Un Moulin-à-Vent Patriarche 1943 renversant dimanche, 22 avril 2012

Ouille, ouille, ouille, c’est un déjeuner d’anniversaire, et c’est le mien. Il est des encoches que l’on aime graver sur son tableau de chasse. J’aimerais bien au contraire mastiquer les encoches de mon tableau et échanger quelques bouteilles de ma cave contre des années de moins.

Ce sera à la maison, en petit comité puisque mon fils vit à Miami et ma fille aînée avait des engagements. Mon gendre arrive avec un fond de Champagne Krug Grande Cuvée, qui, ayant perdu la force de sa bulle du fait de l’agitation en voiture, se révèle plus vineux, intense, profond. Un grand champagne.

Pour l’apéritif, pendant que les petits-enfants mangent, nous grignotons des tranches fines de pata-negra qui expriment la force de la noix. Ce jambon est exquis. Le Champagne Dom Pérignon 1990 plante tout de suite le décor : il est noble, il est jeune, il est à maturité et il est parfait. C’est un véritable bonheur que de boire ce champagne à l’équilibre absolu. Il est très différent du Krug bu il y a un instant. Alors que le Krug est vineux, le Dom Pérignon combine deux qualités : il est confortable et il est romantique. Ajoutons à cela qu’il est racé, subtil et d’une acidité calculée au millimètre. Sur le jambon espagnol et sur un délicieux foie gras que l’on tartine sur de la baguette, il montre sa joie de vivre. Boire ce 1990 c’est boire du bonheur, et l’on n’a pas besoin de se demander si l’herbe serait plus verte avec un autre champagne. Il est là, et il est bien.

L’épaule d’agneau de lait et le gigot, avec une émulsion de céleri est d’une rare gourmandise. Comme c’est mon anniversaire, mon œil s’était porté en cave sur un vin de mon année. La bouteille était si belle contemplée en cave, et de niveau impeccable, que j’hésitais à la choisir, car elle pourrait donner lieu à une remarquable confrontation avec de brillants bourgognes. Mais la tentation étant trop forte, alors que nous n’ouvrirons qu’un seul rouge, je l’ai choisie. Elle fut ouverte vers 11 heures, avec un parfum dépassant toutes mes espérances, et fut bue vers 14 heures.

Le Moulin-à-Vent Patriarche 1943 a une couleur magique. Le rouge est presque noir tant il est dense, et pas la moindre trace de tuilé n’est visible. Le nez est envoûtant, annonçant un vin dense et profond. On est en plein dans la Bourgogne, du côté des Côtes de Nuits. En bouche, j’ai failli m’évanouir. Qu’on se rassure, je restai calme, mais voir que tout ce que je défends se retrouve dans ce vin, cela m’émeut. J’ai la faiblesse de penser que si je défends les vins anciens, c’est parce qu’ils le méritent. Et là, ce Moulin-à-Vent est d’une redoutable évidence.

Alors, je m’en veux, car cette bouteille aurait pu servir d’une démonstration magistrale du fait que les grands beaujolais pourraient soutenir la comparaison avec les bourgognes les plus capés.

Quel dommage qu’elle n’ait pas servi à une comparaison. Car le vin est intense et velouté. Sa trame est propre, claire nette, de fruits noirs. Il y a une jeunesse dans ce vin qui rappelle un peu ma jeunesse puisque je suis de ce millésime (je plaisante bien sûr, et je précise, sur la jeunesse). Pour mon gendre il y a un petit côté animal noble. Pour moi c’est le velouté et les fruits noirs. Nous nous imaginons tous les bourgognes que nous aimons qui lui ressemblent. On est dans les Musigny.

Est-ce que ce vin a été hermitagé, a-t-il eu une adjonction de pinot noir dans les chais de Patriarche, je ne sais pas et je ne veux pas le savoir, car le résultat est impérial. Ce vin est grand, et tient pendant tout le repas. C’est un immense bonheur, par la valeur intrinsèque de ce grand vin gourmand, mais peut-être plus encore en ce jour d’anniversaire parce qu’il apporte la démonstration que j’ai eu raison d’acheter ces vins qui ne valaient pas tripette et en qui quasiment personne ne croyait.

Alors, c’est peut-être mon plus beau cadeau d’anniversaire.

