L’association « Les Grandes Tables du Monde » à Moët & Chandon mardi, 25 octobre 2011

L’association « Les Grandes Tables du Monde » tient son congrès annuel à Epernay. Les grands chefs se retrouvent pendant trois jours et visitent de grandes maisons de champagne. Le dîner de gala a lieu dans les caves de Moët & Chandon. Avant de s’y rendre, l’apéritif debout permet de parler avec beaucoup de personnes et je salue Michel Troisgros et son épouse, Eric Briffard, Philippe Etchebest, Philippe Bourguignon, et beaucoup d’autres, puis plus tard Eric Fréchon et Dominique Loiseau. Sur les amuse-bouche préparés par Bernard Dance avec qui j’avais déjeuné il y a quelques jours au château de Saran, nous buvons un Champagne Moët & Chandon impérial magnum sans année qui se boit avec une facilité déconcertante. C’est un champagne de soif, facile à vivre, qui a en permanence un goût de revenez-y.

Dans la belle salle voûtée aux multiples arches, nous sommes environ deux cent cinquante répartis en tables de dix aux noms évocateurs de qualités d’un champagne. Ma table s’appelle « élégant ». Mes convives sont Marie-Pierre et Michel Troisgros, Marie-Christine Clément du Lion d’Or à Romorantin, Jean Cousseau, le restaurateur aux foies gras réputés à Magescq et son épouse, Marie-Laure et Arnaud de l’équipe marketing de Moët & Chandon, Thierry Gardinier qui préside avec son frère aux destinées des Crayères, de Taillevent et de Phélan-Ségur entre autres et le chef du restaurant French Laundry de la Napa Valley, avec lequel je n’ai pas pu échanger un mot du fait de l’éloignement de nos sièges et du brouhaha ambiant.

Avant le dîner, Stanislas Rocoffort m’a proposé d’aller visiter la cuisine. Nul n’imaginerait qu’elle puisse être aussi immense au niveau des caves. Une brigade est alignée en rang comme pour rendre les honneurs et je salue Arnaud Lallement tout sourire qui partage avec trois autres chefs la lourde responsabilité de ce dîner pour un parterre qui compte tant de grands chefs.

Voici le menu : Homard bleu – bœuf de Coutancie (Arnaud Lallement de l’Assiette Champenoise) / dos de cabillaud de M. Doucet en habit noir, endives farcies de cèpes et jambon des Ardennes, jus à la moutarde de Reims ( Philippe Mille des Crayères) / foie gras de canard poché dans un bortsch, betteraves en croûte de sel, daïkon et enoki crus, chou Pack Choï étuvés au champagne, croûtons en beurre noisette ( Philippe Mille des Crayères) / pigeonneau, épinard, tomate, en tourte (Arnaud Lallement de l’Assiette Champenoise) / glace tutti frutti accompagnée de Panettone (Pascal Tingaud et la brigade Moët & Chandon).

Nous buvons le Champagne Moët & Chandon Grand Vintage 2002 qui commence à prendre une belle ampleur. Il se boit bien et connaîtra encore sur plusieurs années une belle évolution.

Je suis un peu heurté par le Champagne Moët & Chandon Grand Vintage Collection 1992, dégorgé en 2004, car son nez doucereux est fortement marqué par la liqueur d’expédition et en bouche, le vin manque de cohésion. La forte trace de la liqueur d’expédition et l’amertume du champagne ne se sont pas intégrées. Je soupçonne un problème de bouteille.

Le Champagne Moët & Chandon Grand Vintage rosé 2002 est d’une couleur d’un rose intense. Le nez est assez discret et ce rosé d’une belle justesse crée avec la sauce du foie gras le plus bel accord de la soirée. La sauce est rouge et l’accord couleur sur couleur fonctionne magnifiquement.

Quand je sens le Champagne Moët & Chandon Grand Vintage Collection magnum 1975, dégorgé en 2002, je me dis : « ça y est, on tient du grand ». Car le parfum de ce vin combine richesse, profondeur et élégance. La bouche confirme la promesse du nez et le vin est grand, très grand. Et il démontre que le 1992 avait un problème, tant l’écart gustatif est sensible.

