Visite à la maison Albert Bichot à Beaune avec un prodigieux 1923 jeudi, 16 février 2012

Albéric Bichot et son adjoint Michel Crestanello me reçoivent au siège de la maison Albert Bichot à Beaune. Michel brosse un historique succinct de cette maison multiséculaire et nous allons au domicile du grand-père d’Albéric, le long du boulevard circulaire de Beaune, pour ouvrir deux vins rouges prévus pour le déjeuner afin qu’ils profitent de l’oxygénation lente. Le Richebourg 1966 a un bouchon noirci sur sa partie supérieure mais magnifiquement sain sur les trois quarts de sa hauteur. Son parfum fruité est prometteur. Le vin sans étiquette dont je demande à Michel de me taire le nom a un bouchon assez irréel. Sur près d’un centimètre de profondeur, je creuse avec la pointe de mon Laguiole une terre charbonneuse, toute noire qui part en poussière ou en caillots. Je pique ensuite avec la mèche longue le reste du bouchon qui monte, lentement, extrêmement noir d’ébène et gras sur son pourtour. Ce que je tire, c’est de la charpie, s’émiettant et résistant à ma traction. C’est presque un miracle qu’aucune miette ne soit tombée dans le vin. L’odeur est très prometteuse.

Heureux des promesses des deux vins, nous allons visiter l’un des sites, celui de Pommard, avec une jolie vigne qui est un monopole, le Clos des Ursulines. Nous nous rendons ensuite à la cave Saint-Nicolas où la plus ancienne cave voûtée est dédiée aux dégustations. Visiter un domaine sans boire des vins récents, ça ne se conçoit pas.

Le Monthelie Château de Dracy Albert Bichot 2009 a un très beau nez fruité et une amertume sympathique. En bouche, il est gouleyant, généreux, doté d’un joli poivre. Très agréable et franc, il a une belle persistance aromatique. J’aime ce vin simple mais généreux.

Le Pommard Clos des Ursulines Domaine du Pavillon Albert Bichot 2009 a un nez plus discret. Il a plus de race, plus de matière. Il est plus tendu, au final bien rêche. C’est un joli vin très bourguignon.

L’Aloxe-Corton Clos des Maréchaudes Domaine du Pavillon Albert Bichot 2009 a un nez élégant. On y sent beaucoup de fruit. Le message est très direct et le vin est plus gourmand. Il y a des notes de tabac. Le vin est très agréable et de beau caractère. Le tabac domine.

Le Vosne-Romanée Les Malconsorts Domaine du Clos Frantin Albert Bichot 2009 a un nez un peu gibier. La bouche est superbe, ample. C’est un vin qui glisse tout seul tant il est bon. D’une belle élégance, c’est le plus grand des vins, d’une rare gourmandise. Ce qu’il faut signaler c’est que les rouges de 2009 en février 2012 se boivent superbement, avec une générosité rare.

Le Bourgogne Chardonnay Secret de famille Albert Bichot 2010 a un nez difficile à saisir car le vin est froid. J’avoue que j’ai du mal à aimer ce vin trop simple qui ne me donne aucune émotion, même si tout indique que le travail a été bien fait.

Le Meursault Les Charmes Domaine du Pavillon Albert Bichot 2009 a aussi un parfum estompé par le froid. Il a beaucoup de fruit. C’est un vin généreux et floral, au final assez strict. Le vin se boit bien. Il est vivant, avec une évocation de noix.

Le Beaune Clos des Mouches Domaine du Pavillon Albert Bichot 2009 a un nez très délicat et un peu amer. A la première impression, il ne semble pas très structuré mais son joli final est élégant, riche et complexe. D’une belle minéralité, il se montre en définitive riche et beau.

Le Corton Charlemagne Domaine du Pavillon Albert Bichot 2009, même si le bout de son nez est froid, indique un vin puissant et riche. La bouche est élégante, fine et complexe, mais beaucoup trop jeune. Sa fraîcheur vive signe un grand vin, mais beaucoup trop jeune. Manifestement, les blancs se sont bus beaucoup moins bien que les rouges.

Nous nous rendons de nouveau à la maison du grand-père, où Catherine a mitonné un repas sympathique. Le grand-père collectionnait les faïences et les taste-vins, et tout au salon où à la salle-à-manger est d’une décoration raffinée. Albéric nous rejoint pour un embryon d’apéritif avec un Crémant brut rosé Albert Bichot sans année. S’il n’a pas inventé la poudre, il a au moins le mérite de ne pas être déplaisant. Plus d’un se ferait piéger en dégustation à l’aveugle.

