dîner d’avant Noël avec mon fils vendredi, 16 décembre 2011

Mon fils va repartir à Miami. Il fêtera Noël avec sa petite famille loin de nous. Alors, profitons de lui un dernier instant. Le Champagne Dom Ruinart 1990 est une des plus grandes réussites de cette maison. Il y a longtemps que je ne l’ai pas bu et c’est un plaisir de le retrouver. Son goût très typé, très affirmé est différent de ce que je bois usuellement. Les fruits sont compotés, légèrement fumés, et la trace en bouche est longue. J’aime sa personnalité qui s’exprime bien sur une crème de chou-fleur aux dés de foie gras poêlé. Le Champagne Dom Pérignon 1969 a une couleur d’un ambre tendant vers le rose, comme celle du 1966 que nous avons partagé ensemble hier, puisque mon fils participait au 153ème dîner. Son bouchon est trop chevillé et se retire trop facilement. Aussi, aucun pschitt n’apparait. Le pétillant est encore là, mais affaibli. Le champagne est nettement moins brillant que le 1966 d’hier, mais il se boit avec grand plaisir sur un bar juste grillé.

Il restait du dîner de vignerons un peu du Corton-Charlemagne Bonneau du Martray magnum 1990. Mon fils l’apprécie plus que moi, car l’effet de quelques jours d’ouverture atténue sa générosité. Il se boit bien, mais sans passion sur de beaux fromages, un comté de trente mois et un camembert.

Le reste du Scharzhofberger Auselese Egon Müller 1989 d’une bouteille sur laquelle Egon avait apposé sa signature comme souvenir, accompagne un stilton très crémeux. Le vin n’a pas pris une ride. C’est un extraterrestre au charme infini, dont le sucre important se combine à une fraîcheur exemplaire.

153ème dîner de wine-dinners au restaurant Michel Rostang mercredi, 14 décembre 2011

C’est la première fois en 153 dîners, puisque ce soir se tient le 153ème dîner de wine-dinners, que nous aurons la chance de profiter du talent de Michel Rostang. Maintes fois l’idée m’en était venue et puis enfin c’est le moment.

J’arrive à 16h30 au restaurant Michel Rostang pour ouvrir les vins en compagnie d’Alain, le sympathique et compétent sommelier, attentif à ma méthode. J’avais, avant de venir, de petits doutes pour le Pernand Vergelesses Domaine Joseph Drouhin 1955, mais c’est en fait lui qui a l’odeur la plus charmante, et sur le Vouvray demi-sec Domaine Albert Moreau 1955 dont la bouteille est peu engageante. Mais le parfum de ce vin est superbe. Aucun problème réel de bouchon ne survient, même si nombreux sont ceux qui se brisent en morceaux. Le parfum de la Romanée Conti est impérialement Romanée Conti et comme s’il s’agissait d’une tradition, le haut de son bouchon, lorsqu’on enlève la capsule, est noir et sent fortement la terre de la cave ancienne de la Romanée Conti. Ce qui est étonnant, c’est que le haut du bouchon de ce 1983 fait au moins trente ans plus vieux, alors que le corps du bouchon est superbe. Le parfum de l’Yquem 1966 est tonitruant. C’est le plus glorieux de tous.

J’ai réservé une surprise à mes amis, et je ne vais pas la dévoiler maintenant, mais son odeur est d’un raffinement unique. Compte-tenu de son âge, va-t-il tenir ? Nous verrons.

Pendant que j’officie je vois en cuisine toute la brigade qui s’affaire et chacun sait que ce soir, ce sera un grand dîner. Quand Caroline Rostang, la fille de Michel, passe au restaurant, elle est au courant de tout ce qui se trame et ses yeux brillent. Elle aurait aimé se joindre à nous et je l’y aurais invitée, mais elle est retenue ailleurs.

Nous sommes installés dans un salon au fond de la salle qui convient parfaitement pour dix convives. Trois femmes et sept hommes dont un seul bizut à notre table. Un couple canadien fidèle et des convives chevronnés ont permis une atmosphère souriante, enjouée voire chahuteuse et taquine.

Michel Rostang a conçu le menu suivant : Les Œufs de Caille pochés en Coque d’Oursin / La langoustine royale rôtie, Beurre de Caviar / Le Sandwich à la Truffe noire / La trilogie des trois Gibiers à Plume, le premier en Parmentier / Le second rôti à l’ail confit / Le dernier en feuilleté chaud / Le Saint-nectaire / La Mangue compotée et craquante, Dacquoise Noisette, Blancs en Neige passionnés / Panettone.

C’est probablement l’un des plus beaux repas que nous ayons connus en 153 dîners.

L’apéritif se prend à table et le Champagne «Rare» de Piper Heidsieck 1979 à la très jolie bouteille est à l’âge voluptueux où l’on sent aussi bien la jeunesse gaillarde que la maturité sensuelle. Ce champagne est très carré, solide, combinant la fluidité d’un vin blanc avec le compoté et le confit discret des champagnes anciens.

Le Champagne Dom Pérignon 1966 est totalement indissociable de la magnifique langoustine car l’accord est certainement l’un des plus grands que nous ayons vécus. La couleur du champagne est rose, comme le dos de la large langoustine, créant, comme je les aime, un accord couleur sur couleur. Et la mâche « pullman » de la langoustine crée une vibration avec le vin qui est d’une sensualité infinie. Il y a du tactile dans cet accord, comme le fait remarquer ma voisine. Il y a cinq jours, j’ai bu le Dom Pérignon Œnothèque 1966 qui est complètement différent de celui-ci. Le 1966 de ce soir a été dégorgé au moment de sa commercialisation. L’Œnothèque est résolument plus tendu, claquant comme un fouet, alors que ce 1966 est plus langoureux, dans des esquisses d’agrumes confits. Il faut aimer les deux, bien sûr, mais mon cœur va pencher ce soir vers le vin que nous buvons, à cause de l’accord exceptionnel avec cette diabolique langoustine, et de l’excitation que provoque le caviar.

