dîner dans le sud avec un champagne Pierre Péters vendredi, 18 mai 2012

Dîner dans le sud avec des amis. Le Champagne Les Chétillons Pierre Péters magnum 2002 est distingué, plaisant, aimable à boire. Il est un peu dosé et se boit avec grand plaisir, car il a la marque des vins de Mesnil-sur-Oger, la Mecque du blanc de blancs. Nous l’avons confronté à des radis accompagnés d’une anchoïade, une superbe andouille de Guéméné qui donne un coup de fouet au champagne, avec un original saucisson de canard, avec du jambon noir, jambon espagnol cousin des Pata Negra, et avec une mimolette. Chaque fois le champagne s’en sort avec dextérité, la palme allant à l’accord avec l’andouille.

La viande rouge a été saupoudrée de poivre noir du Cameroun concassé. Elle est accompagnée d’une purée façon Robuchon et le Chateauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe 1999 apprécie le poivre au plus haut point. Le vin est riche, lourd en alcool, mais il sait aussi être aérien. Puissant, convaincant, il n’est pas extrêmement complexe, mais il se boit bien. C’est un bon Châteauneuf, à la râpe agréable. Contre toutes des règles de la gastronomie, le vin rouge s’acclimate sans histoire à un camembert Jort et à un Celles-sur-Cher.

Les discussions allant bon train, car nous reconstruisons le monde, j’ouvre un Champagne Salon 1997 agréable, mais qui ne me procure pas une grande vibration. C’est un grand champagne, qui joue en ce moment la belle au bois dormant. La tarte Tatin de ma femme est toujours divine.

Le lendemain, j’ai fait une constatation intéressante. Il restait du champagne dans les deux bouteilles, restées ouvertes et à température de pièce. Ce que je bois près de vingt heures après l’ouverture, ce n’est plus du champagne, mais du vin. Alors que j’aurais volontiers classé hier le Péters devant le Salon, la qualité intrinsèque du vin est en faveur du Salon. Ce 1997 se réveillera sans doute avec quelques années de plus.

Dîner au restaurant Astrance vendredi, 11 mai 2012

Dîner au restaurant Astrance. Le Champagne Jacquesson Avize Grand Cru magnum 1990 est non dosé et de dégorgement tardif, de juillet 2009. Sa bulle est active, sa couleur est très jeune. Il est assez indéfinissable. Car il est sec, très sec, expressif, mais si l’on cherche un fruit, lequel ? Plutôt une racine. Il est élégant, mais inclassable. Ce n’est que plus tard, lorsqu’il se sera épanoui dans le verre que je sentirai des notes de miel et de pâtisseries. Ce champagne est intéressant mais je n’ai pas trouvé la clef qui permet de le définir. C’est un grand champagne.

Le Clos des Lambrays 1943 a une couleur qui n’a pas une trace de tuilé. Le nez est très plaisant et le vin est délicatement bourguignon, avec une belle râpe, un bel équilibre, sans exubérance, mais cela lui va bien.

Alexandre, le sommelier de l’Astrance, qui avait ouvert les vins à l’avance, nous avait suggéré en début de repas que le vin suivant serait la vedette du jour. Il annonce une énigme. L’étiquette porte Château Corton Grancey 1947, mais le bouchon est de l’année 1945. Normalement, c’est l’année du bouchon qui domine, et j’ai bien l’impression que le goût aussi. Ce Château Corton Grancey 1945 est très différent du Clos des Lambrays 1943. Il est beaucoup plus séducteur, velouté, sexy. Il est plus riche, plus rond. Mais je trouve que le vin de 1943 a une plus grande densité. Il est plus tranchant. Ils sont si différents qu’il faut aimer les deux. Le Clos des Lambrays à la couleur plus vive est plus bourguignon. Ce sont deux beaux vins de belle maturité.

Ce qui est amusant, c’est que les convives qui ne boivent pas très fréquemment des vins de ces âges ne se posent aucune question sur leur vitalité.

Le Château Mouton-Rothschild 1986 a une couleur qui paraît noire après les deux bourgognes. Vin très riche, fort, il est très solide et très équilibré. Grand vin carré, il est très goûteux et passe en force. C’est un bordeaux de haute tenue, qui n’a peut-être pas la vibration des bourgognes, même s’il est plus noble qu’eux.