Nous passons à table. Sur une délicieuse tarte au saumon fumé d’une recette des grands-parents d’Albéric, nous allons goûter un Chablis Grand cru Moutonne Domaine Long-Dépaquit 2002. Mais avant de le faire, je sors de ma musette un Château Chalon Joseph Tissot 1942. Je l’ouvre à table, au risque de salir la belle nappe blanche, mais Catherine apporte une opportune serviette, car le bouchon brisé en deux risquait de faire des siennes, et je propose que nous buvions le chablis, puis le vin jaune, puis de nouveau le chablis, pour voir l’effet du vin du Jura sur le bourguignon.

Le chablis, que l’on sent grand est assez coincé, comme s’il avait serré d’un cran de trop sa ceinture. Le vin jaune d’une très grande année est impérial. C’est un atlante peint par Rubens. Il est chatoyant, coloré, à l’alcool fort. Et le chablis bu ensuite prend une ampleur, une dimension et une profondeur inimaginables. Albéric n’en revient pas. Le Château Chalon est un multiplicateur du chablis. La cohabitation des deux vins est confondante de plaisir.

C’est maintenant l’heure des rouges. Nous commençons par un Corton Grand Cru Clos des Maréchaudes Domaine du Pavillon Albert Bichot 2006 au fruité doucereux et chaleureux assez surprenant. Plus charmeur, je ne vois pas.

Le Richebourg Albert Bichot 1966 a une couleur foncée au-delà de ce qu’il devrait. La première gorgée est sympathique même si le final fait très porto. Et puis le vin s’évanouit, à une vitesse surprenante. Alors que je n’ai quasiment jamais de vins qui trépassent à la suite d’une ouverture précoce, il faut que ce soit chez un vigneron qu’un tel incident se produise ! Quel impair.

A côté de lui, le vin que Michel m’avait annoncé plus âgé est d’une couleur d’un rubis birman. Un bonheur. Son nez est très bourguignon. En bouche, s’il est bourguignon, il a la confiture de framboise d’une grand raffinement. Quel grand vin. Il justifie pleinement mon amour des vins anciens. Je me risque à deviner l’année. Ma première idée est 1929, mais 1915 n’est pas exclu même si je ne crois pas que la bouteille puisse être de 1915. Albéric me dit que je ne suis pas tombé trop loin, car c’est un Pommard Rugiens Albert Bichot 1923. Ce vin est absolument splendide, de rondeur cardinalice. Par curiosité, j’ai bu un peu du 2006 pour voir quelle réaction se crée entre les deux. Le 2006, tout dans le fruit, ne fait pas d’ombre au 1923, éblouissant de cohérence.

La viande avec son gratin de pomme de terre est un aimable faire-valoir du 1923, alors que l’endive appelle le Château-Chalon.

La maison Bichot a toutes les qualités des maisons familiales à taille humaine. Les vins jeunes sont convaincants, le 1923 est magistral, et la chaleur de l’accueil est amicale. C’est une belle journée bourguignonne.

photos – à l’entrée, un arbre généalogique de la famille Bichot sur plus de 600 ans

je suis heureux d’ouvrir les deux bouteilles prévues pour le déjeuner

le bouchon du 1926 est quasiment explosé !

les jolies caves

mes yeux sont naturellement attirées vers cela !

la jolie salle à manger

déjeuner à l’hôtel de Crillon mercredi, 15 février 2012

L’hôtel de Crillon est dans l’attente d’une fermeture de plus d’un an. Alors qu’au bar, sous l’impulsion de Philippe le célèbre barman, c’est toujours le sourire qui règne, au salon qui sert d’antichambre au restaurant gastronomique, l’ambiance est aux abonnés absents. Le service, assuré par des stagiaires, est approximatif. Nous prenons un plat du jour à base de risotto à la truffe noire fort bien réalisé. Le vin au verre est un Château Bellegrave pomerol 2007 qui n’a pas beaucoup plus d’inspiration que le service. Il faut dire que je suis influencé par ce que je bois habituellement, car le vin conviendrait à plus d’un palais. Ce qui lui manque, c’est l’émotion. Heureusement, un sommelier nous propose un autre vin au verre : Château Haut-Brion 1995. Ça c’est du vin. Il a ce je ne sais quoi d’élégance, d’équilibre, qui manque à d’autres vins. Bien sûr, il a encore le caractère rugueux de la jeunesse. Mais il réjouit le cœur de l’homme.

Il démontre que même avant travaux, le cœur de l’hôtel de Crillon continue de battre.