Déjeuner à l’hôtel Pullman de Bercy. samedi, 21 avril 2012

Déjeuner à l’hôtel Pullman de Bercy. C’est simple, un peu impersonnel, avec un service qui veut bien faire. Saumon fumé et daurade accompagnent un Champagne Dom Pérignon 2002 que je trouve meilleur que de récentes expériences. Je pensais que ce vin était en train de s’endormir pour se réveiller dans une dizaine d’années. Cela ne semble pas le cas.

Rayas au restaurant le Villaret samedi, 21 avril 2012

Déjeuner au restaurant le Villaret. La décoration est simple et le bruit est présent, qu’il vienne de la cuisine ou de la pluie qui martèle sur des tôles avoisinantes. Le choix, fort classique, porte sur la terrine accompagnée de sa compote d’oignons et la côte de bœuf aux oignons et pommes de terre rissolées. C’est simple, fort des réminiscences de la cuisine des grands mères, et c’est délicieusement gourmand.

Le Château Rayas 1998 que j’ai demandé de ne pas carafer est une merveille. Il est soyeux et velouté. On imagine une odalisque lovée dans de lourdes draperies dorées. Car le vin à l’alcool certain est lascif. Mais il a une telle tension qu’il virevolte. Son fruit est résolument rouge, presque confituré, et c’est le soyeux qui l’emporte. Ce vin pianote, virevolte, tintinnabule, avec des notes bourguignonnes du plus bel effet. C’est un grand vin, naturellement séduisant, qui procure un plaisir sans mélange. Si on voulait chercher la petite bête, ce serait du côté de la profondeur et de la complexité. Mais tel qu’il se présente, c’est un vin de bonheur.

Villaret est une table agréable, généreuse, authentique, qui ravit les amateurs de plaisirs simples, et les amateurs de bons vins.

Krug 1996 dans le sud samedi, 21 avril 2012

Court séjour dans le sud, avec le temps instable du printemps. La première nèfle, le premier fruit cueilli de l’année, est toujours un moment important. Ce qui frappe, c’est le caractère désaltérant de ce fruit. Je reçois un visiteur pour un sujet austère.

Le rendez-vous se passe bien, alors j’ouvre un Champagne Krug 1996. C’est une explosion de fruits rouges et de fruits blancs. On sent la groseille rouge et la groseille blanche, et on les imagine très précisément dans le palais. L’acidité citronnée de ce champagne est très présente. Il est d’un raffinement rare.

Il me semble que Krug 1996 est en plein épanouissement.

déjeuner au restaurant La Cagouille mercredi, 11 avril 2012

Les lecteurs de mon bulletin l’ont remarqué, ma vie est un sacerdoce. Devant organiser une réunion de l’académie des vins anciens au restaurant La Cagouille, il est important de tirer les leçons de la dernière réunion de l’académie organisée dans ce lieu même, pour améliorer encore l’équilibre de l’événement. André Robert, le truculent propriétaire du lieu m’écrit : « si tu viens à deux, je te laisse tranquille, si tu viens à un, je déjeune avec toi et tu es mon invité ». C’est la deuxième branche de l’alternative qui se met en place. Les coques sont délicieuses, et le Champagne Ultra brut de Laurent Perrier, sans être d’une vibration extrême, se justifie par sa droiture. On sait qu’il est rigoureux, et on l’aime pour cela. Mais avec la coque, ça ne va pas. J’ai envie d’essayer à nouveau le Bourgogne rouge Jean-François Coche-Dury 2002 que j’ai déjà bu ici. Mais l’accord ne se trouve pas. C’est alors que survient la cavalerie américaine de tous les films de John Wayne : deux verres se posent sur la table, une bouteille de Meursault Genévrières Jean François Coche-Dury 2007 s’affirme sur le marbre et une carte de visite m’est glissée : un ami australien qui déjeune avec femme et enfants quelques tables plus loin nous a fait parvenir leur bouteille en signe d’amitié. André me dit : « il n’y a pas à dire, mais il y en a qui savent attirer le bonheur ». Le vin est superbe, de belle mâche et d’un joli fruit. Gouleyant, il fait un sourire aux coques. André ayant un rendez-vous important cet après-midi ne veut pas trop boire, aussi verse-t-il son fond de verre du meursault dans le mien. Manque de chance il le verse dans mon champagne. Je ne dis rien, car le signaler ne servirait à rien. André sait-il qu’il a fait une confusion ? S’il le sait, sait-il que je sais ? Rien n’est grave, car ce meursault à bulles particulièrement original m’a plu comme un happening. Et ce n’est pas stupide du tout, car il y a pire dans les boissons à bulles ! André me donne un de ses céteaux, délicat au possible que je déguste entre deux langoustines fraîches à souhait.