Le Champagne Moët & Chandon Grand Vintage Collection Dry 1952 dégorgé en 2011 fait entrer dans le monde des « vieux » Moët que j’adore. Il a toutes les qualités du 1975 légèrement plus burinées. Il est très agréable avec une belle longueur, mais mon cœur ira vers le 1975, à la fraîcheur exceptionnelle.

Le repas mérite tous les éloges. Le homard a une chair de grande qualité. La cuisson originale du cabillaud est signalée avec enthousiasme par Michel Troisgros. Le foie gras poché se déguste comme un bonbon et la sauce épouse le champagne rosé. La tourte de pigeon est exquise et chose curieuse, le 1975 est dix fois plus à l’aise sur la tourte seule, vibrante pertinence, que lorsque la sauce est ajoutée. Une mention spéciale ira au panettone, qui est une brioche fourrée de raisins secs, de fruits confits et de zestes d’agrumes, de dimension gargantuesque, et dont la mâche est d’un plaisir rare. Il rappelle des souvenirs d’enfance. Les quatre chefs associés à cette belle fête ont créé un repas remarquable, approuvé par les professionnels de notre table, avec des recherches d’accords très subtiles.

Le Cognac Hennessy Paradis Impérial toujours aussi bon a marqué le point final d’un dîner très sympathique, avec des chefs heureux de se retrouver. Les discussions furent ouvertes, sympathiques car l’ambiance était à la joie de profiter d’une gastronomie raffinée.

notre table enjouée

le panettone, de taille impressionnante

dîner d’automne chez des amis samedi, 22 octobre 2011

Des amis nous invitent à dîner. La maîtresse de maison fait une cuisine d’automne subtile : velouté de cèpes et marrons : rôti de veau aux carottes, navets et girolles.

Le Champagne Louis Roederer se boit agréablement, avec un plaisir plus grand que de précédentes expériences. Le Sancerre Clos Paradis domaine Fouassier 2009 est très précis et bien dessiné. Il ne fait pas tellement sancerre, car il titre 14°, mais il me plait beaucoup pour son message direct et une acidité mesurée. Il accompagne bien le velouté.

Le Château Ausone 1971 est un saint-émilion très dogmatique, serein et encore très jeune. Un grand vin très plaisant. Le Château Gruaud-Larose 1966 est plaisant lui aussi. Il est plus rond, plus velouté et aussi très jeune. Deux beaux quadragénaires.

Le Vouvray Nectar Brédif 1997 est un vin moelleux dont les raisins ont été marqués par la pourriture noble. Il ne titre que 13° mais donne l’impression de plus. Je le trouve très agréable et frais. Nous avons conclu ce dîner par le Cognac Adet de 130 ans environ que j’avais ouvert il y a une semaine pour des américains.

dîner au restaurant Shang Palace de l’hôtel Shangri-La jeudi, 20 octobre 2011

Avec mon ami Tomo, nous nous sommes fixé un programme qui n’est pas aussi hypothétique qu’une promesse électorale : « la vie est trop courte, ne perdons aucune occasion de boire nos grands vins ». Tomo a été enthousiasmé par le restaurant chinois de l’hôtel Shangri-La. Il veut absolument que nous le découvrions. Nous pourrons apporter nos vins. Aussi est-ce l’occasion de surenchères amicales.

J’arrive à 18 heures devant l’hôtel Shangri-La. Le voiturier est en habit et chapeau. Une Bentley, une Ferrari et une Porsche survitaminée montrent qu’ici on ne badine pas avec le luxe. Le voiturier fort aimable m’indique le chemin du restaurant chinois le Shang Palace où je suis accueilli par des « bonjour Monsieur Audouze ». Deux sommeliers m’attendent car ils savent que je vais ouvrir les vins que Tomo a apportés il y a deux jours. Tomo me rejoint. L’ouverture du Musigny Georges Roumier 1982 est facile. La première impression qui me frappe est que le vin sent le chocolat. Bien sûr, le vineux et le fruit ne sont pas absents, mais il y a une trace cacaotée qui donne de l’assise à un vin qui semble très délicat.

