dîner au Ledoyen n’efface pas la perte de Garnier jeudi, 22 septembre 2011

J’ai perdu plus d’une heure dix, rien n’égale mon malheur. Sort cruel …

Ce sujet pourrait s’appeler : de l’influence des circonstances sur l’appréciation des mets et des vins. Quand le sort penche d’un côté ou de l’autre, l’objectivité s’en ressent.

Avec Tomo et son épouse, ma fille et mon gendre, nous devions aller à l’Opéra Garnier. Selon une habitude qui fait partie du génie français, les machinistes de l’Opéra ont déclenché une grève à 16 heures. Nous avions prévu de souper après le ballet. Bloqués dans nos envies, nous transformons la soirée en un dîner, et grâce à la gentillesse naturelle de ce restaurant, ce sera au restaurant Ledoyen. Un rhume qui ne veut toujours pas me quitter depuis un mois n’ensoleille pas mon aptitude à l’enthousiasme.

Nous avons le petit salon bibliothèque de taille idéale pour un repas intime. Le Champagne Taittinger Comtes de Champagne 1999 est d’une platitude tout à fait étonnante. C’est bien la première fois que je le vois aussi peu causant. Une anomalie sans doute. Tomo a apporté trois vins. Il a peur que son Puligny-Montrachet Les Combettes Etienne Sauzet 1985 ne soit bouchonné mais ce n’est pas le cas. Il a besoin de s’ouvrir, et il se révèle absolument délicieux, fruité, légèrement fumé, complexe à la longueur très impressionnante. Et il va accompagner les plats avec une pertinence remarquable.

Le Pommard les Vignots Domaine Leroy 1993 n’est pas mal fait, mais du fait de l’année, il ne dégage pas une émotion particulière. C’est un pommard, mais discret, trop discret. On pouvait s’attendre à ce que l’année du deuxième pommard le propulse au-delà, mais le Pommard Clos des Epeneaux Comte Armand 1990 joue franchement en dedans. Pas un gramme de vibration et un discours limité. La bonne pioche trouvée sur la carte des vins, c’est le Chateauneuf-du-Pape Clos des Papes, Paul Avril 1998. Ça, ça cause ! Et ça cause juste, précis, joyeux et remplit la bouche de soleil.

Nous avons pris des menus différents. Avec mon gendre, nous avons choisi les trois spécialités : grosses langoustines bretonnes, émulsion d’agrumes / blanc de turbot de ligne juste braisé, pommes rattes truffées / ris de veau en brochette de bois de citronnelle rissolée, jus d’herbe. Là aussi, est-ce mon rhume insistant, je n’ai pas eu le plaisir que me donne habituellement la cuisine de Christian le Squer et son turbot, trouvé légèrement trop cuit par mon gendre et moi, ne nous a pas autant plu que d’habitude. Qui est responsable, l’observant ou l’observé ? Je parie que mon humeur en est la cause.

Les deux vins qui sortent du lot sont le Puligny-Montrachet et le Clos des Papes. Ce n’est pas facile d’effacer totalement la perte d’un ballet. Les occasions de compenser ne manqueront pas.

Beaux vins chez des amis lundi, 19 septembre 2011

Deux jours plus tard, je suis reçu chez d’autres amis, mais le froid a gagné la bataille et nous dînons à l’intérieur.

Le Champagne Bollinger R.D. 1985 est un solide champagne bien plein, de belle construction.

Il forme un contraste majeur avec le Champagne Dom Pérignon magnum 1998, à la complexité extrême, floral, romantique et féminin.

Le Crozes Hermitage Jaboulet 2004 n’a pas beaucoup d’intérêt. Il ne crée aucune vibration.

Aussi, lorsque mon ami ouvre un Château de Pibarnon Bandol rouge 2006, le contraste est grand, car le Pibarnon respire sa région et offre sa joie de vivre où fenouil, olive noire donnent des évocations du sud.

Et nous allons crescendo avec un magnifique Château Figeac 2006 qui, bien sûr, va progresser encore, mais donne aujourd’hui une leçon de richesse, d’équilibre et de complexité. C’est un très grand vin.

Dernier dîner dehors d’une chaude soirée d’été vendredi, 16 septembre 2011

De retour dans le sud, je m’invite chez des amis et j’apporte les vins. Le premier champagne est fourni par mes hôtes, c’est un Champagne Mumm Cordon Rouge qui se boit avec un grand plaisir car il est simple et glisse bien en bouche, sans se poser de question.