Le turbot est d’une cuisson parfaite. Le vin rouge s’en accommode, mais j’ai trouvé ce pinot noir beaucoup plus « villages » ou « vin de table » que le précédent que j’avais adoré. Nous bâtissons le projet de la future séance de l’académie des vins anciens et André me quitte. Je vais rejoindre mon ami australien qui avec son épouse a fait honneur en plus du meursault à un Puligny-Montrachet les Pucelles domaine Leflaive 1996. Ils en sont au cognac et je trinque avec eux.

Comme je l’ai souvent dit, La Cagouille, c’est le point d’eau obligatoire où tous les fauves du vin viennent se désaltérer.

déjeuner à Deauville au Ciro’s lundi, 9 avril 2012

A Deauville, nous allons déjeuner en famille au restaurant Le Ciro’s Lucien Barrière, situé le long de la promenade sur la plage. Le lieu est sympathique, l’accueil est charmant, et les produits de la mer sont bons. Les grosses langoustines cuites à la minute sont bonnes, ainsi que le dos de turbot grillé sauce béarnaise, pommes écrasées et petits légumes. C’est sans prétention mais solide. Comme ma fille ne boit pas de vin blanc, je choisis un Château L’Angélus 2001. Il est d’une folle jeunesse, ses tannins étant encore dominants. Mais sa trame est si belle qu’on le boit avec plaisir. Sa faculté de vieillissement est telle qu’il serait prudent d’attendre encore dix ans ce très beau vin, très Saint-émilion.

nous avons la vue sur la promenade et sur la plage

j’ai voulu montrer l’importance de la lie et le nom Barière sur le verre

Laissez-nous nos verres !!! samedi, 7 avril 2012

Les sommeliers apprennent à repérer les verres dans lesquels il n’y a plus que quelques gouttes, et s’empressent de les enlever.

On ne peut pas leur en vouloir puisque c’est ce qui s’apprend dans les écoles.

Quand on reçoit chez soi, est-ce qu’on passe son temps à enlever les verres vides ? Jamais.

Il faut en permanence que je sois vigilent avec les sommeliers pour retenir mon verre et pouvoir sentir le verre vide à ma guise.

Mais dans les grandes maisons, l’armée de service est si nombreuse, qu’il y a toujours un sommelier ou un serveur qui trompe mon attention et je vois mon verre qui s’en va.

C’est absurde, c’est une convention inutile. Laissez-nous nos verres. Il y a plus urgent à faire que cette chasse au verre vide. Ou alors, demandez si l’on veut que le verre soit enlevé.

Puisque je suis sur le sujet, il y a quelque chose que je n’aime pas. Lorsque le sommelier met en carafe, il laisse dans la bouteille 3 centilitres, même s’il n’y a aucun dépôt, ce qui est fréquent avec les vins jeunes. Si j’y pense, je demande de servir le fond de la bouteille, mais parfois elle est déjà partie.

Et quand le sommelier ne verse pas tout de la carafe alors qu’il a décanté, je suis obligé d’intervenir pour lui dire : « versez tout ».

Alors, amis sommeliers, ne retirez pas les verres vides, et versez toujours la totalité de la carafe.

Pétrus 1959 en magnum à l’Ambroisie vendredi, 6 avril 2012

Ce sujet pourrait s’appeler « bonheur et misfit ». Et lorsqu’il y a un « misfit », tout le monde est mécontent, alors qu’il n’y aurait que du bonheur à attendre de l’événement. Deux amis particulièrement contents du dîner aux 9 Pétrus m’ont invité à dîner le lendemain à l’Ambroisie où ils ont apporté un magnum de Pétrus 1959. Le vin a été ouvert par le sommelier à 19h30 et carafé.