Le menu conçu par Pascal Barbot est : Brioche tiède, beurre romarin et citron, Palet amande, pomme verte et praliné / Foie gras mariné au verjus, millefeuille de champignons de Paris, pâte de citron confit / Saint-Pierre vapeur, beurre noisette, miso blanc, asperges d’Argenteuil, purée poire-gingembre / Côte de veau rôtie, feuille de chou et jeunes carottes, jus de cuisson / Canard de Challans cuit au sautoir, noix au Cognac et prune salée japonaise / Selle et Rognon d’agneau grillé, aubergine laquée au miso, ail noir / Sorbet pamplemousse, pistache / Sablé sarrasin, fruits de la passion et crème citron, tuile caramélisée / Cappuccino amande amère, salade d’ananas et coriandre, feuille de riz grillé / Lait de poule au jasmin / Fruits frais de Printemps / Madeleines au miel de châtaignier.

Les cuissons sont parfaites les chairs sont de grande qualité et les accompagnements de grande maîtrise. Le foie gras aux champignons de Paris à un goût de « déjà vu ». C’est une belle cuisine de bonne exécution. L’addition m’a surpris. L’ambiance amicale des convives et de beaux vins nous ont fait passer une excellente soirée.

on voit distinctement l’année 1945 sur le bouchon du Corton Grancey

Les vins des quatre propriétaires de Chateau Guiraud jeudi, 10 mai 2012

Le Château Guiraud organise un déjeuner de presse au restaurant de l’hôtel Shangri La, le Shang Palace, dirigé par Frank Xu. Les invités avaient le choix entre déjeuner ou dîner. Je serai du déjeuner.

Guiraud, c’est quatre compères, Robert Peugeot, majoritaire grâce à son holding familial, Xavier Planty, qui fait les vins du domaine, Olivier Bernard du Domaine de Chevalier et Stephan von Neipperg de Canon La Gaffelière, La Mondotte et autres vignobles. Le déjeuner est consacré aux vins de Guiraud, mais c’est l’occasion d’élargir aux vins des copropriétaires.

Le menu conçu par le chef est : Ha Kao, Siu Mai, ravioli aux Saint-Jacques, « buns » de porc laqué sucré-salé /saumon Le Hei / canard laqué façon pékinoise, premier service peau croustillante servie avec des crêpes à la farine de riz, concombre, cébette émincée / Assortiments de spécialités rôties façon cantonaise, poêlée de pois gourmands aux champignons, taro et patate douce / canard laqué façon pékinoise, deuxième service chair de canard émincée et sautée au wok, en feuilles de laitue / bœuf sauté aux pleurotes, sauce barbecue, riz sauté à la façon du chef / boules moelleuses à la crème montée et fruits frais.

Nous sommes dans un salon double, répartis en deux tables. La décoration résolument chinoise plait sans doute aux chinois, mais je ne mords pas du tout à cette présentation assez hétéroclite et un peu banale à mon goût. Sur les deux tables rondes, un plateau tournant reçoit les mets. Il faut donc être attentif à ce qui tourne, ce qui fait qu’à la fin, on ne sait pas vraiment ce qu’on a mangé. La qualité des plats est superbe, les chairs sont goûteuses. C’est assez dépaysant, mais j’aime. L’association avec les vins n’est pas toujours évidente. Le service est impeccable.

Le G de Guiraud 2011 est évidemment très vert, mais il se boit bien. Son acidité est maîtrisée, et il est vraiment prometteur. Il est surtout très gastronomique et se marie avec ces cuisines complexes.

Le Château Lespault-Martillac Pessac-Léognan 2009 est géré par Olivier Bernard. Il est un peu pataud, et souffre d’être présenté à côté des trois autres rouges superbes.

La Mondotte 2001 est d’un spectaculaire finesse. C’est la pureté et l’élégance qui s’imposent, avec une évocation de truffe charmante. On est loin d’un vin moderne, chapeau.

Le Château Canon-La-Gaffelière 2000 est fortement boisé et tannique. On est surpris de le voir si jeune et tout fou. Il a un potentiel énorme et je le vois bien devenir dans quinze ans un vin de très grande qualité, quand il aura gommé ses aspérités. Il se boit bien.

Le Domaine de Chevalier 1990 est un très beau vin épanoui. C’est un Domaine de Chevalier généreux et serein. Mais il manque un peu de coffre et de final et ne ressemble pas au superbe 1990 que j’avais bu il y a un an au domaine, servi en magnum.

Le Château Guiraud 1988 est d’une belle couleur d’un or intense. Il est épanoui, plaisant, gourmand. Le Château Guiraud 2001 est d’une étoffe plus noble. Mais il sert de faire-valoir au 1988, dont le côté plus équilibré, plus recentré, apparaît encore mieux quand il est bu après son cadet. Ce sont deux vins superbes dont Xavier est légitimement fier. J’apprends que l’étiquette est devenue noire l’année de la mort de Napoléon 1er, en 1821.