Hermitage La Chapelle 1961 et Cheval Blanc 1947 au restaurant Michel Rostang mardi, 14 février 2012

C’est par l’académie des vins anciens que j’ai rencontré Frédéric et Laurent. Frédéric travaillait alors en entreprise. Le démon du vin l’a saisi. Il vend du vin maintenant. Je reçois un mail de Frédéric m’indiquant qu’il organise un dîner de six personnes dont il espère que je serai. Voyant la liste des vins, je frémis. Toutes affaires cessantes il faut agencer mon emploi du temps car je ne peux pas ne pas y être. J’ajoute une bouteille au programme et nous nous donnons rendez-vous Frédéric et moi à 18 heures pour l’ouverture des vins.

Le restaurant Michel Rostang bruisse des préparatifs des tables du soir. L’aspirateur est entêtant. Frédéric me dit : « tu ouvres tous les vins, mais j’ouvre l’Hermitage La Chapelle ». Je dis oui. Michel Rostang, qui dîner avec son épouse près de l’endroit où j’officie, nous tend des verres d’un petit blanc du Jura très simple mais qui clarifie la bouche. Pour le cas où, Frédéric a apporté un Champagne Le Mesnil Pierre Moncuit sans année. L’étiquette ressemble à celles du champagne Salon des années 70 au fond blanc. Frédéric l’ouvre et pendant que je tire les bouchons, nous buvons un champagne délicieux, très probablement des années 70, à l’évolution merveilleuse et au goût si séduisant des champagnes anciens. Si le message est un peu monolithique, l’équilibre donne au vin un grand charme.

J’ouvre les bouteilles et de son côté Frédéric ouvre le Montrachet. Quand il voit comme j’ai du plaisir à opérer, il accepte de me laisser faire pour le mythe absolu : Hermitage La Chapelle 1961. Son odeur est d’un calme qui ne correspond pas à l’image qu’on en a. Va-t-il se réveiller ? Espérons. En revanche, si l’odeur du Cheval Blanc 1947 est un peu poussiéreuse, nous savons qu’il reviendra au niveau que nous attendons. Les deux parfums les plus extraordinaires sont ceux du Riesling 1971 et de l’Yquem 1959 que j’ai apporté. Sa couleur est magique.

Les amis sont ponctuels. Autour de la table il y a Frédéric, coorganisateur de l’événement, Laurent, Patrick, irlandais négociant en vins à Londres, Freddy, restaurateur et grand amateur de vins, Iqbal, coorganisateur de l’événement et moi.

Michel Rostang a composé ce menu : la soupe d’artichauts violets aux truffes noires / le foie gras de canard rôti, velours de panais et jeunes carottes glacées, jus acidulé / le gratin de homard en cassolette / le sanwich tiède à la truffe fraîche, pain de campagne grillé et beurre salé / la canette Miéral servie saignante, sauce au vin rouge liée de son sang au foie gras, le véritable gratin dauphinois / les petits chèvres et fromages affinés / la tarte Tatin / la tarte chocolat amer servie moelleuse, sauce faite d’une décoction de café et son sorbet chocolat, tuile au Grué / mignardises.

Avant la soupe qui est un amuse-bouche nous avons de petits canapés pour le Champagne Dom Pérignon 1985 et le Champagne Dom Pérignon 1962 servis ensemble. Les deux couleurs forment une œuvre d’art. Il y a l’or jaune et l’or ambré. Les deux champagnes sont éblouissants. Ils sont dans un état parfait et je préfère ce 1962 au champagne de la même année bu dans la cave de Dom Pérignon. Le 1985 est d’une jeunesse folle malgré ses 26 ans. Il piaffe, il est enthousiaste, mais avec une grande élégance. Le 1962 atteint la perfection des champagnes à maturité. Il a encore une bulle active et sa complexité est époustouflante. Je le trouve plus romantique que des années comme 1964 et 1966 qui sont aussi des chefs-d’œuvre. La bouchée de caille est une merveille avec le 1962. L’artichaut n’est pas le meilleur ami des champagnes qu’il rend plus étroits.

Dans le programme initial, le riesling était prévu avec le foie gras, mais j’ai suggéré de le mettre avec la Coulée de Serrant plus tard dans le repas, car j’ai peur qu’il écrase les deux vins blancs. C’est donc le Château Rayas Chateauneuf-du-Pape blanc 1978 qui accompagne le foie gras. La couleur ambrée annonçait un vin évolué et nous en acceptons l’augure. Le vin a des suggestions de vin jaune. Il évoque la noix ou l’amande verte ou, pour moi, le feu de cheminée. Nous l’écoutons parler, mais malgré une originalité certaine, il est un peu monotone et fatigué. Il est hautement intéressant, mais n’a pas la vitalité qu’il pourrait avoir. Le foie gras est trop puissant pour ce vin et c’est la carotte qui le fait vibrer, comme nous le fait remarquer judicieusement Freddy.