Le sandwich à la truffe de Michel Rostang, c’est une institution. Il n’y a pas de façon plus gourmande de s’enivrer de truffe. Et dans cette combinaison, c’est le plat qui est dominant par rapport au Chevalier Montrachet Domaine Bouchard Père & Fils 1988. Le vin se présente avec un peu d’oxydation, fermé, mais dès qu’il s’ébroue dans le verre, on trouve un vin élégant, au fruit devenu joyeux et au final de belle mâche. Le sandwich m’a donné envie de l’essayer plutôt avec un fort vin rouge et j’ai pensé à un Châteauneuf d’Henri Bonneau. Ce sera un prétexte pour revenir ici.

Les trois oiseaux sont le point culminant de ce repas, avec des chairs extraordinaires et des mâches viriles tant ils sont gibiers. Le premier se mange avec deux vins. Le Grands Echézeaux Domaine Henry Lamarche 1979 est clairet avec de petites notes grisées. Le nez est d’un bourguignon viril. Le vin très puritain, très droit, est sans concession, presque militaire et d’un rêche bourguignon militant. J’adore ces bourgognes qui dérangent. A côté de lui, le Pernand Vergelesses Joseph Drouhin 1955 joue plutôt les odalisques. On est dans le charme oriental et un des plus anciens de mes dîners soupçonne un baptême du pinot noir par des ajoutes méditerranéennes. Il ne faut pas l’exclure, mais 1955 est une année de vins riches et capiteux. Toujours est-il que le vin est charmeur, de belle consistance et convient à ravir à la chair du volatile. Combiner le plat aussi bien avec un vin ascète qu’avec un vin paillard, c’est un bonheur de plus.

Lorsque j’avais ouvert les 1961, ils avaient montré tous les deux des odeurs de poussière. L’évolution rapide des parfums m’avait rassuré. Et maintenant, les vins sentent spectaculairement bon. Le Pommard 1er Cru Rugiens Domaine Pierre Clerget 1961 me fait me pâmer d’aise. Quel grand vin racé, viril, ce qui est étonnant pour un pommard, gaillard et insistant comme le regard d’un psychanalyste. Il pénètre le cœur en force. A côté, le Gevrey Chambertin 1er Cru Clos Saint-Jacques Domaine Clair Daü 1961 est très différent. Il se cherche un peu et à un moment je le préfère au pommard car il est plus accessible. Mais il est moins incisif et je finis par préférer le pommard, trouvant toutefois dans le Gevrey un charme envoûtant. La sérénité des deux vins est extrême, et cela tient à l’année, mais aussi à l’aération lente créée par l’ouverture plus de cinq heures auparavant.

C’est maintenant le temps fort du dîner, la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983 sur un oiseau en feuilleté chaud, avec une farce que Michel Rostang m’avait fait goûter vers 18 heures. Une des convives avait regardé dans les archives que 1983 est une année difficile pour la Romanée Conti. Mais lorsque j’avais senti vers 18 heures le parfum de ce vin que j’ai déjà bu plusieurs fois, je n’avais pas le moindre souci : je savais qu’il serait grand. Pour apprécier ce parfum gigantesque et émouvant, il fallait que le plat ne soit pas servi, car dès que l’assiette est posée, c’est impossible d’en saisir toutes les nuances, les odeurs de gibier envahissant la pièce. Cette Romanée Conti, que l’on ne peut pas classer dans les puissantes, est d’une émotion totale. Je vibre comme jamais et je suis étonné que mes amis parlent et parlent, alors que je me recueille, pour essayer de capter toute la subtilité de ce grand vin. On pourrait se dire que mon émotion est liée au prestige de l’étiquette, mais ce n’est pas le cas, et la démonstration est surtout fournie par le vin qui suivra. Cette Romanée Conti, saline, délicate, racée, élégante avec des évocations de roses séchées, d’ardoise, fait vibrer en moi tous les souvenirs de ce vin que je révère.

Le Chambertin Grand Cru Vieilles Vignes Domaine Rossignol Trapet 1990 qui fait suite a bien du mal à trouver sa place. C’est un beau chambertin d’une très grande année, qui brillerait sans doute, mais l’écart de complexité et de raffinement avec le 1983 est trop fort. De plus le Saint-nectaire qui lui est associé n’est pas ce qui le mettrait réellement en valeur. Très jeune, gouleyant, il mériterait un meilleur sort que celui qu’il a trouvé à cette place et avec ce fromage.

Le Vouvray demi-sec Domaine Albert Moreau 1955 est devenu une triste surprise. Car le vin dont le parfum à l’ouverture m’avait agréablement convaincu a perdu de sa superbe. Il est buvable bien sûr et on devine ce qu’il a envie de nous dire, mais une vilaine fatigue l’empêche de nous plaire. Il aura seulement apporté un témoignage fugace de sa belle Loire.

Le Château d’Yquem Sauternes 1966 est d’un or magnifique, très acajou clair. Ce millésime est beaucoup plus foncé que le 1967, et cela lui va bien. En bouche, c’est un vin gourmand, très abricot et mangue. L’alcool est sensible et lui donne une puissance rare. J’aime beaucoup ce millésime qu’on a mis un peu à l’ombre de 1967 et qui mérite une place de grand Yquem. C’est le plus beau parfum généreux et sa persistance aromatique n’est que de plaisir.

Il est temps maintenant d’apporter mon cadeau, car c’est bientôt Noël et c’est le dernier dîner de l’année 2011. Alain montre à tous une bouteille sans étiquette, au verre transparent et sans couleur, dont le liquide est d’une couleur châtaigne. Instantanément, le plus fidèle des fidèles dit Sigalas-Rabaud, et précise même l’année, tant il me connait bien, ce qui surprend les autres convives. Le Château Sigalas Rabaud Sauternes 1896 est émouvant. Son nez est d’une subtilité rare. Il a mangé un peu de son sucre, donc le parfum est un peu strict, mais élégamment délicat. En bouche c’est un bonheur insaisissable, avec de légères évocations de thé et d’agrumes séchés. Finir le dernier dîner sur un vin de 115 ans, c’est tout droit dans la ligne de ces dîners.