Le Champagne Salon magnum 1997 marque un saut gustatif majeur car le palais est préparé par le premier champagne. Le Salon a comme d’habitude complexité, fleurs blanches et vinosité légère. C’est un grand champagne.

J’ai apporté en outre une Côte Rôtie La Landonne 1986 et je suis particulièrement impressionné par ce vin. L’année 1986 n’est pas une des plus grandes années (pour mon palais) pour les Côtes Rôties de Guigal mais celle-ci est particulièrement intéressante. Car elle joue tout en délicatesse. Et la sourdine que ce vin a adoptée met encore plus en valeur la finesse et la complexité délivrées pour une fois toutes en retenue. J’ai vraiment beaucoup apprécié ce vin.

Sur la terrasse directement en aplomb de la mer, la lune flanquée de sa planète Vénus qui la suit fidèlement, les deux laissant leur trace d’argent sur l’onde frémissante, nous avons passé la dernière soirée encore très chaude d’un riche été gastronomique.

Une rencontre purement invraisemblable mardi, 13 septembre 2011

Une rencontre purement invraisemblable

Bipin Desai, le chercheur et professeur en physique nucléaire d’une des plus grandes universités américaines organise des dîners thématiques spectaculaires. Il « promène » avec lui chaque année un groupe d’amateurs américains pour des festivités dans les plus grands restaurants de France et d’Espagne. Je rejoins son groupe pour une dégustation thématique des vins du domaine de Montille, et je rencontre un nouveau venu dans le groupe d’américains. Nous bavardons, papotons de-ci-delà, et la question vient : « qu’est-ce que c’est qu’un vin ancien ? ». Je réponds, croyant avoir à faire avec un amateur « normal » et c’est alors que je vais de surprise en surprise. Cet d’homme d’environ 55 ans a bu Ausone 1865, a bu des pétrus du 19ème siècle, se met à parler de vins pré phylloxériques, et il me subjugue par une connaissance des vins de Bourgogne, des parcelles même, qui est hallucinante.

On voit bien quand quelqu’un a une culture livresque ou quand c’est du vécu.

Très modeste, disant juste quelques petites choses sur les vins d’Henri Jayer, sur l’évolution des parcelles de La Tâche dans les années 20, qui situe l’être hors norme.

Je me suis tu, j’ai écouté, d’autant qu’ils se renvoyaient la balle avec Michel Bettane et j’étais bouche bée.

Alors, ce matin, je suis allé sur Google avec le nom de mon voisin de table, et j’ai lu des comptes-rendus de dîners qu’il a faits avec Michael Broadbent, sortant plus de dix millésimes exceptionnels de la Romanée Conti, dont du 19ème siècle,

En lisant sur le net, j’ai vu que la cave fabuleuse du restaurant RN74 de San Francisco est son apport en nature, car il est l’un des actionnaires de ce restaurant aux grands vins inouïs.

Nous avons prévu de nous revoir, mais je dois dire que je me sentais petit gamin pas seulement pour ce qu’il a bu, mais aussi par l’invraisemblable connaissance qu’il a de l’histoire des vins. C’était surtout sur la Bourgogne, parce que nous étions à la table d’Hubert et Etienne de Montille. Mais quelqu’un qui a bu Ausone 1865 ou Pétrus 1893 ne doit pas être un perdreau de l’année en vins de Bordeaux.

J’adore ces rencontres totalement imprévues qui me montrent qu’il y a un peu plus large que la cour de mon clocher.

Son nom ? Wilf Jaeger. Faites comme moi, Googlez : vous serez subjugué.

dégustation de 18 vins du domaine de Montille au Taillevent mardi, 13 septembre 2011

Bipin Desai, chercheur et professeur en physique nucléaire d’une des plus grandes universités américaines organise aussi des dîners thématiques spectaculaires. Il « promène » avec lui chaque année un groupe d’amateurs américains pour des festivités dans les plus grands restaurants de France et d’Espagne. Et selon la tradition, un dîner au restaurant Taillevent se tient avec pour invité d’honneur un vigneron qui présente ses vins. Ce soir Hubert de Montille et son fils Etienne sont venus avec leurs vins. C’est Etienne qui va présenter les vins faits sous sa responsabilité.

