Dîner au Blue Elephant à Paris dimanche, 11 mars 2012

Dîner au Blue Elephant, table thaïlandaise à la belle cuisine conventionnelle mais goûteuse. Un Dom Pérignon 2000 est agréable à boire mais ne me remue pas comme il l’a souvent fait. Lorsque je fais doubler la mise, je suis surpris du saut qualitatif de la deuxième bouteille. C’est au moment de faire la photo que je comprends pourquoi : c’est un Dom Pérignon 2002, qui ne figure pas sur la carte des vins, qui l’a remplacé. Bonne pioche et quel beau champagne romantique. Fleurs blanches et romantisme, c’est sa signature.

dîner au « Bouchon » Beverly Hills mardi, 6 mars 2012

Un ami américain que j’ai connu sur le forum de Robert Parker m’avait annoncé son passage à Paris début avril et m’avait demandé si nous pourrions nous rencontrer. Prenant la balle au bond, sachant qu’il habite Berverly Hills, je lui ai dit : « rencontrons-nous d’abord lors de ma visite ». Il m’a répondu : « rejoignez un dîner que je fais, rendez-vous au restaurant ». Rien d’autre, pas d’indication sauf celle de ne pas apporter de vin car il y en aura. Le lieu et la date changèrent, mais au bout du compte, nous nous retrouvons au restaurant « Bouchon » Beverly Hills, qui fait partie du groupe de Thomas Keller propriétaire du fameux « French Laundry » dans la Napa Valley. Surprise, je me retrouve avec des jeunes vignerons de Saint-Emilion qui étalent sur un étagère les 2009 que nous allons boire : Clos des Jacobins, Château la Commanderie, Clos de la Vieille Eglise qui est un pomerol, Clos du Breuil, Château Fleur Cardinale, Secret de Cardinale, Rol Valentin qui a ajouté un 2005 au 2009. Voilà un programme sympathique. Alors qu’on nous avait réservé une belle table sur un balcon de l’immeuble où se situe le restaurant, mon ami Jeff nous fait préparer une table deux fois plus petite où nous sommes serrés comme des sardines.

Alex, le sommelier qui avait travaillé dans le passé pour les dîners de Bipin Desai nous sert un Marcassin Chardonnay 2005. Ce vin est étrange car il semble d’une jeunesse extrême. Dire que c’est un 2010 serait logique. Il est typé californien, avec une puissance très prégnante. On sent qu’il a un beau potentiel de développement. Mais je trouve que le final est trop court et l’amertume trop grande. Le Kongsgaard 2006, lui aussi chardonnay est très oxydé. Il déplait à tous, malgré un gros fruit et un fort caramel.

Nous passons aux rouges avec un Cain Concept 2002 à dominante cabernet sauvignon, doucereux et fort poivré. C’est le second vin du Cain Five 2003 où le cabernet sauvignon ne fait que 45% contre 84% pour le précédent, avec un pourcentage significatif de petit verdot (20%). Le nez est plein de charme. Il est très doux, avec un final de cassis. Il titre 14,7°, ce qui doit être d’une grande modestie. Il est vert, fort, avec du fenouil et des tannins durs. Il ne manque pas de charme.

Le Arrowood 1997 cabernet sauvignon est très bon, délicat vivant et vibrant. Il a une belle fraîcheur. Les vignerons et moi-même, nous commençons à trouver que l’introduction américaine est bien longue et nous commençons à penser que les vins français ne seront pas bus. La Rota Vineyard 1994 cabernet sauvignon a un nez très élégant. Le vin est bon, joli, charmant. Mais il manque vraiment de longueur et assèche la bouche. La Conn Valley Right Bank 2007, petit clin d’œil aux vignerons qui sont de la rive droite de Bordeaux, est majoritairement merlot. C’est un joli vin très boisé et un peu râpeux.

Vient enfin un vin français mais qui ne provient pas des présents, Château La Croix Saint-Georges 2001, vin beaucoup plus frais et léger que les précédents, d’une belle élégance. Jeff, du fait de ma présence, a apporté un Château Cheval Blanc 1970. Comment faire quand le vin a été ouvert à mon intention, et quand il est bouchonné, si celui qui l’a offert prétend que non ? Une des vigneronnes avait déjà sans crier gare vidé son verre dans un crachoir. Le vin, malgré une belle attaque, est envahi par le goût de bouchon. L’intention était amicale.

Le Spottswoode cabernet sauvignon 2007 est un vin très riche qui a obtenu 100 points Parker. Il est surpuissant. C’est du copeau de bois, riche bien sûr, mais sans véritable émotion.

Le « Bouchon » est un bistrot à la cuisine d’une belle précision. Le jarret de veau fourré au ris de veau est d’une tendreté remarquable. Ce dîner fut curieux, puisque les vignerons avaient apporté leurs vins pour qu’on les boive. Ils vont les présenter à la presse demain. Ces vignerons sont sympathiques, motivés à promouvoir leurs vins auxquels ils consacrent toute leur énergie. Leurs avis sur les vins américains ont été contrastés, parfois opposés. J’avais à côté de moi un sommelier qui est inscrit aux plus prestigieux concours de sommellerie. Cette soirée dont je ne savais rien, fut fort sympathique, avec des vins américains qui ne m’ont pas franchement convaincu et la défaillance d’un vin emblématique. On conservera surtout la chaleur de l’amitié.

Verticale de PSI et Flor de Pingus à L.A. samedi, 3 mars 2012

Après la verticale de Pingus Amelia et celle de Pingus au restaurant Spago, j’ai retenu Peter Sisseck et Emanuel Berk son importateur, pour un verre de l’après-match. C’est sur un Dom Pérignon 2002 que nous avons trinqué au « The Boulevard » de l’hôtel Berverly Wilshire où j’avais dîné la veille. Nous avons bavardé de sujets de vins et l’heure du marchand de sable a sonné, car demain d’autres dégustations nous attendent.