Etant en avance, j’ai le temps de bavarder avec Matthieu Pacaud, qui, à la suite de son père Bernard, tient les rênes de cette prestigieuse maison. Matthieu est un amoureux du vin et se régale de faire des menus pour les vins.

Christine, qui nous invite ce soir et qui a apporté la bouteille, est une fondue de caviar et a donc demandé qu’il y ait du caviar au menu. Le misfit vient du fait que Matthieu a compris : menu au caviar, alors que Christine en voulait un peu. Nous aurons attendu longtemps un plat qui aille avec le vin et nous ne l’avons pas eu. Alors, tout le monde sera mécontent, le chef parce qu’on n’aura pas félicité son menu et nous parce que nous avons attendu en vain un accord qui nous émeuve. C’est dommage, parce que tout était réuni : un très beau menu et un très grand vin.

Le menu : caviar osciètre Geld / œufs coque au caviar / salade composée de homard et chou-fleur / ravigote d’écrevisses et petits pois à la coriandre / escalopines de bar au caviar / suprêmes de volaille aux morilles / desserts et pâtisseries et mignardises.

Ce qui a agacé Christine, c’est qu’on ait servi du caviar chinois, qu’elle n’a pas particulièrement en odeur de sainteté. C’est vrai qu’il manque un peu de profondeur, même s’il est agréable avec un sel présent mais discret. Elle voulait du grandiose (selon ses repères) et on lui offre ce qu’elle a au coin de la rue. L’œuf coque est délicieux, le homard est de première qualité, le bar est très bon, mais flanqué d’un caviar hors sujet quand on est en plein dans le charme du Pétrus. Et quand les desserts de fruits rouges et glacés arrivent alors qu’il reste l’équivalent d’une bonne demi-bouteille de Pétrus 1959, il est certain que ça agace.

C’est un misfit qui – comme je le disais – ne fait que des mécontents. On effacera cela bien vite en refaisant le même combat en ajustant les scripts. Revenons aux vins.

Nous avons commencé par un Champagne Cristal Roederer rosé 2002. C’est un champagne très agréable, très droit, facile à vivre, de grande tenue.

Le nez du Pétrus magnum 1959 commence par être discret et il envahit les narines. C’est Pétrus dans toute sa splendeur. Truffe, morille, terre noire. En bouche le vin est phénoménal. Cette bouteille de parfaite conservation donne un vin exceptionnel. Disons qu’il est à cent coudées au dessus (j’exagère un peu) du 1962 que nous avons plébiscité hier. Il a une densité exceptionnelle, et un goût de truffe mis sur la puissance maximale. Sa trame est phénoménale.

Il cause ce vin ! C’est un bonheur absolu. Un immense Pétrus. Il est encore plus dogmatique dans l’excellence que les 1966 et 1998 d’hier. Il tutoie de très près les 1961 et 1990 que j’ai adorés.

Alors, ne gardons que le bonheur. D’abord, la générosité extrême de Christine et de Desmond. Ensuite ce monumental Pétrus 1959, qui touche à la perfection la plus absolue de Pétrus. Il faudra traiter le mal par le mal en revenant à l’Ambroisie, terre de belle gastronomie.

le joli salon qui nous est réservé

le caviar chinois a été marqué du nom de notre hôtesse

le pot de caviar gigantesque, c’est impressionnant, mais nous aurons de petites cuillers pour nos oeufs coque

je n’ai pas pris en photo les desserts qui sont arrivés avant que nous n’ayons fini le Pétrus. Nous n’y avons pas touché.

Dîner de neuf personnes et neuf Pétrus jeudi, 5 avril 2012

Lors du dernier réveillon de la Saint Sylvestre, un vilain Pétrus 1952, d’une caisse de douze que j’avais achetée, m’avait chagriné. Tout laissait à penser que c’était un faux, mais il fallait le vérifier. Lors d’un dîner d’amis de janvier, j’avais apporté un Pétrus 1981 et je racontai ma mésaventure. Un ami présent me dit : « j’ai un 1952 dans ma cave de mise château. Comparons-le à l’un de tes 1952 ». L’idée était séduisante, mais se retrouver à deux avec deux Pétrus, on pouvait mieux faire. Ce soir au restaurant Laurent, nous serons neuf avec neuf Pétrus.