Dans le petit salon japonais du premier étage, nous devisons debout avec une coupe de Champagne Taillevent qui est un Deutz, et sur lequel je n’accroche pas beaucoup au premier abord, puis je m’habitue. En plus du groupe d’américains il y a des grands experts comme Michel Bettane, Raoul Salama, Neil Martin et quelques autres. J’ai fait connaissance d’un nouvel américain, à la tête d’une collection de vins exceptionnelle qui m’a impressionné.

Nous allons goûter 18 vins en quatre séries de quatre ou cinq vins, sur un menu préparé par Alain Solivérès qui est de grand talent : velouté rafraichi de homard à la citronnelle, fleur de bourrache et caviar / bar de ligne cuit à l’unilatérale, artichauts poivrade, cébettes et cèpes / mignon de veau de lait de Corrèze rôti aux girolles / canard de Challans rôti aux figues de Solliès / fromages de nos provinces / douceur de mangue aux parfums de pain d’épices et de safran. Nous sommes dans le salon lambrissé où j’avais organisé une verticale de vins d’Armand Rousseau il y a seulement quatre jours.

Les séquelles de mon rhume ne rendraient pas mes avis très pertinents. Les vins seront juste listés avec deux ou trois commentaires.

Première série : Meursault Les Narvaux Dessous domaine de Montille 2008 / Meursault Poruzot Deux Montille Sœur Frère 2008 / Puligny-Montrachet Le Cailleret domaine de Montille magnum 2007 /Corton Charlemagne domaine de Montille magnum 2007 / Chevalier Montrachet Château de Puligny Montrachet domaine de Montille 2007.

C’est le Cailleret qui est généralement le plus apprécié, mais tous les vins sont de remarquable qualité, mes voisins signalant l’avenir brillant que connaîtra 2008 contrairement à ce qui se dit parfois. Si j’aime les grands crus, Corton Charlemagne et Chevalier Montrachet, j’ai un petit faible pour le Meursault Narvaux. C’est une très belle série.

Deuxième série : Puligny-Montrachet Le Cailleret domaine de Montille magnum 2005 / Puligny-Montrachet Le Cailleret domaine de Montille magnum 2002 / Puligny-Montrachet Le Cailleret domaine de Montille 1998 / Puligny-Montrachet Le Cailleret domaine de Montille magnum 1996.

Cette mini-verticale du Cailleret est intéressante. Au début, l’opulence du 2005 me séduit. Le 2002 est plus lent à s’étoffer, et au final mon classement est 2002, 1998, 2005, 1996. Mais j’ai constaté autour de moi que les avis sont partagés. J’aime la pureté de ces vins.

Troisème série : Volnay les Taillepieds domaine de Montille magnum 2009 / Volnay les Taillepieds domaine de Montille magnum 2007 / Volnay les Taillepieds domaine de Montille magnum 2005 / Volnay les Taillepieds domaine de Montille magnum 2002 / Volnay les Taillepieds domaine de Montille magnum 1999.

Là aussi, une mini-verticale de vins jeunes. Etienne nous dit que le Taillepieds est comme le Code Civil. Je suppose que cela fait référence à sa rectitude. Influencé sans doute par les propos de Michel Bettane qui a complimenté Etienne pour le travail de précision fait sur ce vin sur les dernières années, mais aussi par ce que je bois, je classe ainsi : 2009, 2007, 1999, 2005 et 2002, le 2002 comme pour les blancs voulant me faire mentir, car il a trouvé son épanouissement beaucoup plus tard.

Quatrième série : Vosne-Romanée Les Malconsorts domaine de Montille 2008 / Vosne-Romanée Les Malconsorts, Christiane domaine de Montille 2008 / Vosne-Romanée Les Malconsorts domaine de Montille magnum 2006 / Vosne-Romanée Les Malconsorts, Christiane domaine de Montille magnum 2006.