A midi, notre groupe qui s’est un peu réduit se retrouve au restaurant Valentino de Santa Monica. Piero Selvaggio le propriétaire fort sympathique bavarde avec nous. Sa curiosité pour les vins est extrême. Il est enthousiaste et a fait beaucoup de dégustations avec Bipin Desai que nous attendons, car son taxi s’est trompé de chemin, avec un Champagne Deutz Brut Classic, très plaisant champagne de soif. Piero me montre une photo datant de trente ans où il est en compagnie de Bern Laxer, le fondateur du Bern’s Steak House à Tampa où j’étais allé en janvier.

La dégustation va porter sur deux vins de Peter Sisseck, le PSI et Flor de Pingus. Le projet de PSI est né en 2007. Peter avait constaté que depuis 1995, la superficie plantée en vignes était passée de neuf mille à vingt-deux mille hectares dans la Ribeira del Duero, et que parallèlement, la surface plantée en vieilles vignes s’était réduite de six mille à quatre mille hectares. Persuadé que ce sont les vieilles vignes qui font les meilleurs vins, il a convaincu ses voisins de lui vendre leurs grappes, pour faire un vin selon la méthode ancestrale. Il avait en effet remarqué que des vignerons faisaient des vins pour eux, non destinés à la consommation, et que ces vins ordinaires étaient très bons, et faits sans bois neuf, en cuves en ciment. L’idée est d’acheter des grappes, de montrer à ces vignerons que l’on peut faire de bons vins avec ces grappes et de les entraîner progressivement vers la biodynamie. Sur l’étiquette de PSI il y a un vieux cep qui a la forme de la lettre grecque. J’ai hasardé que PSI voulait dire « Peter Sisseck initiative ». Peter ne m’a pas contredit, mais je ne sais pas si c’est ça.

Flor de Pingus a démarré comme Pingus en 1995, mais si Pingus était en pleine propriété, Flor de Pingus a commencé avec des achats de raisins, comme PSI en 2007.

Le menu préparé par le chef Nico Chessa est : Stuzzichini dello chef / l’Ippoglosso in padella with medley of funghi and peperoncini / La carbonara di pasta oro con fonduta di parmigiano / Venison Chop with Tuscan marinade and fruit mostarda / il fromaggio : castelmagno, Buffalo blue cheese / La pannacotta.

La première série est PSI 2007, 2008, 2009, 2010. Ce sont des vins 100% vieilles vignes. Le 2010 n’est pas encore en bouteille. Nous buvons un prélèvement de fût.

Le 2010 a un nez d’une extrême pureté. Tout est élégant. Le 2009 a un nez un peu moins pur. On sent le fenouil sur un fond d’acidité. Le 2008 a beaucoup de charme et de douceur. Le 2007 a un parfum absolument charmant.

En bouche, le 2007 est fabuleux. Il y a du cassis, du fenouil et des tannins d’un équilibre énorme. Le 2008 est un peu plus strict. Le 2009 a légèreté et élégance, avec un très joli final. Le 2010 est encore plus élégant. Il se boit très facilement et prend conscience de l’effet « vieilles vignes ».

Le 2007 a un fort poivre. On sent que c’est un vin de gastronomie. Le 2008 est très élégant avec une fraîcheur mentholée. Les 2009 et 2010 sont plus légers et élégants que les 2007 et 2008. Le fruit de ces vins est spectaculaire. Mon classement : PSI 2007, 2010, 2009, 2008.

C’est difficile de juger lorsque les vins ne sont pas ensemble, mais j’aurais tendance à préférer les PSI aux Pingus. En goûtant à nouveau, je constate que les vins évoluent et s’améliorent. Mon classement final sera : PSI 2007, 2010, 2008, 2009. Mais cela pourrait changer encore.

Nous passons maintenant à Flor de Pingus. 1995 est la première année. Mais Peter ayant envoyé mille caisses aux USA, celles-ci se sont perdues, aussi le plus vieux que nous boirons est 1996. Peter a commencé à acheter des grappes, et en 1998, deuxième incident, le producteur principal lui annonce qu’il a tout vendu à un autre vigneron. Il n’y a donc pas de 1998. Depuis, il a sécurisé ses approvisionnements. Il achète de 18 parcelles différentes et intervient dans le contrôle de la croissance des vignes. Ses achats sont depuis 2004 à 100% de vieilles vignes. La production est d’environ 50.000 bouteilles et l’alcool est autour de 14°.

La deuxième série est Flor de Pingus 2007, 2008, 2009, 2010.

Le nez du 2010 est élégant et discret. Celui du 2009 est élégant mais plus strict. Le 2008 a un nez incroyablement fruité, presque trop. Il y a de la framboise et du fruit confit. Le 2007 est très élégant. Le 2008 me dérange par son parfum hors norme.

En bouche, le 2010 est un peu trop flatteur. Il est épais. Le 2009 est beaucoup plus élégant. Il a un joli fruit et de la légèreté. C’est un joli vin, pas très complexe. On sent le fenouil. Le 2008 est curieux. Il a beaucoup de menthe, de fenouil et de fruit en compote. C’est une curiosité sympathique mais qui n’est pas dans la ligne des vins de Peter. Le 2007, un peu comme le 2010 est très doux, inhabituel. En revenant sur le 2010, je le trouve trop doux. Le 2009 est élégant, le 2008 est en train de s’assembler. Peter adore le 2008 et pense qu’il vieillira bien. Le 2007 progresse aussi. Ces vins auraient dû être ouverts avant, car tous progressent. Je classe 2009, 2007, 2008, 2010. Mais quand le plat est là, qui fait disparaître tout aspect doucereux, je classe : Flor de Pingus 2009, 2008, 2010, 2007. Ces vins sont un peu lourdauds et trop « modernes » pour moi.