Nous procédons au classement, chacun selon ses critères, l’une de mes voisines choisissant en fonction des accords avec les plats. Dix vins sur douze sont dans les classements alors que seulement les quatre premiers sont nommés, ce qui est pour moi très plaisant. Les deux sans vote sont le Vouvray, ce qui est logique et le chambertin, du fait de sa place dans le repas. Cinq vins ont des votes de premier, ce qui est aussi plaisant : le Pommard Rugiens quatre fois, le Dom Pérignon et le Clos Saint-Jacques deux fois, et la Romanée Conti et le Sigalas Rabaud chacun une fois. Deux vins sont dans les dix feuilles de vote, le pommard et la Romanée Conti. Je suis très étonné d’être le seul à avoir mis la Romanée Conti en numéro un.

Le vote du consensus serait : 1 – Pommard Rugiens Pierre Clerget 1961, 2 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983, 3 – Champagne Dom Pérignon 1966, 4 – Clos Saint Jacques Gevrey Chambertin Clair Daü 1961, 5 – Château d’Yquem 1966.

Mon vote est : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – Pommard Rugiens Pierre Clerget 1961, 3 – Château d’Yquem 1966, 4 – Champagne Dom Pérignon 1966.

La belle salle à la table ronde est propice aux échanges. On avait ouvert les paravents de la salle pour éviter que nous soyons gênés par le bruit des tables de la grande salle toutes réservées à un groupe. Mais j’ai bien l’impression que les paravents ont surtout protégé les autres clients, tant nos rires et nos plaisanteries fusaient. Le service a été exemplaire, ainsi que le service du vin. La cuisine a été brillantissime et quand Michel Rostang, qui était venu plusieurs fois nous donner des conseils pour déguster ses plats, est venu nous dire au revoir, nous l’avons applaudi chaudement, tant ce repas fut magistral.

Le plus bel accord est celui de la langoustine avec le Dom Pérignon, grâce à cette mâche unique. Et l’accord de la Romanée Conti avec le feuilleté fait partie des accords dont on se souviendra toute sa vie. Après un 150ème dîner de folie avec des vins rarissimes, ce153ème dîner entrera dans le top 10 des plus beaux dîners que j’ai l’honneur d’organiser.

notre table

la forêt de verres en fin de repas

153ème dîner de wine-dinners – les vins mercredi, 14 décembre 2011

Champagne «Rare» de Piper Heidsieck 1979

Champagne Dom Pérignon 1966

Chevalier Montrachet Domaine Bouchard Père & Fils 1988

Pernand Vergelesses Joseph Drouhin 1955

Grands Echézeaux Domaine Henry Lamarche 1979

Pommard 1er Cru Rugiens Domaine Pierre Clerget 1961

Gevrey Chambertin 1er Cru Clos Saint-Jacques Domaine Clair Daü 1961

Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983

Chambertin Grand Cru Vieilles Vignes Domaine Rossignol Trapet 1990

Vouvray demi-sec Domaine Albert Moreau 1955

Château d’Yquem Sauternes 1966

Château Sigalas-Rabaud 1896

passionnante dégustation de vins d’Egon Müller mardi, 13 décembre 2011

Les caves Legrand Filles & Fils organisent de belles dégustations. Il n’était pas question que je manque celle des vins d’Egon Müller, présentés par Egon Müller lui-même. Il est à noter que son père s’appelle Egon et que son fils aussi, « ça permet de ne pas changer les étiquettes ».

Les vins de Moselle en Allemagne couvrent 9.000 hectares d’un vignoble qui date de la période romaine. On ne sait pas très bien quels cépages existaient du temps de romains. Les propriétaires des vignobles étaient l’église et la noblesse jusqu’à la fin du 18ème siècle époque où l’on a commencé à introduire massivement le riesling, seul cépage qui permet de faire des grands vins en Moselle. Du fait des successions, les propriétés sont très morcelées et la moyenne est de deux hectares par propriété. Le climat est pluvieux avec des étés froids, aussi les vendanges se font-elles fin octobre et début novembre. Les raisins sont de maturités très variables. Le Beerenauslese n’existe que depuis 1959. La Sarre abrite un dixième de la Moselle et Egon Müller possède 16 hectares sur les 900 du vignoble de la Sarre. L’appellation Scharzhofberg couvre 28 ha et Egon Müller en possède 8,5 ha. C’est ce que nous allons goûter ce soir.

Egon Müller explique les différents niveaux de vins, avec le vin de table, le Qualitäts wein qui correspond au VDQS et le Prädikat qui correspond aux vins d’appellations. Le classement est ensuite fait en fonction de la maturité des raisins. Le Kabinett peut être un vin sec, demi-doux ou doux mais Egon Müller a arrêté de faire des vins secs. Pour lui, l’équilibre se trouve autour de 30 grammes de sucre.

La famille Müller a acheté le domaine en 1797 à l’église. L’acheteur, de la « nième » génération au dessus de notre hôte avait sept enfants. On imagine qu’il avait acheté une belle parcelle de la Moselle. Aujourd’hui le domaine produit autour de 80.000 bouteilles par an, avec des rendements bas. J’ai cru comprendre qu’un année récente n’avait donné que 30.000 bouteilles.

Le « Scharzhof » Egon Müller 2009 est le vin de base dans les rieslings de la Moselle. Egon Müller dit que c’est un grand millésime. Le vin est très clair, à peine jaune. Le nez est très fruité, acidulé, et en bouche il est marqué par une légère fraîcheur perlante. Ce vin a tout du bonbon acidulé. Il est agréable à boire même s’il manque d’ampleur. Il irait bien avec des poissons de rivière. Il évoque des fleurs blanches.

Le Scharzhofberger Kabinett Egon Müller 2010 a été mis en bouteille en juin 2011. Il est nettement plus jaune, même s’il est clair. Le nez est beaucoup plus raffiné et cohérent. On sent le doucereux mais discret. La bouche est marquée par un léger perlant. Il y a un peu de poivre. C’est aussi un bonbon acidulé mais plus construit. Le final combine l’acidulé et le sucré. Il est très agréable à boire.