Le Montrachet domaine Jacques Prieur 1996, c’est le confort absolu. « The right man in the right place ». Tout ce qu’on pouvait attendre de lui est là, sans histoire, parfait. C’est un grand vin de plaisir, dans la belle acception du montrachet. Le homard est puissant et délicieux. Le vin et lui cohabitent sans réellement se multiplier.

Le Château Cheval Blanc 1947 est au rendez-vous. J’ai bu ce vin plusieurs fois, et on ne reconnaît pas le côté porto qui signe normalement ce vin. Nous n’avons aucun doute sur son authenticité, car il est trop bon, mais c’est un gentleman élégant, très saint-émilion, sans le caractère tout fou du 1947 si original et différent. C’est un grand vin, sans la touche magique du mythe. Le parfum de truffe du sandwich est d’une force extrême. Là aussi c’est un régal.

On nous sert en même temps deux rouges de deux régions différentes qui vont accompagner le canard au sang, que Frédéric voulait absolument associer au grand mythe. Le Bonnes-Mares Domaine G. Roumier et ses fils 1971 est une merveille de vin bourguignon. Tout en lui exsude la Bourgogne dans ce qu’elle a de meilleur. C’est un véritable bonheur que de boire cette Bourgogne ardente, travailleuse, où l’esprit n’est pas à séduire mais à convaincre. Un grand vin à l’amertume aimable et au plaisir sans mélange, où l’on peut voir derrière ses voiles un peu de sel et de rose fanée.

L’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1961 va monopoliser nos amours. Il se produit sur moi un phénomène physique. Dix fois au moins je me suis caché la tête dans mes mains, pour couper tout contact avec le monde extérieur et jouir de ce qui est probablement le moment le plus intense de ma vie d’amateur de vin. Je suis quasiment physiquement transformé et Laurent qui me fait face m’en fera la remarque. En buvant ce vin, c’est toute la perfection la plus absolue et la plus inimaginable qui coule en moi. C’est l’extase indescriptible tant le vin est parfait. Je serais bien incapable de le décrire tant il est transcendant. Il me semble bien que dans mon Panthéon, qui compte des vins sublimes qui ont marqué l’histoire, ce vin pourrait prendre la première place. Ou c’est tout comme. Car tout en lui est une boule de feu d’émotion. J’en tremble presque en écrivant ces mots. Alors bien sûr le superbe canard au sang, magnifiquement exécuté, reste sur mon assiette. Car ce vin est un trésor divin dont je veux capter chaque lettre de chaque mot du message. Souvent, je dis qu’un grand vin, c’est un vin qui fait dire : « wow ». Eh bien là, ce n’est pas ça. C’est le silence du recueillement, celui si fort que j’ai ressenti quand j’avais quinze ans devant la Vierge Marie de la grotte Massabielle à Lourdes. J’ai mis un long moment à reprendre mes esprits, touché que j’étais par la grâce irréelle de ce vin qui justifie totalement sa renommée.

Brrr.. Il faut maintenant reprendre le cours du repas avec des fromages pour les deux vins qui suivent. La Coulée de Serrant Madame A. Joly 1964 est une merveille, une de plus. Très grand vin d’un équilibre rare et sans signe d’évolution, il fait comprendre qu’on devrait interdire de boire la Coulée de Serrant si elle n’a pas au moins trente ans. Le vin est idéalement équilibré.

Comme souvent avec les vins allemands, le Riesling Dom Scharzhofberger Beerenauslese 1971 est d’un charme surhumain. Lui aussi a un équilibre rare qui fait que toutes ses composantes de riesling devenu délicatement doux sont intégrées. Encore un bonheur de plus.

Ça va devenir fastidieux de dire que le Château d’Yquem 1959 est une merveille. Mais comment traduire sa perfection. Il est à un stade de maturité où tout lui sourit. Qui pourrait lui donner un âge, et qui pourrait dire qu’il est âgé ? Car il atteint une telle forme d’aboutissement qu’il est là, nous tendant les bras, prêt à nous aimer. Il est très proche de la forme la plus parfaite d’Yquem. Mais Yquem est tellement multiforme qu’il a des perfections à tous les âges.

Le Porto Single Vintage Colheita Whitwams Millénium 1880 a été embouteillé en 2002. C’est un grand porto que l’on apprécierait encore plus s’il était apparu bien avant dans le repas. Car nous commençons à saturer. Le gâteau au chocolat est délicieux et s’accorde remarquablement au porto que je ne trouve pas aussi vieux que ce que le millésime suggère.