Le Montrachet Marquis de Laguiche 1977 est d’une année qui normalement n’est pas très inspirée. Mais sa couleur m’avait plu. Le niveau est parfait, le bouchon aussi et l’odeur est envoûtante. On ne pourrait pas imaginer mieux, même pour une année plus prestigieuse.

Le Musigny Comte de Vogüé 1943 a un niveau plutôt bas, mais sa couleur m’avait plu. Lorsque je décapsule, le haut du bouchon est noir, poussiéreux, et sent la terre, comme certains vins de la Romanée Conti. Le bouchon est d’une belle couleur acajou rouge et sort entier. L’odeur est magnifique et terriblement prometteuse.

Entretemps, nous avions commandé un Champagne Cristal Roederer 2002 qui jouit d’une belle réputation et que je n’ai jamais bu. Ce champagne me plait, sans la moindre hésitation. Il est riche, fruité, avec un joli fumé. Je trouve ce champagne très attachant. Son équilibre est convaincant. Il est profond et laisse une trace impérieuse très engageante. C’est un grand champagne qui me donnera envie d’en ouvrir d’autres.

Nos épouses nous rejoignent et nous entrons dans la salle à la décoration plutôt conventionnelle, mais je ne suis pas un expert en art chinois. Elle manque de chaleur. La chaleur vient de l’équipe, attentive, motivée et efficace. C’est Tomo qui compose le menu avec Zi, efficace sommelier. Nous commençons par une préparation de légumes et champignons, pour nous mettre en appétit, puis des tranches de joues de bœuf. Une langouste de grande taille a une chair magnifique et subtile. Ensuite, c’est un canard laqué entier qui est découpé en petits dés de peau croustillante et présenté en deux services. Un imposant ormeau est ferme mais goûteux. Le riz cantonnais est d’une qualité supérieure. Et une glace vanille clôture cet imposant repas de grande qualité.

Le Montrachet Marquis de Laguiche 1977 est d’une magnifique couleur à peine ambrée. Son nez est extraordinaire, annonçant des complexités infinies que la bouche révèle. C’est un montrachet magique de subtilité que jamais nous n’aurions situé aussi haut pour le millésime 1977. C’est la déclinaison de complexités citronnées et de fruits jaunes qui me ravit.

Le Musigny Georges Roumier 1982 est manifestement un grand vin, mais je trouve qu’il joue de façon feutrée et timide, surtout à côté de l’autre musigny. C’est un plaisir et un honneur de boire un vin d’un producteur aussi fameux et nous ne le boudons pas mais il manque un peu de charnu et de complexité.

A côté, le Musigny Comte de Vogüé 1943 est impérial. Il a la joie de vivre bourguignonne, une précision plus grande que celle du Roumier, et un charme extrême. Il montre que la baisse de niveau ne l’a pas diminué, car on chercherait en vain un signe de faiblesse. C’est un très grand bourgogne serein et épanoui, complexe, au beau fruit noir. Il est très séduisant et nous conquiert.

Avec Tomo, nous profitons de chaque gorgée, car nous avons conscience de vivre un grand moment. Mon classement des vins de ce soir, en mettant de côté le champagne est : 1 – Musigny Comte de Vogüé 1943, 2 – Montrachet Marquis de Laguiche 1977, 3 – Musigny Georges Roumier 1982. Les trois vins sont grands, et le Shangri-La, par son accueil, son service et la qualité de ses mets, nous incitera à y revenir. Ce fut une grande soirée amicale, sous le signe de la générosité partagée.

déjeuner de conscrits au Yacht Club de France mercredi, 19 octobre 2011

Un nouveau déjeuner de conscrits se tient au Yacht Club de France. Nous y prenons goût, car le directeur de la restauration et le chef ont une telle implication que la cuisine est d’une qualité remarquable. Comme quoi la motivation donne de grands résultats.