La troisième série est Flor de Pingus 2003, 2004, 2005, 2006.

Le nez du 2006 est élégant. Le 2005 est profond. Le 2004 est entre les deux, et le 2003 est plus doux. Après tout ce qu’on a bu depuis hier, mes commentaires deviennent de plus en plus succincts.

En bouche, le 2006 est bon, doux, mais un peu rêche. Le 2005 manque d’équilibre. Le 2004 a beaucoup plus d’équilibre et de grâce. Le 2003 est un peu râpeux. On a envie de les juger avec un plat. Les vins y gagnent énormément. Le 2006 est superbe, le 2005 est un peu moins intégré et plus lourd. Le 2004 est élégant et le 2003 très élégant. Mon classement : Flor de Pingus 2003, 2004, 2006, 2005.

Ces vins sont flatteurs, mais lourds et manquent de précision. Peter à qui je m’en ouvre dit que la raison pourrait être qu’il s’agit de vins de mélange, puisqu’il achète des grappes de plusieurs parcelles. Mon classement final est : Flor de Pingus 2004, 2003, 2006, 2005.

La quatrième série est Flor de Pingus 1996, 1999, 2000, 2001.

Le nez du 2001 est très fort et l’on sent l’alcool. Le 2000 est plus calme mais imparfait. On sent la structure imprécise. Le 1999 est plus civilisé. Le 1996 est très élégant.

En bouche, le 2001 n’est pas mal, assez calme et assez amer. Le 2000 a un côté vineux et une amertume apparaît. Il est assez dur. Mais il faut dire que je commence à saturer de toutes ces séries. Le 1999 est plus joyeux, plus équilibré. Le 1996 est encore meilleur. Elégant et pur, c’est le plus grand de tous les Flor de Pingus. Mon classement est : Flor de Pingus 1996, 1999, 2001, 2000.

Si l’on combine les trois séries de Flor de Pingus, je retiendrais Flor de Pingus 1996, 2009, 2004, 1999.

Nous finissons le repas avec un Torres Floralis Moscatel 2008 qui, malgré les 15° annoncés fait très fortifié. Il évoque le melon et la menthe traités en ratafia.

Ce qu’on peut retenir de cette dégustation en deux repas, c’est d’abord la grande modestie de Peter Sisseck, son envie permanente d’améliorer ce qu’il fait, et sa volonté d’aider les vignerons de sa région pour la mise en valeur des vins des vieilles vignes et pour l’extension de la biodynamie.

Pour Pingus et Flor de Pingus, les vins les meilleurs sont le plus souvent soit les plus anciens, soit les plus récents. Au début, il devait y avoir la flamme du démarrage auquel s’ajoute maintenant l’effet de l’âge. Pour les plus récents, c’est l’amélioration de la qualité du vin. Ce sont des vins qu’il faut boire soit très jeunes, soit avec une maturité affirmée. 1996 et 1999 sont de beaux millésimes anciens et 2009 et 2010 de beaux millésimes récents.

D’une façon générale c’est l’élégance, la fraîcheur et la précision qui caractérisent les vins de Peter. J’ai eu un faible particulier pour les vins que je ne connaissais pas, le très frais Pingus Amelia et le très original PSI. J’ai beaucoup appris sur ce domaine promis aux plus belles destinées grâce aux qualités d’ouverture d’un vigneron danois passionné de la Ribeira del Duero.

la salle

Peter Sisseck

15 millésimes de Pingus et 7 millésimes de Pingus Amelia samedi, 3 mars 2012

A 19h30, le groupe d’amis de Bipin Desai se rassemble au restaurant Spago de Beverly Hills pour la plus grande verticale jamais faite des vins de Peter Sisseck, vigneron danois installé dans la Ribeira del Duero. C’est Emanuel Berk, agent importateur des vins de Pingus qui a rassemblé tous les millésimes qui ont été faits de Pingus, de Flor de Pingus, le second vin, et de Amelia, cuvée extrêmement confidentielle créée en 2003. Arrivé en avance, j’ai la chance que Christian Navarro, sommelier ami de Bipin, me serve un verre de Champagne Dom Ruinart 1998. Ce champagne a une bulle très discrète, presque absente alors que la bouteille a été ouverte il y a seulement vingt minutes, et une forte personnalité. Wolfgang Puck le chef propriétaire des lieux vient nous saluer. Il est tout sourire. La cuisine ce soir est réalisée par Tetsu Yahagi, l’un des chefs de l’équipe du Spago.

De très nombreux amuse-bouche sont bus sur un Champagne R&L Legras blanc de blancs fort agréable: Spicy tuna tartare in sesame-miso tuille cones /fava bean hummus tarts with Zatar caviar / farmers market vegetable crudite / duck liver pastrami on rye crisp / sturgeon mousse on rye crisp Osetra caviar. Ils sont délicieux et copieux.

Nous sommes une petite vingtaine, répartis en trois tables pour avoir suffisamment de place pour les verres. J’ai gardé mes 22 verres, plus celui du champagne et de l’eau, ce que beaucoup n’ont pas fait, faisant retirer les verres après chaque série.

Le menu est : sautéed mushroom stuffed Maine Skate, red wine reduction and black trumpet mushrooms / Uova de Raviolo, hazelnut brown butter and black truffles / slow roasted carpenter’s ranch squab breast, confit leg « Pithiviers », sauve salmi ans sweet English peas / assorted artisanal cheese / chef sherry’s dessert by inspiration.