Les deux parcelles sont entourées par La Tâche et Michel Bettane dit que ces deux parcelles sont plus proches du cœur historique de la parcelle de la Tâche que certains parcelles périphériques de La Tâche. La parcelle Christiane, du nom de la mère d’Etienne et femme d’Hubert donne, à mon goût, un vin nettement meilleur. Les avis sont partagés, mais Hubert de Montille est catégorique : le vin le meilleur, c’est celui de l’assemblage des vins des deux parcelles. De ce fait, Etienne fait les trois, ceux des deux parcelles et l’assemblage. C’est cette série que j’ai particulièrement appréciée pour la pertinence et l’équilibre des vins et aussi un « je ne sais quoi » qui les rapproche de vins anciens. La supériorité du « Christiane » est plus marquée pour moi que pour mes voisins de table.

Les étapes de comparaisons élaborées par Etienne sont très pertinentes. Cela donne une belle vision de différents vins du domaine, tous marqués par l’élégance, la finesse et la précision. Etienne est un passionné, entreprenant, obsédé par la perfection. J’avoue avoir été un peu perdu devant la profusion des vins d’abord du fait de mon rhume insistant mais aussi du fait de la jeunesse des vins. Discuter avec Etienne, Michel Bettane est un régal. Mais ce soir la grande découverte, c’est celle d’un collectionneur d’un niveau hors du commun. Nous sommes appelés à nous revoir. Taillevent a fait comme toujours une belle performance. Voilà une soirée d’une belle richesse de découvertes.

dîner Dom Pérignon de folie aux Crayères mardi, 13 septembre 2011

Dom Pérignon a organisé aux Crayères à Reims un dîner complètement fou, où le marketing côtoie la grande sincérité. Sur le carton d’invitation, noir calligraphié d’argent comme les étiquettes des Dom Pérignon Œnothèque, un libellé sibyllin « avant-première de l’expérience IV.VIII.XVI » et une annonce intrigante : « accueil 21h15, dîner 22h00 précises ». Dom Pérignon serait passé à l’heure espagnole ?

Lorsque j’avais demandé à Richard Geoffroy, chef de cave de Dom Pérignon, de quoi il retourne, j’ai compris que c’était secret. Lorsque j’ai croisé Philippe Jamesse le brillantissime sommelier des Crayères, je lui ai demandé de voir la salle du dîner. A ses sauts en l’air j’ai compris que c’était « Secret Défense ».

Nous sommes plusieurs logés sur place et ma chambre « Impératrice Eugénie » m’a rappelé l’hôtel du Palais à Biarritz où j’ai passé en famille tant d’étés. La chambre est superbe avec sa belle terrasse donnant sur le parc et le service est irréprochable.

Un peu avant l’heure prévue, tout le monde se retrouve au bar et, chose étrange, seule l’eau minérale est admise. Il y a la fine fleur de ceux qui écrivent sur le vin, plus quelques amis de Richard Geoffroy. Hervé Fort, directeur général du domaine les Crayères nous fait un speech de bienvenue très long, et qui sent la communication à plein nez. Mais c’est son rôle. A ses côtés Richard Geoffroy et Philippe Jamesse sont comme deux gamins enthousiastes à qui on donne enfin l’occasion de réaliser leur projet. Ils sont amusants, car d’un côté, ils veulent garder le mystère, mais de l’autre, ils ont tellement envie de tout dire.

En fait l’idée est née des constatations de Philippe Jamesse. Le champagne Dom Pérignon a des saveurs et des arômes qui évoluent grandement en fonction de la température, et chaque degré de plus change le goût. Or un champagne dans le verre va passer de 8° à 16° en une demi-heure. Comment arrêter le temps ? L’idée est que ce gain de 8° se fasse en deux heures au lieu d’une demi-heure, et qu’un repas soit organisé avec des plats qui correspondent exactement aux saveurs de chaque degré gagné. Le principe était né. Il s’en est ouvert à Richard Geoffroy qui a l’âme d’un chercheur et qui a mordu à l’idée. Pendant dix-huit mois, Philippe, avec son chronomètre et son thermomètre a mesuré les évolutions et les saveurs, et avec Philippe Mille le jeune chef des Crayères, ils ont élaboré un menu spécifiquement calé sur chaque degré de réchauffement du Dom Pérignon.