Le champagne Waris-Larmandier est un blanc de blancs d’Avize. Il se présente dans une bouteille fleurie de façon kitsch, un peu à la façon de Perrier-Jouët. Le champagne est assez agréable, à la bulle un peu lourde. Le Champagne Billecart-Salmon Brut Réserve est un cadeau du président du Yacht Club qui se réjouit de nous voir festoyer avec bonheur. Il est plus précis et très agréable. Il se marie bien à l’entrée faite de coquilles Saint-Jacques, langoustines et foie gras.

Pour la bouillabaisse, nous aurions dû accueillir le premier de deux Chablis Premier Cru Vaillon, La Chablisienne 2003. Hélas le vin est bouchonné aussi en application du principe de précaution, nous avons intercalé un champagne Barnaut à Bouzy 1999 sympathique et sans histoire.

Le chablis est absolument excellent. Sa vibration est belle et il est pertinent sur la bouillabaisse. Nous avons poursuivi avec un Pouilly-Vinzelles cuvée les Remparts de Bret Brothers 2009 qui m’a un peu gêné par la verdeur de sa jeunesse, même si sa fraicheur le rend intéressant.

Déjeuner au Yacht Club de France est toujours un moment de plaisir.

dîner au restaurant de Patrick Pignol samedi, 15 octobre 2011

Le lendemain avec ma femme, nous arrivons très en avance, ce qui nous permet de bavarder avec Nicolas, le sympathique sommelier et avec Patrick Pignol avec qui j’esquisse le menu en fonction des produits de saison. C’est encore un peu tôt pour le lièvre à la royale, mais c’est encore temps pour la grouse. Le néozélandais étant reparti sous d’autres cieux nous sommes cinq avec Murray, Steve et Ted, tous trois californiens. J’ouvre les bouteilles que j’ai apportées pour montrer ma méthode. Les bouchons m’obligent à livrer bataille tant ils s’émiettent. Les nez des deux vins sont spectaculaires, chacun dans son genre : le Richebourg exprime toute la classe des vins du domaine de la Romanée Conti et le Vega Sicilia Unico a un fruit presque irréel.

Comme hier je choisis le champagne, un Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1988 délicieux. On mesure à quel point l’âge est nécessaire au Comtes de Champagne, car, même si le champagne paraît très jeune, c’est le temps qui lui a donné de l’ampleur et une étoffe rassurante. Il a une belle acidité et une longueur riche. Mes nouveaux amis l’apprécient alors que nous le goûtons sur une gelée de pieds de porc et une crème de chou-fleur.

Murray est un adorateur des vins de Raveneau qu’il a du mal à trouver aux U.S.A. aussi grappille-t-il dans les cartes des vins. Celle du restaurant de Patrick Pignol a deux pages pour les vins de ce domaine. Il choisit un Chablis Grand Cru Valmur domaine François Raveneau 1996. Lorsqu’il arrive seul, avec une acidité très prononcée, ce vin nous séduit par sa précision. C’est de la belle ouvrage que ce vin là. Sur un excellent damier de coquilles Saint-Jacques et truffe, il trouve un peu d’ampleur.

Mais lorsqu’arrive le Meursault Les Perrières Leroy négociant 1995, force est de constater que le Leroy fait de l’ombre au Raveneau, essentiellement à cause de l’acidité du chablis. Le Meursault est rond, généreux, chatoyant, ample et nous ravit sur une originale composition de moules et de girolles où s’exprime sa jeunesse citronnée. Il poursuit son festival sur une assiette de cèpes en prenant de la rondeur, puis sur une aile de raie absolument délicieuse avec des févettes et traitée sans aucun accompagnement pour avoir la richesse de sa chair.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1953 a un niveau assez bas, ce qui est un facteur d’incertitude mais sa couleur vue en cave m’avait plu. Son odeur à l’ouverture était splendide et maintenant, on pourrait se contenter de respirer le vin tant il exprime l’A.D.N. des vins du domaine, fait de pétales de rose et de sel. Je n’arrête pas de m’extasier devant cette odeur divine. Sur un foie gras poêlé, le vin est impérial et si la rose abonde, on peut noter de petites pointes de truffe. La délicatesse et la noblesse de ce vin sont extrêmes. Mes amis se pâment comme moi. C’est un grand moment de communion.