La première série est Pingus « Amelia » 2003, 2005, 2006, 2007, 2008, 2009, 2010. Le nom Pingus vient du surnom que donnaient ses parents à Peter lorsqu’il était petit. Il y avait un couple d’acteurs célèbres dont l’un était Ping. Peter était appelé Ping. Lorsque Peter a acheté la propriété de quatre hectares avec des vignes plantées en 1921, il a appelé sa propriété Pingus. Amelia est le nom de la fille de son importateur et le vin créé en 2003 représente une barrique par an. Il se distingue de Pingus par son alcool faible puisqu’il titre chaque année entre 12 et 13 degrés, et par son vieillissement en barriques usagées. Il n’y a pas de fût neuf. Il est fait essentiellement de vins de vieilles vignes. A noter que la récolte entière de la première année a été achetée par Emanuel Berk qui en est donc le seul propriétaire.

Le 2010 que je sens en premier est dans un verre qui sent la poussière. On pressent cependant un fruit très doux, de velours. Le 2009 a un nez beaucoup plus fermé. Le fruit est très sensible mais discret. Le nez du 2008 est moins net, l’alcool prenant le pas sur le fruit. Son parfum évoque un peu un vin vieux. Le 2007 a un nez profond, où l’alcool est aussi présent. Le 2006 a un nez très charmeur.

C’est à ce moment que le plat est servi, ce qui change complètement l’examen des parfums. Le 2005 a un nez charmeur, dense. C’est le plus beau à ce stade. Le 2003 a un nez plus strict mais on le sent très élégant.

Je commence l’examen des saveurs, en faisant bien attention, car la sauce réduite au vin rouge pourrait changer les conditions de l’exercice.

Le 2010, comme tous les 2010 que nous boirons, est un vin sorti de fût, car il n’a pas encore été mis en bouteilles. C’est un très joli vin où l’on sent la menthe et le cassis. Je le trouve superbe. Le 2009 a plus de râpe mais il est très élégant. Le 2010 est diabolique de séduction dans sa jeunesse. C’est le vin qui a tout pour lui. Le 2009, même s’il est plus strict, a une force énorme. Il est équilibre et distinction.

Le 2008 est plus léger. Il est élégant et fait très bordelais. Le 2007 est élégant, évoquant le fenouil, le fruit, avec un final imposant. Il est élégant et se boit avec gourmandise, même s’il est discret.

Le 2006 a du velours, de la menthe, de l’anis, du cassis et une élégance rare. C’est un vin de folie, au final un peu amer, mais c’est un grand vin. Avec le 2005, on sent pour la première fois un accomplissement lié à l’âge du vin. Il a une belle râpe. C’est un grand vin mais un peu plus strict. Le 2003 a une grande élégance. C’est le plus grand de la série. Il a tout pour lui. Il est comme un très grand bordeaux, et Peter dit qu’il a les tannins d’une année chaude.

Je goute une nouvelle fois. Le 2010 est tout en douceur, velouté. Le 2009 est grand, plus amer, avec beaucoup de caractère. Le 2008 est plus léger mais élégant, il fait très bordeaux. Le 2007 est d’une belle élégance mais manque un peu de coffre. Le 2006 est joli, de belle râpe, un vin intéressant. Le 2005 a un grand équilibre. Il est très élégant. Le 2003 est parfait. Il est complet, au sommet.

Mon classement : Pingus « Amelia » 2003, 2010, 2005, 2006.

En poursuivant la dégustation de cette série, on sent le dénominateur commun de ces vins : jolis tannins, beau fruit, belle râpe et de grandes aptitudes au vieillissement.

La deuxième série est Pingus 2006, 2007, 2008, 2009, 2010. Contrairement à Amelia, ces vins titrent entre 14 et 15,5°.

Le nez du 2010 montre un alcool fort. Celui du 2009 est plein de charme, avec un fruit discret. Le 2008 combine charme et élégance, le 2007 est discret et de 2006 encore serré.

En bouche, le 2010 est multiforme. Il combine puissance et douceur. Il est opulent mais discret. C’est un vin très original. Le 2009 a une belle râpe. Le bois est très fort ainsi que le poivre. On pourrait dire que c’est un vin intransigeant. Il a de l’anis et de la menthe dans le final.

Le 2008 est plus léger, plus doux, un peu aqueux. C’est un grand vin, mais pas un vin de plaisir. Le 2007 est léger, de belle élégance, mais manque un peu de charme. Le 2006 est d’une grande élégance, c’est le plus parfait, avec menthe, anis et poivre.

A ce stade, je classe : Pingus 2006, 2010, 2009, 2007, 2008. Peter nous dit que les progrès significatifs faits au domaine concernent surtout les deux années récentes. La plus grande élégance est celle de 2009, mais l’effet de l’âge avantage le 2006. Le 2008 est très élégant sur le plat. L’équilibre de ces vins est immense.

La troisième série est Pingus 2000, 2001, 2003, 2004, 2005. Le 2005 a un nez de bouchon. Le 2004 est discret, le 2003 a un nez très beau et élégant, le 2001 est difficile, moins précis. Le 2000 est difficile à définir, très renfermé.

En bouche, le 2005 a la sécheresse du goût de bouchon, mais on sent ce qu’il pourrait être. Peter nous dit que c’est normalement un très grand vin. Le 2004 est discret mais très élégant. Le 2003 est un vin très « confortable », pullman, accompli avec un final un peu rêche où l’on ressent l’alcool. Le 2001 n’a pas un équilibre suffisant. Le 2000 est assez strict, moins complet, mais pas désagréable du tout. Les deux seuls vins qui ressortent du lot sont le 2003 et le 2004. C’est à ce stade la série la plus faible. Mais c’est sans compter sur le plat qui change complètement les visions. Car le 2000 devient plaisant, le 2001 offre plus de charme. C’est le 2004 qui prend l’avantage sur le 2003 et je classe ainsi : Pingus 2004, 2003, 2000, 2001, 2005. Cette série avait vraiment besoin du plat pour s’exprimer.