Et j’ai cette même impression avec le Whisky Highland Single Malt 18 years old Macallan 1965 qui est un grand whisky dont ma mémoire a perdu le fil.

Que dire de tout cela ? La cuisine de Michel Rostang est gourmande et remarquable dans son exécution mais nous n’avons pas eu sur quelques plats les accords qui auraient magnifié les vins. Plusieurs fois, le plat a pris le devant sur le vin. Cette remarque est à la marge. En ce qui concerne les vins, les champagnes ont été parfaits, le montrachet a été doctrinal et d’un confort idéal. Le sommet, ce sont les rouges et les liquoreux.

Je classerais les vins ainsi : 1 : Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1961, star absolue, 2 – Château d’Yquem 1959, 3 – Bonnes-Mares Domaine G. Roumier et ses fils 1971, 4 – Château Cheval Blanc 1947, 5 – Riesling Dom Scharzhofberger Beerenauslese 1971. J’hésite entre l’Yquem et le Roumier pour la deuxième place.

L’ambiance amicale fait présager que l’on recommencera des folies de ce genre. Le service du restaurant est impeccable. L’Hermitage fait de ce dîner un moment totalement exceptionnel.

leurs belles couleurs (à gauche influencée par la bougie)

les bouchons sur la table

les plats

les verres en fin de repas et la verrière de notre salon

déjeuner à La Cagouille jeudi, 9 février 2012

Dans un dîner de wine-dinners, j’avais parié une bouteille d’Yquem sur une citation poétique. J’ai perdu. Voulant troquer ma dette contre un repas, j’ai proposé à l’heureuse bénéficiaire de l’inviter à déjeuner. Elle accepte mon invitation. Mes tempes grises m’ont appris que bien fol est qui s’y fie. Aussi suis-je arrivé au restaurant avec dans ma musette une bouteille d’Yquem.

Je dis à l’heureuse gagnante que nous avons deux solutions : soit boire l’Yquem lors de ce déjeuner, soit nous oublions l’Yquem, et nous ouvrons une bouteille mythique que le restaurant est un des seuls à avoir. Mon heureuse gagnante applique le principe de réalité : un pari est un pari, donc « l’Yquem m’est dû. Maintenant déjeunons ».

Nous sommes au restaurant La Cagouille du truculent André Robert qui malheureusement ne peut pas nous accueillir car il est retenu ailleurs. Nous commençons par des coques toujours aussi délicieuses, que j’aurais rêvé d’associer à Yquem. C’est un Champagne Henriot qui est là, et ne crée pas de réelle vibration à ce moment précis. Nous prenons ensuite de délicieuses fines de claires qui se marient idéalement au Champagne Laurent Perrier Ultra Brut. Et ce que j’étudie, c’est l’interaction avec la petite merveille que j’ai fait préparer : Corton Charlemagne Jean François Coche-Dury 2002. Il arrive un peu chaud, aussi est-il comme un Zodiac à peine gonflé : ça flotte, mais ça n’inspire pas.

Ce qui est intéressant sur les huîtres, c’est que le Corton Charlemagne n’est pas hors sujet. Le champagne est idéal pour les huîtres, car les bulles contrebalancent l’iode, mais le vin blanc a une telle réserve de générosité qu’il s’adapte bien. Et le vin blanc excite le champagne qui le lui rend bien.

Les couteaux sont moins percutants que d’habitude, et le Corton-Charlemagne, frappé dans un seau à glace, commence à atteindre son plateau d’excellence. Le filet de bar est tout simplement délicieux, tant il est exposé dans sa pureté. Pendant ce temps, le vin de Coche Dury se met à jouer de toutes ses palettes chromatiques. On n’est pas du tout dans le fruit tonitruant, on est plus dans la réserve. Ce qui permet de jouir des subtilités de ce grand vin. C’est un vin très complexe, l’un des fleurons de la Bourgogne, mais que j’ai trouvé un peu en dessous de son niveau. A sa décharge, on peut dire que l’on sent plus certaines subtilités quand un vin trompette moins.