Pour la grouse délicieuse, avec une sauce lourde, c’est le tour du Vega Sicilia Unico Reserva Especial mis en bouteilles en 1979 et donc composé de 1962, 1964 et 1968 de ravir nos papilles. Le nez est entièrement de fruits rouges et noirs. En bouche, l’ampleur est extrême mais je ne retrouve pas le velouté onctueux que le nez suggère. Le vin est grand, racé, avec des notes de chocolat et de café judicieusement orientées par la sauce, mais il est plus strict que velouté.

Patrick Pignol a préparé un soufflé au cognac (assez présent !) pour que nous continuions de jouir de l’immense Cognac Adet vers 1880.

Après ce Marathon, Ted est quasiment mort mais Murray et Steve sont en pleine forme et ne tarissent pas d’éloge pour le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1953 qu’ils considèrent comme le vin le plus brillant de leur voyage. Nous nous sommes promis de nous revoir, et ces deux repas ont forgé une amitié nouvelle avec de vrais amateurs de vins, sympathiques, charmants et généreux.

L’amour du vin quand il est partagé crée de belles rencontres et de grands moments de communion.

de grands vins à la Tour d’Argent vendredi, 14 octobre 2011

La Tour d’Argent est sans doute le restaurant que j’ai le plus fréquenté lorsque j’étais adolescent. Mon père qui était médecin soignait Monsieur Aimé, premier maître d’hôtel de la Tour d’Argent, qui, pour lui être reconnaissant, l’assurait de trouver des tables quand il voulait. C’est ainsi que nous collectionnions les cartes postales des canards au sang des numéros dans les trois cent mille (nous sommes aujourd’hui autour d’un million cent mille). Et le goût de la quenelle de brochet est imprimée au fond de ma mémoire.

Il y a huit mois, au restaurant de Michel Rostang, j’ai fait la connaissance d’américains férus de vins qui déjeunaient à une table voisine et nous avions partagé quelques grands vins alors que nous ne nous connaissions pas. Nous nous étions promis de nous revoir. C’est aujourd’hui à déjeuner.

Arrivé en avance, je sonne à la porte à midi moins cinq. Le chasseur entrouvre à peine la porte pour me demander d’aller me promener pendant quelques minutes et referme la porte. Il fut un temps où une telle attitude eût été impensable. Pour tromper mon attente, je vais dans un jardin qui jouxte Notre Dame de Paris. Aussitôt une jeune roumaine fait mine de me faire signer une pétition pour que mon attention se porte sur son papier et non sur mes poches. Je la chasse d’un ton abrupt. Voulant visiter Notre-Dame de Paris, naïf que je suis, je découvre deux files d’attente de plusieurs centaines de mètres. Il faut dire qu’il fait si beau en cette mi-octobre que les touristes éclosent comme des pâquerettes au printemps.

J’arrive au moment où mes convives vont prendre l’ascenseur. Trois américains et un néo-zélandais ont réservé la belle table qui donne une vue unique sur Notre Dame de Paris et sur la Seine. Ils me proposent d’être assis face au panorama ce qui est particulièrement aimable. Leur choix de vins est quasiment déjà prévu et j’ajoute un champagne pour la fin du repas.

Nous commençons par un Chablis Grand Cru Blanchot Domaine François Raveneau 1983. Sa couleur est très jeune, d’un or clair. Le nez est assez discret, mais le vin est servi froid. En bouche ce qui est fascinant, c’est la jeunesse et la précision de ce vin. Il est vraiment enthousiasmant tant il est bien fait. C’est une grande réussite. Sur un amuse-bouche à la queue de bœuf, le vin s’anime et prend encore plus d’ampleur.