Le 2000 qui progresse est le favori de Peter, mais je garde mon classement pour des vins qui n’arrêtent pas de progresser et de prendre du caractère sur la volaille.

La troisième série est Pingus 1995, 1996, 1997, 1998, 1999. Nous avons les cinq premiers millésimes de ce vin. La démarche en biodynamie, démarrée en 2001 est postérieure à cette série. Le nez du 1999 est élégant, de grand équilibre. Celui du 1998 montre moins d’équilibre. Celui du 1997 met en avant son alcool, celui du 1996 est fantastique et celui du 1995 est aussi fantastique et plus fruité.

En bouche, le 1999 est très confortable, il se boit bien. Le 1998 manque d’équilibre, le 1997 a un léger goût de bouchon, le 1996 est difficile a décrire, car il est parfait. Le 1995 est aussi très grand mais je préfère le 1996.

Le 1999 est dans une forme éblouissante, comme un grand bourgogne. Il a une élégance rare et ne montre pas sa force. Au fur et à mesure de la dégustation, le 1995 passe au dessus du 1996, ce qui fait plaisir à Peter quand je le lui dis, car il aime son premier millésime. Je classe cette série ainsi : Pingus 1999, 1995, 1996, 1998, 1997.

Il est assez difficile de classer les séries différentes entre elles, car il est plus facile de classer au sein d’une série que l’on boit en même temps. Mais je risque un classement : Pingus 1999, 2010, 1996, 2006, 1995. Pingus est un vin qui est grand dans sa prime jeunesse du fait des progrès techniques qui sont réalisés, il est grand quand il a de douze à seize ans, par l’effet bénéfique du vieillissement. Il est plus faible sur les âges intermédiaires, quand le vin a perdu sa folle jeunesse et se cherche encore.

Peter Sisseck est un homme d’une grande ouverture d’esprit, toujours à l’affut de nouveaux progrès. Il fait des vins modernes d’une grande précision, d’un grand équilibre et d’une belle fraîcheur. La renommée dont jouit son vin est justifiée.

Peter Sisseck et Bipin Desai

Emanuel Bert et Peter

musée Getty à Los Angeles vendredi, 2 mars 2012

Le lendemain, je réalise un doux rêve : revoir le musée Getty. Sur une colline qui surplombe l’immense plaine de Los Angeles, le musée occupe quelques centaines d’hectares. Il faut une navette automatique pour parcourir entre un et deux kilomètres qui séparent l’arrivée de visiteurs de l’entrée du musée. Un vendredi, des milliers d’enfants de tous pays viennent en groupes. L’architecture du musée est magnifique. On pense à la Villa Noailles de Hyères, mais ici avec des tailles cyclopéennes, ou au musée de la fondation Maeght, à la puissance dix ou cent. Aujourd’hui il n’y a pas d’exposition spécifique, contrairement à ma dernière visite, mais le « fonds » de la fondation suffirait à remplir une semaine de visite. Je suis fasciné par le niveau atteint par l’art européen, même au temps du Moyen Age. Une exposition d’incunables et de livres d’heures, des œuvres de la Renaissance italienne, puis un parcours dans l’art européen de quatre ou cinq siècles donnent un sens au génie humain.

Par un soleil pénétrant et une brise appuyée, j’ai grignoté à une buvette improbable, rempli de la beauté de la collection Getty. Venir ici pourrait devenir un pèlerinage.

Osons un contraste. Dans la rue

et au musée :

Saint-Cyprien, le Christ, le détail d’un tableau de la Renaissance italienne, la reine Isabelle du Portugal, et les Iris de Van Gogh

Au total, j’ai pris 250 photos du Getty Center, et plus de 320 de la Villa Getty, consacrée à l’art antique romain, grec et étrusque

Verticale du domaine Pingus à L.A. – jour 1 vendredi, 2 mars 2012

Le vol Paris Los Angeles dure près de douze heures. Lorsque l’on dispose de la possibilité de regarder des films dont on déclenche soi-même le début, le temps s’efface. Est-ce certain que le cinéma ne soit que le septième art ? Musset disait « vive le mélodrame où Margot a pleuré ». Comme Margot, j’ai eu ma grosse larme à la fin du film « Les Intouchables », film de bons sentiments qui ne s’est pas abîmé dans la mièvrerie. J’ai apprécié « The Artist » sans toutefois sauter en l’air car j’y étais. « The Happy Feet 2 » m’a montré que dans les films d’animation actuels, c’est la technique de l’ingénieur qui prend souvent le pas sur l’émotion.

C’est donc tout frais que j’arrive à Los Angeles où les formalités douanières et l’attente des bagages sont un long passage obligé. Il me faut à peu près vingt essais pour que mon chauffeur de taxi à l’accent que je suppose hongrois, au vu de son nom affiché obligatoirement à côté de lui, comprenne ma destination. Nous traversons un Los Angeles multiforme, bien loin de l’opulence de Miami, sauf au quartier où je me rends : Beverly Hills. J’arrive à l’hôtel Beverly Wilshire où j’avais déjà séjourné. Tout ici respire le luxe, mais on sent aussi l’hôtel vieillot qui aurait besoin d’un grand coup de pied d’un manager moderne. Le style de service ne correspond plus aux désirs d’une clientèle de plus en plus exigeante : bagages livrés avec retard, pas de réponse aux demandes de service, réponses imprécises. La seule bonne nouvelle est que l’on m’a surclassé. Ma chambre est celle d’un palace.