Le Scharzhofberger Kabinett Egon Müller 1995 est d’un jaune identique à celui du 2010. Le nez est impressionnant. Il a la puissance et la cohérence. On hume du capiteux, des parfums subtils d’écorce d’orange. En bouche, il est incroyablement parfumé, avec de l’orange, du pomelos. Il est follement complexe et séduisant. On dirait un mariage de la mandarine et du kumquat. La longueur est infinie, très aérienne. Le 2010 est plus riche, mais trop jeune et pas encore intégré.

Le Scharzhofberger Spätlese Egon Müller 2010 est fait de raisins en surmaturité. La couleur est jaune clair, le nez est jeune, pas encore assemblé. On imagine le végétal et le sucre. En bouche il est mentholé, frais, plus sucré, gourmand, encore bonbon acidulé. Le sucre est très apparent. La combinaison de l’acidité et du sucre est très belle.

Le Scharzhofberger Spätlese Egon Müller 1994 a été choisi car Egon Müller pense que c’est un millésime très proche de 2010. Le jaune est légèrement plus prononcé, le nez est intégré, plein de fraîcheur acidulée. En bouche, il est magnifique de fraîcheur. Il est très intégré. Il a aussi le côté pomelos, frais, de belle longueur. Le sucre est cohérent, le vin est gourmand. Je fais sourire Egon Müller en disant que c’est un vin qui donne soif tellement il se boit bien. On a encore le bonbon acidulé, mais plus noble.

Le Scharzhofberger Auslese Egon Müller 2010 est un vin fait de grains botrytisés triés. Il est jaune clair. Le nez est discret et l’on sent le gras du vin. Son goût est encore perlant. Il a une belle acidité. Le sucre est là, mais on ne le sent pas.

Le Scharzhofberger Auslese Egon Müller 1999 est de la meilleure année des années 90. Le vin est jaune clair, le nez est marqué par la fraîcheur. Ce qui frappe en bouche, c’est la fraîcheur. Il fait très jeune. On avale sa salive en buvant ces vins. Il est gourmand, fluide, marqué surtout par la fraîcheur. Il a une belle acidité finale. On aimerait qu’il ait quelques années de plus. Lorsqu’on demande à Egon Müller quand est la meilleure ancienneté pour boire ces vins, il ne répond pas, s’abritant derrière : « c’est le goût de chacun ».

Le père ou le grand-père d’Egon Müller avaient hiérarchisé les qualités d’Auslese en créant le Fein Auslese et le Feinste Auslese. Comme cette classification ne peut pas exister, on a contourné la difficulté en créant les capsules d’or. Egon Müller nous indique qu’il existe aussi des Lange Goldskapsel, mais qu’il garde pour lui !

Le Scharzhofberger Auslese Goldkapsel Egon Müller 2010 titre 7,5°. Il est d’un jaune soutenu. Le nez est très fort, suggérant l’acidité et le sucre non encore intégrés. La bouche est perlante mais on sent l’élégance et la noblesse du fruit, avec un sucre plus élevé. Il y a une fraîcheur acidulée. Le vin est gourmand et frais. La persistance aromatique est folle, avec une acidité très bien dosée.

Le Scharzhofberger Auslese Goldkapsel Egon Müller 1989 est un cadeau absolu, car seulement 180 bouteilles ont été mises sur le marché. Le reste, non quantifié, est gardé par Egon Müller pour des dégustations comme celle-ci. La couleur est jaune d’or, le nez est très équilibré et c’est la première fois que je sens du miel. En bouche, tout est équilibré, délicat et fin. Il se boit avec gourmandise et une grande envie d’en reprendre. Le vin est gras, épais, tout en étant fluide. C’est un vin immense et complexe, de miel, de blé mûr, avec très peu d’acidité et un final infini.

Egon Müller nous signale suite à une question que ses vins ne font pas de fermentation malolactique et que s’ils la font, le vin est rejeté.

Le Scharzhofberger Trockenbeerenauslese Egon Müller 2010 titre 5,5°. C’est le vin le plus cher au monde, plus de deux fois plus cher qu’une Romanée Conti. Cela tient à sa rareté. Le vin quand il est versé dans le verre donne à l’œil l’impression qu’il est visqueux, étonnamment gras. Le nez est riche et acidulé. Le vin, même s’il est légèrement perlant du fait de sa jeunesse, se montre gras. Il est très acidulé, de citron et de fruits jaunes. La persistance en bouche est incroyable. C’est un bloc de sucre, mais avec de l’acidité et de la longueur. C’est un vin épais. Comme il est peu probable de susciter des accords culinaires, je dis à Egon Müller que c’est un vin de méditation. Il me répond : « c’est un vin de discussion ». Jolie formule.

Ce vin qui n’existe que depuis 1959 a donné lieu au millésimes suivants : 59, 71, 75, 76, 89, 90, 94, 95, 97, 99, 00, 01, 03, 05, 06, 07, 09, 10, 11. L’accélération des fréquences est liée au réchauffement climatique. Egon Müller nous dit qu’il n’aurait pas dû faire 2000, mais il l’a fait pour son fils né cette année-là et il n’a rien commercialisé.

Ces vins sont dans un registre gustatif à part. Les comparer aux sauternes n’aurait pas de sens. Ils sont précis, complexes, gourmands et d’une pureté extrême. On les boit avec un grand bonheur. Le vin le plus brillant pour moi est le Scharzhofberger Auslese Goldkapsel Egon Müller 1989 surtout à cause de l’effet de l’âge. Egon Müller est un personnage calme, posé, souriant et passionnant. Ce fut une impressionnante dégustation.

un enchanteleur impromptu lundi, 12 décembre 2011

Mon fils vit à Miami. Il vient une fois par mois régler les problèmes de gestion des affaires familiales. Nous dînons ensemble chez moi qui est son chez lui français. Il faut faire light, aussi au menu, c’est Pata Negra et œuf dur. Les retrouvailles, ça s’arrose. Un petit champagne ? C’est la question perfide, car je sais que la réponse sera oui. Je vais chercher un champagne au frais. C’est un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1983. La bouteille ne ressemble pas aux Enchanteleurs habituels, car le corps de la bouteille est un vrai cylindre, alors que les bouteilles habituelles sont bombées. Je trouve que celle-ci a plus de classe.