J’arrive à 18 heures pour ouvrir les bouteilles de Pétrus. Le 1966 provient de la cave du château, qu’il n’a jamais quitté. Le bouchon est enfoncé de six millimètres et le creux contient de la poussière noire. Le bouchon est superbe, de grande longueur. Le parfum est magique. Le 1952 de mise château a un beau bouchon plus court. Son parfum est beau, plus beau que celui du 1952 de mise Van der Meullen, dont le bouchon est de petit diamètre, comme le goulot de la bouteille au verre trop fortement coloré de teinte vinasse, spécialité de ce négociant belge, ce qui interdit de voir la couleur d’un vin dans la bouteille. Le bouchon du 1952 sûrement faux, car entretemps, j’en ai ouvert un autre résolument faux, est aussi vilain que les précédents, très comprimé dans le goulot et difficile à sortir. Le bouchage ne peut pas être des années 50. Le nez du vin n’est pas un nez de Pétrus.

Le 1962 de ma cave a un parfum exceptionnel. Le 1975 a aussi un parfum superbe. Le 1964 se présente très solide dans ses arômes. Le bouchon du 1934 de ma cave se brise en miettes. Le nez du vin me suggère qu’il est hermitagé. Le mot qui vient instantanément en sentant le 1998, c’est : pureté. On sent que ce vin est superbe.

L’un des convives ayant annoncé un retard de trente minutes, nous nous préparons le palais avec un Champagne Pol Roger 2000 très simple, très plaisant, facile à vivre, mais porteur de riches complexités. Comme il fait soif, nous doublons la mise.

Le menu conçu par Alain Pégouret est : Anguille fumée et pointes d’asperges vertes / Pâté en croûte / Morilles farcies / « Fregola Sarda » / Carré d’agneau de lait des Pyrénées grilloté, pommes soufflées « Laurent » / Mimolette cérusée / Crémeux Jasmin à la rhubarbe.

Pour chaque vin, je signalerai son apporteur puisque le dîner est conçu sur la base d’apports de chacun. Parfois j’ai aidé l’un des participants en lui « prêtant » ou « vendant » un des vins de ma cave. J’indiquerai l’auteur de chaque vin. Le Champagne Krug 1989 (Frédéric, de ma cave) est absolument exceptionnel. C’est, je pense, le meilleur 1989 que j’aie jamais bu. Il est riche épanoui, complexe de fruits exotiques. Il est tout simplement l’accomplissement de Krug lorsqu’il est encore jeune et déjà mature. Sa longueur est extrême.

Le Pétrus 1966 (Jean) vient directement du château. Je l’ai mis en premier pour qu’il nous serve d’étalon. Et il le fait avec une exactitude confondante, car il est l’archétype du grand Pétrus. Il a l’A.D.N. de Pétrus. Riche, plein, fruité mais avec un doucereux coupable, il est d’une grande densité. Il est superbe. Velouté, truffe, beau fruit, tout y est.

Les morilles vont accompagner divinement bien trois 1952. Le Pétrus 1952 (Laurent) est une mise château. Il est grand, mais n’a pas l’étoffe du 1966. Ce qui impressionne c’est sa subtilité et sa douceur. C’est un beau Pétrus mais pas un grand Pétrus. Le Pétrus 1952 (de ma cave) provient de la caisse litigieuse. Comme je l’ai annoncé faux, ce que confirme l’examen olfactif, mes amis ont beau jeu de dire que j’aurais dû m’en apercevoir à la première bouteille tant le faux est évident. Ils ont raison sans doute, mais ils le savaient, ce qui leur donne bien de la science. Car ce vin n’est pas mauvais. Ce pourrait être un bon médoc, d’un bon classement, des années 70/80. Le Pétrus mise Van der Meullen 1952 (Charles Edouard, de ma cave) apparaît un peu fatigué. Je me pose la question de son authenticité, mais tout le monde est unanime, c’est un vrai Pétrus 1952 mais jouant un peu en dedans.