Dans Beverly Hills, Rodeo Drive pousse le luxe jusqu’à son expression caricaturale. On est dans l’extrême. Pour la première fois, j’ai vu stationnées le long des rues une Mac Laren lie de vin et une Bugatti jaune et noire qui est le superlatif de l’automobile. Elle appartient au propriétaire de l’une des boutiques de luxe dont, apparemment, les affaires semblent prospères et qui la gare tous les jours devant son magasin, m’a dit un vendeur émerveillé. La rue est peu fréquentée et les magasins aussi, sauf par des japonaises au look de gamines poussé à l’extrême, qui portent de lourds paquets griffés presque aussi grands qu’elles.

Je dîne dans un restaurant qui est dans l’emprise de l’hôtel, « The Boulevard » et quelques personnes dînent en extérieur sur le Wilshire Boulevard, réchauffées par des colonnes où brûle du gaz. La sono est assez bruyante, créant une atmosphère qui attire les jeunes. La cuisine internationale est très correcte et le service virevoltant en permanence est comme les mouettes en bord de mer : si on ne tient par fermement son assiette entre ses mains, elle est vite enlevée, même si l’on n’a pas fini. Après une journée dont je peux dire : « j’ai fait mes 35 heures », je me glisse dans l’immense lit avec des paupières qui se ferment pour que s’ouvrent de beaux rêves.

Verticale du domaine Pingus à L.A. – départ jeudi, 1 mars 2012

Pourquoi vais-je à Los Angeles pour une dégustation d’un vin très récent et moderne ? Il y a sans doute un faisceau de raisons. J’avais laissé passer la date de péremption de mon passeport, et l’idée d’être enfermé dans l’Hexagone m’était insupportable. J’ai prétexté d’un voyage absolument crucial pour faire accélérer les procédures. Et j’ai bénéficié de la gentillesse de beaucoup d’agents concernés par cette démarche administrative. La deuxième raison pourrait être le séjour récent en Floride qui m’avait enthousiasmé et nécessite une rapide piqure de rappel. La troisième pourrait être l’affligeante campagne électorale pour la présidence française. Le « riche » est jeté en pâture dans la campagne, alors, même si je ne suis pas concerné par toutes ces mesures folles, autant dépenser un argent que le fisc veut me prendre. Mais la raison la plus importante est sans doute la relation toute spéciale qui s’est créée avec Peter Sisseck, le vigneron propriétaire de Pingus, le vin de la Ribeira del Duero encensé par la critique. Lorsque je suis allé visiter son domaine qui paraît lilliputien à côté de Vega Sicilia Unico, le courant est passé avec force, et nous nous étions promis de nous revoir. Je donne corps à cet engagement en me rendant à une dégustation extensive des vins de son domaine, en deux repas dégustations organisés par Bipin Desai à Beverley Hills.

Je ne manque jamais de critiquer ce qui ne marche pas aussi est-ce de bon cœur que je signale le passage à l’aéroport de Roissy, où tout est d’une fluidité parfaite. Tout le monde est aimable. Je suis fasciné par la boutique de vins de l’aéroport. Il fut une époque où acheter du vin en zone détaxée était une aubaine. L’absence de pudeur dans les coefficients multiplicateurs de prix est inimaginable.

Je m’installe dans l’avion. Une jeune femme s’installe à la place voisine avec une petite fille de sept mois. Elle s’excuse par avance de la gêne possible. Au moins dix fois des hôtesses et stewards viennent me dire qu’une place est disponible ailleurs. Le multiple grand-père que je suis accepterait volontiers la proximité. De guerre lasse, tant on croyait me faire plaisir, j’ai changé de siège.

Le Champagne Billecart Salmon est fort urbain lorsqu’on vogue dans les airs et accompagne une cuisine assez moyenne. L’avion va bientôt atterrir. Je suis heureux de retrouver la Californie.

au restaurant du Yacht Club de France mercredi, 29 février 2012

Les déjeuners de conscrits prennent un rythme plus rapproché. Nous nous rendons une fois de plus au restaurant du Yacht Club de France. L’ami qui nous invite a conçu avec Thierry Le Luc directeur de la restauration et avec le chef un menu normand. J’espère pour les normands qu’ils ne s’imposent pas de tels traitements, car ce fut pantagruélique. Ce qu’il faut signaler, c’est l’élégance de la recherche. Le premier champagne d’apéritif est assez peu accueillant. Ne sachant pas ce qu’il est, je suis allé lire l’étiquette à la fin de l’apéritif et quelle ne fut pas ma stupeur de constater que c’est un Champagne Joseph Perrier sans année. J’ai appris à aimer les champagnes de cette sympathique maison et celui-ci ne correspond pas à ce qu’il devrait être. Celui qui suit est le Champagne rosé Mignon sans année. Il est nettement plus civilisé. Nous passons à table et l’assiette normande façon « Café Gourmand » est faite de plusieurs réalisations vraiment gourmandes telles que maquereau à la moutarde, feuilleté de tripes, feuilleté camembert et andouille de Vire, quiche huîtres et moules, Saint-Jacques sur une andouille de Vire. Le Champagne Billecart Salmon sans année est un aimable compagnon. Mais l’andouille réclame un rouge et le Château Talbot 1988 joue très bien son rôle d’accompagnateur. Le vin est fortement tannique, et l’on sent qu’il a une belle charpente. Il se boit avec plaisir sur un tournedos de veau aux pommes, purée et champignons, et une sauce crème au calvados qui fort heureusement n’est pas dominant. Les normands gagneraient toutes les guerres s’ils infligeaient à leurs ennemis un trou normand fait d’un sorbet à la pomme et du calvados, fruit de la distillation des parents de Marine, notre jolie serveuse normande. On comprend pourquoi le champion olympique du cent mètres n’est pas normand.