Le bouchon est très serré, et le pschitt lorsqu’il s’extrait est discret. Le champagne est d’un or de blé de juillet. Le nez est engageant. Le goût du champagne est « enchantelant », tant il est charmeur. On est sur des notes un peu fumées, de tabac, de fruit séché, et tout en lui est élégance. A boire, c’est un vrai plaisir. La distinction est extrême, avec des suggestions de palais royaux du 18ème siècle. On se voit réciter des madrigaux charmants en contant fleurette à une baronne parfumée. Nous grignotons de petites choses pour faire durer le plaisir et quand la bouteille est vide, arrive une sensation de manque. Le champagne se boit si facilement qu’il réclame une suite. Nous sommes raisonnables dans notre déraison aussi aucun « bis » ne sera accepté. Reste le souvenir d’un champagne de plaisir, élégant et à maturité, et ce doux sentiment de manque d’un revenez-y.

Nous l’avons comblé avec les restes du Porto Collection Massandra 1947 du 150ème dîner, toujours aussi chatoyant et doucereux, bien riche de complexité, dont la lie se composait de morceaux en fines lamelles, comme les pellicules de vieux films voilés.

Le jour le plus long de mon année de vin samedi, 10 décembre 2011

Aujourd’hui, c’est le jour le plus important de l’année, quand il s’agit de vin. Alors que les aventures se succèdent et que je vais d’émerveillement en émerveillement, j’ai toujours le même enthousiasme et au réveil, mon cœur bat comme pour un premier rendez-vous amoureux. Depuis onze ans, j’organise un dîner annuel de vignerons appelé le dîner des amis de Bipin Desai, célèbre collectionneur américain d’origine indienne. Et, disons-le tout simplement, je suis fier que des vignerons dont je célèbre les vins soient devenus des amis. Le simple énoncé des vins et de ceux qui les apportent montre l’ampleur de l’événement :

Champagne Salon magnum 1983 (Didier Depond qui devait venir mais a eu un empêchement), Champagne Dom Pérignon Œnothèque magnum 1966 (Richard Geoffroy), Corton Charlemagne Bonneau du Martray magnum 1990 (Jean-Charles de la Morinière), Musigny Blanc GC Domaine Comte de Vogüé 1991 (Jean-Luc Pépin), Château de Beaucastel Chateauneuf-du-Pape blanc 1987 (Jean-Pierre Perrin), Château La Gaffelière Naudes 1953 (François Audouze), Château Palmer 1964 (François Audouze), Clos de Tart 1996 (Sylvain Pitiot), Musigny Vieilles Vignes Domaine Comte de Vogüé 1985 (Jean-Luc Pépin), Chambertin domaine Armand Rousseau 1983 (Eric Rousseau), Volnay Caillerets Bouchard Père & Fils 1959 (Joseph Henriot), La Romanée Comte Liger-Belair 1974 (Louis-Michel Liger-Belair), Richebourg Théophile Gavin 1947 (François Audouze), Clos de Tart 1945 (Sylvain Pitiot), Hermitage Les Bessards Delas Frères 1990 (Jacques Grange), Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1959 (Joseph Henriot), Château d’Yquem 1967 (Pierre Lurton non présent).

Le cas de Pierre Lurton mérite d’être signalé. Dès que j’ai lancé les invitations, Pierre savait qu’il ne pourrait venir. Or il a tenu à être présent dans nos pensées en offrant un vin, et pas n’importe lequel.

Entretemps, Bipin Desai a souhaité déjeuner avec moi. Nous allons au restaurant Apicius. La liste ci-dessus est colossale pour douze personnes à table. En rajoutant un déjeuner, comment va se terminer la journée ?

déjeuner au restaurant Apicius vendredi, 9 décembre 2011

Avec Bipin Desai, nous nous retrouvons au restaurant Apicius dont la décoration est chaleureuse, avec des couleurs qui m’évoquent le mouvement Cobra, chatoyantes et distinguées. Tout porte au bien-être. Etant en avance j’ai le temps d’étudier la carte des vins copieuse et intelligente où des prix inabordables du fait de la folie actuelle cohabitent avec de très bonnes pioches. Nous choisissons des menus différents. Le mien est une demi-portion d’une entrée de coquilles Saint-Jacques avec une langoustine crue et de la truffe blanche, l’autre demie que j’ai écartée du fait des autres choix est le yang du yin, la coquille Saint-Jacques en pâtisserie avec de la truffe noire. Ensuite, langoustines bretonnes cuites en coques, thé fumé de crustacés comme une « Miso soupe », puis filets de rougets mijotés « minute » dans l’eau de mer, huître et cresson curry. En amuse-bouche c’est une brandade de morue avec une émulsion de fleurs de courgettes.

Ce qui frappe dans cette cuisine, c’est son élégance. Ici, pas de recherche farfelue conduisant sur des sentiers inexplorés, mais une interprétation sereine de produits connus. Bipin Desai a pris en plat principal le cabillaud demi-sel cuit à la vapeur puis laqué, avec une multitude d’herbes en vinaigrette de soja. Alors qu’avec mes rougets, on est douché par les embruns, tant l’iode domine le débat pour un plat résolument marin – et j’adore, le cabillaud est le plat le plus gourmand que l’on puisse imaginer. Je suis un adorateur de la chair du cabillaud, et là, on s’en repaît.

On nous propose à notre arrivée un petit verre de blanc, un Rully Deux Montille Sœur-frère 2008 blanc. Le nez est charmant, l’attaque est très fruitée. Le vin est très simple, très sec, mais comme il est bien fait, il se boit sans chichi. La bonne pioche, c’est le Corton-Charlemagne Jean François Coche-Dury 2008. On me fait goûter. Je sens et je souris. Car les vins de Coche, ça se reconnaît au nez à cent lieues de distance. Ce vin est « la » perfection du Corton Charlemagne. Son acidité est exemplaire. Il a été carafé et je dois dire qu’il m’enthousiasme dans sa fraîcheur, plus que lorsqu’il est épanoui. Car pour ce vin jeune, le coup de fouet que donne la fraîcheur et son acidité révélée est spectaculaire. Quelle richesse ! Avec une vin de ce calibre, on ne décrit pas, on en jouit.