Que retenir de ce déjeuner ? Les vins des quatre mousquetaires sont de beaux fleurons du vignoble bordelais. Mon classement, purement anecdotique, puisque les millésimes sont différents, c’est Mondotte, Canon-La-Gaffelière, Domaine de Chevalier et pour Guiraud, 2001 devant 1988 pour le futur, mais 1988 devant 2001 pour le plaisir immédiat. Ce que je retiens le plus de ce repas, c’est la chaude amitié qui réunit ces quatre grands acteurs des vignobles bordelais, avec un sens de l’humour aiguisé et de francs sourires.

Olivier Bernard, Xavier Planty et Robert Peugeot

Les couleurs des vins du dîner de folie mardi, 8 mai 2012

Pour apprécier les couleurs, il convient de remarquer que le sommelier m’a toujours servi les fonds de bouteilles. Il y a donc des couleurs plus sombres que celles de l’essentiel de la bouteille.

Cercle du fond, de droite à gauche : Champagne Moët & Chandon 1914, Champagne Mumm 1893, Champagne Roederer 1928 (plus sombre que la réalité), Château Palmer 1921, Richebourg Antonin Rodet 1923, Chambertin Armand Rousseau 1978, Clos Vougeot Georges Roumier 1969, Grand Corbin blanc 1924

Sur le premier cercle, cette fois-ci de gauche à droite : Château Rabaud-Promis 1921, Champagne Heidsieck 1907 (dont il ne reste quasiment rien, car je ne voulais pas perdre une goutte), Malvoisie vers 1840 (plus sombre que la réalité) et le cognac Taillevent auquel je n’ai pas touché.

dîner de folie avec un Heidsieck 1907 qui est un miracle mardi, 8 mai 2012

Florent est fou de vin anciens. Il vit à Lyon et cela limite les possibilités de partager des vins. Il annonce sa venue à Paris avec son épouse. Branlebas de combat ! Il faut faire du mémorable, de l’inclassable, du grandissime. Après des allers et retours, des propositions suivies et non suivies, nous nous retrouvons à cinq à dîner au restaurant Taillevent dans l’intimiste salon chinois du premier étage. Il y a Florent et Emmanuelle, Tomo, le fidèle ami japonais et Peter, que je n’ai rencontré qu’une seule fois, lors de la présentation du Moët 1911 au Plaza. Sa passion m’était apparue évidente. Il avait donc toute sa place dans ce dîner de folie. Je fais figure d’ancêtre dans ce cénacle, car mes trois compères sont nés en 1975, 1976 et 1979.

Dans l’après-midi, nous sommes allés visiter ma cave avec Florent et Peter, et quand Peter a dit : « interesting » quand je lui ai demandé son avis sur ma cave, il a dû ressentir que je le recevais comme un coup de poignard. Aussi, lorsque nous nous sommes retrouvé tous les deux à la cérémonie d’ouverture des vins, il n’a cessé de me dire : « superb, unique, extraordinary ». A ce moment, j’avais d’autres chats à fouetter, car j’étais en train d’ouvrir des merveilles. Les parfums des vins rouges sont absolument superbes, surtout celui du Chambertin Armand Rousseau 1978 incroyablement bourguignon, et celui du Château Palmer 1921 avec de délicats fruits rouges superbement suggérés. J’ai dû lutter pour les bouchons et celui du Chambertin m’a fait transpirer, car il était incroyablement serré dans le goulot. Je me suis demandé pourquoi le bouchon du Palmer se brisait en tant de morceaux sans vouloir sortir. L’explication est simple. En haut du goulot, il y a normalement une surépaisseur à l’extérieur, sur le pourtour du goulot. Pour cette bouteille, il y en a une à l’intérieur, très importante, ce qui rend impossible de lever le bouchon entier.

Le seul vin blanc du repas est une grande inconnue :  » Grand Corbin blanc 1924″. Aucun domaine ou château portant le nom de Corbin n’a officiellement fait du vin blanc. J’ai toutefois eu l’information que l’on parlait d’un vin blanc il y a longtemps, dans la région des Corbin, en saint-émilion. Je l’ouvre en dernier alors qu’il doit passer avant les rouges. L’odeur de gibier du vin me pousse à envisager de le placer après les rouges, pour qu’il ait le temps de se reconstituer. Je demande que l’on prévoie un fromage pour le vin blanc. Le plat d’épeautre qui lui était associé se prendra sur les champagnes.

Compte tenu de l’âge plus que canonique des quatre champagnes, leur ouverture était prévue sur l’instant de leur apparition. C’est une grande erreur car ces champagnes comme les vins, auraient profité d’une aération soutenue.