C’est sur ma suggestion que le cidre offert par le vice-président du Yacht Club de France est associé à un beau camembert. Le cidre n’est pas parfait, un peu amer, mais on sent bien la pertinence de l’accord. S’il fallait achever les survivants de notre table, c’est la crêpe flambée selon la recette de la mère Poulard qui donne l’estocade. Mais les hommes de 1943 sont indestructibles, et nous avons fait honneur au calvados de Marine, frais car il fut l’objet d’une distillation courte. Notre club de conscrits s’appelle Club 2043 car nous avons l’intention de devenir centenaires. Ce n’est pas avec ce délicieux repas que nous en prenons le chemin !

154ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen mardi, 28 février 2012

Le 154ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Ledoyen. A 17 heures, je suis à pied d’œuvre pour ouvrir les vins. Le premier est un Bâtard-Montrachet de producteur inconnu de 1990. Son nez est prodigieux. Lorsque je veux lever avec un limonadier le bouchon du magnum de Pétrus 1983, il reste collé et le bouchon se déchire. Avec une curette, je constate que le bouchon s’émiette tout en restant collé. A l’aide d’un bilame, je le décolle des parois. Il me faut utiliser à la fois la mèche longue et la curette pour arriver à bout de ce bouchon. Le parfum du Pétrus, follement truffe, est la récompense de mes efforts. La Romanée Saint-Vivant 1991 a tout du parfum si caractéristique des vins du domaine de la Romanée Conti. Des deux La Tâche, l’une, la 1956, a un beau niveau et une couleur clairette. Le nez est magnifique. Le bouchon de la 1955 qui a un niveau bas exhale une odeur horrible de bois trempé dans du vinaigre. C’est affreux. Je m’attends au pire. Je sens le vin par le goulot et l’odeur est assez poussiéreuse. Et de seconde en seconde, avec une rapidité surprenante, le fruit apparaît en une éclosion éclair. Est-ce qu’une telle évolution pourrait se reproduire, mais en sens inverse, conduisant le vin à défaillir. Nous verrons. Le nez de La Mouline 1979 est incroyablement bourguignon. J’avais ajouté un vin inconnu de Jacques Bouchard & Cie non prévu au programme, car en le prenant en main en cave, j’avais remarqué que le bouchon flottait. C’est une ajoute pour partager avec mes amis les affres du collectionneur. Le nez n’est pas affecté par la chute du bouchon. Il n’est pas très brillant. Le vin est transvasé dans une carafe pour enlever le bouchon qui ne comporte que le mot Bouchard écrit deux fois. Je ne saurai jamais ce que renferme cette bouteille sans étiquette. A l’occasion du transvasement, j’ai goûté un peu de lie, et ce n’est pas folichon.

L’Yquem 1929 à la couleur acajou très foncée a un nez qui promet une explosion d’agrume. Ce vin au bouchon d’origine m’excite beaucoup. Le Climens 1964 a un nez d’une folle jeunesse. Le vin inconnu étant purement anecdotique donnera ce qu’il pourra. La seule incertitude est pour La Tâche 1955. Compte tenu de l’ampleur du programme, je suis serein.

Nous serons treize à table dont douze buveurs, car l’une des deux femmes ne peut pas boire du fait de son état. Il y a six nouveaux et sept habitués. La profession d’avocat n’est pas majoritaire, mais presque.

Le menu créé par Christian Le Squer est : Huître Belon, huile de sésame / Pâté en croute de Volaille et Foie Gras / Concentré iodé : Saint-Jacques à cru & Tarama d’oursins givré / Feuilleté brioché de truffe noire en gros morceaux / Cochon de lait confit, jus caramélisé d’oignons doux / Filet de Chevreuil frotté d’épices & Confits de Fruits et Légumes / Stilton / Île flottante aux agrumes. Sa mise au point n’a pas pris longtemps, car le chef et Patrick Simiand savent bien ce que je souhaite.

Pour attendre d’éventuels retardataires, j’ai ajouté à la liste des vins un Champagne Dom Ruinart 1990. Mais je n’avais bien lu l’étiquette, car c’est en fait un Champagne Dom Ruinart rosé 1990. Quand je m’en aperçois, je me demande si l’on pourrait le mettre plus tard dans le repas mais aucune solution n’apparaît. Nous le buvons sur de délicieux canapés montrant la dextérité du chef et ce champagne rosé est joyeux, plein, de bonne mâche. Et il se justifie bien à ce stade.

Nous passons à table avec le Champagne Krug magnum 1982 que nous avions commencé à boire debout. La transformation du champagne avec l’huître est saisissante. Avant, il était strict, janséniste, dans des saveurs un peu grises. Avec l’huître il prend du corps, de l’assurance et l’huile de sésame lui donne de l’épaisseur. Comme le fait remarquer un des convives, lorsque le plat est parti, ce sont les saveurs pâtissières qui dominent dans ce grand champagne à la longueur extrême.

Dès qu’on me sert le Champagne Dom Pérignon 1964, je sens que nous tenons là un des plus grands Dom Pérignon qui soient. Sa couleur est presque rose au point que Tomo me demande si je n’ai pas mis un champagne rosé. Mais c’est bien un blanc, charmeur, sensuel, aux complexités infinies. C’est avec la gelée que l’accord est délicat. Ce grand champagne est porteur de joie, de saveurs douces et élégantes. C’est un de mes plus grands Dom Pérignon.