J’ai honoré mon pari. La gagnante m’a promis que nous boirons l’Yquem ensemble. Il est des paris qu’il fait savoir perdre.

quelques commentaires et vues de Miami lundi, 6 février 2012

Miami est assez fascinant. Si l’on décidait de recenser les cent plus beaux hôtels particuliers de Paris et Neuilly-sur-Seine, et si l’on comptait à Miami les maisons qui ont un luxe au moins égal, on en trouverait facilement plus de cent fois plus. Et en incluant Palm Beach ce serait peut-être cinq cent fois plus. L’opulence est inimaginable. Les rues sont d’une propreté extrême, les jardins ont un entretien de rêve, les haies sont toutes taillées par des artistes. Dans les rues, pas d’encombrement. On se gare presque partout où l’on veut, et la ville regorge de lieux de loisirs, stades, parcs, plages, sports nautiques. Dans les zones où nous nous rendons, on est loin de sentir la crise. Les hôtels sont luxueux, décorés avec goût et avant-garde. Où est donc la crise ? Par ailleurs, le message écologiste n’est pas parvenu jusqu’ici, car les tailles des pickups sont monstrueuses. Des gouffres à pétrole. Mais comme il n’y a pas d’encombrement et comme on roule doucement, sans agressivité, rien ne dit qu’ils consomment plus que les voitures parisiennes paralysées dans les encombrements. Cette ville est attachante, sereine, facile d’usage. Bien sûr, il y a des faces cachées que nous ne voyons pas. Mais la vie ici est calme, sereine, assumée. Par rapport au stress parisien teinté de pessimisme, ça fait du bien.

Voici quelques photos glanées de-ci-delà :

Les voitures sont souvent gigantesques

Et parfois amusantes

Le phare de la pointe de la plage de Key Biscane

Le bateau en pierre de la Villa Vizcaya

Une belle prend la pose à la Villa Vizcya

La piscine de l’hôtel Raleigh

Promenade en vélo. Au fond on aperçoit Miami Beach

A 7h du matin en bas de notre chambre des pom-pom girls encouragent des marathoniens de leurs cris

Les marathoniens avec un policier pour la sécurité

L’arbre aux vœux dans le parc de la fondation Fairchild

Art et nature à la fondation Fairchild

Hôtel Mondrian la piscine donne sur le bras de mer entre Miami Beach et le continent

L’entrée décorée par Starck de l’hôtel Mondrian

Des policiers font une pause casse-croûte. Leurs pistolets sont imposants

On ne peut pas ne pas finir sur un mythique camion américain.

Nous quittons Miami avec le regret d’avoir écourté notre visite de deux jours du fait de la grève d’Air France, et avec l’angoisse de devoir affronter trente degrés d’écart de température entre Miami et Paris. Miami nous a conquis, car ici, le plus souvent, l’esprit positif domine. Au moment où j’écris, la « marche des gueux » occupe le vignoble d’Yquem pour demander un meilleur partage des richesses. Il n’y a pas que le choc des températures qu’il va falloir supporter à notre retour en France !

dîner au Makato de Bal Harbour dimanche, 5 février 2012

Nous nous rendons à Bal Harbour, une cité de bord de mer au nord de Miami Beach. Il y a là une galerie marchande d’un niveau qu’il serait difficile d’imaginer en France. Tout est luxueux. Les places de parking sont larges et leurs allées semi-couvertes sont fleuries. Dans la galerie, une profusion d’orchidées, de bassins aux poissons et tortues de grande taille crée une atmosphère de luxe. Toutes les plus grandes marques sont présentes. Ici, on sent que l’opulence existe. Il faut dire que les hôtels alentour sont de très haut niveau, ainsi que les habitations, dont deux tours Trump de haut standing. Nous allons dîner au sein même de cet ensemble marchand au restaurant Makato. L’ambiance est chaleureuse, les couleurs sont de bois sombres. Notre serveuse, Beata, est polonaise. Elle est très professionnelle mais aussi très bavarde et nous racontera une partie de sa vie. Nous étions d’humeur à écouter son timbre de voix très étrange.

La nourriture est excellente et ce que j’ai adoré, c’est le bœuf de Kobé coupé en fines tranches que l’on cuit soi-même sur une pierre brûlante. Un délice. La carte des vins étant chiche, nous avons pris deux demi-bouteilles du Champagne Krug Grande Cuvée sans année que nous avons trouvé particulièrement expressif. Est-ce le format de la demi-bouteille qui le rend plus facilement charmeur ? Je le crois volontiers. C’est un très grand champagne, à la forte personnalité où le fruit et l’amertume se combinent élégamment. Ce fut un beau repas, moins brillant que celui à Zuma, mais nettement plus plaisant que celui du restaurant « The Dutch ».

ChevalBlanc et bison vendredi, 3 février 2012

Nous voulions le lendemain faire une pause, car les événements se succèdent très vite. Un mail me prévient que le personnel naviguant d’Air France fera grève au moment de notre vol de retour. Qu’à cela ne tienne, comme il fait un froid terrifiant en France, nous resterons quelques jours de plus. Mais aucune réservation n’est possible avant longtemps. La solution est donc inverse, d’écourter de deux jours notre séjour. La pause n’a plus la même acuité aussi nous retrouvons-nous au domicile de mon fils qui a – oh surprise – décidé d’ouvrir un grand vin. C’est lui qui cuisine des queues de langouste et du bison.