Les festivités commencent. J’indiquerai les noms des donateurs des vins. J’essaie d’ouvrir le Champagne Moët & Chandon 1914 de ma cave mais en tournant la petite oreille métallique, celle-ci se brise sans ouvrir le muselet qui protège le bouchon. Je lutte pendant près de dix minutes pour défaire ce treillis fait d’un métal particulièrement résistant. Le bouchon vient bien, au cylindre rectiligne et n’entraîne aucun pschitt. La couleur du Moët est délicatement dorée. Le nez du champagne est merveilleux. S’il a perdu sa bulle, il a gardé tout son pétillant. D’une belle acidité, il commence par exposer sa minéralité. Puis, quelques minutes plus tard, ce sont des fruits jaunes qui apparaissent. Le champagne est irréellement bon. Pas un soupçon de défaut n’est décelable. Nous nous extasions et nous le comparons au 1911 que Peter, Tomo et moi avons eu la chance de boire, Tomo et moi deux fois. Si le 1911 de dégorgement récent est sans doute plus précis, l’émotion est du côté du 1914 de dégorgement initial, car il a une personnalité et une complexité beaucoup plus grandes. Sur des gougères, ce champagne est un régal. Sur les dernières gorgées, on voit apparaître les aspects pâtissiers de ce beau champagne complexe et parfait. Il se trouve que 1914 de Moët est le champagne bu il y a plus de trente ans qui m’a ouvert les yeux sur la beauté des champagnes antiques. Celui-ci est d’une grandeur extrême, comme celui de mon souvenir.

Le menu concocté par Alain Solivérès est : foie gras de canard confit, brioche toastée / épeautre du pays de Sault en risotto, ail des ours et escargots petits gris / rognon de veau en fricassée, légumes sautés à cru / mignon de veau du limousin doré aux morilles blondes / suprême de volaille de Bresse aux légumes printaniers / saint-nectaire / harmonie de citron vert et basilic / douceur de mangue. Ce qui est intéressant de signaler, c’est que nous nous connaissons tellement bien avec Alain Solivérès et Jean-Marie Ancher que la composition d’un tel menu se fait avec une évidence naturelle, car au fil des expériences que nous avons tentées, les choix sont connus. Ce repas fut brillant.

Le Champagne Mumm 1893 apporté par Peter se présente dans une lourde bouteille sans étiquette, sans capsule, avec juste une épaisse cire rouge de couleur violente. Peter nous dit qu’il a le pédigrée de cette bouteille qui lui a été vendue dans une boîte métallique certifiant de son origine. J’aide Peter à découvrir la cire. Le bouchon est parfaitement plat aligné sur le bord du goulot, comme si on l’avait sectionné. Je le tire donc au tirebouchon. Il est sain. Là non plus pas de bulle. La couleur du champagne est un peu grisée. Ce qui est étrange avec ce champagne, c’est l’attaque qui est d’une grande beauté. On sent le message d’un beau champagne assez vineux. Puis, un goût métallique vient gâcher le plaisir. L’explication qui me vient est que très probablement la bouteille devait être couleuse, et le liquide ayant eu un contact avec la cape, cela a créé ce goût métallique. Prenant conscience de la coulure, le propriétaire de la bouteille a dû faire couper le haut du bouchon puis cirer, sous le contrôle de Mumm. Quand le temps passe, le goût métallique s’estompe et c’est un beau champagne un peu vieux qui nous charme par son expressivité.

Peter ouvre lui-même son Champagne Louis Roederer 1928. La bouteille est magnifique. Le vin n’a plus de bulle. Il est beaucoup plus dosé, et son fruit est très présent. C’est le seul pour lequel je reconnais le style de sa maison. Car le Moët n’a pas l’évidence d’un Moët et le Mumm n’a pas celle d’un Mumm. Alors qu’avec ce champagne, je reconnais un Louis Roederer. Il est un peu fatigué – à peine – et fait un peu simple. Car le Mumm, plus blessé, fait plus noble que ce 1928. On reconnait la grande année de champagne qu’est 1928. Ces trois champagnes forment un intéressant voyage dans le monde des vieux champagnes, les deux derniers mettant encore plus en valeur l’exceptionnelle perfection du 1914. L’épeautre dans cette version nouvelle et originale met en valeur les trois champagnes. C’est le plat que j’ai préféré.

Le Château Palmer 1921 de Florent a une couleur irréellement belle de sang de pigeon. Pas un gramme de tuilé dans cette couleur. Le niveau dans la bouteille était parfait, à la base du goulot. Le parfum est d’un raffinement extrême. C’est surtout l’attaque de ce vin que j’apprécie, car elle est flamboyante. Le final est moins vibrant. Ce vin est beau. C’est un grand Palmer d’une année exceptionnelle, aux beaux fruits rouges et noirs. Les rognons sont gourmands.