Comment pouvons-nous être aussi fous, car à 16 heures nous étions encore à table, de festoyer ainsi (nous avons même demandé du fromage pour finir le vin !), alors que dans quatre heures, c’est un vrai marathon qui nous attend.

un dîner de vignerons gargantuesque vendredi, 9 décembre 2011

J’arrive au restaurant Laurent à 16h30 et avec Ghislain, nous rassemblons les bouteilles pour faire la photo de groupe. C’est assez dément, car nous serons douze et il y a dix-sept vins dont quatre magnums, ce qui fait en équivalent bouteilles un total de vingt-et-un. J’ouvre les bouteilles et fort curieusement, il y a de nombreux bouchons ultraserrés. Celui du Corton Charlemagne en magnum me fait souffrir, comme celui du Musigny vieilles vignes 1985. Le bouchon de ce vin a été changé en 2004 et celui de la Romanée 1974 a été changé en 1999. Et curieusement; le Volnay-Caillerets 1959 a son bouchon d’origine, alors que la stratégie de la maison Bouchard est de changer les bouchons beaucoup plus fréquemment. Le bouchon du Clos de Tart 1996 est très serré et se brise à la montée, tant il est sec. Celui du Clos de Tart 1945 à l’inverse, très imbibé et noir, est très peu serré et tourne presque dans le goulot. Deux nez sont particulièrement émouvants : celui de La Romanée Liger Belair 1974 et celui tonitruant de l’Yquem 1967. Il faudrait classer ce parfum au patrimoine mondial de l’Unesco. Le nez incertain est celui du 1945.

Lorsque j’avais rassemblé mes trois apports provenant de la cave de mon domicile, très différente de ma cave principale, j’avais remarqué une demi-bouteille dont le niveau a baissé de moitié. S’il est des gens avec lesquels on peut essayer de la boire, c’est bien avec des vignerons. Il s’agit d’un Corton, Emile Chandessais, négociant à Fontaines, près Mercurey 1929. Je ne l’ai pas encore ouverte. J’attends le dernier moment pour qu’il n’y ait pas d’évanouissement prématuré.

Les amis arrivent, échelonnés dans le temps, et dès que nous sommes en nombre suffisant, j’ouvre le Corton 1929. C’est une demi-bouteille, à moitié pleine. Le bouchon est difficile à extirper, car il s’enfonce à chaque fois que je veux le piquer. Je mets plusieurs minutes avant de trouver un point d’accroche. Le bouchon est noir et le goulot revêtu d’une sale suie. Le verdict olfactif tombe comme un couperet : cet humus, cette puanteur condamnent le vin. Aucun miracle n’est à attendre. Nul de nous ne s’est aventuré à le goûter.

L’apéritif dans la belle salle ronde de l’entrée est le Champagne Salon magnum 1983 qui nous donne l’occasion de trinquer à la santé de Didier Depond qui ne pouvait être avec nous. Ce 1983 conforte mon amour pour Salon. L’année 1983 m’a donné des sentiments divers depuis que j’en bois. Agrément, puis doute, et cette belle bouteille donne un véritable plaisir. Il n’y a aucun signe de vieillissement alors que parfois les Salon « adultes » affichent leur âge. Richard Geoffroy signale les similitudes entre ce Salon très rectiligne et le Dom Pérignon du même millésime. J’aime la belle cohérence de ce champagne avec des traces légères de fruits confits. Les rouelles de pieds de porc forment un accord gourmand.

Nous rejoignons notre table située dans la rotonde, au centre de celle-ci. Notre joyeuse bande est délurée, si, si, je donnerai des noms, les plus gentiment dissipés étant Louis-Michel Liger-Belair qui, avec délicatesse se demande si je pourrais être son père ou son grand-père et Richard Geoffroy, plus taquin que son clone en hologramme d’il y a deux jours.

Le menu préparé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon est : Araignée de mer dans ses sucs en gelée, crème de fenouil / Homard servi dans l’esprit d’une bourride / Œuf à la première truffe noire / Foie gras de canard poêlé et petits haricots « resina » / Pigeon cuit en cocotte, betteraves verjutées, mille-feuille de pommes gaufrettes au chou rouge / Risotto à la truffe blanche d’Alba / Lièvre à la « Royale » cuisiné selon la recette du sénateur Couteaux, « fusilli » pour la sauce / Vieux Comté / Mille-feuille à la mangue et au piment d’Espelette / Mignardises et chocolats.

Autant le dire tout de suite, ce fut excellent, d’une justesse permanente. Cette cuisine traditionnelle est sereine. Ajoutons à cela un service parfait et l’équation n’a qu’une solution : c’est la table la plus accueillante et agréable de Paris.

Le Champagne Dom Pérignon Œnothèque magnum 1966 est l’expression aboutie du charme. Dégorgé en 2004, ce champagne est parfait, d’une maturité absolue. Et ce qui est intéressant c’est qu’on ne sait jamais quelle facette il est en train d’exposer. C’est un Fregoli. Veut-on de l’ampleur, elle est là. Veut-on de la grâce et de la finesse, elle est là. La fluidité aussi et une invraisemblable longueur. Ce champagne est une leçon de choses et l’accord avec l’araignée, plat emblématique du Laurent, est d’une justesse absolue.

Le homard est servi avec deux vins. Le Corton Charlemagne Bonneau du Martray magnum 1990 est charmant, délicat et romantique, ce qui est un paradoxe, car il sait être puissant. A côté de lui, le Musigny Blanc GC Domaine Comte de Vogüé 1991 est d’une empreinte plus forte, d’un goût plus prononcé où les fruits confits se retrouvent. On est presque en face d’un couple féminin – masculin, le féminin étant le Corton. Les deux vins sont splendides, d’une précision extrême dans les deux cas.

Le Château de Beaucastel Chateauneuf-du-Pape blanc 1987 est une belle surprise, car ce vin n’a aucun signe d’âge et se signale par une élégance extrême. Il est très au dessus de l’idée que je m’en faisais, qui était une belle idée. Avec Eric Rousseau et Jean-Luc Pépin, nous nous disons que jamais nous ne dirions Châteauneuf en buvant ce vin à l’aveugle. Sa précision et sa finesse sont exemplaires. C’est surtout son attaque qui est envoûtante, car le final est assez court. L’accord avec un nouveau plat, celui de l’œuf, est pertinent et le plat est réussi.

