mignon de veau du limousin doré aux morilles blondes / suprême de volaille de Bresse aux légumes printaniers / saint-nectaire / harmonie de citron vert et basilic / douceur de mangue. Ce qui est intéressant de signaler, c’est que nous nous connaissons tellement bien avec Alain Solivérès et Jean-Marie Ancher que la composition d’un tel menu se fait avec une évidence naturelle, car au fil des expériences que nous avons tentées, les choix sont connus. Ce repas fut brillant.

Le Champagne Mumm 1893 apporté par Peter se présente dans une lourde bouteille sans étiquette, sans capsule, avec juste une épaisse cire rouge de couleur violente. Peter nous dit qu’il a le pédigrée de cette bouteille qui lui a été vendue dans une boîte métallique certifiant de son origine. J’aide Peter à découvrir la cire. Le bouchon est parfaitement plat aligné sur le bord du goulot, comme si on l’avait sectionné. Je le tire donc au tirebouchon. Il est sain. Là non plus pas de bulle. La couleur du champagne est un peu grisée. Ce qui est étrange avec ce champagne, c’est l’attaque qui est d’une grande beauté. On sent le message d’un beau champagne assez vineux. Puis, un goût métallique vient gâcher le plaisir. L’explication qui me vient est que très probablement la bouteille devait être couleuse, et le liquide ayant eu un contact avec la cape, cela a créé ce goût métallique. Prenant conscience de la coulure, le propriétaire de la bouteille a dû faire couper le haut du bouchon puis cirer, sous le contrôle de Mumm. Quand le temps passe, le goût métallique s’estompe et c’est un beau champagne un peu vieux qui nous charme par son expressivité.

Peter ouvre lui-même son Champagne Louis Roederer 1928. La bouteille est magnifique. Le vin n’a plus de bulle. Il est beaucoup plus dosé, et son fruit est très présent. C’est le seul pour lequel je reconnais le style de sa maison. Car le Moët n’a pas l’évidence d’un Moët et le Mumm n’a pas celle d’un Mumm. Alors qu’avec ce champagne, je reconnais un Louis Roederer. Il est un peu fatigué – à peine – et fait un peu simple. Car le Mumm, plus blessé, fait plus noble que ce 1928. On reconnait la grande année de champagne qu’est 1928. Ces trois champagnes forment un intéressant voyage dans le monde des vieux champagnes, les deux derniers mettant encore plus en valeur l’exceptionnelle perfection du 1914. L’épeautre dans cette version nouvelle et originale met en valeur les trois champagnes. C’est le plat que j’ai préféré.

Le Château Palmer 1921 de Florent a une couleur irréellement belle de sang de pigeon. Pas un gramme de tuilé dans cette couleur. Le niveau dans la bouteille était parfait, à la base du goulot. Le parfum est d’un raffinement extrême. C’est surtout l’attaque de ce vin que j’apprécie, car elle est flamboyante. Le final est moins vibrant. Ce vin est beau. C’est un grand Palmer d’une année exceptionnelle, aux beaux fruits rouges et noirs. Les rognons sont gourmands.

Le Richebourg Antonin Rodet 1923 de Florent est l’expression la plus sensuelle du bourgogne que j’adore. Il est viril, séduisant et il a cette trace saline que j’adore pour les « vrais » bourgognes. Florent dit que 1923 est l’année la plus belle pour le pinot noir, et je ne suis pas tout-à-fait d’accord, car ce Richebourg à la couleur d’un rouge rose délivre le message d’un vin d’une année délicate plutôt que celui d’une année flamboyante. Il est d’une finesse extrême. Ce vin qui n’a pas de signes de vieillesse est un très grand bourgogne « qui prend aux tripes ». Avec les morilles, c’est à se damner.

Le Chambertin Armand Rousseau 1978 de Tomo manque de m’évanouir. Car comme le vin de Rodet, ce vin exsude le talent bourguignon. Et je retrouve encore le sel et cette délicatesse et ce raffinement qui représentent le domaine Rousseau. On sent un vin qui pourrait parler le langage de la puissance mais préfère celui de la délicatesse. Il est magique. Le dosage de l’amertume, du fruit, du sel, est magique.

Le Clos Vougeot Georges Roumier 1969 de Tomo fait un peu loulou de banlieue. Il arrive avec ses gros biscottos et nous lance son fruit comme une claque au visage. Il est tellement envahissant que je suggère qu’on le mette un peu dans l’eau froide et cela lui va bien, car après quelques minutes, il prend une tension et une vivacité qui le civilisent. Ce vin fait un contraste total avec les deux précédents, car il explose de fruit mais reste un peu rustaud, brut de forge. Il est plaisant, mais pas dans le style de ce dîner.

J’avais souhaité pour le Grand Corbin blanc 1924 de ma cave un fromage basque qui eût été parfait. La vibration se trouve moins avec le saint-nectaire. Le vin est d’une couleur d’un jaune clair, d’une étonnante jeunesse. Le nez est subtil, de belle race. Je suis heureux d’avoir repoussé le moment de l’apparition de ce vin, car les traces de gibier ont pratiquement complètement disparu. Tomo et Florent s’essaient à deviner la proportion de sauvignon et de sémillon dans ce vin que tout le monde classe dans les bordeaux blancs secs, malgré sa présentation en bouteille bourguignonne. C’est certainement une mise en bouteille privée, où l’on a pris la première bouteille que l’on avait sous la main. Je suis heureux, car ce vin a un sens. Il est même charmant avec une belle acidité et très peu de signes de fatigue. Il est vivant subtilement citronné et le fait que cette énigme soit du vrai vin, cela me remplit d’aise. Il se boit bien.