Le Richebourg Antonin Rodet 1923 de Florent est l’expression la plus sensuelle du bourgogne que j’adore. Il est viril, séduisant et il a cette trace saline que j’adore pour les « vrais » bourgognes. Florent dit que 1923 est l’année la plus belle pour le pinot noir, et je ne suis pas tout-à-fait d’accord, car ce Richebourg à la couleur d’un rouge rose délivre le message d’un vin d’une année délicate plutôt que celui d’une année flamboyante. Il est d’une finesse extrême. Ce vin qui n’a pas de signes de vieillesse est un très grand bourgogne « qui prend aux tripes ». Avec les morilles, c’est à se damner.

Le Chambertin Armand Rousseau 1978 de Tomo manque de m’évanouir. Car comme le vin de Rodet, ce vin exsude le talent bourguignon. Et je retrouve encore le sel et cette délicatesse et ce raffinement qui représentent le domaine Rousseau. On sent un vin qui pourrait parler le langage de la puissance mais préfère celui de la délicatesse. Il est magique. Le dosage de l’amertume, du fruit, du sel, est magique.

Le Clos Vougeot Georges Roumier 1969 de Tomo fait un peu loulou de banlieue. Il arrive avec ses gros biscottos et nous lance son fruit comme une claque au visage. Il est tellement envahissant que je suggère qu’on le mette un peu dans l’eau froide et cela lui va bien, car après quelques minutes, il prend une tension et une vivacité qui le civilisent. Ce vin fait un contraste total avec les deux précédents, car il explose de fruit mais reste un peu rustaud, brut de forge. Il est plaisant, mais pas dans le style de ce dîner.

J’avais souhaité pour le Grand Corbin blanc 1924 de ma cave un fromage basque qui eût été parfait. La vibration se trouve moins avec le saint-nectaire. Le vin est d’une couleur d’un jaune clair, d’une étonnante jeunesse. Le nez est subtil, de belle race. Je suis heureux d’avoir repoussé le moment de l’apparition de ce vin, car les traces de gibier ont pratiquement complètement disparu. Tomo et Florent s’essaient à deviner la proportion de sauvignon et de sémillon dans ce vin que tout le monde classe dans les bordeaux blancs secs, malgré sa présentation en bouteille bourguignonne. C’est certainement une mise en bouteille privée, où l’on a pris la première bouteille que l’on avait sous la main. Je suis heureux, car ce vin a un sens. Il est même charmant avec une belle acidité et très peu de signes de fatigue. Il est vivant subtilement citronné et le fait que cette énigme soit du vrai vin, cela me remplit d’aise. Il se boit bien.

Le Champagne Heidsieck 1907 de ma cave est resté 100 ans sous l’eau dans une mer nordique. Les bouteilles ont été triées et les bouchons d’origine ont été gardés, mais recouverts d’épaisses couches de cire. Il me faut de longues minutes pour enlever la cire blanche déposée en strates, j’en projette partout, et enfin je vois une capsule métallique neutre qui a été posée après coup sur le bouchon qui a une profonde entaille centrale qui montre que le bouchon était tenu par une broche en forme de pince et non par un muselet métallique. Miracle, oh miracle, le bouchon qui sort fait un pschitt, pas très fort mais réel. Je verse le liquide qui a des bulles, de vraies bulles, et une couleur qui marque un contraste majeur avec celles des 1893 et 1928, car son or jaune clair est d’une vivacité extrême.

Quand vient le moment de le boire, c’est un miracle. Je n’ai pas d’autre mot. Il est jeune, il est beau, il est complexe à l’infini, il est épanoui, joyeux avec des notes de fruits dorés. Il n’a pas d’âge mais on sait que sa complexité et son accomplissement ne peuvent exister qu’avec l’âge. C’est très probablement le plus grand champagne de ma vie. Nous sommes tous sous le coup de ce miracle, sans voix, communiant avec ce breuvage, annoncé par les découvreurs comme ayant le goût anglais ou américain signifiant qu’il est très dosé, mais qui en fait a un équilibre du sucre que je trouve parfait. Son acidité est belle. C’est un moment de grâce absolue.

Alors, le Château Rabaud-Promis 1921 de Florent, pourtant exceptionnel, d’une magnifique année, noir comme de l’ébène, avec un très joli caramel, au fruit marqué d’un peu de café, passe un peu sans retenir notre attention comme il le devrait, car nous sommes encore sur le petit nuage créé par l’Heidsieck.