Aucun vigneron bordelais ne figurant à notre table, il fallait bien que j’ajoute des bordeaux pour que la fête ne les oublie pas. Le Château La Gaffelière Naudes 1953 me fait douter à la première gorgée, mais le vin s’assemble peu de temps après. J’adore ce vin qui est un vrai Saint-Emilion dans la plénitude de son charme. Au premier contact, je préférais de loin le Château Palmer 1964 extrêmement précis. Mais de deux coins de la table, si l’on peut dire ainsi d’une table ovale, Bipin Desai et Richard Geoffroy jugent ce vin plutôt sec. Avec Sylvain Pitiot, nous refusons cette analyse. Ce Palmer assez rectiligne me plait énormément. Il est charnu, droit, de grande séduction par son discours direct. J’ai aimé ces deux bordeaux qui ont plu à mes amis, avec des commentaires divers et des appréciations souvent différentes. L’association osée avec le foie gras était justifiée.

Sur le pigeon nous avons trois vins. Le Clos de Tart 1996 est pétulant de jeunesse et de générosité. C’est un vin direct, sans détour, qui emplit la bouche et s’y impose. Un vin racé mais de plaisir. Le Musigny Vieilles Vignes Domaine Comte de Vogüé 1985 est assez incroyable, car il explose de fruit. C’est du fruit rouge de belle mâche et un plaisir premier, même si la complexité existe. La tâche est plus rude pour Eric Rousseau qui a eu le courage de choisir un millésime moins généreux que les deux autres. Mais le Chambertin domaine Armand Rousseau 1983 a de le ressource. Il fait plus évolué et plus bourguignon, dans l’acception que j’aime, un peu saline. C’est un grand vin subtil, plus discret et moins puissant que les deux autres et très délicat.

Le bœuf est accompagné de deux vins. La Romanée Comte Liger-Belair 1974 avait le nez le plus envoûtant à l’ouverture. Il l’a toujours. J’adore ses impressions salines. On est de plain-pied dans le vin déroutant que j’adore, ultra bourguignon. Ses énigmes folles m’envoûtent. A côte de lui, le Volnay Caillerets Bouchard Père & Fils 1959 est d’un plus grand classicisme. Je parlais tellement – et Bipin Desai m’en fera le gentil reproche en disant que je me « bettanise » – que, dans la brume de ce matin, où j’essaie de reconstituer mes impressions sans avoir pris de notes, j’ai du mal à retrouver mon souvenir de ce vin.

Le risotto accueille deux vins. Le Clos de Tart 1945 est trop fatigué pour que son message nous intéresse réellement. Son bouchon avait permis une évaporation qui a torréfié le vin, lui ôtant la splendeur du 1945 que j’avais bu au domaine, que j’avais qualifié d’immense. A côté de lui, le Richebourg Théophile Gavin 1947 est enjôleur. Il a du charme à en revendre, avec de la générosité. Et même si l’on peut supposer qu’il a été un peu hermitagé, il est agréable et épanoui.

Pour résister à la puissance du lièvre à la royale, il fallait un vin aussi puissant que l’Hermitage Les Bessards Delas Frères 1990 riche, équilibré, épanoui et plus grand que celui que j’avais bu au siège de la maison Deutz. Ce vin est un heureux bonheur.

Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1959 est « the right man at the right place », car il apporte sa fraîcheur bien nécessaire après les trois blancs et les dix rouges que nous avons bus. J’adore ce champagne clair, lisible, à qui l’année 1959 va comme un gant. C’est un très grand champagne gouleyant, de beaux fruits jaunes.

Nous lançons dans les airs un message d’amitié à Pierre Lurton qui nous a fait cadeau d’un Château d’Yquem 1967. Pour paraphraser Marguerite Duras, ce sauternes est parfait, forcément parfait. Plein, riche en fruit, d’une longueur à se pâmer, il atteint maintenant une sérénité complète, avec une richesse maîtrisée remarquable. Le dessert lui va bien, mais il est en Harley-Davidson, c’est-à-dire, comme le chantait Brigitte Bardot, qu’il n’a besoin de personne pour exprimer son impérial talent.

Je ne pouvais pas regarder les autres tables d’où j’étais, mais il est certain que nos rires, nos éclats ainsi que la forêt invraisemblable de deux cents verres sur table ont dû en impressionner plus d’un. L’ambiance était extrêmement décontractée, volontiers taquine, et nous avons passé une excellente soirée d’amitié. Pour donner une idée des taquineries, lorsque j’ai évoqué le fait que j’avais rencontré des bouchons ultraserrés, je croyais soulever une docte question. La seule réponse qui me fut faite est que j’ai perdu toute force et que je n’arrive plus à extirper les bouchons !

Avec des vignerons présents, il n’est pas question de faire voter pour les vins, mais comme je rangerai le onzième dîner des amis de Bipin Desai dans les dîners de wine-dinners puisque j’en suis l’organisateur, sous le numéro 152, je classe, pour moi, avec la particularité de mon goût, les vins de ce soir : 1 – La Romanée Comte Liger-Belair 1974, 2 – Champagne Dom Pérignon Œnothèque magnum 1966, 3 – Château d’Yquem 1967, 4 – Musigny Blanc GC Domaine Comte de Vogüé 1991.

Tous les vins, sauf le Clos de Tart 1945 ont été d’un intérêt extrême et présentés dans les meilleures conditions possibles. L’accord le plus original est celui de l’œuf avec le Beaucastel blanc et le plus juste est celui de l’araignée avec le Dom Pérignon.