Le principe est donné, passons à table. Dans la grande salle du restaurant, une longue table accueille les 25 participants. Devant chaque place, un pupitre comme une demie boîte accueille quatre grands verres conçus par Philippe Jamesse. Les panneaux de la boîte sont réfrigérants, et le support sur lequel sont posés les verres est éclairé pour mettre en valeur la beauté de la couleur du champagne. Sur chaque verre deux chiffres romains sont inscrits. On va de gauche à droite de un à quatre, puis de droite à gauche de cinq à huit. Un sommelier verse dans chacun des verres 18 cl de Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1996 dégorgé en 2008, dont Richard dit que ce millésime est « fait par le vent », et nous devrons boire 9 cl, c’est-à-dire la moitié de chaque verre, de un à quatre puis au retour de cinq à huit, ce qui fait que nous commencerons à boire dans le verre de gauche et finirons par celui-ci. Un petit cahier qui nous est remis explique de façon remarquable le processus, ainsi que les plats qui accompagnent chaque degré du vin.

Par curiosité, nous nous sommes prêtés de bonne grâce à cette expérience, illuminée par la démarche brillante de Philippe Jamesse initiateur de l’idée, par l’imagination de Richard Geoffroy et par le talent exceptionnel de Philippe Mille. Et nous avons pu constater que la température du champagne monte extrêmement lentement, d’un degré par quart d’heure, que le goût du champagne évolue à chaque degré et que les accords prévus pour chaque phase sont d’une pertinence et d’une élégance absolues.

Quand ma voisine a demandé à Philippe Jamesse le pourquoi de la référence aux quartiers de la lune pour chaque phase de dégustation et pourquoi ces dîners ne se feraient que les jours de pleine lune, il m’a semblé que cela tenait un peu de la poudre de perlimpinpin médiatique, mais je suis prêt à admettre que je suis un hérétique.

Voici les plats aux titres interminables qui accompagnent chaque degré de température du champagne que j’indique en tête de plat avec l’amusante phase de lune qui lui est associée, avec un petit commentaire entre parenthèses.

8° nouvelle lune : tartare d’huîtres de chez David Hervé, salicornes Cress juste concassées, granité d’eau de mer filtrée, feuilles d’huîtres végétales et fleur de bourrache (plat délicieux, accord parfait, car le Dom Pérignon froid et l’iode, ça fonctionne).

9° premier croissant : langoustines de Guilvinec mi-cuites marinées à la menthe blanche, faisselle de la forêt d’Argonne au thym citron, melba de pain de mie croquant, copeaux de champignons de Paris (l’écart de 1° transforme le champagne. L’accord est pertinent. C’est le plat pour lequel j’ai le moins vibré, même si très bon).

10° premier quartier : saumon sauvage d’Ecosse confit, beurre de mandarine au malt iodé, chapelure d’oranges et bâton de réglisse, sabayon d’agrume de chez Bachès légèrement tourbé (saumon superbe, champagne qui prend de l’ampleur, accord pertinent).

11° gibbeuse croissante : soupe de moules du Mont Saint-Michel, carottes des sables et céleris au safran du Gâtinais, crème fouettée au jus de palourdes et coques de la baie de Somme, moules mi-séchées et pistils de crocus (plat sublime qui vaut trois étoiles, le safran crée un accord magistral. Rien que ce plat et cet accord sur un champagne encore plus ample vaut le voyage). A cette étape nous avons bu des verres de un à quatre, et nous continuons sur le même verre pour revenir au premier.

12° pleine lune : riz basmati d’Inde « la Reine du Parfum », sauté dans un wok fumé au thé Marco Polo, mélange des sous-bois au beurre demi-sel et « tabac » de champignon noir (le champagne est de plus en plus épanoui. L’accord est justifié).

13° gibbeuse décroissante : tajine d’agneau de Lozère à l’amande, côte première grillée au feu de sarments de vigne, caillette d’épaule confite et ses légumes braisés, jus de cuisson infusé à la grappa « Invecchiate » (plat sublime, d’une dextérité infinie et d’une justesse de goût exceptionnelle. Accord parfait. C’est la plénitude du champagne).

14° dernier quartier : caillé frais de chez Mr Laluc, vinaigre à la pulpe de mangue et huile d’olive « bio » Tripodi, feuilles de brick toastées à l’essence de basilic, mouron des oiseaux, jeunes pousses de salade (plat délicieux à la présentation romantique, accord pertinent, mais le champagne a moins de tension).