J’avais apporté une bouteille qui m’avait fait de l’œil dans ma cave. C’est une demi-bouteille de forme très ancienne, que je date autour de 1840. Qu’y a-t-il dedans ? J’avais miré devant une lampe un beau liquide jaune clair. Et c’est ce que l’on voit dans nos verres. L’hypothèse que j’avais hasardée avant de l’ouvrir, d’un Constantia, est rejetée. Nous goûtons. Ma première idée me porte vers l’Alsace. Mais il y a un alcool présent qui ne colle pas avec cette hypothèse. Le plus probable après avoir recoupé nos avis est qu’il s’agit d’une Malvoisie vers 1840. Elle est vivante, complexe, avec encore un peu de fruit.

Nous sommes cinq à voter aussi votons-nous pour six vins chacun. Sur les onze vins, neuf ont des votes ce qui est sympathique, le Roederer 1928 et le Corbin 1924 étant vierges de vote. L’Heidsieck 1907 a quatre votes de premier alors qu’il devrait en avoir cinq mais Peter nous explique qu’étant peu familier avec les bordeaux de ce niveau, il a mis Palmer en premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Champagne Heidsieck 1907, 2 – Champagne Moët & Chandon 1914, 3 – Chambertin Armand Rousseau 1978, 4 – Richebourg Antonin Rodet 1923, 5 – Château Palmer 1921, 6 – Champagne Mumm 1893.

Mon vote est : 1 – Champagne Heidsieck 1907, 2 – Champagne Moët & Chandon 1914, 3 – Chambertin Armand Rousseau 1978, 4 – Château Rabaud-Promis 1921, 5 – Malvoisie vers 1840, 6 – Richebourg Antonin Rodet 1923.

Que dire de ce dîner ? Tout simplement il est exceptionnel et fait probablement partie des dix plus grands dîners que j’ai organisés. Le Champagne Heidsieck 1907 pourrait être le plus grand champagne de ma vie, car découvrir que son passage de cent ans en mer nous a donné le goût qu’il aurait eu durant la première guerre mondiale, mais magnifié par l’âge, c’est fou. Cet Hibernatus est tout simplement fascinant. Notre ambiance était celle de passionnés qui sentent qu’ils vivent un moment privilégié. Toute l’équipe du Taillevent l’a aussi senti, car nous avons été servis de façon remarquable, avec une cuisine d’une sérénité et justesse parfaites.

Je suis encore tout bouleversé par ce moment totalement exceptionnel que nous avons vécu.

Ce dîner étant organisé comme un dîner de wine-dinners à apports partagés sera classé 159ème dîner de wine-dinners.

on arrive à lire le millésime du Moët 1914

la couleur des trois premiers champagnes. De droite à gauche le 1914, 1893 et 1928

la bouteille de Heidsieck lorsque la cire est enlevée. la photo n’est pas très précise, mais on peut deviner la fente sur le haut du bouchon qui montre que lebouchon était fermé par une pince et non un muselet.

un dîner de folie ! lundi, 7 mai 2012

Voici les vins que nous allons partager : Champagne Moët & Chandon 1914 – Champagne Roederer 1928 – Champagne Mumm 1893 – Grand Corbin blanc 1924 (curiosité absolue) – Château Palmer 1921 – Richebourg 1923 Rodet – Clos Vougeot Georges Roumier 1969 – Chambertin Armand Rousseau 1978 – Champagne Heidsieck 1907 (goût anglais – restée 100 ans dans la mer du Nord) – Château Rabaud-Promis 1921 – vin inconnu (probable Malvoisie vers 1840).

mes vins :

Champagne Heidsieck 1907 (goût anglais – restée 100 ans dans la mer du Nord)

Champagne Moët & Chandon 1914

Grand Corbin blanc 1924 (curiosité absolue car Grand Corbin n’a jamais fait de blanc, et pourquoi dans une bouteille bourguignonne)

vin inconnu (probable Malvoisie vers 1840)

les vins des amis

Louis Roederer 1928 et Mumm 1893

Palmer 1921 et Antonin Rodet Richebourg 1923

Chambertin Rousseau 1978, Clos-Vougeot Roumier 1969, Rabaud-Promis 1921

déjeuner avec un beau Margaux 1967 dimanche, 6 mai 2012

Ma fille étant encore inscrite au même bureau de vote que sa mère et moi, le jour de l’élection présidentielle donne une occasion de plus de déjeuner ensemble. Mon gendre poêle des coquilles Saint-Jacques et j’ouvre un Champagne Krug 1982 qui est en ce moment dans un état de grâce absolue. Il commence à ambrer, sa bulle est d’une rare vivacité, et ce qui est impressionnant, c’est la force de son message. Il a une grande personnalité, typée, presque fumée. Le fruit est complexe et le goût est tous azimuts. Il est impressionnant de conviction.