Le Pétrus Pomerol 1962 (Guillaume, de ma cave) est absolument exceptionnel. Son parfum est envoûtant. Si le 1966 est un archétype, celui-ci est un Pétrus de splendeur. Je l’adore pour sa richesse contenue, sa complexité extrême, son velouté truffé et son confort absolu. De bonne mâche, il est divin. Jean nous dit qu’il a fait récemment une verticale de quatre-vingt millésimes de Pétrus et que celui qu’il a préféré de loin est le 1975. Aussi attend-il beaucoup du Pétrus 1975 (Louis). Dès l’attaque, on le sent un peu fermé, jouant en dedans, mais Jean nous indique qu’il va s’épanouir. Et quand cela se produit, on retrouve l’un des Pétrus qui m’ont apporté les plus grandes émotions. Malgré tout, si celui-ci est grand, il est élégant, fluide, mais un peu contenu.

Le Pétrus 1964 (Christine) est superbe, solide gaillard très carré. C’est un beau Pétrus costaud, qui fonce, très contrasté avec le 1966. C’est évidemment un très grand vin.

Le Pétrus 1934 (de ma cave) nous fait un choc quand on le verse : il est clairet. On dirait qu’il est dépigmenté. D’ailleurs le fond de la bouteille est beaucoup plus sombre. Le vin présente un intérêt de comparaison, mais il est manifestement fatigué. Il est bien Pétrus, car on sent tous les points communs avec les autres, mais la fatigue est là.

Le Pétrus 1998 (Desmond) est un gamin d’une très grande promesse. Il se boit bien dans sa jeunesse, mais on sent que vingt ans de plus vont le placer sur une orbite très haute. On peut comprendre les amateurs de vins jeunes, car il y a une exubérance dans ce vin qui est rare. Il partage avec le 1966 le fait d’être archétypal.

Pour le dessert Jean commande au restaurant un Champagne Salon 1997 qui est agréable, mais nous restons tous sur notre petit nuage fait de grands Pétrus. J’ai un peu gommé la trace du Salon dans ma mémoire. Pendant que nous votons, je fais verser le Cognac Lucien Foucauld # 1890 que l’on avait ouvert lors d’un récent dîner. Les deux amis chinois de notre table en raffolent. Mais il n’y a pas qu’eux, car il est merveilleux de rondeur et de complexité.

Je suis le seul à avoir voté pour le champagne, mes amis concentrant leurs votes sur six des neuf Pétrus. Le 1962 a eu neuf votes pour neuf votants dont quatre votes de premier, le 1964 huit votes dont aucun de premier, le 1966 sept votes dont trois de premier et le 1975 six votes dont deux de premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Pétrus Pomerol 1962, 2 – Pétrus 1966, 3 – Pétrus 1964, 4 – Pétrus 1975, 5 – Pétrus 1952 mise château.

Mon vote est : 1 – Pétrus Pomerol 1962, 2 – Pétrus 1964, 3 – Champagne Krug 1989, 4 – Pétrus 1966.

La cuisine d’Alain Pégouret a montré une fois de plus qu’elle est pertinente, et les accords ont été judicieux. Le service est comme toujours parfait, surtout celui des vins. On peut constater que l’on ne se lasse pas d’un dîner de Pétrus et que la décennie 60 est superbe pour Pétrus en ce moment avec des 1962, 1964 et 1966 qui ont particulièrement brillé. Il ne manquait que 1961, ce qui obligerait sans doute une suite, mais ma charmante voisine me dit : « êtes-vous libre demain, nous allons ouvrir un magnum de Pétrus 1959 à l’Ambroisie ? ». J’ai dit oui. L’aventure Pétrus continue !

l’ouverture des bouchons

le 1952 Van der Meullen et le 1952 mise château

dans l’ordre, le 1966, le 1952 mise château beaucoup plus court, le 1952 de la caisse litigieuse, avec un liège assez vulgaire et une largeur trop grande, ce qui s’est traduit par son élargissement à l’ouverture, et le 1952 Van der Meullen. On voit assez nettement que la mise en bouteille du 1952 litigieux ne peut pas avoir été fait dans les années 50.

le1962 et le 1975

le 1964

de bas en haut, le 1964, 1962 et 1975

le 1934 brisé en morceaux et le 1998

l’ensemble des bouchons. de gauche à droite et dans l’ordre des aiguilles d’une montre : 1966, 1952 mise chateau, 1952 litigieux, 1952 Van der Meullen / 1934 et 1998 / 1962, 1975, 1964.

le repas

la table en fin de repas