15/16° dernier croissant : tarte Tatin aux éclats de violette de Toulouse cristallisée, cerneaux de noix à lafleur de sel de Guérande, crème fraîche de chez Vieillard mi-fouettée, zestes de citron de Menton confits (très beau dessert et accord pertinent, mais le champagne a un peu perdu de sa vivacité puisqu’il est dans le verre depuis presque deux heures).

Nous avons applaudi Philippe Mille et son équipe qui a fait un repas trois étoiles. Son talent s’est exprimé de façon remarquable, mes chouchous étant la moule, l’agneau et l’huître. Le champagne m’a plu énormément dans toute la phase montante, jusqu’à 13°. Mais je me suis fait cette réflexion : en se concentrant comme on le fait sur les températures et leurs évolutions, on passe un peu à côté du message du magnifique Dom Pérignon 1996, car on a toujours l’impression de boire un « autre » vin en passant de verre en verre. C’est moins décontracté que lorsqu’on en profite pour lui-même.

La passion de Richard Geoffroy et de Philippe Jamesse est certainement ce qui illumine cette expérience. Je suppose qu’Hervé Fort va commercialiser ces dîners où il est impossible de parler aux convives de l’autre côté de la table, tant les pupitres font barrière. Mais au-delà du markéting, au-delà de la communication et de l’éventuelle exploitation commerciale, il reste une expérience unique, folle, qui a réuni deux passionnés dans une recherche de mise en valeur de la complexité d’un grand champagne en fonction de sa température maîtrisée en arrêtant le temps. Rien que pour cela, c’est un événement inoubliable.

Chapeau Richard et chapeau les deux Philippe.

dîner Dom Pérignon – photos mardi, 13 septembre 2011

Ma chambre « impératrice Eugénie » aux Crayères

un espadon dans le parc !

apéritif à l’eau au bar pendant que Richard Geoffroy, Philippe Jamesse et le directeur de l’hôtel présentent la soirée

la table dressée pour 25 personnes

les champagnes et le fameux système pour garder froid le Dom Pérignon dans les verres

on voit les n°s sur les verres, correspondant aux huit étapes de dégustation avec les plats adapatés à chaque tempéraure du Dom Pérignon 1996

les plats composés par Philippe Mille sur des idées de Philippe Jamesse

Philippe Mille

le chef avec Richard Geoffroy chef de cave de Dom Pérignon

visite au champagne Selosse et déjeuner à l’hôtel les Avisés lundi, 12 septembre 2011

Dom Pérignon organise un dîner surprise aux Crayères à Reims. Que faire pendant la journée ? J’appelle Richard Geoffroy, le chef de cave de Dom Pérignon, pour que nous déjeunions ensemble. L’affaire semble engagée, mais il est pris au dernier moment. J’aurais aimé que nous allions ensemble rencontrer Anselme Selosse. J’irai donc seul.

Vers 11 heures, je rejoins un petit groupe de visite formé d’un couple d’amis d’Anselme Selosse et Corinne, d’une journaliste française et d’un journaliste allemand. Ils ont déjà visité les chais et nous faisons une visite sommaire de l’hôtel « Les Avisés » que j’avais vu en travaux et qui est maintenant décoré avec un goût exquis. La demeure respire la convivialité, voire l’esprit familial. Les couleurs sans agressivité invitent au partage et à l’éveil des sens. Dans le salon très cosy, Anselme dirige notre dégustation.

Nous commençons par le Champagne Jacques Selosse Initial dégorgé le 23 décembre 2010, fait de vins de 2004, 2003 et 2002. L’attaque est très douce. Le vin est doucereux, à la bulle confortable. Il y a un beau fruit citronné et doré et un final très frais. Il me plait par son caractère très doux, qui ne veut rien imposer. Léger, aérien, fluide, il est fait d’écorces de citron confit et de fruit confit. Dans le final, on voit apparaitre de la craie et de la coquille d’huître. Anselme nous dit qu’il est plus dosé que celui qui est fait des vins de 2003, 2002 et 2001. Il est issu de parcelles de bas de coteaux, qui ont plus d’argile.

Anselme a créé les « Lieux Dits », vins qui sont de six parcelles différentes, de six communes différentes. Il veut faire six champagnes différents, pour montrer l’expression de chaque parcelle. Sa démarche est proche de celle des « Clos », qui font des vins d’une seule parcelle. Tous les vins s’appellent « Lieux-Dits », et la liste des six parcelles est inscrite sur toutes les étiquettes, et ce qui les différencie, c’est le nom de la parcelle du vin qui est inscrit en gras et coloré.