Boire un Château Cheval Blanc 1996 en mangeant du bison, cela a un petit côté Far West qui n’est pas déplaisant. Le parfum du vin est extrêmement raffiné, capiteux élégant. En bouche, la première gorgée délivre un velouté assez exceptionnel. C’est le Vert Galant, ce qui pousserait à un jeu de mots facile mais adapté, c’est le verre galant. Et les vins de Bordeaux entraînant tant de polémiques du fait de leurs prix, on se demande si on aime celui-ci vraiment pour lui-même ou pour le symbole. Le velouté raffiné me séduit énormément. Mon fils entre deux allers et retours en cuisine me dit que pour lui, le verdict est simple : le Penfolds Grange et le Rayas sont nettement au dessus. Il faut dire que dans la moiteur du soir qui doit nous mettre à plus de trente degrés d’écart de température avec Paris, le vin un peu chaud perd de son velouté pour être un peu épais. Je classerais différemment, pour autant que hiérarchiser des vins si différents ait un sens, en mettant aussi en tête le Penfolds Grange 1989, suivi du Cheval Blanc, puis du Rayas encore un peu jeune. Car le velouté du début du Cheval Blanc est d’une race extrême.

Ce qui compte, c’est que ce vin très tramé et très élégant nous a donné du plaisir.

restaurant « The Dutch » à l’hôtel W de Mami Beach vendredi, 3 février 2012

Le lendemain, on se fait beau pour aller à l’hôtel W, à South Miami, qui est au nord de Miami Beach, le long des belles plages de sable blanc. L’entrée monumentale donne déjà le style de l’endroit. Notre table est réservée au restaurant « The Dutch« , où nous pouvons dîner à l’intérieur ou à l’extérieur. Nous choisissons une table dehors. Autant la décoration alentour évoque le grand luxe, autant ce restaurant est d’un standing bien inférieur. Dîner dans la pénombre n’est pas ma tasse de thé. Le sommelier, Nicholas Abuabara, est un passionné, et il sent qu’il aura du répondant. Il est ravi quand je demande des verres à vin pour le champagne, et il est aussi positif quand je lui reproche d’avoir carafé le vin rouge sans me demander mon avis. Mon menu est un pot pourri de pigeonneau, puis un agneau très correctement cuisiné. Le chef serait un élève de Daniel Boulud, ce qui est une carte de visite. Mais l’assiette n’exprime pas le niveau que l’on pourrait attendre.

Le Champagne Egly-Ouriet blanc de noirs Grand cru « Les Crayères » sans année nous fait très forte impression. Le nez plante le décor, envahissant. En bouche, le champagne est très vineux, d’une grande tension, et claque en bouche. C’est un champagne qui cause ! On pourrait croire qu’il est très strict, mais en fait, il s’arrondit progressivement pour devenir plus sensuel dans son raffinement. C’est un très grand champagne.

Le Château Rayas Chateauneuf-du-Pape 2006 a un parfum très engageant. Il est même avenant. En bouche, c’est la jeunesse fruitée qui s’annonce. J’ai un peu de mal à reconnaître un Chateauneuf-du-Pape, mais je perçois assez bien Rayas, avec cette matière sans concession. Le vin exprime son fruit et sa jeunesse et il n’y a pas encore le côté bourguignon si aimable chez Rayas. C’est un vin promis aux plus belles destinées, mais qui a encore besoin de temps pour avoir son caractère énigmatique si élégant. Un jeune gamin qui promet et montre sa noblesse, c’est le 2006 d’aujourd’hui.

La piscine du W est gigantesque, séparée de la mer et sa plage de sable blanc de peu de mètres, et à notre arrivée elle était privatisée pour un cocktail avec un embryon d’orchestre et un D.J. Le lieu est particulièrement cossu, et le restaurant n’a pas le niveau du site.

Quittant le W nous allons jouer les curieux à l’hôtel Mondrian décoré par Philippe Starck. Décidément, Miami n’arrêtera pas de nous éblouir. Les décorations sont osées, provocantes, mais ça pulse. Ce lieu est inspirant. L’immense piscine surplombe le bras de mer qui sépare Miami Beach du continent, et dans la féerie des lumières, les grues du port industriel sont comme des géants qui forment une armée de lumière. Tout ici est fait pour surprendre. Et ça marche !