Deux vins blancs nous sont servis maintenant. Le Meursault Perrières Jean François Coche Dury 1991 est puissant, fruité, charnu et beaucoup plus joyeux que le chablis. J’adore ce vin, mais au final je préférerai le chablis. Le deuxième amuse-bouche au caviar et brocolis est délicieux et va bien avec ce vin.

Murray a choisi un Chassagne-Montrachet les Vergers domaine Michel Niellon 1992 car il en a un fort souvenir, mais ce vin qui va s’animer sur les plats fait un peu faible à côté du Perrières de Coche-Dury si varié et à la mâche si pleine. Ce vin aurait brillé s’il était apparu seul. J’ai choisi la quenelle de brochet et ma déception est grande. Bien sûr elle est liée à la force de mon souvenir d’enfant. Mais je n’ai pas senti la moindre magie, alors qu’il y a deux ans les pièces du puzzle mémoriel s’étaient assemblées.

Murray m’avait demandé mon choix entre un Clos Saint-Denis et un Clos de la Roche du domaine Ponsot. J’ai choisi le Clos de La Roche Vieilles Vignes Domaine Ponsot 1990. Et là encore nous allons avoir une paire de vins qui ne profitent pas de leur juxtaposition. Car le Chambertin Clos de Bèze domaine Armand Rousseau 1989 est trop éclatant. Il incarne à lui tout seul la beauté et la pureté de la Bourgogne. Quelle subtilité dans ce vin d’une précision et d’une élégance rares. Ce vin est grand et le succulent plat de bœuf Angus en profite largement. A côté, le Clos de la Roche a un goût furieusement rhodanien. On dirait un Châteauneuf d’Henri Bonneau ! Il est bon, bien sûr, mais fait plutôt rustaud à côté de l’élégant Clos de Bèze.

Le Champagne Clos de Goisses Philipponnat 1985 est inconnu de mes convives et c’est une divine surprise. Il est encore d’une jeunesse extrême avec une bulle forte, et d’une complexité confondante. Il a le charme, la complexité et une longueur sans pareille.

Il est assez facile pour moi de faire un tiercé des plus percutants des grands vins de ce repas : 1 – Chambertin Clos de Bèze domaine Armand Rousseau 1989, 2 – Champagne Clos de Goisses Philipponnat 1985, 3 – Chablis Grand Cru Blanchot Domaine François Raveneau 1983. Ces trois vins étaient dans un état de conservation parfait, éblouissants de complexité. Bien sûr, le vin de Coche Dury était grand, ainsi que les autres. Mais le supplément d’âme était auprès de ces trois là.

Le service est toujours d’une grande qualité, le cadre est exceptionnel. Si je mets de côté ma déception avec la quenelle, la cuisine est d’une qualité très convenable. Mais on vient ici pour les vins d’une cave exceptionnelle. Murray m’a fait la surprise de m’inviter, ce que je n’avais par prévu, aussi ai-je invité mes convives à visiter ma cave où j’ai ouvert un cognac Adet de plus d’un siècle, probablement autour de 1880, dont l’équilibre et l’accomplissement sont un vrai bonheur. Le bois est fort et la longueur est infinie.

J’étais tenté de suivre cette solide équipe, qui était la veille à « Comme Chez Soi » à Bruxelles, pour dîner à l’Astrance. Mais comme je vais les rejoindre demain à dîner au restaurant de Patrick Pignol, j’ai préféré annuler la place qu’ils m’avaient réservée. Ils reviennent aussi demain déjeuner à la Tour d’Argent ! Compétence, générosité et estomac en béton armé caractérisent cette équipe chaleureuse que je retrouverai avec plaisir demain.

déjeuner Tour d’Argent – photos vendredi, 14 octobre 2011

promenade autour de Notre Dame. Un Quasimodo veut retrouver ses gargouilles

entre noir et blanc et tout bleu, mon appareil photo fait la java !