Nous nous sommes tous remerciés de nos générosités réciproques, et particulièrement Bipin Desai qui nous avait invités. Dans mes rêves de la nuit, il y avait un grand bonheur d’avoir côtoyé autant d’amitié.

de gauche à droite : Jacques Grange, Jean Pierre Perrin, Jean-Charles de la Morinière, Valérie Pitiot, Joseph Henriot, Bipin Desai, Richard Geoffroy, Eric Rousseau, Jean-Luc Pépin, François Audouze, Sylvain Pitiot, Louis-Michel Liger-Belair

dîner de vignerons – les vins vendredi, 9 décembre 2011

Champagne Salon magnum 1983 (Didier Depond non présent)

Champagne Dom Pérignon Œnothèque magnum 1966 (Richard Geoffroy)

Corton Charlemagne Bonneau du Martray magnum 1990 (Jean-Charles de la Morinière)

Musigny Blanc GC Domaine Comte de Vogüé 1991 (Jean-Luc Pépin)

Château de Beaucastel Chateauneuf-du-Pape blanc 1987 (Jean-Pierre Perrin)

Château La Gaffelière Naudes 1953 (François Audouze)

Château Palmer 1964 (François Audouze)

Clos de Tart 1996 (Sylvain Pitiot)

Musigny Vieilles Vignes Domaine Comte de Vogüé 1985 (Jean-Luc Pépin)

Chambertin domaine Armand Rousseau 1983 (Eric Rousseau)

Volnay Caillerets Bouchard Père & Fils 1959 (Joseph Henriot)

La Romanée Comte Liger-Belair 1974 (Louis-Michel Liger-Belair)

Richebourg Théophile Gavin 1947 (François Audouze)

Clos de Tart 1945 (Sylvain Pitiot)

Hermitage Les Bessards Delas Frères 1990 (Jacques Grange)

Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1959 (Joseph Henriot)

Château d’Yquem 1967 (Pierre Lurton non présent)

pour mémoire, le Corton 1929 complètement mort que j’ai ajouté alors qu’il était plus qu’en vidange

Lancement en fanfare de Dom Pérignon 2003 mercredi, 7 décembre 2011

Quand on s’appelle Dom Pérignon, on doit être dans le hors norme. Ça commence par un mail du genre « save the date », comme cela se passe souvent. Je marque sur mon agenda : « Dom Pérignon« , mais je ne sais ni l’heure ni le lieu. Un peu vague, mon cher Watson. Le temps passant, les choses ont du mal à se préciser. Il faut quémander les informations, mais on arrive à les obtenir. On me propose de venir me chercher en limousine à l’endroit où je suis. Traduction : c’est un événement de happy few. Je décline cette offre et j’arrive dans une petite rue du 13ème arrondissement. Quoi, on deviendrait populaire ? Que nenni. Le « Rosenblum Collection and friends » est tout simplement bluffant. On se sent dans une galerie newyorkaise, avec des hauteurs de plafond invraisemblables. C’est beau, simplement beau. Ces volumes dégagent une envie de vivre dans l’exception. Il y a un « feeling » spécial dans ces murs. Les couleurs sont le noir et le blanc et sur les murs passent en boucle des photos d’Hautvillers, l’église et le cloître. Dans ce décor minimaliste mais envoûtant, une longue table en bois, le long d’une gigantesque photo de l’église d’Hautvillers et de quelques vignes. Il y a déjà des journalistes assis et je m’assieds à leur côté. Il est 15 heures, heure absolument impérative, et la seule boisson proposée est de l’eau. Les gens arrivent lentement puisqu’en France, on n’existe pas si l’on est ponctuel, et on nous sert Champagne Dom Pérignon 2002. C’est qu’il est bon le bougre avec sa vinosité conquérante. Il a un fâcheux goût de revenez-y auquel on succombe. On attend, on parle à ses voisins et l’attente de Richard Geoffroy, le monsieur Dom Pérignon devient pesante. Alors, quand est-ce que ça démarre ? Les esprits s’échauffent, la foule en délire réclame le Johnny du jour. Et, à 15h30, nous sommes appelés au centre d’une pièce. Dans une petite pyramide judicieusement éclairée, un minuscule Richard Geoffroy en hologramme, les mains dans les poches, nous explique le Champagne Dom Pérignon 2003, dont c’est le lancement commercial aujourd’hui. L’image incroyablement vivante de Richard en miniature nous raconte ce vin, d’une année atypique. Et puis, tout s’éteint dans la pyramide. On nous sert le 2003 et tout-à-coup, Richard Geoffroy, le vrai, arrive sous nos applaudissements. On se félicite, on se congratule et sur un mur apparaissent des images de quatre endroits : Hong-Kong, Tokyo, New-York et Londres. Car strictement au même moment, la même cérémonie de lancement du 2003 se déroule dans ces quatre capitales. Comme on est en direct, Richard Geoffroy va dialoguer avec chacune de ces capitales où l’on sent le plaisir ressenti par des amateurs pointus de Dom Pérignon. La question qui revient dans beaucoup de ces échanges est de savoir avec quel millésime le 2003 pourrait se comparer. Souvent, c’est 1976 qui est cité, à cause des comparaisons climatiques. Les liaisons en duplex s’éteignent et nous nous retrouvons « entre nous ». Richard Geoffroy est très fier de son 2003 et aussi de son 2004, et dit que ces deux millésimes ont considérablement soudé les équipes, car ces deux millésimes ont été des aventures. Des canapés judicieux viennent accompagner le nouveau-né, caviar, brouillade d’œufs de perdrix, risotto au safran. Ils soulignent le caractère gastronomique du 2003.

Alors, que dire de ce bébé ? Ce qui frappe, c’est sa solidité. On est sur la puissance, la force intérieure, et s’il n’est pas encore étoffé, on sent que cela va venir. Ce qui vient ensuite, c’est le caractère floral de ce vin, de fleurs blanches si caractéristiques de Dom Pérignon. Ensuite, on est impressionné par l’équilibre, la sérénité et l’aptitude gastronomique que les amuse-bouche révèlent. On sait qu’il sera grand, mais je constate qu’il l’est déjà, avec une force de caractère rare. Il me fait penser à Keira Knightley, cette actrice au charme énigmatique, qui dégage une force de caractère indestructible. Elle n’est pas pulpeuse comme les beautés latinos, mais elle en impose par son charme impérieux. Et ce 2003, c’est cela pour moi. La fleur blanche est ingénue, mais dans un gant en béton armé.

On bavarde, on bavarde, le goût de revenez-y est sans limite. Et je quitte les lieux en me disant que si ce lancement est un peu fou, le bébé célébré fera parler de lui. Et c’est le principal.