Le Champagne Heidsieck 1907 de ma cave est resté 100 ans sous l’eau dans une mer nordique. Les bouteilles ont été triées et les bouchons d’origine ont été gardés, mais recouverts d’épaisses couches de cire. Il me faut de longues minutes pour enlever la cire blanche déposée en strates, j’en projette partout, et enfin je vois une capsule métallique neutre qui a été posée après coup sur le bouchon qui a une profonde entaille centrale qui montre que le bouchon était tenu par une broche en forme de pince et non par un muselet métallique. Miracle, oh miracle, le bouchon qui sort fait un pschitt, pas très fort mais réel. Je verse le liquide qui a des bulles, de vraies bulles, et une couleur qui marque un contraste majeur avec celles des 1893 et 1928, car son or jaune clair est d’une vivacité extrême.

Quand vient le moment de le boire, c’est un miracle. Je n’ai pas d’autre mot. Il est jeune, il est beau, il est complexe à l’infini, il est épanoui, joyeux avec des notes de fruits dorés. Il n’a pas d’âge mais on sait que sa complexité et son accomplissement ne peuvent exister qu’avec l’âge. C’est très probablement le plus grand champagne de ma vie. Nous sommes tous sous le coup de ce miracle, sans voix, communiant avec ce breuvage, annoncé par les découvreurs comme ayant le goût anglais ou américain signifiant qu’il est très dosé, mais qui en fait a un équilibre du sucre que je trouve parfait. Son acidité est belle. C’est un moment de grâce absolue.

Alors, le Château Rabaud-Promis 1921 de Florent, pourtant exceptionnel, d’une magnifique année, noir comme de l’ébène, avec un très joli caramel, au fruit marqué d’un peu de café, passe un peu sans retenir notre attention comme il le devrait, car nous sommes encore sur le petit nuage créé par l’Heidsieck.

J’avais apporté une bouteille qui m’avait fait de l’œil dans ma cave. C’est une demi-bouteille de forme très ancienne, que je date autour de 1840. Qu’y a-t-il dedans ? J’avais miré devant une lampe un beau liquide jaune clair. Et c’est ce que l’on voit dans nos verres. L’hypothèse que j’avais hasardée avant de l’ouvrir, d’un Constantia, est rejetée. Nous goûtons. Ma première idée me porte vers l’Alsace. Mais il y a un alcool présent qui ne colle pas avec cette hypothèse. Le plus probable après avoir recoupé nos avis est qu’il s’agit d’une Malvoisie vers 1840. Elle est vivante, complexe, avec encore un peu de fruit.

Nous sommes cinq à voter aussi votons-nous pour six vins chacun. Sur les onze vins, neuf ont des votes ce qui est sympathique, le Roederer 1928 et le Corbin 1924 étant vierges de vote. L’Heidsieck 1907 a quatre votes de premier alors qu’il devrait en avoir cinq mais Peter nous explique qu’étant peu familier avec les bordeaux de ce niveau, il a mis Palmer en premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Champagne Heidsieck 1907, 2 – Champagne Moët & Chandon 1914, 3 – Chambertin Armand Rousseau 1978, 4 – Richebourg Antonin Rodet 1923, 5 – Château Palmer 1921, 6 – Champagne Mumm 1893.

Mon vote est : 1 – Champagne Heidsieck 1907, 2 – Champagne Moët & Chandon 1914, 3 – Chambertin Armand Rousseau 1978, 4 – Château Rabaud-Promis 1921, 5 – Malvoisie vers 1840, 6 – Richebourg Antonin Rodet 1923.

Que dire de ce dîner ? Tout simplement il est exceptionnel et fait probablement partie des dix plus grands dîners que j’ai organisés. Le Champagne Heidsieck 1907 pourrait être le plus grand champagne de ma vie, car découvrir que son passage de cent ans en mer nous a donné le goût qu’il aurait eu durant la première guerre mondiale, mais magnifié par l’âge, c’est fou. Cet Hibernatus est tout simplement fascinant. Notre ambiance était celle de passionnés qui sentent qu’ils vivent un moment privilégié. Toute l’équipe du Taillevent l’a aussi senti, car nous avons été servis de façon remarquable, avec une cuisine d’une sérénité et justesse parfaites.

Je suis encore tout bouleversé par ce moment totalement exceptionnel que nous avons vécu.

Ce dîner étant organisé comme un dîner de wine-dinners à apports partagés sera classé 159ème dîner de wine-dinners.

on arrive à lire le millésime du Moët 1914

la couleur des trois premiers champagnes. De droite à gauche le 1914, 1893 et 1928

la bouteille de Heidsieck lorsque la cire est enlevée. la photo n’est pas très précise, mais on peut deviner la fente sur le haut du bouchon qui montre que lebouchon était fermé par une pince et non un muselet.