la vue de notre table

Chablis Grand Cru Blanchot Domaine François Raveneau 1983

Meursault Perrières Jean François Coche Dury 1991

Chassagne-Montrachet les Vergers domaine Michel Niellon 1992

Clos de La Roche Vieilles Vignes Domaine Ponsot 1990

Chambertin Clos de Bèze domaine Armand Rousseau 1989

Champagne Clos de Goisses Philipponnat 1985

les vins ensemble

les plats

préparatifs du 150ème dîner au château de Saran mardi, 11 octobre 2011

la table dressée dans la grande salle à manger

la vue de ma place

joli service

Champagne Moët & Chandon Brut Impérial magnum 1985 dégorgé en avril 2003

Champagne Moët & Chandon rosé 1981

Côte Rôtie La Turque Guigal 1995

les trois vins

les plats

le dessert (entamé !)

la jolie couleur du rosé

photos souvenir avec Bernard Dance et Stanislas Rocoffort de Lignières

Abnégation, je vous dis mardi, 11 octobre 2011

Abnégation, abnégation, tout, dans ma vie, n’est qu’abnégation. Devant préparer le 150ème dîner, qui, selon une logique toute booléenne, doit apparaître après le 151ème, je me rends au château de Saran, demeure de réception du groupe Moët, pour mettre au point avec le chef Bernard Dance le menu du dîner. Je m’annonce à la porte électrique et lorsque je mets pied à terre, Bernard Dance, Romain le sommelier et Hélène, la maîtresse des lieux, sont là pour m’accueillir. Une coupe de Champagne Moët & Chandon 2002 effacerait un décalage horaire si mon voyage en avait un. Comme ce n’est pas le cas, il montre surtout sa franchise et un épanouissement qu’il n’avait pas jusqu’alors. Ce champagne fait sens aujourd’hui, avec une richesse et une opulence que seul l’âge peut lui donner. Trois cuillers, de saumon, de foie gras et de concombre lui trouvent de belles vibrations.

Nous sommes trois dans la belle salle à manger, fleurie d’hortensias roses et bleus, Stanislas, Bernard Dance et moi. Le chef a conçu un menu qui ne doit pas préfigurer ce que nous ferons dans un mois, mais doit permettre de réfléchir. Le menu est : noix de Saint-Jacques à l’émulsion de pamplemousse / filet d’agneau en croûte de tapenade d’olive et petits légumes / plateau de fromages / éclair macaron ganache Tagada sauce menthe.

Le Champagne Moët & Chandon magnum 1985 a un nez spectaculairement beau. C’est une belle surprise. La bouche est belle, mais le nez de grande race domine. On sent du miel, des blés blonds dans ce vin. Bernard m’explique que l’émulsion de pamplemousse est dimensionnée pour un 2002. Il faudrait l’atténuer pour un 1985, mais je ne boude pas mon plaisir. Sur l’agneau, un Champagne Moët & Chandon rosé 1981 est très pertinent. Sa couleur est d’un rose intense, son nez est discret. En bouche le vin est très adapté au plat.

J’ai dans ma musette une arme de compétition. J’ai apporté une Côte Rôtie La Turque Guigal 1995. Ce vin légendaire est d’une richesse extrême, avec des évocations de fenouil et d’anis qui sont rafraîchissantes. Et l’on constate avec plaisir que le plat réagit aussi bien à la Côte Rôtie que j’ai trouvée plus discrète qu’elle ne pourrait qu’au champagne rosé délicat mais joyeux.

Sur des fromages très crémeux, la Turque et le rosé sont pertinents. La Turque dit au revoir lorsqu’arrive le dessert qui allume mille lanternes évocatrices de souvenirs d’enfance. La mâche du macaron est diabolique.

Pendant tout le repas, nous avons décliné les plats qui conviendraient aux vins du 150ème dîner. Le dialogue avec Bernard Dance est ouvert, fécond, car il comprend la prédominance des vins, et ne sent pas son art diminué par cette majeure. Nous avons bâti un repas de folie, qui va s’affiner dans les semaines à venir.

Nous passons au salon où le café se pousse avec un Cognac Paradis, antichambre d’une sieste bien méritée. Abnégation, je vous dis.