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Avant The Dutch nous sommes allés déjeuner à la piscine de l’hôtel Biltmore, où nous avions séjourné l’an dernier

la piscine de l’hôtel W

magnifique vin australien à Miami mercredi, 1 février 2012

Nous commençons à organiser les sorties de la deuxième et dernière semaine à Miami. Il y aura un peu de tout, dont des endroits à la mode où « il faut » être vu. Ma belle-fille réserve. Pour ce soir c’est steak chez mon fils. Je lui demande s’il a prévu un vin rouge et il me montre trois hypothèses. Mon humeur est d’un calibre plus élevé aussi allons-nous chez le caviste le plus proche, dont je sais qu’il a de belles pioches. Dans l’armoire des pépites, il y a de quoi satisfaire toutes mes envies. Je choisis trois vins, tout en lorgnant un vin très cher qui serait de mes folies à un prix plus modeste.

Arrivé à la caisse, je présente mes bouteilles et la caissière n’arrive pas à saisir le code et le prix de l’une des trois. Elle appelle au téléphone le patron pour faire débloquer l’article à sa caisse et j’en profite pour faire passer le message : « à un prix nettement moins cher, je suis preneur de ce vin », le vin que j’ai lorgné. Le silence au bout du fil dure suffisamment longtemps pour que je propose au client qui nous suit de passer devant nous, et, après une proposition assez osée de réduction, le verdict tombe : « d’accord ». Je paie les quatre bouteilles et nous retournons chez mon fils. Deux d’entre elles, dont la fameuse, feront notre dîner.

Le Champagne Dom Pérignon 2002 est comme le péage sur autoroute, un point de passage obligé. Il est nettement meilleur que le précédent bu ici, mais il n’a pas la totalité de la vibration que j’escompte. Ce n’est qu’en fin de repas, après le petit monstre qui va apparaître, que j’ai retrouvé les fleurs blanches qui signent si bien ce grand champagne.

Ma belle-fille a cuit d’excellentes pièces de bœuf qui sont idéales pour le vin qui va suivre. Le Penfolds Grange Bin 95 Hermitage 1989 est une légende. Le nez à l’ouverture combine une richesse de plomb avec une gracilité champêtre. En bouche, c’est la folie la plus pure. Car ce vin qui titre 13,5° ce qui n’est pas excessif aujourd’hui, a une ampleur et une pondération en bouche qui sont phénoménales. Les mots sont difficiles à choisir pour dire qu’un vin puisse être lourd et aérien. Et le plus envoûtant vient de la fin de bouche, totalement végétale, avec des feuilles de cassis, d’anis et de menthe. La longueur est immense, et le final est aérien, la menthe donnant une fraîcheur inouïe. J’avais bu ce vin il y a cinq ans, et dans ma quête de l’époque, ce vin ne m’était pas facilement accessible, même si je reconnaissais sa grandeur.

Aujourd’hui, je jouis d’un vin qui est dans un état de plénitude absolue. Il a la puissance mais il est aérien. Il a un fruit énorme, mais son final est végétal. Il est dominant, mais sa fraîcheur est irréelle. Il y a cinq ans, je l’avais goûté avec un Vega Sicilia Unico du même millésime, et le vin espagnol était beaucoup plus dans ma culture que le vin australien. Aujourd’hui, j’aimerais refaire la même comparaison, car je crois que mon cœur vibrerait plus avec l’australien que je comprends beaucoup mieux.

On est, de toute façon, dans l’excellence la plus absolue du vin, dans une acception particulière, où l’on n’a pas peur de la puissance, combinée à un final mentholé. Chaque gorgée est un bonheur absolu. Quel grand vin !

en famille à Miami dimanche, 29 janvier 2012

Miami est une ville assez fascinante. Comment est-il possible qu’il y ait une telle concentration de richesse dans un très grand nombre de quartiers ? On ne peut pas oublier qu’il y a aussi de la misère, mais dans les quartiers proches de la mer, c’est saisissant d’opulence. Les rues sont belles, les jardins sont léchés, et l’atmosphère est paisible. Avec mon fils, nous avons suivi en vélo des routes où la végétation et les maisons nous font passer d’un émerveillement à l’autre.

De retour de cette balade, un Champagne Dom Pérignon 2002 bu sur des crevettes panées de noix de coco ne crée pas l’émotion habituelle. Et à table, sur de grosses coquilles Saint-Jacques à l’ail, le Champagne Delamotte Blanc de Blancs sans année vibre plus que le Dom Pérignon, ce qui indique que pour chaque champagne, il y a des moments de vibrations et des moments où la liaison n’est pas établie. L’important est évidemment d’être ensemble et de partager de grands moments comme avant-hier à Tampa.