C’est la fin de la saison des coquilles aussi les coquilles elles-mêmes perdent un peu de goût alors qu’au contraire, les coraux prennent l’expressivité que la coquille a légèrement perdu. Et si la coquille convient au Krug, le corail appelle le Château Margaux 1967 que j’ai ouvert il y a trois heures. Son nez est d’une rare distinction. En bouche, on est frappé par plusieurs aspects. Le vin est velouté, racé, noble et subtil. Il a aussi de la puissance, parle fort, plus que ce que son année suggère. Il n’a quasiment pas d’âge, car on serait bien en peine de trouver un signe de vieillissement.

Le foie gras cuit à la vapeur est accompagné d’un jus de fenouil. La logique voudrait que l’on lui associe le Krug, mais en fait c’est le Château Margaux qui lui convient le mieux, créant un accord subtil. Nous essayons foie gras et corail. C’est possible, mais sans réelle valeur ajoutée. Il vaut mieux profiter de l’un et de l’autre. Le veau basse température avec une purée de céleri et des petits pois croquants car à peine cuits donne au Château Margaux 1967 une sérénité particulière. C’est un très grand vin au message long et fort dans un gant de velours. Sa persistance aromatique légèrement truffée est très forte.

Nous finissons le champagne avec des tranches de mangue avant d’aller faire notre devoir citoyen.

dîner au Passage 53 jeudi, 3 mai 2012

Dans une allée bigarrée comme celle d’un souk, se trouve le restaurant Passage 53. Guillaume Guedj nous accueille avec un sourire de bienvenue. Nous sommes sept, et le dîner est concocté par le chef Shinichi Sato, en fonction de ses envies créatrices de l’instant. Le menu n’est donc pas écrit, car il peut varier en cours de route.

Le voici, noté à la volée par un ami : Déclinaison autour du brocoli : velouté et émincé de fleurs fraiches de brocoli / Tartelette au Caviar de Sologne, fins spaghettis de pomme de terre parfumés noisettes-ciboulette / L’huitre spéciale : fins dés d’huître, déclinaison de pomme verte granny-smith (dés, gelée, quenelle glacée), quenelle gelée au camembert, fleurs de ciboulette et pousses de jeune roquette / L’ Assiette blanche : calamars grillés, émulsion de chou-fleur et émincé de chou-fleur cru / Asperge des landes, pancetta de pata negra, espuma œuf-parmesan, feuille et fleur de capucines, pointe d’anis / Filet de saint-pierre et ses légumes de saison : fève, petit pois, asperge, petits champignons blancs, navets, morilles, gaillet blanc, épeautre; émulsion de pois gourmands-pistache, arôme d’orange / Foie gras de canard rôti, et poché, fraises fraiches, compotée fraise-rhubarbe, jus et copeau de rhubarbe / Côte de veau de lait, légumes de saison : navet, carotte, haricots verts, concombre, petits oignons, patchoi, chou (kalé), courgette….; fenouil, céleri et sauce à la livèche / Selle agneau de Lozère, palourdes, artichaut poivrade, oignon violet, sauce palourde piquée d’une réduction d’aneth / Desserts : Citron tuile, citron vert, glace fromage blanc / Panna cotta aux arômes de rose et de laurier, fraise / Baba revisité : baba, mascarpone Grand-Marnier et déclinaison d’orange : gelée, confit d’écorces, suprêmes, sorbet / riz au lait glace reine des prés, caramel / tarte fine au chocolat et son caramel à la fève Tonka.

Cette cuisine est d’une dextérité assez exceptionnelle. La cuisson des légumes est géniale. Le mariage de la fraise et du foie gras est remarquable. C’est un bonheur de créativité. Les viandes et le poisson sont superbes. C’est grand. Parfois, comme avec l’asperge, on aimerait un peu plus, pour avoir la mâche gourmande d’un vrai plat. On aurait aimé aussi séparer le saint-pierre de ses légumes, car cela ferait deux plats de génie, alors que leur cohabitation ne leur apporte pas grand-chose. C’est une cuisine d’exécution. Tout est fait avec grâce. On pourrait viser un peu plus de cohérence dans le déroulement et dans les portions, mais je dois dire que j’ai beaucoup aimé.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2000 est très grand. Il a un équilibre et une sérénité remarquables. Il est très gastronomique et accompagne à merveille le délicieux caviar.

Le Chablis 1er cru Montée de Tonnerre Raveneau 2008 est un grand chablis mais manquant un peu d’ampleur. Il est précis, mais il est trop coincé à ce stade de sa vie.