Nous goûtons le Champagne Jacques Selosse Lieux Dits Les Carelles de Mesnil-sur-Oger dégorgé en janvier 2010. Le principe sera pour ces vins d’être une solera, mais comme on démarre, c’est une solera réduite aux vins de 2004 et 2003. Le vin est d’un bel or, avec peu de bulles. Il est très fruits bruns avec une amertume marquée. Il est un peu rêche mais a une jolie persistance en bouche. Il est beaucoup plus viril que le premier. Sa finale est très crayeuse, avec beaucoup de personnalité. Les carelles sont un lieu où l’on extrayait des carreaux de craie, ce qui explique le final.

Nous goûtons ensuite un champagne qui n’a pas encore été diffusé, un Champagne Jacques Selosse Lieux Dits La Côte Faron d’Ay. Comme le champagne est chaud, la bulle est très agressive au premier contact. Le vin est plus difficile à cerner et plus neutre que le précédent. Il a un joli fruit et évoque l’amande.

Le troisième Lieux Dits est le Champagne Jacques Selosse Lieux Dits Le bout du Clos à Ambonnay. Comme les deux précédents, il est fait de vins de 2004 et 2003. Ici, c’est une majorité de pinot noir. Un peu fumé, je lui trouve une tendance tabac, feuille séchée. On peut aussi lui trouver du pain d’épices et du coing. Il est très élégant sur des petits pains à l’olive et sur du parmesan. Sur le fromage, on peut ressentir son côté floral.

Nous passons à table avec le Champagne Jacques Selosse 1999. La couleur est bien ambrée. En bouche il est fumé, tendance armagnac. Il y a des fruits bruns. Il est imposant et me fait penser au Cardinal de Richelieu. La force est imposante.

J’ai apporté un Vin de l’Etoile de la Coopérative vinicole de l’Etoile 1973. Etant un adorateur de ces vins du Jura, je voulais créer un pont entre celui-ci et le Substance de Selosse. Comme on nous apporte une cassolette de cèpes légèrement aillés, j’anticipe l’apparition de mon vin pour profiter de l’accord. Ce vin n’a pas d’âge. Il a forte acidité, un grande minéralité, et il s’épanouit sur la sardine crue qui nous est servie maintenant. Il devient ample, presque voluptueux, et le lien avec le 1999, un peu amer, assez fumé, se fait très bien.

Les deux vins s’étoffent dans leurs verres. Le 1999 devient opulent, et l’Etoile se civilise, devenant charmant. Quand arrive le Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en octobre 2010, on sent de l’orange et des fruits frais, avec un final oriental que crée le navarin d’agneau aux épices légères. Le vin est puissant et c’est lui qui – comme je le souhaitais – crée la résonance avec le vin de l’Etoile.

L’Initial de l’apéritif offre maintenant des aspects de feuilles anisées.

Sur une poêlée de quetsche, je goûte le « Il était une fois » de Jacques Selosse, fait de moûts de raisin et alcool, qui titre 15°. Il est dans des tons de prune, de pruneau, de figue et de miel.

J’avais appelé Didier Depond président de Salon avant le déjeuner qui m’a dit que des visiteurs américains de son domaine déjeuneraient à l’hôtel Les Avisés, que l’on écrit HôteLes Avisés. Ils arrivent, avec des restes de dégustation, et on me propose un verre de Champagne Salon 1997 qui arrive à point nommé pour une autre vague de sensations.

L’atmosphère étant très conviviale, j’ai pu bavarder avec d’autres tables, dont les américains visiteurs de Salon et un œnologue local. Mais c’est surtout avec Corinne et Anselme Selosse que j’ai eu des échanges féconds. On sent leur fébrilité pour savoir si leur hôtel va connaître le succès. Je n’ai aucun doute là-dessus, car le bouche à oreille va très rapidement couronner leurs efforts. Stéphane le chef fait une cuisine bourgeoise classique et sans chichis. Nathalie son épouse est en salle. Les tables se parlent entre elles, car ici, c’est de vin que l’on parle.

Les champagnes Selosse sont marqués par un désir permanent de perfection du geste. Le verre le confirme. Ce fut un beau déjeuner.