J’avoue volontiers que je ne connais pas les auteurs du Bâtard Montrachet Guy Fontaine et Jacky Vion 1990. Son parfum m’avait surpris par sa classe extrême. Elle est toujours là. En bouche, c’est du bonheur pur qui va se conjuguer aussi bien avec le doucereux de la coquille – et dans cet accord, le vin domine – qu’avec la virilité de l’oursin qui domine mais laisse ce beau Bâtard s’exprimer. Il est d’une grande puissance maîtrisée et d’une jeunesse flamboyante. Jamais je n’aurais imaginé une aussi belle prestation.

La truffe en feuilleté est divinement gourmande. Elle est associée à deux vins prestigieux de deux régions bien différentes. Le Pétrus Magnum 1983 est fantastique. Il est Pétrus, tout en force et en truffe, mais aussi tout en distinction, élégance et raffinement. Inutile de dire qu’avec lui, l’accord est paradisiaque.

La Romanée saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1991 a le nez des vins du domaine, à peine dévié par un léger goût de bouchon que nous sommes quelques uns à avoir remarqué, mais qui n’altère pas le goût du vin. Il est plus puissant que ce que son année suggère. Il se marie bien avec la truffe. Certains amis avaient pensé que le bourguignon serait le plus adapté à la truffe, mais en fait le Pétrus a la combinaison gagnante. Si l’on devait donner une définition du luxe le plus pur, ce serait de manger une truffe en croûte cuisinée par un chef trois étoiles avec un magnum de Pétrus et un vin de la Romanée Conti. On sent dans l’atmosphère de notre groupe que nous en sommes pleinement conscients.

Mais il y a encore mieux ! Car sur le cochon de lait, ce n’est pas une mais deux La Tâche qui nous sont servies. La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1955 et La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956 ont des parfums très proches, celui du 1955 étant sans doute un peu plus accentué. Et ces parfums ont l’ADN du domaine : la rose et le sel. En bouche, c’est celui qui avait le niveau le plus bas, le bouchon à l’horrible odeur qui triomphe, du moins pour une bonne partie de notre groupe. Les deux vins ont tout ce que j’aime dans la Romanée Conti, cette empreinte bourguignonne sans concession. Un convive dira qu’ils évoquent la poudre d’une cartouche fraîchement tirée. Et c’est vrai. Ces deux La Tâche sont parfaites à mon goût, avec un peu plus de profondeur dans le 1955 et un peu plus de grâce pour le 1956. La comparaison des deux est un temps fort du dîner. On verra dans les votes qu’il y eut ballotage.

Le chevreuil est superbe et convient comme un gant à la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1979 dont les accents bourguignons sont saisissants. C’est une Côte Rôtie « calme », qui joue sur l’élégance et que j’apprécie énormément. Du fait qu’elle pianote en douceur, sa longueur est encore plus sensible. A côté, le Vin de Bourgogne de Jacques Bouchard, années 50 n’est pas stupide du tout. Il n’a pratiquement pas de défaut, mais il est un peu limité. Il pourrait très bien être de 1947 car ce serait cohérent avec des achats que j’ai faits. Il ne suscite pas vraiment l’intérêt, tant le Guigal suffit à notre bonheur.

Le stilton est parfait. Le Château Climens 1964 malgré ses 47 printemps peut être considéré comme un sauternes « jeune ». Il a la patte de Climens, avec une allégresse et un équilibre particuliers. C’est un grand Barsac.

Le Château d’Yquem 1929 se présente avec sa robe sombre et opaque. Que dire ? Il est tout simplement divin. Un ami rappelle que nous avions déjà bu ensemble un Yquem 1929 au bouchon remplacé. La différence est saisissante. Cet Yquem est parfait, plein, à l’agrume précieux et fort heureusement au caramel quasi inexistant. Devant tant de perfection, je suis confondu. Et je ne suis pas le seul. Il nous plombe de bonheur.

Après tant de merveilles nous sommes abasourdis. Nous votons pour nos quatre vins préférés. Les votes sont disparates mais les directions sont claires. Si dans un tel dîner le magnum de Krug 1982 n’a aucun vote, ni le Climens 1964, cela situe la hauteur de la performance des autres. Cinq vins ont été classés premier : l’Yquem 1929 sept fois, les deux La Tâche deux fois chacune, et le Pétrus et le Bâtard une fois chacun. L’Yquem figure sur les douze feuilles de vote, La Tâche 1955 sur onze, Pétrus 1983 sur neuf et Dom Pérignon 1964 sur huit.

Le vote du consensus serait : 1 – Château d’Yquem 1929, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1955 , 3 – Pétrus Magnum 1983, 4 – Champagne Dom Pérignon 1964, 5 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956.

Mon vote est le même : 1 – Château d’Yquem 1929, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1955 , 3 – Pétrus Magnum 1983, 4 – Champagne Dom Pérignon 1964.

La cuisine réalisée par Christian Le Squer a été d’une évidence exemplaire. Le talent paraît si simple ! Tout fut juste et les vins ont naturellement brillé sur cette cuisine, dont le plat de truffe émerge par son excellence absolue. Coraline a fait un service du vin de haute qualité.

Dans le grand salon qui surplombe le parc qui marque le début de la remontée des Champs Elysées, nous avons passé un moment exceptionnel.

la table avant de repas :

et après le repas. Peu de vins sont encore remplis !

les plats

154ème dîner – les vins mardi, 28 février 2012

Champagne Dom Ruinart rosé 1990

Champagne Krug magnum 1982

Champagne Dom Pérignon 1964

Bâtard Montrachet Fontaine et Vion 1990

Pétrus Magnum 1983

le bouchon très émietté du Pétrus

Romanée saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1991

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1955

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956

les trois bouchons des vins du domaine de la Romanée Conti

Côte Rôtie La Mouline Guigal 1979

Vin de Bourgogne de Jacques Bouchard, années 50

Château Climens 1964

Château d’Yquem 1929

le bouchon de l’Yquem

les bouchons ainsi que mes instruments