A l’inverse, le Puligny-Montrachet les Champs Canet Louis Carillon 2008 est joyeux, gourmand, fruité et généreux.

Le Bienvenue Bâtard Montrachet Ramonet 2008 est beaucoup plus complexe. Il a déjà une belle maturité. Il est racé, au fruit discret mais à la complexité extrême.

On dirait que les trois vins qui précèdent se sont entendus pour dérouler un tapis blanc pour préparer l’arrivée d’une merveille interstellaire. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 2000 me crée un choc gustatif majeur. Ce vin est parfait, d’une rondeur et d’une simplicité biblique, d’un accomplissement idéal. C’est le vin jeune absolument parfait. J’en jouis avec une immense gourmandise. Sur les deux plats de viande, il brille, mais il pourrait se suffire à lui-même. C’est un vin de plaisir fou.

Le Champagne La Closerie Jérôme Prévost Les Béguines Extra Brut que nous propose Guillaume Guedj est un 100% pinot meunier. Très original, gracieux, élégant et non dosé, il ponctue bien la fin d’un repas de grande gastronomie.

On est moins pris aux tripes qu’avec la cuisine de l’Agapé Substance, mais on est conquis par la pertinence des chairs et des cuissons qui est absolument remarquable.

C’est une table qui mérite d’être recommencée.

déjeuner de premier mai mercredi, 2 mai 2012

Chez ma sœur, un Champagne Bollinger Grande Année 1990 est d’un grand plaisir sur les deux premières gorgées. Puis l’on se rend compte que le champagne est prématurément fatigué. Il s’est asséché, l’impression de sec et de râpeux l’emportant. Bien sûr, on sent en filigrane la puissance et la noblesse. Mais on est bien loin de la pétulance du Dom Ruinart 1990 d’hier.

Le Château Ausone 1979 que j’ai apporté est d’une rare distinction. Quelle finesse ! Il a encore beaucoup de fruit, une grande précision de trame. C’est un bordeaux raffiné, qui joue sur la grâce.

Le Mazis-Chambertin Dugat-Py 2006 fait un contraste sensible. Le fruit est généreux, la mâche est gourmande, mais le vin est un peu rustaud, trop fardé à mon goût.

Par une journée où le soleil a enfin daigné se montrer, et avec un poulet en cocotte de compétition mitonné par mon beau-frère, nous avons passé un agréable déjeuner citoyen de vrais travailleurs, puisque nous étions le premier mai.

Un Richebourg DRC 1953 à ne pas juger lundi, 30 avril 2012

Le 30 avril, c’est la veille du premier mai. Quand c’est un lundi, c’est l’occasion d’un pont. Aussi bien mon gendre que moi, nous sommes allés au bureau. Mais les horaires sont plus flexibles, aussi un dîner impromptu s’improvise. Aucune recherche gastronomique, car les petits-enfants dînent avec nous. J’avais repéré en cave une bouteille qu’il faut boire. Elle me paraît opportune.

Nous commençons par un Champagne Dom Ruinart 1990 qui est absolument splendide. Il a atteint un équilibre d’une sérénité rare. Il est vif, puissant, titillant le palais de sa pétillante vigueur. Sur du Pata negra, c’est un régal. J’ouvre le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1953 bien tard. Le haut du bouchon non encore extirpé sent la cave humide, d’une terre noble. La couleur dans la bouteille est très engageante. Si le niveau est bas, l’essai semble possible. Le nez du vin est expressif. On peut y trouver du chocolat, du cacao, du café ou d’autres arômes, mais pour moi, c’est la signature inconditionnelle de la Romanée Conti qui est là : rose et sel.

La première gorgée est incertaine, car la subtilité du domaine est entravée par une légère déviation. Je sens que ce vin, s’il avait été ouvert quatre heures avant, serait splendide. Alors, on attend un peu. Et le vin progressivement s’étire, étend ses membres et déploie sa palette aromatique. Bien sûr, en fond de décor, il y a une certaine faiblesse. Mais l’expressivité du vin est telle que le plaisir s’élargit autant que le vin. Et la lie est tout simplement géniale, avec cette minéralité saline propre aux vins du domaine.

L’image qui me vient est celle de la Pointe du Raz. Quand on la voit sous la pluie – hypothèse recevable – c’est la Pointe du Raz que l’on voit, et l’on oublie la pluie. Avec ce délicat Richebourg, la fatigue est présente, mais c’est un Richebourg 1953 du domaine que l’on boit. Et comme on en perçoit lisiblement les contours, le plaisir est là. Nul n’est besoin de noter un tel vin. Capter sa finesse et sa subtilité est diantrement plus important.